Notre ami M. D…, qui est un savant modeste et qui ne veut point être connu, m’envoya il y a quelques jours un petit manuscrit qu’il appelle sa conversation ambulante ou l’enjouement de sa solitude. Pour se délasser d’une étude austère et pénible, il s’applique à recueillir les principaux traités de l’histoire qui l’intéressent davantage.
- Moréri 1707, tome 1, page 592 – Homme ne fut jamais plus studieux que le cardinal Bessarion, [3] sa grande application à l’étude fut même cause de ce qu’il ne monta pas sur la chaire de saint Pierre. Après la mort de Paul ii, [4] les cardinaux avaient élu pape Bessarion. Trois d’entre eux étant allés chez lui pour lui en annoncer la nouvelle, Nicolas Perrot, [5] son camérier, ne voulut jamais leur ouvrir la porte du cabinet où il étudiait. Piqués de ces refus, ils se retirèrent et élurent Sixte iv. [6] Le cardinal Bessarion ayant depuis appris ce qui s’était passé, en témoigna son ressentiment à Perrot, car il n’y a personne qui puisse voir sans regret échapper une telle dignité. Paul Jove, [7] qui rapporte cette particularité, ajoute qu’il lui dit : « Perrot, ton incivilité me coûte la tiare, et elle te fait perdre un chapeau de cardinal. » [2]
- Moréri 1707, tome 4, page 859 – Nous n’avons de Monsieur de Vaugelas [8] que deux ouvrages considérables, qui sont les Remarques sur la langue française et sa traduction de Quinte-Curce. [9] Il y a travaillé l’espace de trente ans afin de la rendre parfaite. Monsieur de Balzac [10] a dit au sujet de cette belle traduction : « L’Alexandre de Quinte-Curce est invincible, et celui de Vaugelas est inimitable. » On remarque une heureuse repartie que fit Vaugelas au cardinal de Richelieu [11] qui, pour l’engager au travail du Dictionnaire de l’Académie, [12] avait fait établir sa pension de 2 000 livres. Le cardinal de Richelieu le voyant entrer dans sa chambre et prêt à le remercier de sa libéralité, le prévint et lui dit : « Hé bien, Monsieur, vous n’oublierez pas du moins dans le Dictionnaire le mot de pension ! – Non, Monseigneur, répondit Vaugelas, et moins encore celui de reconnaissance. » Rien n’a jamais été répliqué si à propos. [3][13]
- Moréri 1707, tome 1, page 204 – Une des belles fortunes qui se soit faite dans l’Église est celle de Jacques Amyot, évêque d’Auxerre et grand aumônier de France. [14] Son père était un courroyeur de la ville de Melun. [15] La crainte du fouet le fit sortir très jeune de la maison paternelle. Il tomba malade dans la Beauce et demeura étendu sur un chemin ; un cavalier charitable le mit en croupe derrière lui et le conduisit jusqu’à Orléans, [16] où il lui procura place dans l’hôpital ; aussitôt qu’il fut guéri, on le renvoya ave seize sols pour son voyage. Arrivé à Paris, il fut obligé d’y demander l’aumône ; une dame le prit chez elle pour suivre ses enfants au collège. Il profita de cette occasion et cultiva le génie merveilleux que la nature lui avait donné pour les belles-lettres ; surtout, il excella dans la langue grecque. Sous peine de favoriser les nouvelles opinions, il se retira en Berry chez un gentilhomme qui le chargea de l’éducation de ses enfants. Henri ii [17] vint loger par hasard dans la maison de ce gentilhomme ; Amyot composa une épigramme grecque à l’honneur du roi, à qui elle fut présentée par les enfants dont il conduisait les études. Le roi voyant ce que c’était : « C’est du grec, dit-il en jetant le papier, à d’autres ! » Monsieur de l’Hospital, [18] depuis chancelier, qui accompagnait le roi, lut l’épigramme, la trouva admirable et dit au roi que si ce jeune homme avait autant de vertu que de génie, il méritait d’être précepteur des Enfants de France. Cela mit Amyot en crédit, il obtint l’abbaye de Bellozanne, [19] et eut ordre enfin d’aller au concile de Trente, [20] où il prononça cette judicieuse et hardie protestation qui nous reste. À son retour, il commença d’exercer sa charge de précepteur des Enfants de France auprès du dauphin, qui fut depuis le roi François ii, [21] et le fut aussi de Charles ix [22] et de Henri iii. [23] On dit qu’un jour, durant le souper du roi Charles ix, la conversation étant tombée sur Charles Quint, [24] on loua cet empereur d’avoir fait son précepteur pape, c’était Adrien vi. [25] Le roi regarda Amyot et dit : « Si l’occasion se présentait, j’en ferais bien autant pour le mien. »
Quelque temps après, la charge de grand aumônier de France vaqua, elle lui fut donnée. La reine mère, [26] qui avait eu d’autres vues, fit appeler Amyot, où elle lui tint ce fier discours : « J’ai fait bouquer les Guise, les Châtillon, les connétables et les chanceliers, les princes de Condé et les rois de Navarre, et je vous ai en tête, petit Prestolet. » Amyot eut beau protester qu’il n’avait pas voulu accepter cette charge, la conclusion fut que s’il la conservait, il ne vivrait pas vingt-quatre heures : c’était là le style de ce temps-là. Amyot prit le parti de se cacher pour se dérober également à la colère de la mère et aux libéralités du fils. Le roi, inquiet de ne le point voir, attribua cette absence aux menaces de la reine. Il s’emporta si fort qu’elle fit dire à Amyot qu’il pouvait paraître et qu’elle le laisserait en repos. [4][27] Ce grand homme ayant eu le chagrin de voir mourir les trois monarques qu’il avait eu l’honneur d’instruire, se retira dans son diocèse, où il mourut le 7 février 1593, âgé de 79 ans. Il fit par son testament un legs de 1 200 écus à l’hôpital d’Orléans en reconnaissance des seize sols qu’on lui donna pour venir à Paris.
- Moréri 1707, tome 2, pagec 800‑801 – Félibien [28] rapporte un trait bien généreux des Fouckers : [29] ils avaient amassé de grandes richesses et étaient connus dans l’Allemagne pour les plus opulents négociants. Charles Quint passant en Italie, et delà par la ville d’Augsbourg, [30] leur fit l’honneur de loger chez eux. Pour lui marquer leur reconnaissance, ils le régalèrent d’un fagot de cannelle, [31] marchandise, comme l’on sait, de très grand prix ; et lui ayant montré une promesse d’une somme considérable qu’ils avaient de lui, ils y mirent le feu et en allumèrent le fagot. Cette action plut sans doute à l’empereur : il devenait quitte d’une dette que les affaires ne lui permettaient pas alors de payer facilement. [5]
- Moréri 1707, tome 2, pages 22‑23 – Caligula [32] affectait de représenter en sa personne toutes les divinités : pour être appelé le nouveau Jupiter, [33] il se fit dorer la barbe et prenait un foudre à la main ; tantôt, il se parait du trident de Neptune, [34] du caducée de Mercure, [35] de la lyre d’Apollon, [36] du bouclier de Mars [37] et de la massue d’Hercule ; [38] quelquefois, il s’habillait comme Vénus, [39] avec une couronne de myrrhe, [40] quelquefois comme Diane, [41] avec le javelot et le carquois. Lorsque, lassé de ressembler aux dieux, il voulait rentrer dans la condition des hommes, son habit ordinaire était un manteau brodé d’or, enrichi de perles et de diamants. Souvent, pour se donner la réputation de brave, il endossait le corselet d’Alexandre, [42] qu’on avait tiré de son tombeau, et presque toujours, il marchait avec les ornements triomphaux la couronne d’or et de laurier, le bâton d’ivoire, la robe bordée de pourpre et la casaque brochée à palmes. [6][43]
- Moréri 1707, tome 4, page 95 – Les rois de France n’ont pas été les premiers qui aient fait publier des ordonnances rigoureuses contre le luxe. Il y avait chez les Romains la loi Oppia, ainsi nommée du nom de C. Oppius, tribun du peuple : [44] cette loi défendait l’excessive dépense des habits, et même l’usage des carrosses ; il n’était pas permis aux dames romaines de porter plus d’une demi-once d’or sur leurs robes, encore ne devaient-elles être que d’une seule couleur ; elles ne pouvaient aussi aller en carrosse dans la ville ou à mille pas environ, à moins qu’elles ne fussent engagées par une cérémonie de religion et par la nécessité bienséante d’assister aux sacrifices. Au reste, il faut remarquer que cette loi ne fut exécutée que pendant vingt ans. Les femmes, toujours ambitieuses de paraître magnifiques, exercèrent tant de brigues qu’elles la firent abolir. Elles n’attendent pas aujourd’hui que la loi soit abolie car elles ne laissent pas, malgré les défenses, de continuer leur luxe et d’augmenter leur faste. [7][45]
- Moréri 1707, tome 3, page 475 – Il est étrange que les Romains, si judicieux dans leurs lois, aient autorisé un crime le plus directement opposé à la justice : ils consacrèrent un temple à la déesse Laverne, [46] qu’ils croyaient être l’intendante des larcins et la protectrice des voleurs ; ce temple leur servait d’asile et ils pouvaient en assurance y aller partager le fruit de leur brigandage. Horace a ainsi exprimé le caractère de cette divinité : [47]
Pulchra Laverna
Da mihi fallere, da justo sanctoque videri,
Noctem peccatis et fraudibus objice nubem. [8]
Quelle religion, qui adorait des divinités auxquelles on pouvait faire de telles prières, et adresser des vœux aussi criminels !
