L. 419.  >
À Nicolas Belin,
le 8 octobre 1655

Monsieur, [a][1]

Si vos apothicaires [2] demandent que vous ne fassiez point d’ordonnances qu’en latin, c’est qu’ils en savent bien la conséquence : c’est le vrai moyen de les mettre à la raison et c’est la raison que les familles soient soulagées, et les malades délivrés de cette dépense effroyable et inutile. Les gens de bien de notre profession doivent ce soulagement au public. M. Matthieu, [3] notre collègue, m’a promis de solliciter votre bon droit envers M. Du Tillet, [4] chez lequel il me dit avoir grand crédit, [1] combien que M. Morisset [5] soit son médecin ; je ferai que l’un et l’autre lui recommanderont.

Matthiæ Martinii Lexicon etymologicum [6] est achevé d’imprimer dès l’an passé : j’en ai vu ici un dès le mois de mars, plusieurs marchands y en ont apporté depuis ; on en a vendu plus de 40 dans la rue Saint-Jacques [7] depuis six mois ; il y a deux jeunes libraires qui font grand profit au trafic de ces livres étrangers, qui en ont fait venir plusieurs ; mais je n’en ai point acheté (non pas à cause de leur cherté, combien qu’elle soit grande) d’autant qu’il m’en doit venir d’ailleurs. Un médecin de Nuremberg [8] m’en a acheté un qu’il a fait emballer avec d’autres livres qui me viennent par Hambourg, [9] mais la longueur du chemin m’empêchera de les recevoir bientôt. Un médecin de Metz [10] m’en a promis un qu’il a fait venir par des marchands de Metz qui trafiquent à Francfort, [11] j’espère que j’aurai celui-là dans ce mois d’octobre. M. Ravaud [12] de Lyon, qui est l’associé de M. Huguetan, [13] m’en doit pareillement un qu’il me donnera quand il voudra. Mais je vous dirai certainement que c’est le meilleur livre de mon étude in eo genere[2] si j’en avais 30, j’en serais bientôt remboursé. M. Du Clos [14] de Metz, qui me l’a fait acheter dans Francfort, m’a mandé qu’il avait coûté douze florins qui reviennent à nos 24 livres, je voudrais en avoir donné 3 pistoles et le tenir. Liber est maximi usus, ac utilissimæ lectionis[3] Nos libraires en demandent 35 livres en blanc ; il est gros comme une rame de papier, on le peut relier en deux justes volumes ou en trois un peu plus petits. Pour ce qu’en dit M. Huguetan, per ea quæ nuper attuli, vides quantum mereatur fidei[4] On dit ici fort souvent en proverbe que tria sunt animantia mendacissima, Loyolita, Botanista et Chymista ; si tribus istis nebulonibus liceat superaddere quantum, sit ille bibliopola, neque enim novi animal mendacius ullum[5][15]

Le troisième livre de M. Guillemeau [16] ne tient à rien, je vous l’enverrai avec la première curiosité qui se rencontrera. [6] La παντουλιδαμας est opus tenebricosum cuiusdam nebulonis, ex arte lenonia sibi victum comparantis : ut faciat rem, si non rem, quocumque modo rem ; [7][17] personne n’a rien entendu à son livre, lui-même ne l’entend point. Néanmoins, il n’est pas si sot qu’il n’en ait encore trouvé un autre plus sot que lui, qui est le petit bonhomme Courtaud [18] d’ici, de qui il a attrapé quelque argent pour ce libelle. C’est un nommé Madelain, [19] cuius res tota præ miseria ad restim redacta est[8] Je suis de votre avis touchant le panis clibanites de Galien, [20] il me semble que M. Moreau [21] en a parlé en son École de Salerne[22] que je n’ai pas céans pour le présent. [9][23] M. Moreau n’a pas achevé la vie de notre bon ami feu M. Naudé, [24] il y travaille quelquefois dum licet per otium et valetudinem : [10] il est fort employé et a fort peu de loisir, outre qu’il a des leçons à faire au Collège royal[25] Mon fils [26] est à la campagne devers Provins [27] pour une dame malade où je n’ai pu aller, [11] je vous remercie du souvenir que vous avez pour lui. J’ai fait cette semaine une anatomie publique [28] d’une femme de 35 ans qui faisait de la fausse monnaie, [29] fuit infinitus auditorum concursus[12] Il y a ici un livre tout nouveau du bonhomme M. Riolan [30] adversus Pecquetum et Pecquetianos [31] qui est fort approuvé et bien reçu ; tous ceux qui l’ont lu en savent bon gré à M. Riolan et se moquent des autres, qui y sont accommodés d’une étrange façon. [13]

