L. 390.  >
À Charles Spon,
le 5 février 1655

Monsieur, [a][1]

Ce 28e de janvier. Je vous envoyai ma dernière par la voie de M. Hubet [2] le mardi 26e de janvier. Depuis ce temps-là, je vous dirai que j’ai reçu aujourd’hui céans le livre de Botal [3][4] de la nouvelle impression, lequel je suis bien aise vous être dédié, que M. Duhan [5] a apporté céans en mon absence. [1] Il a dit qu’il reviendra demain et qu’il m’apportera un petit paquet qu’il a pour moi de votre part. En attendant que je sache ce que c’est, je vous en remercie par avance. J’ai ce matin été dans la rue Saint-Jacques [6] où j’ai trouvé chez M. Vitré [7] cette Nouvelle méthode de grammaire achevée ; [2][8] j’en ai pris une pour vous, laquelle je vous enverrai bientôt avec un livret nouveau de M. Guillemeau [9] contre M. Courtaud [10] de Montpellier. [3][11] Ce même M. Vitré imprime une Grammaire grecque, in‑8o, laquelle vient du même lieu que cette Nouvelle méthode, etc., savoir du Port-Royal, [12] où il y a de savants jansénistes [13][14] qui travaillent là-dedans en commun. J’ai consulté [15][16] aujourd’hui après-dîner chez M. Riolan [17] qui paulo melius habet[4] Il m’a dit qu’il avait dicté aujourd’hui dans son étude près de deux heures à son écrivain pour sa réponse contre M. Pecquet [18] et qu’il pourrait achever bientôt ce petit travail si le froid, qui est son ennemi juré, était passé. Il se moque généreusement et méprise fortement les injures qui sont là-dedans ; entre autres, celles que lui ont dites M. Sorbière [19] et Hyginus Thalassius, qui est ici un des nôtres encore jeune nommé M. de Mersenne, [20] à qui M. Riolan parlera bien hardiment. [5][21] M. Mentel [22] aura sa part de cette réponse, vu que le même M. Riolan croit qu’il y a contribué, quod facile crediderim[6] Dieu nous a réservés à un impudent siècle où les savants mêmes ne peuvent s’empêcher de dire des injures.

On m’a dit ce matin une nouvelle que je ne puis croire, savoir que le mois de mai prochain, Son Éminence [23] ira prendre des eaux de Bourbon [24] et qu’en même temps le roi [25] ira à Lyon où se rendra la duchesse de Savoie, [26] afin d’y traiter ensemble de grandes affaires ; [7] ce qui ne me semble guère vraisemblable, vu que c’est le temps que les ennemis commencent à paraître en campagne, et même que les eaux de Bourbon ne peuvent être bonnes à des gens qui ont les reins échauffés comme les a cet homme-là, qui vide du sable souvent et même qui a souventefois par ci-devant vidé de petites pierrettes. [27]

Ce 30e de janvier. M. Duhan a pris la peine de venir céans ce matin, mais de malheur, j’étais sorti. Il a laissé le petit paquet dont vous l’aviez chargé, dans lequel j’ai trouvé quelques thèses de M. Sebizius, [28] comme m’aviez mandé, Alcoranus Franciscanorum[29] et la thèse de théologie de Communione Sanctorum ; [8][30] mais ne m’aviez-vous pas mandé quelque chose d’une thèse contre le P. Ignace [31] des loyolites, pouvez-vous le remettre en votre mémoire, il me semble que c’est autre chose que cette dernière ? De quibus singulis gratias ago amplissimas[9] je vous prie de mettre sur mes parties ce qu’en avez déboursé, que je paierai à M. Du Prat [32] ou à tel autre qu’il vous plaira, avec ce que je dois déjà de vieux que je suis tout prêt d’acquitter quand et à qui vous voudrez. Je viens d’arriver de chez M. Gassendi [33] que j’ai trouvé écrivant près de son feu. Il fuit tant qu’il peut le froid comme son ennemi juré. J’avais mené quant et moi M. Garmers, [34] un jeune médecin de Hambourg [35] pour qui vous m’écrivîtes, ce me semble, il y a environ deux ans ou un peu moins ; [10] il a été ravi de voir ce grand personnage. Il apprête de la copie et dit que M. Barbier lui a mandé que M. de Champigny, [11][36][37] votre intendant, lui écrira lorsqu’il sera revenu de Bresse où il est allé pour régler les logements des gens de guerre qui viennent de Piémont [38] et d’Italie.