- Moréri 1707, tome 2, page 209 – La joie produit quelquefois des accidents aussi funestes que la plus grande tristesse. Chilon, [48] un des sept Sages de la Grèce ; [49] mourut de plaisir en embrassant son fils qui avait été couronné aux Jeux olympiques. [9][50]
- Moréri 1707, tome 2, page 697 – Le pape Étienne vii, [51] successeur de Formose, [52] fâché de ce que ce pape avait été transféré du siège de Port [53] à celui de Rome, regarda cette action comme une espèce de concubinage, d’adultère, de bigamie, car il disait que c’était quitter une épouse légitime pour en prendre une nouvelle, contre les lois. Étienne vii, peut-être plus animé par la haine qu’il avait contre Formose que par un vrai zèle de religion, fit déterrer son corps et l’ayant mis, revêtu des ornements pontificaux, dans la chaire papale, il lui reprocha qu’il avait violé les règles de l’Église et le condamna, comme s’il eût été vivant : on le dépouilla des ornements sacrés, on lui coupa les trois doigts qui lui servaient à donner la bénédiction, et on le jeta ensuite dans le Tibre avec une pierre au col. Quand même Formose aurait mérité une condamnation si rigoureuse, cette punition exercée après sa mort scandalise plus la religion qu’elle n’est capable d’en maintenir la pureté. [10][54]
- Moréri 1707, tome 2, page 652 – Quelques auteurs attribuent à Eschyle, [55] poète grec, l’invention de la tragédie. Sans entrer dans cette dissertation, une remarque suffit : les représentations de ses pièces étaient si terribles que, la première fois qu’il fit jouer les Euménides, plusieurs enfants qu’on avait menés au théâtre y moururent de frayeur, et quelques femmes grosses y accouchèrent. Ce grand succès n’empêcha pas que Sophocle, [56] beaucoup plus jeune que lui, ne lui fût préféré. [11][57]
- Moréri 1707, tome 3, page 172 – Le philosophe Hegesias, [58] qui vivait du temps de Platon, [59] avait le don de persuader, jamais homme n’a été plus pathétique. Si nous en croyons Valère Maxime, [60] les paroles de ce philosophe exprimaient tellement, dans l’esprit de ses auditeurs, l’usage des choses qu’elles représentaient, qu’ayant parlé des maux de la vie, la plupart de ceux qui l’écoutaient prenaient la résolution de se tuer de leurs propres mains. [61] Afin d’empêcher le cruel effet d’une si vive persuasion, l’on défendit à Hegesias de prononcer de semblables discours. [12]
- Moréri 1674, page 633 – Qu’il est bien vrai que le mérite n’est pas toujours récompensé, et que la fortune est rarement l’apanage de la science ! Homère était si misérable qu’il se vit contraint de mendier son pain. [13][62] Si le sort d’un bon poète fut tel, doit-on plaindre celui des mauvais auteurs qui languissent dans la misère ? ou plutôt, n’est-on pas en droit d’envier la fortune de quelques gens qui parviennent sans esprit, et qui vivent honorablement de leurs biens, pendant que leurs écrits les déshonorent ?
- Moréri 1707, tome 2, page 194 – Le maréchal Taunequi du Châtel, [63] grand favori du roi Charles vii, [64] eut pour récompense de ses importants services un triste exil. Une preuve qu’il ne le méritait pas, ou qu’il conservait toujours une parfaite reconnaissance pour son maître, fut l’empressement qu’il eut de revenir à la cour, quoique fort âgé, sitôt qu’il apprit la mort de ce prince : il dépensa 30 000 écus pour les funérailles de Charles vii, que tout le monde avait négligées. Cette générosité a donné lieu à l’inscription mise depuis sur le drap mortuaire du roi François ii, « Où est maintenant Taunequi du Châtel ? ». Par là, on reprochait aux courtisans le peu de soin qu’ils avaient < à > rendre les derniers devoirs à leur maître. [14]
- Moréri 1707, tome 3, pages 257‑258 – Le Sénat avait mis un rude impôt sur les femmes de Rome. Aucun avocat n’osant parler en leur faveur, Hortensia [65] prit seule le parti de toutes les personnes de son sexe : elle plaida leur cause devant les triumvirs avec tant d’éloquence et de feu qu’elle obtint que la plus grande partie de l’argent qu’elles devaient payer leur soit remboursé. [15][66]
- Moréri 1707, tome 1, page 237 – Aulu-Gelle [67] rapporte qu’un esclave nommé Androclus [68] prit la fuite et se cacha dans une caverne. Là il trouva un lion qui le caressa en lui présentant le pied, d’où il lui arracha une épine. Quelque temps après, cet esclave fut exposé aux bêtes dans l’amphithéâtre ; le lion, qui avait aussi été pris et mis dans le même lieu, reconnut son bienfaiteur et le défendit. Cette aventure surprenante valut la liberté à Androclus. [16]
- Moréri 1707, tome 3, page 599 – Lycurgue, roi de Thrace, [69] voyant que ses sujets étaient trop adonnés au vin, [70] fit arracher toutes les vignes de son royaume. Les poètes ont pris là occasion de feindre que ce roi était ennemi de Bacchus [71] et que les dieux, pour le punir, avaient permis que, dans le transport d’une fureur violente, il se coupât les jambes. [17][72]
- Moréri 1707, tome 4, pages 240‑241 – Phocion, [73] général d’armée des Athéniens, avait trois belles qualités : il était bon citoyen, grand orateur, illustre capitaine. Alexandre eut plusieurs occasions d’estimer son courage et son désintéressement. Lorsque ce roi mourut, le peuple d’Athènes voulut faire des réjouissances publiques parce qu’il se trouvait débarrassé d’un ennemi puissant et d’un vainqueur toujours terrible. Phocion s’y opposa adroitement, soit qu’il crût toujours indigne de se réjouir de la mort d’un grand homme, soit qu’il voulût faire entendre aux Athéniens que braves comme ils étaient, ils n’avaient point d’ennemis à craindre. Aussi les fit-il alors souvenir qu’ils n’avaient perdu qu’un seul homme contre Philippe [74] dans la bataille de Chéronée. [75] Le peuple, qu’un trop grand mérite blesse, condamna injustement Phocion comme traître à sa patrie ; mais les Athéniens connurent bientôt le tort qu’ils avaient eu de le faire mourir. Pour réparer une faute si grande, ils élevèrent une statue et condamnèrent à mort Agnonidès, [76] son accusateur. Une chose bien digne de la générosité de Phocion, interrogé avant que de mourir s’il n’avait rien à dire à son fils, [77] fut de répondre qu’il lui recommandait seulement d’oublier les injures du peuple athénien. Il s’en souvint, ce fils tendre et reconnaissant, car par ses soins, les auteurs de la mort de son père se virent condamnés à celle qu’ils méritaient. [18][78]
- Moréri 1707, tome 2, page 731 – On n’est jamais blâmé de se montrer jaloux des prérogatives de son rang. Quintus Fabius Maximus, fils d’un ancien dictateur, [79] voyant son père qui venait à lui sans descendre de cheval, lui envoya dire de mettre pied à terre. Bien loin de murmurer contre l’orgueil apparent de son fils, il l’embrassa et lui dit : « Je voulais voir si tu savais ce que c’est d’être consul. » Cet illustre romain, plus dévoué à l’honneur de sa patrie que sensible aux complaisances de la nature, aimait mieux avoir un fils qui sût maintenir à propos les droits de sa charge que de se voir à contretemps respecté par un consul, à qui lui-même devait alors du respect. [19]
- Moréri 1707, tome 2, page 732 – Un médecin célèbre dans le seizième siècle nommé Fabrizio [80] avait en partage deux choses très rares : une science fort étendue, un désintéressement parfait. Il exerçait son art gratuitement ; les amis piqués de reconnaissance l’obligèrent d’en recevoir des marques ; il mit tous leurs présents dans un cabinet particulier où l’on voyait cette inscription sur la porte : Lucri neglecti lucrum. [20][81] La République de Venise [82] lui assigna un revenu de deux mille écus, et l’honora d’une statue et d’une chaîne d’or.
Nous n’avons point de médecin en France qui soit curieux d’une telle inscription. Moi-même, qui me pique quelquefois de désintéressement, je ne voudrais pas que tout le monde me connût cette qualité : des gens qui ne l’auraient pas en abuseraient ; et faciles à retenir leur argent, ils se moqueraient du médecin qui mépriserait les richesses.
