L. latine 82.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 3 juin 1657

[Ms BIU Santé no 2007, fo 57 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johannes Vander Linden, professeur de médecine à Leyde. [a][1]

Depuis deux mois, j’ai toujours remis à plus tard de vous écrire : [1] d’abord au sujet de M. de Thou, grandissime ambassadeur que nous envoyons dans votre pays, il y est parti contre toute attente et inopinément, et reviendra peut-être bientôt chez nous en raison des présents troubles ; [2] ensuite, au sujet du Celse de Riolan que nous avons si longtemps espéré et attendu en vain. [3][4] Quand je lui ai demandé de me l’échanger contre autre chose, le fils Riolan me l’a catégoriquement refusé, alléguant pour raison que c’est un ouvrage achevé et prêt à la publication ; ce à quoi il songera plus tard, quand certaines affaires de sa maison auront été réglées ; puisque, disait-il, il s’agit d’un livre qu’ont enrichi de multiples annotations tirées d’un livre qui a jadis appartenu à de grands hommes, Jean Fernel et Jean Chapelain. [5][6][7][8] Vous entendez ces mots et comprenez l’affaire ; mais j’y ajoute ce commentaire : ce Celse ne nous fera donc pas défaut puisque nous avons déjà ces notes dans le Celse in‑4o que je vous ai précédemment envoyé ; et peut-être est-ce la raison même pour laquelle Riolan en personne, de son vivant, m’a tant de fois promis ce Celse et ne me l’a pourtant jamais remis, et ne me m’en a pas même rendu légataire. [2][9] À la vérité pourtant, il n’a rien légué à personne : sa mort inopinée l’en a empêché ; il n’a pris aucune disposition pour la préparer, ne voulant pas même penser à son éventualité ; mais il n’y a rien d’étonnant à cela car tous les jours tant de gens meurent ainsi, sont ainsi emportés. Enfin, le voilà mort et il n’a rien légué ; son Celse est abandonné, sans utilité pour nous puisqu’il ne contient rien que nous n’ayons déjà. Quand vous réclamerez ce Celse, je pourrai donc dorénavant vous répondre : Quod petis intus habes[3][10] Ceux qui reviennent ici d’Italie parlent d’une nouvelle édition de Celse par Johannes Rhodius ; mais tout cela, comme tout ce que fait cet homme, me semble avancer lentement. À vrai dire, nous avons ici un collègue, Jacques Mentel, qui promet aussi une nouvelle édition de Celse qu’il a confectionnée, dit-il, et confectionnera à partir de divers exemplaires qu’il a cherchés de tous côtés ; mais ce qu’il veut nous faire espérer se réalisera aussi très lentement. [4][11][12][13][14] Toutes ces promesses variées sur Celse ne doivent donc ni vous inquiéter ni vous décourager. [15]

Pour M. de Thou, votre très illustre ambassadeur, à qui, en raison de son départ imprévu, je n’ai pu ni présenter mes salutations, ni dire adieu, ni encore moins parler de vous et de vos mérites, on dit ici qu’il s’en reviendra bientôt chez nous. Pourtant, si vous allez dans la ville où il réside et voulez le saluer, j’ai remis un billet de recommandation à deux de ses domestiques pour que vous puissiez l’approcher et qu’on vous donne audience auprès de lui. C’est un homme de très haute noblesse qu’il faut honorer et respecter, tant pour son propre mérite que pour celui de ses aïeux : il est arrière-petit-fils d’un président du Parlement de Paris, petit-fils de Christophe de Thou, premier président au Parlement,  mais surtout fils de Jacques-Auguste de Thou,  homme incomparable, président au mortier du Parlement de Paris, très élégant auteur des Historiæ sui temporis, dans le style de Tite-Live et de Tacite. [5][16][17][18][19][20] Il est né de cette famille qui a toujours honoré les hommes honnêtes, savants et libéraux, tels que vous. Ces deux domestiques qui ont de moi des billets sur cette affaire, sont l’un son secrétaire, M. Ismaël Bullialdus (M. Boulliau en français), très docte personnage et excellent mathématicien, [6][21] et l’autre M. Menier, son économe, maître d’hôtel en français. Si vous allez les voir et interrogez leur mémoire, ils vous montreront sans difficulté mon billet et vous donneront accès au très insigne ambassadeur, si vous le voulez rencontrer.

