L. 630.  >
À André Falconet,
le 20 août 1660

Monsieur, [a][1]

Ce mercredi 18e d’août. Je vous écrivis hier par la voie de M. Langlois. On dit que don Luis de Haro [2] est mort en Espagne d’une fièvre maligne, [1][3] et plusieurs autres seigneurs de la même cour. Le cardinal Mazarin [4] se porte mieux, il commence à se lever ; et néanmoins, on dit qu’il a de fort mauvaises nuits et que Vallot [5] continue d’y veiller.

Ce vendredi 20e d’août. Noël Falconet [6] fut hier à ma leçon du Collège royal [7] et me répéta hier au soir une partie de ce que j’y avais dit de vermibus, eorum natura et remediis, ut de duplici crisi pleuritidis, per venæ sectionem et anacatharsim < curanda >, quorum illa tollit causam antecedentem, hæc vero coniunctam[2][8][9][10][11] S’il veut continuer de même, il en saura dans deux ans plus que le jeune de Rhodes [12] n’en saura de sa vie, j’entends de la bonne et de la pure médecine (chimisticam, agyrticam, et empiricam, quæ tanquam pingues vaccæ multos alunt vitulos, nihil moror). [3][13] Il faut être homme de bien, et savant pour y exceller : Medicus est vir bonus, medendi peritus ; [4] un habile homme doit être au-dessus du commun, qui est fainéant et paresseux, Mediocribus esse poetis, Non dii, non homines, non concessere columnæ[5][14] La polypharmacie [15] ne fit jamais un bon médecin, ad bene medendum pauca, sed selecta et longo usu probata requiruntur remedia tempore et loco adhibita[6] Il y a dans Tours [16] une grande banqueroute [17] de deux marchands nommés les Bourreaux frères, [18] elle est de 1 600 000 livres ; mais on dit que dans peu de jours il y en aura encore une autre fort grande. Les Tourangeaux enfin perdront leur crédit, tant à Paris, à Rouen, à Lyon qu’ailleurs. Nous n’entendons ici que tambours et soldats qui n’ont fait que marcher aujourd’hui pour faire la revue générale de toutes les colonelles dans la campagne entre Vaugirard [19] et Saint-Cloud. [7][20] On dit toujours que l’entrée se fera le 26e de ce mois. [21] Purpuratus noster utcumque melius habere dicitur, sed nondum optime, imo nequidem bene ; [8] on dit qu’il verra l’entrée et qu’il sera dans la rue Saint-Antoine. [22] Nous avons ici un bénéficier natif d’Angers, nommé M. Ménage, [23] qui est homme d’esprit et de grande érudition. Il a fait des vers fort adulateurs au cardinal Mazarin, dans lesquels Messieurs du Parlement prétendent être offensés. Il y a du bruit contre lui, j’ai regret qu’il ait fait ce pas de clerc faute de jugement car il est honnête homme, et de mérite : Nemo nostrum non peccat, homines sumus, non dei[9][24] Nous n’avons ici que du bruit des tambours et de la milice, et je crois que devant que la fête soit tout à fait passée nous n’aurons pas meilleur temps. J’ai du latin à faire, qui est commencé, mais je ne puis achever durant ce bruit. Je voudrais être à Lyon avec vous pour une huitaine, nous nous y entretiendrions, privato inter parietes[10][25] de plusieurs choses quæ litteris non consignantur[11] Et après le bruit apaisé de deçà, je m’en reviendrais depuis Roanne [26] jusqu’à Orléans, [27] par Loire ; [28] sed frustra voveo vel opto, non sum mei iuris[12] notre profession nous fait esclaves. Je n’aurai jamais de repos que lorsque je serai enterré, et alors on me pourra faire l’épitaphe pareil à ce maréchal de France nommé Trivulce, [29] Milanais qui est enterré dans l’église de San Nazare à Milan : Hic quiescit qui nunquam quievit[13] J’en ai aussi menacé mon fils Carolus [30] qui étudie toujours et ne se repose presque jamais. Quand sera achevé S. Georgius miles Cataphractus ? [31] Et M. Huguetan, quand aura-t-il achevé ses deux tomes de Paulus Zacchias, Quæstiones medico-legales ? [14][32] M. Ravaud étant ici m’a promis de me les envoyer dès que cette cinquième édition sera achevée, qui doit l’être bientôt. M. Monnerot, [33] le trésorier des Parties casuelles, [34] avait entrepris un parti contre les partisans et avait fait son marché moyennant 17 millions. Quelques partisans l’ayant découvert ont renchéri par-dessus, ont fait casser son traité et offrent 30 millions, avec bonne envie de bien remuer le Monnerot. Ainsi les loups se mangent l’un l’autre. Érasme [35] donc, tout bon homme qu’il était, s’est trompé lorsqu’il a dit Homo homini Deus, et Lupus lupo non est ; [36] mais en récompense, il a dit vrai quand il a écrit Homo homini lupus[15] Je vous baise les mains, à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 20e d’août 1660.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 août 1660

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(Consulté le 28/03/2024)

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