- Moréri 1707, tome 4, page 526 – Jean-Baptiste Sapin, [83] conseiller au Parlement de Paris, envoyé à Tours et en Espagne en qualité d’ambassadeur de Charles ix, roi de France, fut pris par un parti de la garnison d’Orléans. Le chef du parti, violant toute sorte de droits, le fit pendre dans la place de l’Étape, [84] la condamnation < étant > fondée sur ce qu’il avait persécuté ceux qui faisaient profession de la Religion évangélique. [85] On apporta à Paris le corps de cet illustre conseiller. Le Parlement prit la défense et déclara solennellement que c’était lui-même qu’on avait outragé indignement. Il lui rendit en corps les derniers honneurs par de magnifiques funérailles dans l’église des Augustins, [86] où est dressée cette épitaphe digne d’un vrai défenseur de la foi ; la glorieuse cause de sa mort y est marquée en ces termes :
Quod antiquæ et Catholicæ Religionis adsertor fuisset, turpissimæ morti addictus < … > honestam et gloriosam pro Christi nomine et Christiana Republica mortem perpesso.
Ainsi le nom de Jean-Baptiste Sapin malgré l’infamie de son supplice, dont toute la honte retombe sur les huguenots, fera toujours très grand honneur à ces illustres descendants. C’est la juste réflexion du Père Maimbourg [87] qui rapporte ce trait dans son Histoire du calvinisme. [21]
- Moréri 1707, tome 2, page 556 – Horace [88] se moque ingénieusement d’un nommé Druso, misérable historien qui vivait du temps d’Auguste : [89] comme il était fort riche et qu’il prêtait de l’argent aux uns et aux autres, il obligeait ses débiteurs d’entendre et d’applaudir ses ouvrages. [22] Quand de certains auteurs voudront me lire leurs pièces, il faudra que je leur doive ou qu’ils payent entièrement ma complaisance. Encore y en a-t-il de si pitoyables que tout l’or du monde ne m’engagerait pas de les approuver.
- Moréri 1674, pages 372‑373 – On dit d’un avare qu’il a l’âme crasse, je porte l’origine de cette expression jusqu’au consul Crassus, [90] qui était extrêmement riche et qui, pour le devenir encore plus, faisait un vil commerce d’esclaves. Il acquit tant de biens qu’il fit un festin public au peuple romain ; il donna même à chaque citoyen autant de blé qu’il en pouvait manger durant trois mois. Ses richesses se montaient à près de cinq millions : aussi n’estimait-il pas un homme opulent s’il n’avait de quoi entretenir une armée. Son avarice était insatiable, il pilla le trésor du Temple de Jérusalem [91] et emporta de la Judée des dépouilles inestimables. Ce lâche et vil attachement au bien lui fit entreprendre la guerre contre les Parthes ; ils le prirent, lui coupèrent la tête et l’apportèrent à Clau, l’un de leurs rois ; [92] ce prince fit couler de l’or fondu dans la bouche de Crassus afin d’assouvir la passion qu’il avait eue pour les richesses. [23][93][94]
- Moréri 1707, tome 3, page 753 – Mermeroë, [95] capitaine persan, après avoir passé sa jeunesse dans les fatigues de la guerre et se voyant réduit à ne pouvoir marcher ni se servir de ses bras, se fit porter en litière au milieu des troupes pour y donner conseil et inspirer du courage. La récompense de ses belles actions fut l’honneur que l’on faisait aux personnes de mérite : selon la coutume des Persans, ses parents exposèrent son corps en pleine campagne sans autre sépulture, persuadés, suivant la superstition extravagante du pays, qu’ayant vécu en homme de bien, il ne manquerait pas d’être aussitôt dévoré par les chiens ou par les bêtes féroces, ce qui était pour eux la marque la plus infaillible de leur prédestination ; au lieu qu’ils croyaient que ceux dont les cadavres n’étaient point mangés par les bêtes étaient tombés en la puissance des démons, et c’étaient ceux-là dont les parents déploraient la misérable destinée. [24][96][97]
- Moréri 1707, tome 2, page 515 – Sénèque [98] parle d’un certain Didyme, [99] natif d’Alexandrie et fils d’un vendeur de Salines : jamais homme n’a été si laborieux que ce Didyme, il composa jusqu’à trois mille cinq cents traités différents, ce qui le fit nommer Bibliolathas, voulant dire que ses livres étaient en si grand nombre que lui-même l’oubliait ; il a la réputation d’un habile grammairien. [25][100] Nous n’avons point d’auteurs qui produisent tant d’ouvrages : ce n’est pas qu’ils aient moins de démangeaisons d’écrire, mais le talent leur manque ; au reste, on n’en voit que trop qui pourraient fort bien se passer de mettre au jour un nombre infini de volumes, car cette fécondité de leur plume ne prouve que mieux la stérilité de leur esprit, c’est une terre fertile en chardons qui ne produit jamais de bon grain.
- Moréri 1707, tome 1, page 413 – Atticus, [101] fils d’un illustre Athénien, [102] eut si peu d’esprit qu’il ne put apprendre l’alphabet. [103] Son père, qui était riche, lui donna vingt-quatre serviteurs ; chacun avait figure d’une lettre peinte sur l’estomac ; à force de les voir et de les appeler, Atticus connut ses lettres et apprit à lire, mais il n’apprit que cela. [26][104]
- Moréri 1707, tome 1, pages 109‑110 – L’Albane, [105] fameux peintre bolonais, [106] épousa en secondes noces une femme qui n’avait pas beaucoup de biens, mais qui était belle. Ce parti lui fut plus avantageux qu’un autre : il servit à le perfectionner dans son art, car la beauté de sa femme devint son modèle toutes les fois qu’il voulait peindre une Vénus, les Grâces [107] et les autres déesses. Il eut des enfants si beaux qu’ils furent les originaux de tous les petits Amours que l’on voit représenter dans les tableaux. Monsieur Mignard [108] a suivi en cela la manière de l’Albane : tous les beaux visages que l’on voit dans la galerie de Saint-Cloud [109] sont d’après celui de sa fille. [27][110]
- Moréri 1707, tome 1, page 611 sur Mattheo Bissario – On loue avec raison la piété de Constantin [111] qui, pour faire honneur au pape Sylvestre, [112] dans Rome, prit la bride de son cheval. L’empereur Vinceslas témoigna le même respect pour le pape Grégoire xi. [113] Anastase [114] rapporte que Pépin, [115] père de Charlemagne, [116] rendit un semblable honneur au pape Étienne iii < sic pour : ii > [117] lorsqu’il vint en France. [28][118]
- Moréri 1674, page 630 – Les femmes ne sont plus sensibles au vrai mérite, et on n’en verrait point aujourd’hui qui porteraient l’amour des sciences aussi loin que l’a porté Hipparchia : [119] elle devint si passionnée de la sagesse de Crates [120] que ni les prières de ses parents ni les richesses des plus beaux hommes ne purent l’éloigner de celui qu’elle s’était elle-même choisi. Crates même lui représenta sa pauvreté ; l’amour de la philosophie l’attacha davantage à lui, elle l’aima jusqu’au tombeau et lui fut autant fidèle que si elle avait trouvé en sa personne tous les agréments imaginables. [29]
- Moréri 1674, pages 268‑269 – Une charge dont l’établissement serait fort nécessaire est la charge de censeur autrefois connue chez les Romains : [121] une de ses fonctions était de prendre garde à ce qui se passait dans les familles, et d’examiner si l’on y avait soin de l’éducation des enfants. [30] La vigilance d’un tel magistrat n’accommoderait guère certains pères avares qui craignent de pourvoir leurs enfants et qui acquièrent, en ne dépensant rien pour les élever, le droit de différer leur établissement.
- Moréri 1698, tome 2, page 32 – Une épitaphe bien burlesque est celle que Politien [122] a faite pour Companus, < sic pour : Campanus > [123] célèbre auteur d’Italie :
Ille ego laurigeros cui cinxit et infula crines,
Campanus, Romæ delicium hic jaceo.
Mi joca dictarunt Charites, nigro sale Momus, [124]
Mercurius niveo, tinxit utroque Venus ;
Mi joca, mi risus, placuit mihi uterque Cupido. [125]
Si me fles, procul hinc, quæso, < viator, > abi. [31]
Il y a un plaisant fort agréable dans cette pensée : « J’ai toujours eu envie de rire, passant, ne t’avise pas de me pleurer, ou retire-toi de moi », Si me fles, abi.
