En 1723, 61 ans après avoir séjourné à Paris (1658-1662) pour étudier sous la férule de Guy Patin, Noël Falconet (1644-1733), [1] fils d’André, a pubié son Système des fièvres et des crises, en le dédiant au roi Louis xv. [1][2] La préface résume les conceptions médicales de Noël à l’âge de 79 ans. Elles ont assimilé l’essentiel des enseignements de Patin, mais en y ajoutant quelques-unes des grandes innovations que le maître a passé sa vie à refuser.
« La nécessité de mourir fera toujours plaindre les hommes de l’ignorance des médecins et de l’impuissance de la médecine. Les éloges qu’Hippocrate [3] donne à cet art, qu’il appelle divin, sont bientôt changés en reproches contre l’ouvrier, lorsque le succès ne répond pas à leur attente, et les remèdes, que Pindare [4] et Homère [5] regardent comme les mains des dieux, deviennent des poisons entre les mains de ceux qui font la médecine, lorsque la violence d’un mal insurmontable les livre entre les bras de la mort.
C’est dans cet esprit qu’un Ancien réduit le bien que peut faire un médecin à ne point faire mal, Multum prodessent si non obessent, [2] et que dans Plutarque, [6] Pausanias [7] prétend que le meilleur médecin est celui qui met le plus promptement son malade au tombeau, sans le faire languir. [3] L’accusation du chancelier Bacon [8] est plus sérieuse, mais elle est contre l’art même : il regarde la médecine comme un cercle dans lequel on revient toujours au même point dont on est parti, pendant que dans toutes les autres sciences, on peut faire quelque progrès en ligne droite. [4]
Ce grand homme, à qui on doit les premières vues qui ont servi à renouveler la physique et l’histoire naturelle, n’a pas voulu prendre garde à la liaison de la médecine avec ces deux sciences, et au profit qu’elle pouvait tirer de leur accroissement.
J’avoue que tous les siècles n’ont pas été également heureux à enrichir la théorie de la pratique de notre art, et que tous les médecins grecs et romains, venus depuis Hippocrate, n’ont eu de mérite qu’autant qu’ils se sont attachés au texte et à l’esprit de ce fondateur de la médecine.
La plupart même n’ont pas eu assez de force pour s’élever jusqu’à lui, et regardant Galien, son premier interprète, [9] plus à leur portée, se sont contentés de le suivre ou, pour mieux dire, de le répéter. Le nombre de ceux qui aient osé penser de leur chef n’est pas considérable.
On en trouvera peu comme Arétée [10] qui aient observé par leurs propres yeux, et qui nous aient donné des descriptions de maladies faites d’après le sujet même.
Les Arabes, [11] quoique plus méprisables en apparence, s’ils ont obscurci la théorie de notre art par des raisonnements métaphysiques tirés d’un péripatétisme corrompu, [12] ont été réellement utiles à la pratique par les secours qu’ils lui ont fournis pour combattre les maladies. C’est à eux que nous devons ce grand nombre de purgatifs plus convenables à nos malades, dans ces climats occidentaux, que ceux dont on se servait communément dans la Grèce. [13]
Mais enfin ce jour est venu, dont Bacon n’avait fait qu’entrevoir le crépuscule, Descartes [14] nous l’a amené : il rend aux hommes, pour ainsi dire, l’usage de leurs yeux ; depuis ce moment, nous osons envisager la Nature elle-même.
Je laisse ce que la physique générale doit à cet esprit d’observation, qui a succédé à celui de prévention et de servitude.
Quoique la médecine partage les fruits de toutes les nouvelles découvertes, l’anatomie la touche de plus près. À quel point n’a-t-elle pas été portée depuis près d’un siècle, à commencer par la circulation du sang, [15] qui est la cheville ouvrière de l’économie animale ? Cette importante vérité, désignée plus de deux mille ans auparavant par Hippocrate, comme je le ferai voir à la fin de cet ouvrage, [5][16] méconnue par tous ses commentateurs, indiquée par Servet [17] en 1554, fut enfin mise par Harvey [18] dans une évidence qui ne souffrit bientôt aucun contradicteur. [6][19]
Cette découverte fit soupçonner avec raison que l’usage des parties devait être tout autre chose que celui que l’on supposait dans l’ancien système. Dès lors, on travailla à l’envi à développer la structure de toutes les parties du corps humain. [7] Je n’entre dans aucun détail, j’aurais trop de choses à parcourir ; mais quelle perfection n’a point reçu de l’anatomie, ainsi cultivée, cette partie de la médecine qu’on appelle chirurgie ? Quand on voudrait disconvenir que cette autre partie qui regarde les maladies internes eût reçu quelque avantage de tant de connaissances acquises, ceux qui les prétendraient inutiles à notre pratique ne pourront au moins lui disputer les secours qu’elle tire aujourd’hui de l’histoire naturelle : c’est de ce fonds inépuisable, cultivé par les meilleurs maîtres, que s’enrichit tous les jours la matière médicale.