Ici a été brûlé en Grève [39][40] par la main du bourreau un écrit imprimé à Rome qui était une lettre du cardinal de Retz [41] aux archevêques et évêques de France. Le Clergé prétend que c’est une injure qu’on lui a faite, il s’en veut assembler ici pro violata dignitate[12] Je pense qu’ils n’avanceront rien ; même, il se pourra faire que le roi leur défendra ; et quelque chose qu’ils fassent, le plus fort l’emporte. Nous ne sommes plus du temps que Fortunam vincit Sapientia : [13][42] la dive Fortune [43] centum hominum etiam sapientissimorum consilia subvertit[14][44] On attend ici des nouvelles du conclave [45] et de la création d’un nouveau pape. [15] Ô que ce serait un bon prélat s’il nous ôtait le carême, [46] pro iucundo adventu ad Coronam[16] comme fit ici l’an 1649 le cardinal de Retz ! [17] On commence ici à faire des préparatifs pour la campagne prochaine, on dit que l’armée du roi sera fort grande et que le roi ira lui-même la commander en personne. On espère aussi que dans 15 jours la paix sera accordée et soudée avec les Anglais, de sorte qu’il n’y aura rien à craindre de ce côté-là pour nous.

Ce 3e de février. On fait partir d’ici ce matin dix compagnies du régiment des gardes avec tous leurs officiers afin de s’en aller vers Péronne [47] s’y joindre à la cavalerie qui s’y doit rendre, pour delà aller secourir Le Quesnoy, [48] qui est fort pressé par les Espagnols ; dans lequel ceux qui sont enfermés des nôtres seront obligés de capituler et de le rendre aux ennemis s’ils ne sont secourus en bref[18] On tirera demain la dernière demi-feuille d’un second livre de M. Guillemeau contre M. Courtaud, [3] c’est l’auteur même qui me le vient de dire ; il vient de sortir de céans, il m’a dit qu’il y a 13 demi-feuilles. Voilà pour faire rire ce bonhomme Courtaud du bout des dents : excitavit crabronem[19][49][50] il a réveillé le chat qui dort, qui ne le lairra pas aisément en repos ; [20] il est homme d’esprit, riche, puissant et courageux, il a grand loisir et beaucoup d’amis ; il ne fait pas bon irriter ces gens-là. M. Courtaud n’a pas été bien conseillé de l’entreprendre, et crois qu’il ne l’aurait pas fait, à ce que j’apprends de deçà, s’il n’y avait été sollicité par quelqu’un de ces gens-là qui se jouent ici, avec l’antimoine, de la vie des hommes. Venit in suspicionem tam atrocis facinoris pessimus ille nebulo, ne dicam carnifex[21] de la race des singes et des guenons, qui a tant tué de monde avec ce maudit poison qu’il en est ici en détestation à la plupart des gens de bien. [51] Pour l’antimoine, [52] l’on n’en donne plus, ses fauteurs mêmes ne l’osent plus proposer et confessent eux-mêmes que c’est un dangereux remède, on n’en parle ici que pour le détester. Le livre de M. Perreau [53][54] a aidé à en détromper encore plusieurs qui n’étaient pas bien confirmés dans la connaissance de ce venin.

Ce même jour, le bonhomme M. Riolan a fait arrêter prisonnier son fils, l’avocat, [55][56] qui s’était marié sans sa permission ; [22] il avait fait casser son mariage. Ce procès lui a coûté plus de 5 000 livres. Nonobstant tout cela, le compagnon n’a pas voulu rentrer en son devoir. Enfin, il est attrapé d’aujourd’hui au matin et eo momento quo scribo, laborat in vinculis[23][57] Il y a quatre ans que ce procès dure ; cela a fait grand tort au public car le bonhomme M. Riolan aurait bien fait quelque chose de bon sans ce misérable procès. Vous et moi nous y perdons, et même tout le public.