- Moréri 1707, tome 1, pages 656‑657 – Anne de Boulen [126][127] introduisit le schisme en Angleterre [128] et causa la perte de sa patrie. L’origine de cette malheureuse est fort incertaine. Voici un extrait tiré de Sandere, auteur anglais : [32][129][130][131][132]
« Henri viii, roi d’Angleterre, [133] devint amoureux de la femme de Thomas Boulen, chancelier < sic > de l’Ordre de la Jarretière, il le relégua en France avec la qualité d’ambassadeur. Ce commerce donna la naissance à deux filles pendant l’absence de Thomas Boulen. [33] Le roi fit successivement ses maîtresses de l’aînée et de la cadette, qui était Anne ; il ne put jamais corrompre celle-ci, quoiqu’à l’âge de quinze ans, elle eût été débauchée par le maître d’hôtel de l’aumônier de Thomas de Boulen ; François ier, [134] à la cour duquel elle parut, eut aussi part à ses faveurs ; ces prostitutions la firent nommer la Mule du roi et la Haquenée d’Angleterre. Ce fut dans ce temps qu’elle embrassa les erreurs luthériennes ; [135] revenue à la cour de Henri viii, ce prince la vit et l’aima ; elle sut si bien animer sa passion par ses résistances affectées qu’il résolut de l’épouser. Thomas de Boulen, surpris de ce dessein, se rendit premièrement en Angleterre, il dit au roi qu’ayant voulu répudier sa femme, elle lui avait avoué que Sa Majesté était père de cette fille. Henri lui imposant silence, répondit que trop de gens avaient eu part aux bonnes grâces de sa femme pour connaître le véritable père de celle qu’il voulait épouser. [34] Il est nécessaire de remarquer ici que le mariage d’Artus [136] avec Catherine, fille du roi d’Espagne, [137] n’ayant point été consommé, Henri viii, frère d’Artus, épousa la même princesse avec la permission du pape. [35] Tous les enfants moururent, du moins les mâles ; cela donna aux flatteurs l’occasion de lui proposer le divorce ; il en poursuivit la dispense afin d’obtenir le droit d’épouser Anne de Boulen. La dispense refusée, il épousa en secret sa maîtresse, bien que son Conseil lui eût persuadé que c’était une débauchée ; il lui fit prendre la qualité de marquise de Pembroc. Le pape Clément vii, [138] qu’on accuse d’avoir trop tôt employé les foudres du Vatican, excommunia le roi d’Angleterre ; ce prince, entier dans ses sentiments, irrité par un tel procédé, se sépara de l’Église par un schisme déplorable. Ses partisans déclarèrent son premier mariage nul, et < il > rendit le second public la veille de Pâques de l’an 1533 ; et le 2 juin suivant, Anne de Boulen fut couronnée reine d’Angleterre. Le roi fit bientôt une inclination nouvelle qui désespéra sa femme, d’autant plus que, n’ayant eu qu’une fille, étant à sa première couche, et la seconde étant devenue inutile, [139] elle perdit l’espérance d’avoir un fils de Henri. Le désir de donner des héritiers à la Couronne la détermina de s’abandonner à son propre frère. Cet inceste ne la rendit point féconde. Elle se prostitua ensuite à toutes sortes de personnes. Le roi ne put l’ignorer, mais il dissimula jusqu’à ce qu’il eût découvert que sa femme jetait de la fenêtre son mouchoir à un de ses amants. Il la fit prendre ; convaincue d’inceste et d’adultère, elle eut la tête coupée le 19 mai 1535. [140] Le roi voulut que Thomas Boulen, son père prétendu, fût un de ses juges. L’on fit aussi mourir son frère et ses autres amants, dont le nombre n’était pas petit. » [36]
- Moréri 1707, tome 3, page 186 – Le sujet qu’eut Henri viii de se déclarer chef de l’Église anglicane mérite d’être rapporté dans toutes ses circonstances. Ce prince, devenu amoureux d’Anne de Boulen, voulut faire dissoudre son mariage légitime et en contracter un nouveau, contre toutes les lois. Le pape nomma des juges pour examiner la chose. Henri, trop impatient, sans attendre leur décision, se servit du ministère de Thomas Crammer, archevêque de Cantorbéry, [141] qui déclara nul son mariage avec Catherine d’Aragon. Il épousa Anne de Boulen d’une manière clandestine. Le pape, qui en apprit bientôt la nouvelle, prononça sa sentence d’excommunication contre ce roi ; il différa de la publier à la prière de François ier, qui dépêcha Jean Du Bellay, [142] évêque de Paris, pour exhorter Henri à ne se point séparer de la communion de l’Église romaine. Henri le promit au prélat, pourvu que le pape différât de publier l’excommunication. Jean Du Bellay vint à Rome annoncer cette bonne nouvelle et demander du temps, afin de réduire l’esprit inquiet et variable de ce prince. Les partisans de Charles Quint firent limiter ce temps à un espace très court. Le jour fixé étant expiré sans que le courrier envoyé en Angleterre fût de retour, ils précipitèrent la publication de la sentence et la firent publiquement afficher deux jours après ; mais ce fut trop tard < que > le courrier apporta des pouvoirs très amples par lesquels le roi se soumettait au jugement du Saint-Siège. Le Saint-Père reconnut sa faute : faute à jamais irréparable, cause du schisme épouvantable qui divisa éternellement l’Angleterre de l’Église romaine. Henri, transporté de fureur de ce qu’on avait affiché cette sentence ignominieuse, n’eut plus de ménagement, il renonça à l’obéissance du pape, se déclara chef de l’Église anglicane, persécuta tous ceux qui s’opposaient à son changement. Le cardinal Jean Fisher, [143] Thomas Morus [144] et plusieurs autres perdirent la tête sur un échafaud ; une alliance ouverte fut faite avec les hérétiques, il démolit les maisons religieuses, pilla leurs biens, abolit l’Ordre de Malte [145] et poussa l’impiété jusqu’à faire faire le procès à la mémoire de saint Thomas de Cantorbéry [146] et brûler ses os. Ce roi a eu six femmes, il en répudia une et fit couper la tête à deux ; il porta les armes contre la France et l’Écosse. Près de mourir, il voulut rétablir l’Église dans sa première autorité ; il n’était plus temps ; on dit qu’il communia sous une seule espèce [147] et qu’un moment avant que d’expirer, regardant avec un œil affligé ceux qui environnaient son lit, il leur adressa ces paroles : « Mes amis, nous avons tout perdu, l’État, la renommée, la conscience et le ciel. » [37]
- Moréri 1674, page 747 – Julie de Gonzague, si renommée dans le seizième siècle par son esprit et par sa beauté, était veuve de Vespasien Colonna. [148] Barberousse, [149] qui avait ouï parler de sa beauté, envoya des troupes à Fondi [150] où elle demeurait, avec ordre de l’enlever durant la nuit pour en faire un présent à Soliman. [151] L’alarme s’étant donnée à la ville, elle prit la fuite et, sans autre habillement que sa chemise, elle monta à cheval. Les barbares, désespérés d’avoir manqué leur coup, brûlèrent cette ville. [38]
- Moréri 1707, tome 2, pages 434‑435 – La Providence permet que les auteurs des mauvais conseils soient les premières victimes de leur cruauté. Thomas de Cromwell [152] porta Henri viii à ordonner que les sentences rendues contre les criminels de lèse-majesté, [153] quoiqu’absents et non défendus, seraient exécutées comme celles des Douze Juges, qui est le plus célèbre tribunal d’Angleterre. Cromwell subit la première rigueur de cette loi car il fut condamné sans avoir été entendu. Voici de quelle manière : Henri, commençant à se dégoûter d’Anne de Clèves, [154] résolut d’épouser une autre ; mais premièrement, il voulut perdre Cromwell, auteur de ce mariage ; on prit pour prétexte la liberté qu’il s’était donnée de signer au nom du roi un traité avec les protestants d’Allemagne contre l’empereur ; on lui fit son procès sans lui permettre de se défendre. Tout préparé pour la ruine de ce malheureux, le roi feignit d’avoir des affaires importantes à lui communiquer : Cromwell y vint, prit sa place au Parlement, [155] commença même à parler ; le duc de Norfolk [156] l’interrompit et lui dit qu’il le faisait prisonnier de la part du roi ; dix jours après, le roi l’ayant accusé lui-même, le Parlement condamna Cromwell à la mort, pour crime d’hérésie, de trahison et de félonie. Cet arrêt fut exécuté publiquement en 1540. [39]
- Moréri 1707, tome 2, page 546 – La mort de Dracon, [157] ancien législateur d’Athènes, fut glorieuse, mais également funeste : occupé à recevoir les acclamations du peuple pour les lois sages qu’il avait établies, il fut étouffé sous la quantité des robes et des bonnets qu’on lui jeta de tous côtés ; la manière ordinaire de prouver son estime était alors de jeter des robes et des bonnets sur celui à qui l’on voulait applaudir, comme si on eût voulu lui persuader qu’il était seul digne de porter les marques de l’autorité et les ornements de la justice. [40]
