L. 363.  >
À Charles Spon,
le 4 août 1654

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du vendredi 24e de juillet, j’apprends que l’on a imprimé à Villefranche (c’est Genève) in‑8o un certain livre intitulé Tyrannomanie jésuitique. Je vous prie de m’en procurer au moins un exemplaire, voire quatre si faire se peut, il est daté de l’an 1648, en blanc ou relié, il ne m’importe. [1][2] Je vous supplie pareillement de faire mes recommandations à M. Huguetan l’avocat, à Monsieur son frère et à M. Ravaud.

Je vous envoyai par ma dernière un petit traité de l’éclipse [3] de soleil qui doit être le 12e d’août prochain et j’apprends que M. Gassendi [4] en a fait un autre discours que l’on imprime, invité à ce faire par M. l’évêque de Coutances, [2][5][6][7] qui est ici grand vicaire du cardinal Antonio, [8] grand aumônier de France ; mais que cet auteur ne désire point que l’on y mette son nom, que si on l’y met, il le désavouera et écrira contre tout exprès. [3]

Comme il sortait d’Aire [9] un convoi pour être mené dans Arras, [10] conduit par les Espagnols, il a été attaqué par les Français par ordre de M. le maréchal de Turenne ; [11] comme la victoire balançait, le convoi s’est retiré dans Aire et nos gens ont eu du pire. Entre autres, nous y avons perdu un brave capitaine champenois, mais grand larron, nommé de Beaujeu. [4][12] Le convoi n’a point été pris par les nôtres, mais ceux d’Arras ne l’ont point eu aussi ; j’entends ceux qui assiègent Arras et qui en ont grand besoin. J’ai vu lettre d’Allemagne, laquelle porte que le fils aîné de l’empereur [13] et roi des Romains [14][15] y est mort de la petite vérole. [5][16] La reine de Suède [17] est à Hambourg [18] pour delà venir à Spa. [6][19] M. Moreau [20] vous baise les mains ; il y a dix jours qu’il voit avec moi une riche dame, laquelle est hors de danger, nous lui dirons bientôt adieu. Il est, Dieu merci, en bonne santé et assez gaillard ; il se porte mieux qu’il ne faisait l’an passé, utinam perennare possit[7]

Je vous supplie de faire nos recommandations à nos bons amis MM. Gras, Garnier, Falconet, Huguetan l’avocat, à Monsieur son frère le libraire et à M. Ravaud. Mais à propos, où en sont-ils, ces Messieurs, de leurs livres : le Theatrum vitæ humanæ [21] est-il fort avancé, leur Sennertus [22] s’achève-t-il ? [8] Beaucoup de gens le souhaitent fort de deçà. Commencent-ils quelque autre grand ouvrage ?

Ce 31e de juillet. Voilà que je trouve céans une petite lettre de notre bon ami M. Paquet, [23] je vous supplie de lui faire mes très humbles recommandations et de le remercier de la bonté qu’il a eue de m’écrire.

On parle ici fort diversement des sièges d’Arras et de Stenay, [24] et n’y a encore rien de certain ni à l’un, ni à l’autre. On a dit à M. Guillemeau [25] qu’il y aurait réponse contre lui au nom de M. Courtaud [26] de Montpellier, [27] et ce en latin. [9] En ce cas-là, il croit que ce sera quelqu’un de deçà et soupçonne particulièrement M. Des Gorris, [28] en quoi il y a grande apparence ; mais lui et ceux qui lui donneront des mémoires ne manqueront point de vives et fortes réponses. M. Guillemeau croit que c’est Guénault [29] qui met les autres en besogne et qui tantum opus promovet ; [10] mais on parlera à lui et de lui hardiment, et les vérités qu’on lui dira seront cuisantes et emporteront la pièce. [11]

Je vous envoie un deuxième discours de l’éclipse de soleil du 12e de ce mois, dont le vrai auteur est M. Gassendi, qu’il a fait à la prière de l’évêque de Coutances. [3]

Ce 2d d’août. Une dame de qualité me vient de dire à l’oreille, en me serrant la main, Arras est perdue pour la France et le roi revient à Paris.

Dans le dernier paquet que j’ai donné pour vous être rendu à Lyon par M. Borde [30] franc de port, vous y trouverez un petit paquet pour être envoyé à M. Volckamer [31] à Nuremberg, [32] lequel je vous recommande à votre loisir ; je ne sais si dans ma dernière je vous en ai fait mention, il me semble que non.