Si le hasard a part à la découverte de quelques remèdes spécifiques, l’expérience et le raisonnement n’en ont-ils pas rendu l’usage et plus sûr, et plus utile ?
Le cardinal de Lugo [20] fit connaître le quinquina, [21] et nous devons des remerciements aux RR. PP. de la Compagnie de Jésus d’avoir enhardi les Européens à se servir d’un remède si efficace ; [22] mais toutes les nations conviennent que le chevalier Talbot [23] a perfectionné sa préparation : le mélange qu’il en faisait avec les purgatifs ou avec l’opium, [24] fourniront < sic > toujours aux bons médecins des idées pour combattre de plusieurs manières les différentes fièvres et leurs accidents. [8]
Mon père a été le premier qui ait donné du quinquina neuf jours de suite dans du vin d’Espagne [25] à M. de La Verrière, lieutenant criminel de Lyon. [9][26] Il y fut véritablement déterminé par le R.P. D. de la Compagnie de Jésus.
La médecine est singulièrement obligée au gentilhomme portugais qui apporta à la cour la racine d’ipécacuana [27] à la fin de la dysenterie dont Monseigneur fut si longtemps malade.
Comme Monseigneur [28] était dans sa convalescence, ce remède ne fut point mis en usage ; mais dans le temps que M. le premier médecin [29] en faisait faire quelques expériences à Paris, le gentilhomme portugais, à son retour, passant Lyon, où il tomba malade, nous donna à mon père et à moi trois ou quatre onces de la même racine d’ipécacuana, qu’il avait remise à la cour, avec le même mémoire que nous trouvâmes presque copié sur Guillaume Piso. [30]
Mon père en donna à Mme D., encore vivante, sœur de M. le marquis de La Lande. Elle était réduite à l’extrémité par une des plus cruelles dysenteries, dont ce spécifique plusieurs fois réitéré la délivra parfaitement. On a l’obligation à M. Helvétius [31] de s’être servi dans la suite courageusement de ce remède, et très utilement, malgré la résistance de plusieurs médecins uniquement attachés à l’esprit de l’École. [10][32]
Nous ne devons pas moins à l’antimoine, dont les différentes préparations font tous les jours des prodiges en médecine. Je dirai tous les jours, pourvu que ces remèdes, soufre, doré, [33] crocus, [34] rubine, [35] algarot, [36] diaceltatessi, [37] kermès minéral, [11][38] soient entre les mains de médecins éclairés, aussi occupés de la recherche de la cause des maladies qu’attentifs à trouver un remède convenable et proportionné à la grandeur du mal.
Mais à l’occasion de l’antimoine, pouvons-nous nous dispenser de reconnaître ce que la thérapeutique doit à la chimie ? [39] Cet art, que les Arabes ont reçu des derniers Grecs, nous a été transmis dans un état bien inférieur à celui où il fleurit aujourd’hui. Combien de propriétés différentes ne nous développe-t-il point dans le même mixte en séparant ses différentes parties ? Quels sont les mixtes les plus nuisibles qu’il ne convertisse en remèdes utiles, en retranchant, en ajoutant, en combinant différemment ses parties par des opérations qui produisent, pour ainsi dire, un corps tout nouveau ? L’antimoine, dont nous venons de parler, décrié d’abord comme un poison, et soutenu par le seul Launay, médecin de La Rochelle, [12][40] dans le milieu du seizième siècle, a reçu de la chimie des préparations qui sont les plus sûres armes d’un bon médecin pour combattre et surmonter les maladies les plus rebelles. Que ne pourrions-nous pas dire aussi du mercure ? [41] Mais si l’antimoine et le mercure, ces deux objets favoris des chimistes, ont tourné la tête à quelques-uns d’entre eux, la saine philosophie et la vraie médecine, qui en adoptent les principes, désavouent les visions que l’ardeur de faire de l’or fait prendre pour des réalités par la cupidité naturelle au cœur humain.
