L. 888.  >
À André Falconet,
le 6 novembre 1666

Monsieur, [a][1]

On a envoyé deux grosses taxes à deux présidents au mortier : Si sic in viridi, quid in sicco ? [1][2] J’apprends une nouvelle qui m’attriste et néanmoins, j’ai bien peur qu’elle ne soit vraie : c’est de M. Delorme, [3] que l’on dit être fort malade à Moulins, [4] qu’il a reçu ses sacrements et qu’il a 83 ans passés. Peu de maladie avec beaucoup d’âge est un très grand poids. Quam totus homuncio nil est ! [2][5] les savants meurent comme les bêtes, una et eadem est conditio hominis et iumentorum[3][6] À propos de morts, en voici deux illustres : la première, de M. le maréchal d’Estrées [7] âgé de 89 ans ; la seconde, de M. de Brienne [8] le bonhomme, aussi fort vieux, jadis secrétaire d’État, dont le fils, [9] qui lui avait succédé en sa charge, s’est fait père de l’Oratoire après avoir perdu sa femme [10][11] qui était fille de M. de Chavigny, [12] secrétaire et ministre d’État du cardinal de Richelieu. [4][13] Votre santé est un trésor, ayez-en soin, dépêchez-vous de vous fortifier car voici le froid qui approche.

Notre archevêque [14] est enfin venu à bout de son dessein, il a réformé les fêtes et en ôte jusqu’à 17 pour l’année prochaine. [5] On vient d’imprimer à Genève un livre français in‑8o intitulé Scaligerana[6][15] que j’ai vu ce matin entre les mains de M. Ogier, [16] mon bon ami. Je sais fort bien ce que c’est que cet ouvrage et j’ai connu celui qui l’a transcrit sous le premier auteur, qui est Joseph Scaliger, à Leyde [17] en Hollande, l’an 1603 et 1604 ; j’en ai céans une copie manuscrite que j’ai tirée de l’original que me prêtèrent, l’an 1636, MM. Dupuy [18][19] qui étaient de fort honnêtes gens de la vieille trempe des bons Français, ultimi Romanorum[7] comme Brutus [20] et Cassius [21] dans les Annales de Tacite. [22] Ce livre sera infailliblement défendu, c’est pourquoi je vous prie d’en faire de bonne heure provision de quelques exemplaires pour vous et pour vos amis. Je serai ravi qu’il y en ait deux pour moi restituto pretio ; [8] je vous prie d’en dire autant à M. Spon qui sera bien aise d’en avoir l’avis s’il ne l’a déjà. J’ai vu aujourd’hui M. Rat, [23] qui vous baise les mains, comme aussi M. Colot [24] qui venait de tailler [25] un petit enfant de trois ans. Je traite ici un jeune homme fort spirituel, marchand de Lyon, nommé M. Sibus, [26] j’espère qu’il guérira bientôt. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 6e de novembre 1666.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 6 novembre 1666

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(Consulté le 24/04/2024)

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