L’on m’a dit que le jeune Bauhin, [33] qu’avez autrefois connu, est encore prisonnier à Blois [34] et que son père [35] le veut laisser pourrir là-dedans sans le vouloir dégager ni tirer de là. Il y a ici un jeune Platerus, fils d’un médecin de Bâle, [36][37][38] qui en est arrivé depuis peu, qui avoue qu’il n’est point à Bâle. [12] Voilà un misérable petit fripon qui s’est bien malheureusement débauché[13]

On dit ici qu’il y a un premier valet de chambre du roi nommé Chamarante [39] qui est disgracié. [14] Il avait autrefois été valet de chambre du cardinal de Richelieu [40] et avait été élevé jusqu’ici par Mme de Beauvais [41] qui a grand crédit près de la reine, [42] et laquelle, pour être fille de lingère, a l’honneur d’être aujourd’hui la belle-mère du marquis de Richelieu. [15][43] Voilà où s’en vont les écus que ce tyran a durant tant d’années volés à la France. Ce Chamarante disgracié a été soupçonné de quelque intelligence avec quelques grands de la cour que l’on dit faire parti contre la faveur du temps ; lequel parti n’éclatera qu’en cas qu’il arrive quelque grand malheur, comme la prise d’Arras, ou que Stenay ne pût être pris, etc. En suite de cela, on dit que le roi [44] sortira bientôt de Sedan [45] et qu’il revient à Compiègne, [46] ou à Amiens. [47]

M. Nicolas Fouquet, [48] procureur général au Parlement de Paris et surintendant des finances, a un frère nommé l’abbé Fouquet [49] qui a jusqu’ici fait fonction de petit ministre entre la reine et le Mazarin. [50] Cet abbé a pris la poste depuis peu et est allé à Metz [51] s’y faire recevoir le procureur général de ce parlement. On ne sait à quel dessein cela se fait, si ce n’est pour entrer dans quelque temps dans la charge de son frère et être ici procureur général ; mais on ne sait en ce cas-là ce que deviendra ce frère, savoir s’il se fera président au mortier à la place de M. de Champlâtreux [52] en demeurant surintendant, ou si, comme il est en grand crédit, ce n’est point pour être garde des sceaux à la place de M. Molé, [53] auquel ils pourraient être ôtés, comme par ci-devant on les a ôtés à tant d’autres. [16]

Il y a ici plusieurs gens, et principalement des femmes, qui s’épouvantent fort de l’éclipse, de laquelle je ne crains rien du tout. [54] J’aime mieux croire M. Gassendi et me persuader que plusieurs malheurs pourront bien arriver par ci-après en vertu d’autres causes, sans que celle-là y contribue quoi que ce soit. Les astrologues en diront tout ce qu’ils voudront, sed non ego credulus illis, nil nisi nugas effutiunt[17] Il y a bien des gens au monde qui ne méritent point d’être crus et qui même ne diraient point la vérité quand ils la sauraient ; entre autres, tria mihi videntur animantia mendacissima, nempe Botanista, Chymista et Iesuista[18] Joseph Scaliger [55] appelait ces derniers mendacissimum Monachorum genus. Alii duo sunt meri nebulones, extra methodum tanquam extra oleas vagantes, sine remis et velis navigantes, naufragium tandem facturi[19] Feu notre bon ami M. Naudé définissait un chimiste [56][57] ens ridiculum, animal mendacissimum, homines impune necans, purioris Medicinæ prætextu.

Tuus ex animo, G. Patinus[20]

De Paris, ce 4e d’août 1654.

Quelques-uns disent que le grand convoi des Espagnols a passé pour Arras frustra nitente Turenio ; alii præfracte negant ; Deus ipse viderit[21][58]

M. Benoît [59] de Saumur [60] m’a visité ce matin. Post multa ad salutem spectantia præstita[22] je lui ai demandé comment se nommait cet ancien conseiller du Parlement qui avait prédit qu’en 1664 toute l’Europe serait réformée et l’Italie détruite flamma et ferro[23] Il m’a répondu qu’il s’appelait Luilier, sieur de Chalandeau[61] que sa famille était de Paris, sa seigneurie en Poitou ; qu’il avait été averti en songe de changer de religion et d’embrasser la nouvelle, ce qu’il fit ; qu’il savait bien qu’il n’y aurait plus de pape, que la messe serait abolie, plus de prêtres ni de moines en France. Jésus, le beau déblai !

Sic Sabini olim somniabant : hodie quoque somniant senes, quibus mens ipsa non valet constat.

Tuus totus, G.P. [24]



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 4 août 1654

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(Consulté le 04/10/2024)

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