Les bons chimistes, également bons physiciens, ont abdiqué ce jargon qui voilait de prétendus mystères. Ceux qui en restent entêtés ne sauraient se prévaloir d’une obscurité qui n’est plus du goût de ce siècle ; les notions trop claires de la vraie physique les mettent à découvert, et ils ne peuvent avoir recours qu’à des expériences et à des faits dont on leur dispute toujours la réalité. Ces mêmes expériences nous apprennent tous les jours que la plupart de ceux qui se sont embarqués pour la conquête de cette précieuse toison ont échoué, et enfin ont été submergés dans le gouffre du grand œuvre. [42]
Un entêtement si préjudiciable à la fortune de ceux qui en ont été la victime est cependant encore moins dangereux que celui d’une secte de médecins purement chimistes, dont l’erreur attaque directement la vie des hommes. Les autres médecins ne trouvent point assez de remèdes dans la Nature pour combattre tant de différents maux, et cette secte, en répudiant la saignée, [43] les purgatifs et tout ce que l’expérience de tous les siècles a reconnu de plus salutaire, réduit la médecine entière à un élixir, à une quintessence, dont on fait une panacée, ou un remède universel. [44] Ce fanatisme durera longtemps, malgré ses pernicieux effets, puisque les funestes exemples de ceux mêmes qui l’ont mis au monde n’ont pu ramener les esprits.
Un philosophe de Bâle [45] m’a assuré que Paracelse, [46] à la fleur de son âge, était mort d’un vomissement opiniâtre causé par un embarras des premières voies, et que dans cet état il n’avait jamais voulu prendre aucun purgatif, qu’il ne s’était servi que de cordiaux [47] et de son élixir. On lui disait en vain que la faiblesse et la langueur sont des noms qui imposent, que les remèdes sont dus à l’humeur qui les excite, et non à l’accident. [13] Ce grand chimiste aima mieux mourir que de se rendre aux raisons qui pouvaient le sauver, en le désabusant.
Van Helmont [48] mourut d’une pleurésie [49] sans vouloir se faire saigner, quelque vive que fût la douleur de côté.
Glauber [50] ne fut pas plus heureux dans l’usage des diaphorétiques [51] et des sudorifiques pour se guérir d’un rhumatisme qui finit par une inflammation de poumon [52] qui l’emporta. [14]
Malgré les abus différents que les plus grands artistes ont fait de la chimie, reconnaissons que la perfection où ces mêmes ouvriers l’ont portée, est un des grands avantages que la médecine ait reçu dans ces derniers temps, et qu’il marche presque à côté de ceux qui lui ont procuré les découvertes faites dans l’anatomie et dans l’histoire naturelle. C’est par le secours de ces trois arts perfectionnés qu’il semblerait que la médecine aurait acquis assez de force pour sortir de ce cercle où le chancelier Bacon l’a renfermée. Cependant, nous ne saurions dissimuler que dans cet état florissant où paraît la médecine aujourd’hui, l’idée de ce grand homme pourrait encore avoir lieu. Ces trois secours que nous avons si fort exaltés donnent de grands avantages au médecin, mais ne lui donnent point la qualité essentielle qui fait le médecin ; ce sont les matériaux de l’art, mais ce n’en est point la forme : la pratique de la médecine, qui constitue cette forme, paraît avoir moins reçu de cette portion de lumière répandue si abondamment sur toutes les autres parties de notre art. J’oserai dire plus : comme on a abusé de la chimie, on a abusé de l’esprit philosophique qui règne depuis Descartes ; de là sont éclos les différents systèmes empruntés de la chimie ou de la mécanique, qui sont, au pied de la lettre, autant de cercles tels que celui du chancelier Bacon. En effet, ces systèmes, par le moyen desquels l’esprit moderne, enorgueilli de ses nouvelles connaissances et séduit par de fausses analogies, croit s’assujettir lui-même, n’ont produit d’autre effet que de resserrer les bornes de la médecine, bien loin de les étendre.
La prétendue facilité d’expliquer les symptômes les plus extraordinaires par des principes simples et généraux, et de tirer de cette explication des indications pour les remèdes, a fait négliger les observations qui ne s’ajustaient pas avec les principes supposés. Il est même souvent arrivé que la mauvaise foi et la prévention ont déguisé totalement les faits qui paraissaient manifestement contraires à une spéculation établie d’avance.
