L. 496.  >
À Charles Spon,
le 5 octobre 1657

Monsieur, [a][1]

Ce 26e de septembre. Je vous envoyai hier une petite lettre d’une page, que j’espère qu’aurez reçue avec celle de Mlle Spon, [1][2] laquelle est partie d’ici dans le coche de Dijon, [3] en bonne compagnie, le lundi, 1er jour d’octobre à onze heures du matin. Je prie Dieu qu’il la conduise et vous la rende dans Lyon en bonne santé dans dix ou onze jours. [2] C’est une excellente femme, je vous tiens bienheureux de l’avoir si parfaite.

On dit ici qu’il n’y a presque plus personne dans Gênes [4][5] et que tout ce qui y est aujourd’hui ne ferait pas 5 000 personnes ; que le grand maître de Malte [6] est mort, [7] et que M. de Candale [8] est entré dans Barcelone, [9] d’où les Espagnols ont été chassés par les Catalans qui ont coupé la gorge à ceux qui sont demeurés. On dit ici que le pape [10] est fort en querelle avec les chevaliers de Malte pour la nouvelle élection qu’ils ont faite d’un nouveau grand maître. [3][11]

On pendit hier à l’Apport de Paris [12][13] un homme de 60 ans qui était un des exempts du prévôt de l’Île [14] nommé Brète, [15] c’était un méchant larron. Il avait un sien neveu, tabletier et remetteur de dents d’ivoire, qui, sachant que son oncle était condamné, se pendit en sa chambre et s’étrangla ; [16] il a été traîné à la voirie. [4][17] M. Chémeraud de Barbezières, [18] qui avait pris Girardin [19] (lequel depuis est mort dans Anvers), [20] a été pris prisonnier et amené à la Bastille [21] où depuis, le lieutenant criminel a été instruire son procès. Aujourd’hui au matin il a été amené dans le grand Châtelet, [22] d’où l’on dit qu’il ne sortira qu’en belle compagnie et qu’il aura la tête coupée, si le prince de Condé [23] ne s’en mêle et qu’il ait assez de crédit pour cela.

On dit que les peuples de Flandres [24] sont en grande consternation, voyant les courses de nos gens et nos petites conquêtes sans qu’ils puissent y résister, et que les Espagnols ne les en peuvent garantir. Cela porte les états du pays à penser à une neutralité, laquelle causera bien du bruit dans le pays avant qu’ils puissent l’obtenir du roi d’Espagne. [25] J’ai aujourd’hui acheté un livre curieux qui est le Scribonius Largus Rhodii [26][27] in‑4o[5] que j’ai trouvé à bon marché. M. de Tournes [28] en avait ici l’été passé, mais il le voulait vendre trop cher. Je ne sais si leur Paracelse [29] est achevé à Genève ; et le Varandæus[30] quand viendra-t-il ? Nous avons ici notre maître Guénault [31] fort malade d’une rétention d’urine, [32] mais n’y ayant point de pierre [33] dans la vessie, ce mal ne peut être mortel. On dit qu’il ne lui est venu que d’avoir fait la débauche et d’avoir bu du vin d’Espagne [34] qui lui a picoté la vessie. Il est au lit depuis dix jours, il ne pisse guère qu’avec la sonde [35] et a été déjà saigné dix fois, de peur d’inflammation. [36][37] Il est assisté et visité de plusieurs médecins des deux partis. [6] Si c’était un homme de bien, il en pourrait mourir ; mais comme il ne vaut rien, il < Dieu > le lairra ici plus longtemps pour lui donner le temps de s’amender. On dit qu’il est fort amaigri et qu’il crie cruellement lorsqu’on lui met la sonde dans la vessie. Il a fort irrité son mal pour s’être purgé [38] dès le deuxième jour de son attaque. On a pris à dix lieues d’ici 33 coureurs de Rocroi, [39] je pense que par ci-après d’autres ne s’y hasarderont point. Ce matin, un certain Chémeraud de Barbezières a été condamné d’avoir la tête coupée à la Grève. [40] C’est celui qui avait pris Girardin < et > qui depuis fut pris près de Cambrai ; [41] il a été jugé prévôtalement par ordre de la cour, en vertu des lettres patentes [42] munies du grand sceau, [7] pour un libelle qu’on lui a trouvé dans sa pochette, qu’il avait écrit de sa propre main, contre le roi, [43] la reine [44] et le gouvernement présent. Le roi est encore à Metz, [45][46] on commence à dire qu’il ne reviendra pas si tôt à [Paris]. Ceux de Metz ont bien peur de quelque nouvelle maltôte. Barbezières a reçu un coup du bourreau qui ne l’a qu’abattu, mais le valet aussitôt lui a haché la tête en plusieurs coups. On me vient de dire que tout le monde criait au bourreau.

Je me recommande fort et très fort à vos bonnes grâces, et à celles de votre très bonne et très digne femme ; et à M. Seignoret [47] qui, comme j’espère, vous fera rendre la présente. Guénault se porte mieux, il a pissé sans sonde : voilà comment Dieu attend à pénitence les pécheurs. Je suis et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 5e d’octobre 1657.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 octobre 1657

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(Consulté le 25/04/2024)

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