- Moréri 1707, tome 2, pages 117‑118 – Nos Anciens avaient une coutume que quelques gens ne seraient pas fâchés de voir rétablir : quand un homme devenait amoureux d’une femme, le mari lui cédait honnêtement plutôt que de se laisser emporter aux éclats d’une jalousie violente. Caton d’Utique [158] apprit qu’Hortensius [159] était amoureux de sa femme Martia, [160] il la lui céda avec une bonne grâce digne d’un tel philosophe ; sitôt qu’Hortensius fut mort, Caton reprit sa femme. Cela fournit occasion à César de lui reprocher qu’il l’avait donnée pauvre pour la reprendre quand elle serait plus riche. Des gens à qui ce trait d’histoire n’a pu échapper m’ont dit que s’il n’y avait plus de maris assez complaisants pour céder ainsi leur femme, il y en avait encore d’assez indulgents pour les reprendre après une infidélité publique. [41]
- Moréri 1707, tome 2, page 67 – On compte jusqu’à vingt mille personnes massacrées par l’ordre de l’empereur Caracalla ; [161] sa cruauté alla jusqu’à faire donner la mort aux médecins parce qu’ils ne l’avaient pas avancée à son père ; [162] il tua son frère Geta [163] entre les bras de sa mère ; le jurisconsulte Papinien, [164] qui n’avait voulu ni excuser ni défendre son parricide < sic >, fut aussi condamné à la mort. Se trouverait-il aujourd’hui des hommes assez intrépides, assez dévoués au bien de la justice, pour ne la pas trahir en faveur des grands, puisque même on s’abandonne aux sollicitations des particuliers qui savent à propos flatter l’intérêt. Caracalla avait plus d’un vice : outre les marques de sa cruauté, il en donna < bien d’autres preuves, et > je ne sais de quelle manière exprimer l’audace qu’il eut d’épouser Julie, [165] veuve de son père. Tant de crimes ne demeurèrent pas impunis : après six années d’un règne, funeste dès les premiers jours, il fut massacré par un de ses centeniers. [42]
- Moréri 1674, page 757 – Il y avait dans Sparte [166] une maison obscure où l’on enfermait les filles, et les jeunes hommes à marier venaient en prendre une au hasard. C’est pour cela que Lysandre [167] fut blâmé d’avoir quitté une fille laide qu’il avait prise ; le choix d’une plus belle fut regardé comme une désobéissance aux lois de la patrie. Le hasard à peu près semblable conduit les hommes dans leurs engagements, éblouis par la fortune, aveuglés par l’intérêt, ils prennent tout ce qui se présente et s’ôtent eux-mêmes la liberté de chasser le mérite personnel. [43]
- Moréri 1707, tome 3, pages 313‑314 – L’élection de Jean xxii, [168] successeur de Clément v [169] en 1316, se fit d’une manière qui n’a point d’exemple. Le Siège avait déjà vaqué plus de deux ans et les cardinaux assemblés à Carpentras [170] ne pouvaient se déterminer. Philippe le Long, comte de Poitiers, depuis roi de France, [171] alla à Lyon par ordre du roi son frère, Louis x, dit Hutin, [172] pour travailler à remplir le Siège vacant ; il agit avec tant de zèle et d’adresse qu’ayant assemblé tous les cardinaux à Lyon, il les enferma en conclave dans le couvent des Jacobins, [173] avec protestation qu’ils n’en sortiraient qu’après avoir nommé un pape. Ce compliment les étonna, et comme après quarante jours ils ne pouvaient s’accorder, ils donnèrent au cardinal Dossa le pouvoir de nommer celui qu’il voudrait ; il se nomma lui-même, disant Ego sum Papa ; cette élection fut approuvée de tous. Ce pape était fils d’un cordonnier de la ville de Cahors, [174] il se donna en sa jeunesse à Pierre, archevêque d’Arles, [175] chancelier de Charles ii, roi de Naples, comte de Provence ; [176] après la mort de ce prélat, Robert, [177] fils de Charles, lui donna les sceaux et le fit son chancelier. Depuis, il parvint à l’archevêché d’Avignon et deux ans après, il le fit cardinal. Louis de Bavière, [178] en 1328, étant à Rome, le fit dégrader de la papauté et substitua en sa place Pierre Ramuche de Corberia, [179] général des cordeliers. [180] Celui-ci, après diverses aventures, s’étant laissé prendre, fut mené à Avignon, [181] où il demanda pardon au pape, la corde au col. Jean xxii mourut en 1334, âgé de 90 ans ; on lui trouva la valeur de vingt-huit millions de ducats, et d’autres disent dix-sept cent mille florins d’or. [44][182]
- Moréri 1707, tome 2, page 636 – La philosophie donne quelquefois la constance qu’elle inspire. Épictète [183] reçut un grand coup sur la jambe ; il dit froidement à celui qui le lui donnait, « Prenez garde de la rompre » ; l’autre redoubla, en sorte qu’il lui cassa l’os ; Épictète lui répondit avec la même tranquillité : « Ne vous avais-je pas bien dit que vous jouiez à me rompre la jambe. »
La lampe de terre dont ce philosophe éclairait ses veilles fut vendue trois milles dragmes, c’est-à-dire près de deux cents livres de notre monnaie. [45]
- Moréri 1698, tome 2, page 123 – Charles Quint était plus grand coureur que grand conquérant. Il fit cinquante voyages différents : neuf en Allemagne, six en Espagne, sept en Italie, dix en Flandre, quatre en France, deux en Angleterre, deux en Afrique, autant sur l’Océan et huit sur la Méditerranée. [46]
- Moréri 1707, tome 4, page 873 – Les Romains placèrent l’Honneur au rang des divinités et lui érigèrent des statues. On les mettait ordinairement avec la Vertu. [184] Les temples étaient disposés de manière qu’on ne pouvait aller à celui de l’Honneur sans passer par celui de la Vertu. Marius, [185] qui les fit bâtir, ordonna qu’on ne les élevât pas beaucoup, pour insinuer aux personnes qui y entraient de demeurer toujours dans de bas sentiments d’eux-mêmes. Une réflexion que nous devons faire est celle-ci : il n’y a pas de plus belle gloire que celle où l’on parvient par des voies innocentes, il n’y a point de solide gloire que celle dont on jouit sans orgueil. [47]
- Moréri 1707, tome 2, page 27 – Jacques Callot [186] était un bon graveur, encore meilleur citoyen. Louis xiii [187] ayant assiégé la ville de Nancy [188] envoya quérir Callot et lui dit de représenter cette nouvelle conquête, comme il avait fait le siège de La Rochelle [189] et la prise de l’île de Ré. [190] Callot, qui était lorrain, supplia Sa Majesté de l’en dispenser parce qu’il avait trop de répugnance à faire quelque chose contre l’honneur de son prince et la reconnaissance qu’il devait à sa patrie. Le roi approuva cette délicatesse et estima le duc de Lorraine [191] d’avoir des sujets aussi affectionnés. Plusieurs courtisans portèrent Louis xiii à se faire obéir ; Callot, qui craignait qu’on le forçât de graver le siège de Nancy, répondit avec fermeté qu’il se couperait plutôt le pouce ; mais bien loin que le roi lui fît aucune violence, il continua de le traiter favorablement et lui promit 3 000 livres de pension s’il voulait demeurer en France ; Callot, peu tenté de ces offres, témoigna qu’il ne pouvait abandonner le lieu de sa naissance, il y mourut peu de temps après. [48]
- Moréri 1707, tome 1, page 218 – Les habitants d’Amyclas, [192] ville d’Italie, s’étaient si ridiculement attachés à la doctrine de Pythagore, [193] qui défend de tuer les animaux, qu’ils aimaient mieux se laisser piquer aux serpents et prendre la fuite que de faire mal à des insectes ; où on ajoute qu’ils se laissèrent égorger par leurs ennemis plutôt que de rompre le silence ; de là est venu le proverbe Amyclas perdidit silentiam < sic pour : silentium >. [49]
- Moréri 1707, tome 4, pages 167‑168 – Le mot pasquinade n’est inconnu à personne. [194] Celles de Monsieur Le Noble, [195] qui parurent vers la fin du dernier siècle, ont trop diverti le public pour ne pas lui avoir donné une idée juste de la signification de ce mot. En voici l’origine : dans une des places de Rome, il y avait une statue de marbre qu’on nommait Pasquin ; ce Pasquin était un savetier qui vivait il y a environ deux cents ans, il était railleur et raillait même assez finement ; sa boutique était remplie de gens qui prenaient plaisir à entendre les traits qu’il lançait contre toutes sortes de personnes ; après sa mort, on trouva sous terre, proche de sa boutique, une statue de gladiateur à laquelle, faute de savoir son nom, on donna celui de Pasquin ; elle fut élevée en cet endroit, l’on y attachait pendant la nuit des billets satiriques contre ceux dont l’on < n’>osait médire ouvertement. Cette licence continue, et même augmente de jour en jour. Il semble qu’elle soit autorisée car ces vers latins sont gravés sur le marbre :
Pasquinus eram, nunc lapis ;
Forsan Apis, quia pungo.
Dii tibi culeum, si spernis aculeum.
Etiam mellibus ungo : veritas dat favos ;
Et felle purgo. Si sapis,
Audi Lapidem,
Magis lepidum quam lividum.
Fruere salibus, insulse,
Ut bene sapias.
Calcibus calceos olim optavi,
Nunc rectos pedibus gressus inculco.