Ce fut dans les circonstances de l’ardeur des nouveaux systèmes que j’arrivai à la pratique de la médecine. Ils brillèrent à mes yeux, comme aux yeux de tous ceux qui sortaient des ténèbres de l’École et de l’esclavage des préjugés. Leur éclat ne me séduisit qu’à un certain point. Je m’étais préparé un défensif par la lecture d’Hippocrate, [53] que mon père et mes premiers maîtres m’avaient recommandée par-dessus celle de tous ses commentateurs. [15] En lisant les textes originaux de cet auteur, j’avais été frappé de certains principes simples, qui ne paraissaient tenir à aucun système, et qu’aucun d’eux cependant ne pouvait rejeter. Par là je les regardais comme incontestables d’un commun aveu, et il me paraissait au contraire que ce que les uns et les autres y ajoutaient, étant toujours contesté par le parti opposé, ne pouvait avoir le même caractère d’évidence. À mesure que j’avançais dans la pratique, je reconnaissais que ces principes étaient le but le plus sûr où le médecin pût diriger ses vues. Je voyais aussi qu’Hippocrate y avait rapporté ses propres observations ou, pour mieux dire, qu’elles s’y conformaient d’elles-mêmes, et que la liaison de tant d’effets si différents avec une même cause se présentait toujours sans être forcée et ne se démentait jamais. Je crus sentir alors qu’une théorie si simple, en mettant l’esprit en repos, affranchissait le médecin et le rendait, pour ainsi dire, à lui-même, pour se livrer tout entier à l’observation ; et je compris que cette liberté dans un génie, tel que celui d’Hippocrate, l’avait mis en état de nous donner cet amas précieux d’observations où ce grand homme se montre le plus universel, le plus exact et le plus fidèle des observateurs.
C’est de l’examen de tant de faits divers, opposés ou ressemblants, comparés entre eux et avec ceux que chaque médecin doit observer à la manière d’Hippocrate, et tous rapportés à un principe également admis dans tous les systèmes. C’est de là seulement que peut naître l’esprit qui doit présider à l’exercice de notre art, et que, par la direction de cet esprit, la médecine, aidée de nouvelles découvertes, peut enfin affranchir la barrière du cercle et faire des progrès en ligne droite comme les autres sciences.
Voilà quelles sont les idées selon lesquelles je travaille depuis plus de 50 ans. Je m’y suis affermi de plus en plus par le grand nombre d’observations que j’ai eu occasion de faire pendant un si long cours. Aujourd’hui, si je fais part au public de mes réflexions, je ne songe à rien moins qu’à devenir auteur. Dans l’exercice continuel où j’ai passé ma vie, je ne dois point, à mon âge, me faire un objet de la réputation d’écrire. Je ne me suis proposé que d’être utile à un certain nombre de jeunes médecins que le torrent des nouveaux systèmes n’a pas encore entièrement gagnés. J’ai satisfait mon goût, je l’avoue, en leur indiquant les principes d’Hippocrate ou, pour mieux dire, les vérités qui ne manquent pas de saisir ceux qui ne dédaignent pas de les chercher ; et en même temps, j’ai cru par là leur procurer un grand avantage en les invitant à la lecture des ouvrages de ce grand homme, qui n’est presque plus connu que par sa réputation. Mais je prends la liberté de les avertir ici qu’ils ne connaîtront le prix ni l’importance de ce trésor des faits et d’observations, qui fait la principale partie de ses ouvrages, qu’à la proportion qu’ils verront un plus grand nombre de malades et qu’ils seront en état de comparer ce qu’Hippocrate a observé avec ce qu’ils observeront eux-mêmes.
Au reste on ne connaîtra que trop que je n’ai point été guidé par l’ambition de faire un livre dans la composition de cet ouvrage.
Le désir de l’approbation, la crainte de la critique ne m’ont ni déterminé, ni détourné du dessein que j’ai il y a longtemps de détromper le public prévenu dans les plus importantes occasions contre les grands remèdes, surtout dans la petite vérole, [54] dans la goutte, [55] dans les différents temps de la grossesse, et dans la suite de l’accouchement, de démontrer le pernicieux usage de la bouillie [56] dans le premier âge, d’y substituer plusieurs secours pour la nourriture des enfants quand le lait ne suffit, ou ne convient pas. [16] Dans ce même chapitre, je tâche de répondre aux vues de Monsieur le premier médecin, qui m’a fait l’honneur de me communiquer son dessein sur une nouvelle éducation des enfants trouvés ou nés à l’Hôtel-Dieu, [57] pour garantir le public des maladies héréditaires et contagieuses, qu’il est presque impossible d’éviter sans cette sage précaution.