M. Huguetan a achevé tout nouvellement à Lyon son édition du Theatrum vitæ humanæ [32] en huit grands tomes, son Sennertus [33] sera achevé dans un mois, en deux tomes. Il s’en va imprimer la continuation du Baronius [34] d’un certain père de l’Oratoire qui est en Italie, [35] nommé Rainaldus, [36] il y aura six volumes in‑fo[14] Cet auteur est fort habile homme, il a travaillé sur les mémoires mêmes du cardinal Baronius. Je me recommande à vos bonnes grâces, à monsieur votre père, à MM. Sorel, Blampignon, Maillet, Barat, Le Grain et à tous Messieurs vos autres confrères, comme aussi à M. Allen, et serai toute ma vie, Messieurs, [15] votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin

De Paris, ce samedi 8e d’octobre 1655.

Le siège de Pavie [37] a été levé avec grand désordre et à notre grande perte. On dit que le Mazarin [38] (qui est à La Fère [39] pour les convois) en est si fâché qu’il veut renvoyer une autre armée en Italie ; qu’il a fait lever le siège de Palamos en Catalogne [40] afin que ces troupes aillent passer les monts. [16] Nos restes de l’armée se sont retirés dans le Crémonois pour éviter le marquis de Caracène [41] qui les poursuit avec 15 000 hommes. [17] Le cardinal de Retz [42] est à Florence, où il s’est retiré tandis que l’on travaille à son procès à Rome, à la poursuite de M. de Lionne [43] qui y est notre ambassadeur. Cromwell [44] a été fort malade d’une suppression d’urine. [45] La peste [46] est encore fort grande à Leyde [47] et à Amsterdam. [48] On imprime en Angleterre un livre entier de Vita Erasmi[18] Nous avons ici trois de nos médecins bien malades, savoir MM. Des Gorris, [49] Allain [50] et Chasles. [51]

Le roi [52][53] est malade à Fontainebleau, [54] il a été saigné [55] des bras et du pied. C’est d’une fièvre continue [56] qui lui est survenue en suite des eaux de Forges [57] dont il a par ci-devant usé. Dieu sait à quelle raison faire boire de l’eau de lessive [58] à un jeune prince de 17 ans, et dans le bel état de santé dans lequel était le roi. [19] Les princes sont malheureux en médecins, il y a longtemps. Je souhaite de tout mon cœur que Dieu lui renvoie sa santé et qu’on ne lui donne pas d’antimoine. [59] Notez qu’en toute la cour il n’y a pas un bon médecin et que celui qui y est en plus grand crédit soli famæ studuit et rei faciendæ[20] Le cardinal Mazarin sera bien empêché de cette nouvelle, aussi bien que de faire passer le convoi à Saint-Ghislain [60] car le prince de Condé [61] est là auprès, qui leur fait bien de l’empêchement. La duchesse d’Orléans [62] censebatur gravida ; nuperrime aborsum passa est et reiectit molam[21][63] Tenez, s’il vous plaît, ces nouvelles secrètes, Vale, et me ama.

Tuus ex animo, G.P. [22]



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 8 octobre 1655

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0419

(Consulté le 23/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.