Abi in lapidicinam, si spernis lapidicinium. [50][196]
- Moréri 1707, tome 1, page 610 – Le maréchal de Biron [197] se distingua par ses services importants sous le règne de Henri le Grand. [198] Ce prince l’honora de ses bonnes grâces et le combla de bienfaits. Monsieur Biron, dont l’esprit était violent et emporté, fit quelques remuements. La perte de la charge de grand amiral de France acheva de lui faire oublier ce qu’il devait au roi : il traita avec les ennemis de l’État ; son obstination fut si grande à avouer sa faute à Henri le Grand, qui l’en sollicita quatre fois, que Sa Majesté le mit entre les mains de la justice. Le maréchal, convaincu de lèse-majesté, fut condamné d’avoir la tête coupée, ses biens confisqués et la duché de Biron éteinte. On exécuta cet arrêt dans la cour de la Bastille [199] le 31 juillet 1602 et on enterra son corps dans l’église Saint-Paul. [51][200]
- Moréri 1707, tome 1, pages 149‑151 – Alexandre le Grand aimait fort les savants. Chacun sait l’estime qu’il faisait d’Homère ; il mit son Iliade [201] dans cette précieuse cassette qu’il trouva dans les dépouilles de Darius, [202] ut pretiosissimum animi humani opus quam maxime diviti opere servaretur ; c’est ainsi que Pline [203] en parle, dans le plus fort de ses conquêtes, temps où il avait besoin d’argent pour subvenir aux dépenses de la guerre. Il fit présent à Aristote [204] de quatre cents talents qui composent près de 150 000 livres de notre monnaie, et cela pour avoir les choses nécessaires aux expériences publiques. Lorsque ce prince ordonna qu’on mît tout à feu et à sang dans la ville de Thèbes, [205] il fit défense, en même temps, qu’on touchât à la maison où Pindare, [206] ce fameux poète grec, avait demeuré cent années auparavant ; cette seule maison fut conservée. [52]
- Moréri 1674, page 747 – Julien, dit l’Apostat [207] parce qu’il abandonna lâchement la religion chrétienne, et Gallus, [208] son frère, avaient reçu la cléricature dans un même temps et exercé les mêmes fonctions ; et étaient néanmoins d’une humeur très différente, et Dieu même montra ce qu’on devait craindre de l’impiété de Julien. Ils entreprirent de bâtir à frais communs une église en l’honneur du martyr Mammas ; [209] la portion que faisait faire Gallus fut bientôt achevée ; au contraire, l’ouvrage de Julien ne pouvait avancer, la terre repoussait toujours les fondements et une main invisible abattait durant la nuit les murailles qu’on avait élevées le jour. [53]
- Moréri 1674, page 913 – Maurice, [210] général des armées de l’empereur Tibère, empereur d’Orient, [211] ayant besoin de gens de guerre, ordonna en 592 que pas un soldat ne pourrait se faire moine qu’après avoir accompli le temps de la milice. Saint Grégoire, [212] qui trouvait cette loi injuste, en écrivit à l’empereur. Dans ce temps, un roi des Arabes < sic pour : Avares > [213][214] s’étant avancé dans la Thrace, [215] menaçait la ville de Constantinople [216] d’un siège terrible. La maladie contagieuse [217] qui se mit dans l’armée de ce barbare, et qui lui emporta les fils qu’il avait, l’empêcha d’avancer davantage. Il avait fait environ douze mille prisonniers, et comme on parlait de la paix, il offrit de les délivrer à condition que l’empereur donnerait un demi-écu pour la rançon de chaque soldat. Maurice le refusa et le prince barbare les fit tous passer au fil de l’épée. Le peuple de Constantinople, indigné de ce refus, se révolta. L’empereur témoigna un grand repentir et fit prier tous les saints ecclésiastiques et religieux d’offrir des vœux au ciel pour lui, afin que Dieu lui pardonnât et le punît plutôt en ce monde qu’en l’autre. Phocas, [218] qui, de simple centurion, s’était fort avancé à l’armée, se fit proclamer empereur en 601 et poursuivit Maurice jusques auprès de Calcédonie < sic pour : Chalcédoine >, [219] où il fit mourir quatre de ses fils, et ensuite il le fit mourir lui-même. On dit que, dans ce pitoyable état, il ne se plaignait jamais et qu’il prononçait seulement ces paroles de David : [220] Justus est Dominus et rectum judicium tuum, « Vous êtes juste Seigneur et votre jugement est équitable ». [54]
- Moréri 1707, tome 4, pages 339‑340 – Le tableau de Jalysus, fameux chasseur de l’île de Rhodes, [221] peint par Protogène, [222] conserva cette ville, et voici comment : Démétrius, roi de Macédoine [223], assiégeait Rhodes ; elle ne pouvait être prise du côté où était Protogène ; ce roi aima mieux lever le siège que d’y mettre le feu et de perdre un ouvrage qui devait être à jamais conservé. Les historiens ont remarqué une autre circonstance : Demetrius ayant su que Protogène avait choisi, pendant le siège, une maison hors de la ville, où il travaillait sans être distrait par les instruments de guerre ni épouvanté par la crainte des armes, fit venir ce peintre et lui demanda s’il se croyait en sûreté au milieu des ennemis des Rhodiens ; il répondit avec confiance, « Je suis persuadé qu’un grand prince comme Demetrius ne fait la guerre qu’à ceux de Rhodes, et non pas aux arts. » [55]
- Moréri 1707, tome 2, pages 193‑194 – François de Vivonne La Châte<g>neraye, [224] ayant reçu un démenti de Guy de Jarnac, [225] demanda au roi la permission de se battre ; la permission accordée par Henri ii, successeur de François ier, qui l’avait refusée, le combat [226] se fit le 10 juillet 1547 dans le parc de Saint-Germain. [227] Le roi voulut être témoin et toute la cour y assista. La Châte<g>neraye reçut plusieurs blessures qui le mirent bientôt hors de défense. Jarnac, qui pouvait le tuer, pria le roi d’accepter le don qu’il lui faisait de La Châte<g>neraye, qui ne voulut point se rendre. Le roi ordonna qu’il fût porté dans sa tente afin d’y être pansé. Le chagrin qu’il eut d’avoir été vaincu lui fit débander sa plaie, il mourut trois jours après. [56]
- Moréri 1707, tome 1, pages 359‑360 – Les ouvrages d’Aristote [228] ont eu un sort bien contraire : un concile tenu à Paris en 1209 ordonna que les livres de ce philosophe seraient brûlés, et fit défense de les lire sous peine d’excommunication, [229] parce qu’ils favorisaient, dit-on, les erreurs des hérétiques. En 1231, le pape Grégoire ix [230] renouvela les mêmes défenses jusqu’à ce qu’on eût revu et corrigé ce qui pouvait donner lieu aux hérésies. Albert le Grand [231] et saint Thomas d’Aquin [232] ne laissèrent pas néanmoins de faire des commentaires sur Aristote, on croit qu’ils en avaient une permission du pape. En 1448, le pape Nicolas v [233] approuva les ouvrages d’Aristote et en fit faire une nouvelle traduction latine. Depuis ce temps, on a continué d’enseigner sa doctrine ; et en 1624, ceux qui voulurent soutenir des opinions contraires furent condamnés par l’Université et par le Parlement de Paris. v [234] Tout cela prouve bien que les hommes ne décident pas avec lumières, et que la vérité ne se montre qu’imparfaitement à leur esprit. [57]
- Moréri 1674, page 623 – Hérode [235] poussa sa cruauté si loin qu’il entreprit de punir, même après sa mort, la joie qu’il savait que les Juifs en auraient. Il donna ordre d’égorger toutes les personnes de qualité qu’il tenait en prison, aussitôt qu’il aurait rendu l’esprit, afin que chaque famille considérable eût sujet de verser des larmes quand il sortirait du monde, et qu’on pût confondre leur douleur en l’attribuant à la perte de sa personne. [58]
- Moréri 1707, tome 2, pages 532‑533 – Une femme de Smyrne [236] fut accusée devant Dolabella, [237] proconsul dans l’Asie, d’avoir empoisonné [238] son mari parce qu’il avait tué un fils qu’il avait eu d’un premier lit. Dolabella se trouva embarrassé : il ne pouvait absoudre une femme criminelle, mais il ne pouvait aussi condamner une mère qui n’était devenue coupable que par un juste excès de tendresse. Il renvoya la connaissance de cette affaire à l’Aréopage, qui ne put la décider ; il ordonna seulement que l’accusateur et l’accusée, c’est-à-dire le mari et la femme, comparaîtraient dans cent ans pour être jugés en dernier ressort. [59]
- Moréri 1707, tome 1, page 125 – Le pape Urbain v [239] demanda un jour au cardinal Albornez [240] à quoi il avait employé les grandes sommes d’argent qu’on lui avait fait tenir pendant la conquête d’Italie. Le cardinal, à qui il était glorieux de rendre compte, fit amener un chariot chargé de gonds, de verrous, de serrures et de clés, et dit au Saint-Père : « Donnez-vous la peine de regarder dans la cour de votre palais, les sommes que vous m’avez envoyées ont été employées à vous rendre maître de toutes les villes dont vous voyez les clés dans ce chariot. » Le pape, charmé de la générosité d’Albornez, l’embrassa et le remercia des grands services qu’il avait rendus à l’Église. [60]