Comme on ne s’oppose pas aux préjugés et aux abus établis depuis si longtemps, sans trouver beaucoup de résistance, et que même ceux qui ont intérêt à la correction la trouvent rarement faite à leur gré, selon leur goût et dans leur idée, je ne m’étonne pas qu’on murmure déjà contre la quantité de faits que je rapporte, contre mes digressions, et singulièrement contre mes citations.
Qui ne sera surpris que dans un art où l’expérience, fondée sur la raison, fait presque toujours foi, on désapprouve la preuve, et que la conviction du bon ou du mauvais parti que l’on a pris, ou que l’on a dû prendre, soit condamnée avant la discussion des faits ?
Res præstant, non verba fidem. [17]
Je me flatte que le public, au service duquel je suis occupé depuis si longtemps, interprétera plus favorablement un ouvrage qui regarde ses intérêts, quoique je ne doute pas que des particuliers peu touchés du bien de la communauté, ne pensent bien différemment, quelques-uns disant déjà que mon livre eût été mieux reçu s’il eût été entièrement rédigé en observations. Ce jugement précoce ne me rebute point, je m’attends même à une censure plus rigoureuse de la part de quelques savants qui ont une impatience naturelle de contredire avec chaleur les nouvelles productions, surtout de ceux pour qui ils ont un secret éloignement. Les censeurs de ce caractère sont bien plus choqués de voir ouvrir un avis, ou proposer une conduite opposée à leurs sentiments, que de voir des principes combattus, et même de voir la vérité blessée. Tous ces avertissements me rendront plus circonspect, mais ils ne m’empêcheront pas de singulariser ce que j’ai observé par des citations, persuadé que les observations vagues et indéterminées induisent plutôt en erreur qu’elles ne vous rapprochent de la voie que vous devez tenir. Les faits que j’expose sont des originaux caractérisés par la constitution d’un sujet connu, par des circonstances et des accidents particuliers, par les différents temps de la maladie, et par les secours dont je me suis servi, par telles et telles raisons.
Un pareil détail ne peut qu’être utile à un médecin bien intentionné, qui examinera les rapports qu’aura la petite vérole qu’il voit avec le grand nombre de toutes les espèces que j’expose, qui fera des comparaisons du tempérament, de l’âge, des forces du malade, du commencement, du progrès de la maladie, des accidents les plus considérables, et du succès des différents remèdes que j’ai employés. Toute cette compensation sera d’un grand poids pour le déterminer au parti le plus raisonnable. Sans prévention, je crois que le lecteur désintéressé, bien loin de condamner mes exemples et mes témoins, saura quelque gré à un auteur de son exactitude à confirmer les mesures qu’il a prises, et ses expériences, par des autorités incontestables. Ce même lecteur, quelque indulgent qu’il puisse être, se pourrait-il persuader que pendant vingt-huit ans j’aie été assez heureux, par la grâce du Seigneur, pour avoir vu échapper presque tous mes malades à la malignité de la petite vérole, et de la rougeole, [58] si je n’en rapportais une infinité d’exemples aussi connus à la cour et à la ville, qu’ils peuvent être utiles ? Peut-être le ferai-je en donnant les éclaircissements qu’une personne de premier rang me demande sur les vapeurs, et ce que je pense des vers [59] auxquels Kircher [60] et de savants médecins imputent la cause de la peste [61] et des maladies contagieuses. [18]
Si, dans le grand nombre de mes observations, je parcours différentes matières, je ne cherche pour les lier aucune autre transition que leur connexité naturelle. Je traite chaque partie avec une liberté qui ne sent point l’art d’un auteur ; je m’étends beaucoup sur les faits, je les place où ils se présentent à mon esprit, plutôt qu’à l’endroit où un ordre scrupuleux exigerait qu’ils fussent placés.
Les exemples que je donne paraîtront quelquefois chargés de trop de détails ; mais ce qui choquera quelques-uns sera peut-être un attrait pour d’autres, que rebute la sécheresse qui accompagne toujours une trop grande précision. Mais enfin, je ne me soucie de plaire qu’autant que je pourrai être utile, et c’est l’unique but que je me propose. »