L. latine 476.  >
À Samuel Sorbière,
le 20 juillet 1646

[BnF ms latin 10352‑II, fo 81 ro | LAT | IMG]

Guy Patin, docteur en médecine de Paris adresse toutes ses salutations au très savant et distingué M. Samuel Sorbière, très éminent docteur en médecine. [a][1]

Très distingué Monsieur,

Parmi maintes autres raisons, je vous dois réponse pour l’honneur de m’avoir bien voulu écrire dès votre arrivée en Hollande, et pour la lettre de M. Beverwijk, [2] dont je n’avais eu aucune nouvelle depuis longtemps, mais je pense que vous l’avez plus extorquée que reçue de lui. Je ne l’ai toutefois pas vue sans affliction ni immense chagrin, et je ne l’ai pas lue sans pleurer, quand j’ai appris qu’étant dangereusement malade, il a gardé le lit pendant tous ces mois, au péril manifeste de sa vie. Que Dieu l’assiste de sa miséricorde, car cet homme peut encore œuvrer pour accroître sa gloire ; mais surtout, je lui souhaite de recouvrer promptement une belle santé. [1] Pour le livre de [BnF ms latin 10352‑II, fo 81 vo | LAT | IMG] Arthritide [3] de Fr. vander Mye, [4] vous le chercherez quand vous en aurez le loisir et sans vous mettre martel en tête. J’ai vu Simplicius Verus [5] contre l’ouvrage posthume de Grotius, [6] et bien reconnu l’illustre Saumaise dès la première page de ce livre. Je l’ai entièrement lu et approuvé, comme il se devait, car est-il possible ne pas accorder la plus haute attention à ce qui émane d’un si grand homme ? Et ce, en dépit des très menteurs vauriens de la cohorte loyolitique, [7] qui ne se lassent pas de pester et de publier stupidement, pour ne pas dire diaboliquement, contre lui ! Le livre posthume de Grotius n’est pas encore parvenu chez nous, non plus que la réponse du très distingué Rivet, [8] mais les savants hommes des deux partis attendent l’un comme l’autre dans les prochains jours. J’ai vraiment lu avec avidité la controverse sur l’eucharistie, [9] telle que l’excellent Saumaise l’a circonscrite : elle est curieuse et ardue, et je souhaite qu’elle progresse rapidement. [2] Si le mauvais sort n’avait emporté, trop rapidement pour nous, le très illustre Casaubon, [10] voici 32 ans, nous aurions depuis longtemps déjà son traité de Eucharistia veterum, mais il est mort sans l’avoir achevé. [3] Le très brillant Saumaise nous dédommagera de cette perte, et je compte même qu’il la compensera avec intérêts. Je souhaite et espère de tout cœur qu’il jouira d’une santé prospère pendant encore de nombreuses années. Puisse-t-il bien vouloir ajouter à son examen de l’eucharistie un traité de Igne Purgatorio[11] qu’il a chez lui, complet et achevé (à ce qu’il m’a lui-même dit un jour), sur cette plaisanterie qui nourrit tant de moines [12] et de prêtres, cette invention d’extravagants et presque délirants épouvantails papimanesques, mais aussi son commentariolum de vitæ monasticæ origine, qu’il promet dans ses notes sur le de Pallio de Tertullien ! [13][14] Cela contribuerait fort à rabattre le caquet de tant de fripons qui vont et viennent la tête haute, mais qui ne sont ici-bas rien d’autre que purs hypocrites et inutiles fardeaux de la terre. [4] Veuille le Tout-Puissant accorder encore bien des années de vie à M. Gerardus Johannes Vossius, [15] le meilleur des honnêtes hommes et le plus érudit des savants ! Qu’elles lui suffisent pour achever l’édition de tant de remarquables ouvrages qu’il a encore entre les mains ! Bénis soient-ils, lui et sa famille, [16][17][18] dont j’entends dire qu’elle est parfaitement digne de toute louange, de toute grâce, de toute faveur ! Et que l’humanité ne perde pas ce très illustre [BnF ms latin 10352‑II, fo 82 ro | LAT | IMG] auteur, né pour le bien public, tant qu’il n’aura pas vécu huit ans de plus, afin de mener tous ses travaux au terme souhaité, et n’aura pas cessé d’être utile à la république des lettres ! Quand nous donnera-t-il donc la cinquième partie de son de Idolatria, ou Physiologia Christiana, qui est entièrement consacrée à notre médecine ? Si vous le savez, je vous prie de me renseigner, j’espère qu’elle paraîtra cette année. Elle doit tout entière traiter des plantes et des métaux, où se cachent maints témoignages de la toute-puissance divine. Hélas, comme j’écrirais de bon cœur à cet éminent personnage sur la dernière partie de sa grande œuvre ! [5] J’ignore absolument ce que peut être la Physica de Regius, [19] mais au jugement que vous en donnez, j’en ai absolument besoin. Quant à ma méthode pour enseigner la médecine, je m’en souviens parfaitement, et vous n’avez vraiment pas à me tirer l’oreille. Tout ce qui m’est nécessaire pour la rédiger me manque : en tout premier, j’ai besoin de temps, et si je le trouve, j’espère que le reste suivra ; et alors, avec ce petit livre, court et simple, peut-être pour votre seule satisfaction, je rendrai sans doute service à beaucoup de gens, pour avoir retranché et arraché du champ médical tant d’épines et d’erreurs, [6] qui disposent à la stérilité les esprits de ceux qui font l’apprentissage de notre art. [20]