- Moréri 1707, tome 1, page 651 – La Bibliothèque de Saint-Victor [241] est un effet de la libéralité de M. du Bouchet, [242] conseiller au Parlement, mort en 1654, âgé de 61 ans. Il laissa ses livres au public par son testament, et les mit comme en dépôt entre les mains des chanoines réguliers de l’abbaye de Saint-Victor. [243] Il leur a légué un revenu considérable pour l’entretien et l’augmentation de cette bibliothèque. Messieurs les avocats généraux du Parlement, qu’il a suppliés de veiller à l’exécution de ses volontés, y font une visite tous les ans. Elle est ouverte le lundi, le mercredi et le samedi. [61]
- Moréri 1707, tome 1, page 625 – Monsieur Boileau, [244] intendant des menus plaisirs du roi et frère aîné de l’illustre Monsieur Despréaux, [245] montra dès sa première jeunesse beaucoup d’inclination pour l’étude. Il eut pour père Gilles Boileau, [246] greffier de la Grand’Chambre du Parlement de Paris. Cette profession engagea le fils à suivre le Palais, il exerça quelque temps celle d’avocat. Ennuyé peut-être de ce métier ingrat pour la fortune et presque incompatible avec les belles-lettres, il prit une charge à la cour. Son père mourut avec le seul titre d’homme de probité car il ne laissa pas beaucoup de bien à ses enfants. Voici une épigramme en forme d’épitaphe que fit Monsieur Boileau, son fils aîné, qui était alors très jeune et avocat nouvellement reçu :
« Ce greffier dont tu vois l’image,
Travailla plus de soixante ans ;
Et cependant, à ses enfants,
Il a laissé pour tout partage
Beaucoup d’honneur et peu d’héritage,
Dont son fils Laurent < sic pour : l’avocat > enrage. » [62]
- Moréri 1707, tome 4, page 330 – Cambize, roi de Perse, [247] avait choisi Prexaspe [248] pour son confident. Ce favori, usant de la liberté que donne ce titre, s’avisa de remontrer à son maître que ses excès continuels obscurcissaient l’éclat de mille belles actions. Cambize, indigné de la licence de Prexaspe, résolut de s’en venger : quelques jours après, étant ivre, il tira une flèche dans le cœur du fils de cet indiscret confident, et lui demanda, pour lui insulter davantage, s’il connaissait quelqu’un qui eût plus d’adresse avant même que d’avoir bu. Prexaspe, pour ne pas irriter son roi, lui répondit qu’un dieu ne pouvait pas mieux tirer. Les hommes passent d’une extrémité à l’autre : Prexaspe reprend trop hardiment son maître, et ensuite il le loue d’une manière odieuse. La nature blessée devait lui arracher des termes d’indignation, mais la flatterie qui l’emporte sur ces sentiments lui fournit des expressions détestables. [63][249]
- Moréri 1674, page 66 – L’Antiquité a fourni de grands exemples de piété ; Plutarque et Valère Maxime donnent de grandes louanges à l’action de Luce Albin : [250] aussitôt qu’il aperçut le prêtre de Romulus et les vestales [251] qui emportaient à pied les images des dieux pour les sauver de la fureur impie des Gaulois vainqueurs, il fit descendre sa femme et ses enfants d’un chariot qu’il conduisait, pour mettre à leur place des personnes que leur titre lui rendait sacrées, préférant ainsi l’honneur de la religion au salut de sa famille. Il les mena jusqu’au bourg de Ceré [252] où ils se retiraient. [64]
- Moréri 1674, page 118 – Anaxarque, [253] philosophe, fut particulièrement estimé d’Alexandre le Grand, qui commanda de lui donner tout ce qu’il voudrait ; il demanda cent talents ; les officiers étonnés rapportèrent la chose à Alexandre ; ce prince ordonna qu’ils lui fussent comptés et il dit : Je connais qu’Anaxarque est de mes amis puisqu’il exige une chose digne de ma grandeur et de mon pouvoir. Ce fut ce philosophe qui détourna Alexandre de la folle pensée qu’il avait de se faire appeler dieu. Un jour qu’il était à la table de ce roi qui lui demandait ce qu’il disait du repas, il lui répondit qu’il n’y aurait rien à souhaiter si l’on avait servi la tête d’un certain grand seigneur ; en même temps, il regarda Nicocréon, tyran de Chypre, [254] son ennemi. Ce dernier en fut tellement offensé qu’après la mort d’Alexandre, il le fit piler dans un mortier avec des marteaux de fer. Le philosophe intrépide bravait la cruauté de ce tyran, et comme Nicocréon menaçait de lui couper la langue, Je t’en empêcherai, bien efféminé jeune homme, répondit Anaxarque : et en effet, l’ayant coupée avec ses dents et tournée durant quelque temps en sa bouche, il la jeta contre le visage du tyran qui en écuma de colère. Il faut avouer que la philosophie a quelquefois affecté des constances aussi rares que la religion est capable de produire. [65]
- Moréri 1707, tome 1, page 608 – Le philosophe Bion [255] était un homme à bons mots. Plutarque en rapporte quelques-uns, en voici les meilleurs : il n’approuvait pas le mariage, fondé sur ce qu’une laide faisait mal au cœur, et une belle, à la tête ; un grand lui demandait une grâce, il lui répondit : Si vous voulez que je vous l’accorde, faites-m’en prier, mais n’y venez pas vous-même. On ne sait, disait-il d’un envieux mélancolique, [256] s’il lui est arrivé du bien, ou du mal aux autres. [66]
- Moréri 1707, tome 1, pages 32‑36 – La plus majestueuse procession [257] que l’on ait jamais vue est celle qui se fit en 1535. Ce qui y donna lieu fut la hardiesse des hérétiques qui avaient semé publiquement des libelles remplis de blasphèmes horribles contre la Sainte Eucharistie, et de cruelles menaces contre la personne du roi, jusqu’à les afficher aux portes du Louvre [258] et à celles de la Chambre. François ier, qui était alors à Blois, [259] revint à Paris. Les auteurs et les complices d’un si abominable attentat furent pendus, [260] et on les décréta hérétiques. Il ordonna dans le même temps une procession solennelle pour réparer l’outrage fait à la religion. Tous les ordres religieux, tous les prêtres séculiers, le chancelier, le Conseil, le Parlement en robes rouges, la Chambre des comptes, les autres compagnies et la ville, avec ses officiers, y assistèrent. L’évêque de Paris, Jean Du Bellay, [261] tenait le Très-Saint-Sacrement sous un dais magnifique porté par Monseigneur le dauphin, [262] par ses deux frères, les ducs d’Orléans [263] et d’Angoulême, [264] et par le duc de Vendôme, [265] premier prince du sang. Le roi suivait immédiatement, tête nue et un flambeau à la main, accompagné des princes, des officiers de la Couronne, des cardinaux, évêques et ambassadeurs, marchant deux à deux ; et chacun tenait un cierge allumé. Cette auguste cérémonie fut mêlée d’une agréable et nombreuse symphonie. On alla ainsi jusqu’à Notre-Dame. [266] Le roi monta dans la grande salle de l’archevêché où, après s’être assis dans un trône magnifiquement préparé, il exhorta par un discours très pathétique les assistants à professer constamment la religion des rois très-chrétiens. Le même jour, vers le soir, six luthériens qui avaient été condamnés par arrêt du Parlement, furent brûlés à petit feu. Il semble que, par cette punition exemplaire, on voulût achever de réparer l’audace et l’impiété des profanateurs. [67][267]
- Moréri 1707, tome 2, page 245 – La loi Munérale dont Cincius, [268] sénateur romain, fut l’auteur, défendait à ceux qui briguaient les charges de paraître aux assemblées avec une double robe, sous laquelle ils pussent cacher de l’argent, comme ils avaient coutume de faire, pour acheter les suffrages du peuple, qui n’était que trop disposé à les vendre. [68]