Ce 4e de février. Je viens de recevoir votre lettre datée du 29e de janvier avec le dernier cahier de ce que vous avez pris la peine de me transcrire de feu M. C., [24][58] dont je vous remercie de tout mon cœur, je suis honteux de tant de peines qu’en avez prises. Il y a longtemps que M. Moreau [59] a les imperfections d’Albertus M. < Magnus > [60] que m’aviez adressées. [25] Je ne manquerai point de le saluer de votre part et de servir de tout mon pouvoir mademoiselle votre belle-sœur, [61] laquelle j’irais saluer si je savais où elle est logée. M. Le Gagneur [62] n’est point le plus fort de sa paroisse. Je le verrai puisqu’il revient, mais comment revient-il, est-ce qu’il a tout à fait quitté son maître, [63] avec lequel on dit qu’il n’y a rien à gagner, ou bien est-ce que son maître reviendra bientôt à la cour, quod multi non credunt ? [26]

Pour M. Ferrus, [64] il n’est plus ici, il y a longtemps qu’il est à Lyon et je m’étonne qu’il ne vous a vu car il me l’avait bien promis en partant d’ici : même la veille qu’il partit, en me disant adieu, il me communiqua un petit mal de garçon qu’il avait, [27] et l’exhortai d’en prendre votre avis dès qu’il serait arrivé à Lyon s’il n’en était parfaitement guéri. Quand vous le verrez, ne lui en dites rien s’il ne vous en parle le premier : peut-être qu’il n’en a pas eu besoin, peut-être qu’il n’a osé ou que quelque autre chose l’en a détourné. Ce docteur Reyd (ni fallor), [28] dont écrit M. de La Mothe Le Vayer, [65] était un Écossais, médecin à Toulouse, [66] parent des Blacvod, [67][68][69] qui viennent d’Écosse aussi. [29] Ce M. de La Mothe Le Vayer a épousé une Blacvod, [70][71] fille d’un conseiller de Poitiers, [72][73] laquelle était veuve d’un autre Écossais fort savant nommé George Critton, [30][74] professeur du roi, lequel mourut ici l’an 1611 (feu M. Nic. de Bourbon, [75] natif de Bar-sur-Aube en Champagne, [31][76] eut sa place en même temps, pour avoir fait de si beaux vers sur la mort de Henri iv [77] sous le titre de Diræ in parricidam ; eius manibus bene precor[32] il a été mon bon maître et mon bon ami jusqu’à la mort, je parle de lui avec tendresse et affection dans ma harangue). De cette veuve de Critton est provenu à M. de La Mothe Le Vayer un fils, [33][78] qui est un garçon bien fait, lequel a 1 000 écus de rente sur l’archevêché de Rouen pour un soufflet qu’il reçut dans la grande salle du Palais l’an 1651 des mains du curé de La Flèche [79] qui frondait avec les autres contre le Mazarin, que ce jeune homme voulait défendre : Ille crucem pretium sceleris tulit, hic diadema[34][80] Ce Reyd était leur cousin, je me souviens d’en avoir ouï parler à feu M. Blacvod, notre collègue, lequel mourut à Rouen l’an 1634. J’ai vu et même peut-être que j’ai céans un petit livre de ce Reyd in‑8o en français, lequel si je ne me trompe, traite de la pesanteur du plomb. [35][81] Et voilà ce que j’en sais, qui est peut-être plus que vous ne m’en demandiez ; si cela ne vous contente, je m’offre d’en consulter dans les occasions M. de La Mothe Le Vayer. Vale et me ama[36]

M. Pecquet n’a encore ici converti personne par son livre plein d’injures contre M. Riolan ni par ses nouvelles Observations[4] J’y croirai quand j’en verrai être besoin que le lait se fasse immédiatement du chyle[82] je ne le puis croire. [37][83][84] M. Riolan lui répondra, s’il vit. Il n’a pas vendu tous ses livres, il en a encore plus de cent de reste, sans les recueils et manuscrits ; [85] outre qu’il en a encore un très bon dans la tête, qui est une très belle et admirable mémoire. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 5e de février 1655.

Avez-vous ouï dire que M. Arnaud [86] imprime à Lyon le Ciaconius de vitis Pontificum, etc[87] en deux volumes in‑fo avec les figures venues de Rome ? C’est un grand ouvrage, mais il faut que la copie en soit bien revue. L’Hippocrate de Foesius [88][89] roule-t-il sur la presse ? [38] Fait-on en votre ville quelque autre chose plus notable ?



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 février 1655

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(Consulté le 25/04/2024)

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