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À André Falconet,
le 13 septembre 1668

Monsieur, [a][1]

Ce 2d de septembre. On parle ici d’une ambassade du grand-duc de Moscovie. [2] Le roi [3] partira le 15e de septembre pour Chambord, [4] qui est une maison royale près de Blois. [1] M. de Guénégaud, [5] secrétaire d’État, a reçu ordre de se défaire de sa charge. On croit que c’est pour M. Colbert [6] qui est aujourd’hui le topanta, et tout à fait dans le crédit : [2] on dit que lui seul fait tout et qu’il va faire trois nouveaux trésoriers de l’Épargne, [7] de nouveaux intendants des finances et de nouveaux greffiers du Conseil.

Nous avons ici un fort savant homme, de condition et de probité, qui a presque achevé la vie d’Érasme ; [3][8] et par là, vous voyez qu’il y a encore d’honnêtes gens au monde qui chérissent la vertu. Il y a 200 ans qu’il était en nourrice car il naquit en 1467 ; et à mon gré, il a été dans le christianisme le plus bel esprit après saint Augustin [9] et saint Thomas d’Aquin, [10] n’en déplaise à quelques moines qui ne l’aiment point parce qu’il les a trop décriés et trop bien dépeints. Il n’y a point ici de malades, sinon quelques dysenteries. [11] Pour la peste, [12] il n’y en a point du tout : celles de Bruxelles [13] et de Rouen [14] ont fait grand bruit, mais par la grâce de Dieu, guère de mal. Je vous avertis que je n’ai point reçu le livre de M. Bonet, [15] médecin de Genève, [16] que M. Spon vous avait délivré pour moi. On dit qu’il y a un certain abbé qui compose la vie du cardinal Mazarin. [17] S’il découvre tous ses larcins et ses tromperies, il y faudra plusieurs volumes.

J’ai eu de bonnes lettres d’Allemagne, j’y apprends que mon fils Carolus [18] s’y divertit en voyageant et visitant les honnêtes gens. Il a depuis peu été à Francfort où notre bon ami M. Scheffer [19] l’a très bien reçu, [comme aussi] M. Lotichius, [20] M. Horstius [21] et autres gens de lettres. On m’écrit qu’il ne fait qu’étudier et qu’il ne s’afflige point trop d’avoir quitté son pays, securus sine crimine vivit[4] L’électeur palatin [22] lui veut beaucoup de bien et l’invite deux fois la semaine à dîner avec lui, et le fait appeler à tous les divertissements de la cour. Il s’est même offert d’écrire au roi en sa faveur, mais Carolus est un stoïque qui dit ne vouloir son retour à personne qu’au roi : [23] C’est un prince sage, dit-il, on m’a persécuté en son nom, il me fera revenir quand il voudra ; si cela n’arrive pas, je dirai avec Cujas [24] et quelques autres, O ingrata Patria ! non habebis ossa mea[5][25] J’ai bien plus envie de le voir qu’il n’en a de retourner. Mon Dieu, quand sera-ce ? Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 13e de septembre 1668.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 13 septembre 1668

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(Consulté le 28/03/2024)

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