Je vous dirai simplement ce à quoi travaillent en ce moment nos imprimeurs, mais brièvement car c’est vraiment peu de chose. Avant la fin du mois d’août paraîtra l’ouvrage remarquable, batave, pharmaceutique et d’excellente facture, du très docte M. Caspar Hofmann, intitulé Casp. Hofmanni de medicamentis Officinalibus libri tres[21] dont le 1er traite des purgatifs[22] et le 2e, des altérants ; [23] le 3e, ou Paralipomènes, concerne les médicaments d’origines animale et minérale. [7] Ce livre est peu volumineux, mais n’en déborde pas moins du meilleur fruit. Sans chercher d’autres raisons pour mieux vous le recommander, je vous l’enverrai aussitôt que j’aurai trouvé un porteur idoine, et vous pourrez alors en juger vous-même. Monsieur Guillaume Du Val, [24] notre collègue, qui est professeur royal, et déjà presque septuagénaire et bien près du tombeau, […] a récemment remis à l’imprimeur certains opuscules philosophiques : un livre de Physiologia ; Curriculum Philosophicum de Mente et Ente ; Theologia peripatetica, et un recueil d’annotations et d’additions à ses [BnF ms latin 10352‑II, fo 82 vo | LAT | IMG] commentaires sur toutes les œuvres d’Aristote. [8][25] Quelque moine issu du troupeau qui se donne le nom de capucins [26][27] a ces temps derniers splendidement perdu son temps, et l’a misérablement gâché (suivant l’habitude de ces gens oisifs), à colliger les œuvres de Tertullien. [28] Les commentaires de cet homme roulent sur la presse, et leur masse a plutôt chargé qu’honoré Tertullien de trois énormes tomes, dont le premier paraîtra sous peu. S’il plaît aux érudits et suscite leur approbation, et s’il s’attire de nombreux acheteurs, ce que je ne crois guère, les deux suivants seront imprimés ; mais si ce premier déplaît et se vend mal, ils seront laissés de côté sans être publiés et les libraires les jetteront dans les ténèbres de l’oubli. Nous attendons tous avec impatience la seconde partie de Fam. Strada de Bello Belgico[29] qu’on dit être en cours d’impression à Rome. [9] S’il y a d’autres éditions en cours, ce ne sont pas des nouveautés. Avant que vous ne me teniez pour votre nouvel ami, je vous avertis solennellement que je recherche avec avidité les honnêtes gens, en rendant affection pour affection à ceux qui vous ressemblent, mais en les exploitant sans vergogne. [10] Si d’aucuns marchands de votre ville venaient à Paris, écrivez-moi, je vous prie, par leur intermédiaire. Envoyez-moi aussi, s’il s’en trouve, quelques cahiers de thèses médicales, [30] ou d’autres écrits de ce genre. De mon côté, j’en ferai volontiers de même pour vous, quand l’occasion s’en présentera. En attendant, vivez et portez-vous bien, et continuez d’aimer celui qui vous aime tant.

Si ça ne vous importune pas, je vous prie de saluer pour moi vos très illustres compatriotes, MM. Saumaise, Heinsius, [31] Vossius, et Wale. [32] J’ai très longuement écrit à ce dernier voilà huit mois, par l’intermédiaire du libraire Hackius, [33] sans depuis avoir eu aucune nouvelle de lui ; vous me ferez grand plaisir si vous me rappelez à son bon souvenir, et si j’obtiens alors une réponse de sa part. Si Thomas Bartholin, [34] docteur en médecine de l’Université de Bâle, [35] réside encore en votre ville, vous le saluerez s’il vous plaît de ma part. Je désire savoir de lui ce qu’il fait, ce qu’il nous médite, ce qu’il écrit : s’agit-il des Vindiciæ en faveur de son illustre père, [36] contre Casp. Hofmann ? raconte-t-il le voyage qu’il a accompli toutes ces dernières années ? ou est-ce autre chose ? [11] Voilà de quoi occuper vos loisirs, éclairez-moi donc dans ces ténèbres. Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

Votre Guy Patin, docteur en médecine de Paris.

De Paris, le 20e de juillet 1646.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Samuel Sorbière, le 20 juillet 1646

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(Consulté le 29/03/2024)

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