La femme de Claude Saumaise est ici morte chez nous. [22] Quelles nouvelles avez-vous de ses Epistolæ ? J’ai beaucoup de ses lettres françaises, près de cent, écrites de sa propre main, que je puis envoyer à celui qui les collige s’il les recherche. [7][23][24] Le très distingué Saumaise les a écrites à un certain M. de Wicquefort, résident, comme on dit, de la landgravine de Hesse auprès des Provinces-Unies ; [8][25][26] mais je ne les enverrai pas s’il ne me l’a pas d’abord demandé, afin que celui qui me les a confiées voie que je ne les ai pas envoyées à d’autre fin [Ms BIU Santé no 2007, fo 57 vo | LAT | IMG] que d’être imprimées. Il y en a quelques-unes des années 1646 et 1647, plusieurs de 1648 et un grand nombre de 1649 ; presque toutes parlent de nos affaires. On ne les refusera pas à un éditeur pour qu’il les publie, s’il en fait la demande par écrit ; s’il s’en trouve un, vous l’en préviendrez. On trouve ici l’Hippocrate de Foës, de la nouvelle édition de Genève, comme la toute nouvelle édition du Commentaire de Louis Duret in Coacas Hippocratis, in‑fo[9][27][28][29][30] J’ai reçu hier d’Italie un nouveau livre d’un excellent auteur, tout récemment publié sous ce titre : deux opuscules du Portugais Estevan Roderigo de Castro, qui sont ses Variæ Exercitationes Medicæ et ses Expositiones in aliquos Hippocratis ægrotos, in‑8o, Venise, 1656 ; [10][31] avec un autre, que je ne trouve pas dans votre Index[32] Amphitheatrum Medicum, in quo morbi omnes, quibus imposita sunt nomina ab animalibus raro spectaculo debellantur. Authore Ezechiele à Castro, Doct. Med. Phys. ad Illustrissimum Dominum Ant. Franc. Seratici Comitem. Liber primus, ab homine in morbo palimbulo (Vérone, Franciscus Rubeus, 1646). [11][33] À Lyon sur la Saône, on a commencé une nouvelle édition des œuvres complètes de Cardan, qui remplira six tomes in‑fo ; au même endroit, progresse la nouvelle édition des œuvres de Pierre Gassendi, homme remarquable qui était ici notre professeur royal de mathématiques ; on espère qu’elle sera terminée avant la fin de l’année. Le Paracelse de Genève sera achevé à peu près dans le même temps, en trois tomes in‑fo[12][34][35][36] Quelle honte ! Van Helmont ! [37] Paracelse ! les plus mauvais livres chimiques, les pires feuilles et les autres monstruosités de l’esprit trouvent des imprimeurs, tandis que les écrits de l’excellent Caspar Hofmann n’en rencontrent aucun. [38] Mais dites-moi, je vous prie, comment se portent nos grands amis MM. van Horne, Vorst et Utenbogard. [39][40][41] Je voudrais que vous les saluiez tous de ma part. Ne pourrais-je pas avoir un livre de votre Hollande, publié à Amsterdam, in‑8o, en 1631, intitulé Philothei Castelli Flagellum calumniantium, seu Apologia, in qua Anonymi cujusdam calumniæ refutantur, etc. ? [13][42][43] On commence ici un grand ouvrage historique sur la vie et les actions du cardinal Armand de Richelieu, en deux tomes in‑fo, écrit en français. [14][44][45] Cet homme a certes accompli des merveilles aux dépens d’un très florissant et très puissant royaume : il a été le pire des vauriens, et un fort cruel et pernicieux sectateur du machiavélisme. [46] Pour enrichir sa famille, et laisser une fortune immense et fort enviable à ses neveux (qui peut-être étaient ses fils), [15][47][48][49][50] il a trompé maintes fois pendant nombre d’années son excellent roi et maître ; [51] pour gouverner seul avec lui, il a exilé la reine mère Marie de Médicis, [52] quand il devait tous ses biens à sa générosité et à sa bienveillante gentillesse ; il a secoué l’Europe tout entière ; il a dépouillé la France et l’a presque réduite à la disette ou, du moins, quand elle a été presque épuisée, pour lui faire rendre gorge, il a confié à des brigands et à des financiers le soin de la torturer. Et pourtant, par je ne sais quelle fatalité, sinon la pire pour nous, il s’est trouvé un successeur qui n’est en rien meilleur que lui, qui attrape aussi de quoi ronger encore sur un cadavre déjà très sec et presque décharné ; [53] tant sont grands les talents ejusmodi fungi Vaticani[16] et tant sont aiguisés leurs esprits toutes les fois qu’il s’agit de butin et d’argent à ramasser, per fas ac nefas[17] Mais hélas ! par notre stupidité, nous souffrons cela de ces satrapes empourprés et ministres bien peu apostoliques du Jupiter capitolin et de la putain romaine. [18][54]

Je n’ai rien à dire de l’Arétée, je n’ai pas encore eu de nouvelles de la Bibliothèque royale ; je mettrai bientôt tout en œuvre pour soit en tirer, soit y apprendre quelque chose à votre avantage. [19][55][56][57] Si vous rencontrez M. Boulliau, secrétaire et bibliothécaire de votre ambassadeur, M. de Thou, parlez-lui donc de cet Arétée. Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites, moi qui suis de toute mon âme votre

Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal.

De Paris, ce 2d de juin 1657.

[Ms BIU Santé no 2007, fo 58 ro | LAT | IMG]

Hier m’est venu voir un jeune Allemand, nommé Stephan Scheffer, fils d’un docteur en médecine de Francfort ; [20][58][59][60] il m’a salué de votre part, ce dont je vous sais profondément gré. La nouvelle édition de feu mon ami M. Hugo Grotius de Bello Belgico n’est-elle pas achevée en Hollande ? [21][61] On dit qu’elle est en cours d’impression depuis quatre mois. Quand votre Celse paraîtra-t-il ? [4] Vive et vale, très distingué Monsieur.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 3 juin 1657

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(Consulté le 19/04/2024)

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