L. 666.  >
À André Falconet,
le 25 janvier 1661

Monsieur, [a][1]

Ce 23e de janvier. Le cardinal Mazarin [2] continue d’être mal et cette longueur oblige bien du monde à penser à l’avenir, ex quibus alii timent, alii sperant[1] Rarement arrive-t-il qu’une maison tombe, qu’il n’y ait quelqu’un qui en soit incommodé. Le Mazarin a eu une fort mauvaise nuit. La reine mère [3] y est allée aujourd’hui matin. Il a eu de grandes tranchées [4] et n’a pu dormir, bien qu’il eût hier au soir pris de l’opium [5] (qui est ce qui tua feu M. le président de Bellièvre) [6] que lui donnèrent Vallot, [7] Guénault, [8] et autres médecins et courtisans, pour apaiser les douleurs qu’il sentait d’une suppuration qui se faisait dans son côté. Si le Mazarin est réduit à l’opium ou au laudanum, [9] et les médicastres ne pouvant mieux faire, [10] que deviendra cet homme ? Male cum eo agitur, si ad tales incitas redactus sit[2] Il se plaint fort de sa maladie et dit qu’il voudrait bien être au Bois de Vincennes, [11] mais il n’y peut être transporté.

Ce lundi 24e de janvier. Hier fut faite une grande consultation pour le cardinal Mazarin où il fut résolu qu’il serait saigné au pied, [12][13] ce qui fut sur-le-champ exécuté, et qu’il serait purgé [14] mardi qui sera demain ; mais comme la nuit a été mauvaise, il a fallu presser le remède, et il l’a été ce matin. Il y a ici bien du monde au guet et aux écoutes pour ce qui arrivera après le décès de cet homme ; quem puto ideo abiturum ad plures, quia morbi magnitudo urget, tum etiam quia medicis utitur parum oculatis ; sed eo fato nascuntur, vivunt et moriuntur aulici : capiunt et capiuntur, decipiunt et decipiuntur[3] Des neuf consultants, [15] il y en avait six des nôtres : Guénault, des Fougerais, [16] ô les bonnes bêtes ! Seguin, [17] Brayer, [18] Rainssant [19] et Maurin. [20] Les trois autres étaient Vallot, Esprit [21] et Vézou, [22] ami de Vallot, au lieu de D’Aquin, [4][23][24] qui est en Angleterre avec la reine. [25] Quand on fait ces grandes consultations, c’est signe que le mal est grand ; et néanmoins, je n’ai point encore ouï dire qu’il ait pensé à sa conscience et au salut de son âme. Ne serait-ce point que les cardinaux en seraient exempts ? Enfin, peut-être arrivera bientôt l’occasion de dire Stulte, hac nocte repetent animam tuam ! et quæ parasti, cuius erunt ? [5][26]

Je viens d’apprendre que le cardinal Mazarin est fort faible et que, dès qu’il a mangé, la fièvre lui redouble, hecticæ febris argumentum certissimum, iste marcor viscerum est et contumax, et lethalis[6] Il ne fait rien touchant les affaires publiques et tout est abandonné en attendant la crise ; [27] et MM. de Villeroy, [28] Le Tellier [29] et Fouquet [30] courent après la fortune et jouent tous les trois à qui l’attrapera. Quelques-uns disent qu’il n’y aura plus de ministre d’État et que le roi [31] gouvernera lui-même, Dieu en fasse la grâce ! Je viens de consultation [32] avec M. Du Clédat [33] qui m’a dit que le cardinal Mazarin avait les pieds enflés et les jambes, avec tout le reste du corps, en grande exténuation, θανατωδες. [7] Je vous baise très humblement les mains, à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 25e de janvier 1661.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 25 janvier 1661

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(Consulté le 19/04/2024)

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