L. 761.  >
À André Falconet,
le 4 décembre 1663

Monsieur, [a][1]

Voici une nouvelle de laquelle peu de gens se doutaient : le roi [2] a remercié M. Talon [3] et a révoqué sa commission de la Chambre de justice [4] en le renvoyant au Parlement. On dit que voilà une marque très évidente de la faveur de M. Colbert [5] auprès du roi. Il a réussi à faire ce coup à cause de M. Berryer, [6] son premier commis, qui avait été menacé par M. Talon pour quelques faux mémoires qu’il lui avait délivrés contre M. Fouquet. [1][7] La venue du roi au Parlement est remise à la semaine prochaine. [2][8] On dit aussi que le roi veut réduire la Chambre de justice au nombre de douze pour retrancher la dépense et faire dépêcher le procès qui traîne depuis si longtemps. Au lieu de M. Talon, le roi a fait deux procureurs généraux, dont l’un est purement pour M. Fouquet, l’autre est pour les affaires civiles de Chambre de justice. Le premier est M. Chamillard, [9] maître des requêtes et frère du docteur de Sorbonne, [10][11] grand antijanséniste et professeur en théologie. [3] L’autre est M. de Fontenay-Hotman, [12] aussi maître des requêtes, qui est allié de M. Colbert. [4] Voilà qui fait une partie de l’histoire de notre temps. Après le temps présent, il en viendra un autre qui nous produira des spectacles nouveaux qui feront toujours dire vrai au poète auteur de ce distique : [13][14]

Eloquar ?An sileam ? Sed quæ tam dissita terris
Barbaries, Francæ ludibria nesciit aulæ ? etc.
 [5]

Le roi a fait faire commandement à Mme la maréchale de L’Hospital [15] qu’elle eût à se retirer. On croit que c’est pour avoir parlé en faveur de M. Talon, à qui néanmoins on n’a fait autre tort que de le délivrer de beaucoup de peine, et d’une commission odieuse et qui lui produisait tous les jours grand nombre d’ennemis. [6]

Je baise très humblement les mains au R.P. Bertet [16] et le remercie de son souvenir. Les œuvres du P. Gibalin [17] sont-elles sous la presse ? J’ai envoyé vos deux lettres à leur adresse. Le chevalier de La Pome [18] a payé son médecin à Lyon comme ses parents font à Paris : M. Merlet, [19] M. Blondel [20] et moi y fûmes aussi bien que vous attrapés il y a deux ans. In arte nostra ingratitudinis plena sunt omnia ; omnia sunt ingrata, nihil fecisse benigne est ; iactamur in alto urbis, et in sterili vita labore perit. Pro molli viola, pro purpureo narcisso, carduos, et spinis surgit paliurus acutis ; infelix lolium, et steriles dominantur avenæ[7][21][22] Prenons patience et tenons pour certain que nous sommes encore plus heureux qu’eux, en tant que nous ne sommes ni marchands, ni usuriers, ni banqueroutiers, comme sont tous ceux de cette race. In mercatura semper est aliquid inimicum virtuti pro mercatoribus[8] c’est pourquoi Cicéron [23] a fort bien dit, et fort véritablement, Officina nihil habet ingenui[9] Érasme [24] haïssait les marchands quoniam erat proprium eiusmodi hominum nihil aliud meditari quam lucrum, etiam turpe et fœdum[10]

J’apprends que M. Morisset [25] n’est pas bien à Turin, [26] qu’il est fort haï. Les Français ne seront jamais aimés des Italiens : ils sont plus fins que nous, mais nous sommes plus honnêtes gens qu’eux ; ils n’étudient guère et croient pourtant être fort savants. J’en ai vu qui se moquaient de nous à cause de la grande peine que nous nous donnons, ils disent que nous portons la science sur nos épaules. Je pourrais dire qu’ils me font souvent pitié avec leur esprit et qu’ils ne l’emploient souvent qu’à malice. Si la princesse [27] vient à mourir, il n’est pas bien ; vous savez bien comme elle est sujette à des fluxions de poitrine. [11] Je vous baise les mains, à Mlle Falconet, à M. Spon notre bon ami, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 4e de décembre 1663.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 décembre 1663

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(Consulté le 17/04/2024)

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