- Moréri 1707, tome 2, pages 181‑182 – Toutes les histoires ensemble ne renferment rien d’aussi tragique que les troubles de la Grande-Bretagne, où il est parlé de la mort funeste de Charles Stuart. [269] Les Communes nommèrent un président et des commissaires pour lui faire son procès. Jean Couk, [270] procureur général, l’accusa au nom du peuple d’être tyran, meurtrier, ennemi irréconciliable des libertés d’Angleterre. Le roi, sommé de répondre, déclara qu’il ne reconnaissait point de tels juges. Cependant, il demanda un entretien avec les Seigneurs et avec les Communes. Cette grâce lui fut refusée. On le condamna d’avoir la tête tranchée. L’évêque de Londres ayant prêché le lendemain devant lui, les chefs des conjurés lui présentèrent un mémoire où les lois de la religion du royaume étaient entièrement blessées. Ils promirent, s’il le signait, de lui sauver la vie. Sa Majesté témoigna qu’elle préférait la mort la plus infâme à une aussi lâche complaisance. La Chambre des Communes, piquée de ce refus, ôta dès ce moment toutes les marques de la royauté, fit arracher les armes et briser la statue de Charles Stuart qui était dans la Bourse de Londres. Le mardi trent<ièm>e de janvier, sur les dix heures du matin, il fut conduit du palais de Saint-Jacques à celui de Witehal, environné d’un régiment d’infanterie qui marchait tambour battant, enseignes déployées. Le roi entra dans sa chambre ordinaire et se prépara à mourir chrétiennement. On a observé que l’Évangile de ce jour était le vingt-septième chapitre de saint Matthieu, [271] où est décrite la cabale des Juifs contre Jésus-Christ. L’échafaud dressé pour cette horrible exécution était couvert de drap noir. La hache était sur un billot, et le billot paraissait revêtu de quatre gros anneaux de fer pour y attacher le roi au cas de résistance. Le même < sic pour : menu > peuple accourut à ce funeste spectacle et n’eut pas le courage de s’opposer à la cruauté des conjurés. Le roi monta sur l’échafaud d’un air intrépide et déclara qu’il mourait innocent. Il aperçut deux scélérats masqués qui avaient été choisis pour exécuter cet abominable dessein, car l’exécuteur de haute justice avait refusé de tremper ses mains dans le sang de son roi. Sa tête fut abattue d’un seul coup. Elle fut mise avec son corps dans un cercueil de plomb. L’évêque de Londres le conduisit à Windsor et le fit mettre dans la chapelle royale, auprès de Henri viii, sans autre inscription que celle-ci, Charles, roi d’Angleterre, parce que les conjurés ne permirent pas les cérémonies ordinaires. Ainsi finit ce juste et malheureux prince dans la quarante-neuvième année de son âge et dans la vingt-cinquième année de son règne. Le lendemain de sa mort, arrivée le 30 janvier 1649, les Communes défendirent sur peine de trahison de proclamer roi le prince de Galles, [272] et ordonnèrent que la Nation serait gouvernée comme une république par un Conseil de quarante personnes choisies. Cromwell [273] sut habilement se rendre maître de toute l’autorité. [69]
- Moréri 1707, tome 2, page 652 – Eschine, [274] Athénien de nation, fut aussi bon poète qu’orateur. Les Grecs donnèrent les noms des trois Grâces à trois oraisons qui restent de lui, et celui des neuf Muses à neuf de ses épîtres ; ce qui a été fait de même en faveur de l’Histoire d’Hérodote. Eschine ne voulait pas de bien à Démosthène ; [275] dans l’impuissance de se venger ouvertement, il accusa Ctésiphon qui le protégeait. Démosthène défendit sa cause, Eschine fut exilé, il vint à Rhodes [276] où il enseigna la rhétorique. Un jour qu’il lisait devant les Rhodiens sa pièce contre Ctésiphon, il en reçut des louanges extraordinaires, ils ne pouvaient s’imaginer qu’il avait été envoyé en exil. Après avoir prononcé cette harangue, Eschine, bien loin de se prévaloir de tant d’applaudissements qui semblaient favoriser sa jalousie contre Démosthène, leur répondit modestement : « Vous ne seriez point surpris si vous aviez entendu Démosthène. » Par ce procédé honnête et généreux, il persuada que la haine ne le dominait point assez pour le rendre injuste. L’envie qui règne aujourd’hui parmi les savants ne leur inspire pas la même modération, ils méprisent tout ce qu’ils n’ont point fait et ne peuvent jamais croire que leurs concurrents soient dignes de louanges. [70]
- Moréri 1707, tome 2, page 235 – Un des capitaines de Cyrus [277] nommé Chrysante [278] était si exact observateur de la discipline qu’ayant son ennemi en sa puissance, il lui fit grâce et ne voulut pas le tuer parce qu’il entendit sonner la retraite. Cyrus loua cette action. [71]
- Moréri 1707, tome 2, page 497 – Démonice, jeune fille éphésienne, [279] promit à Brennus, [280] prince des Gaulois, de lui livrer la ville d’Éphèse, [281] pourvu qu’il lui donnât tous les joyaux de cette ville. Brennus les lui promit. Aussitôt qu’Éphèse fut prise, il commanda à ses soldats de jeter dans le sein de Démonice tous les joyaux qu’ils avaient pillés. La quantité en était telle que cette fille en fut accablée, et se trouva ensevelie dans les colliers, les bracelets et les diamants. [72]
- Moréri 1707, tome 1, page 508 – C’est abuser de la victoire que de la signaler par des cruautés. Basile second, [282] dit le Jeune, empereur d’Orient surnommé le Dompteur des Bulgares, eut en 1013 un grand avantage contre Samuel, [283] qui était leur prince. L’empereur tua une partie de ses troupes et lui prit quinze mille prisonniers. On peut dire qu’ils furent plus malheureux que ceux qui moururent les armes à la main, car Basile leur fit crever les yeux et donna un borgne pour guide à chaque compagnie de cent hommes. Il les envoya ainsi à Samuel, qui mourut de déplaisir après les avoir vues. Cette barbare action a beaucoup diminué la gloire de Basile, qui d’ailleurs était illustre par l’éclat de quelques vertus. Il mourut subitement après un règne de cinquante années. [73]
- Moréri 1707, tome 3, page 176 – L’Histoire des amours de Théagène et de Cariclée a pour auteur Héliodore de Phénicie, [284][285] qui vivait dans le quatrième siècle. Il composa ce livre dans sa jeunesse et fut depuis élevé à l’épiscopat. Cette dignité, qui le vouait entièrement aux choses saintes, ne le rendit pas insensible à la gloire criminelle d’avoir fait un ouvrage profane. Il ne voulut ni le supprimer ni le désavouer. Cet entêtement obligea les évêques de Thrace assemblés de le déposer. Il n’y a pourtant que Nicéphore [286] qui parle de cette déposition prétendue, les autres n’en disent mot. [74]
- Moréri 1707, tome 4, page 260 – Simon, convaincu d’un crime, fut condamné à mourir de faim dans une prison. Sa fille obtint du geôlier la permission de le voir tous les jours, elle lui donnait à téter et lui sauva ainsi la vie. Le geôlier, surpris qu’un homme qui ne mangeait point vécût aussi longtemps, car il empêchait avec soin que cette fille ne lui portât aucune nourriture, examina ce qu’elle faisait avec son père. Il s’aperçut qu’elle lui présentait ses mamelles comme à un enfant. [287] Cette action fut rapportée aux juges, ils firent grâce au père coupable en faveur de la fille tendre et reconnaissante, et assignèrent à l’un et à l’autre une pension. Le lieu où était cette prison fut consacré par un temple à la déesse Piété, [288] on y peignit un tableau qui représentait l’action dont l’on vient de parler. Les copies de ce tableau, qu’on appelle une Charité romaine, sont nombreuses. [289] Comme on prétend que celle qui nourrissait son père était fille, on regarde comme un miracle de la nature le secours qu’elle procurait à son père. [75][290]
- Moréri 1707, tome 3, pages 56 et 335 – Le corps de Germanicus [291] ayant été brûlé selon la coutume des Romains, son cœur parut tout entier au milieu des flammes. On a remarqué la même chose de la Pucelle d’Orléans. [292] À l’égard de Germanicus, il y avait une circonstance particulière : l’empereur Tibère [293] le fit empoisonner par le ministère de Pison, gouverneur de Syrie, [294] et c’est l’opinion commune que cette partie étant une fois imbue de venin ne peut jamais être consumée par la violence du feu. [76]
- Moréri 1707, tome 2, page 195 – Paul du Chastelet, [295] avocat général au parlement de Rennes, [296] depuis maître des requêtes et enfin conseiller d’État, était fort considéré de Louis xiii. Un jour qu’il sollicitait avec chaleur la grâce du duc de Montmorency, [297] le roi lui dit : « Je pense que Monsieur du Chastelet voudrait avoir perdu un bras pour sauver Monsieur de Montmorency » ; il fit cette belle et prompte réponse, « Je voudrais, Sire, les avoir perdus tous deux car ils sont inutiles à votre service, et en voir sauvé un qui vous a gagné des batailles et qui vous en gagnerait encore. »
Monsieur Pellisson remarque de lui un autre trait : Monsieur du Chastelet avait été conduit à Villepreux [298] par les ordres du roi ; quelque temps après être sorti de cette prison, il revint à la cour ; le roi feignit de ne le pas regarder, comme par une espèce de chagrin de voir un homme qu’il venait de punir ; Monsieur du Chastelet s’approcha de Monsieur de Saint-Simon [299] et lui dit : « Je vous prie, Monsieur, de dire au roi que je lui pardonne de bon cœur, et qu’il me fasse l’honneur de me regarder. » Ce trait fit plaisir au roi, il fit bonne mine à Monsieur du Chastelet et le caressa. [77]
- Moréri 1674, page 338 – Valère Maxime parle de deux frères nommés Coëlius [300] qui, accusés d’avoir tué leur père, Titus, qu’on avait trouvé égorgé dans une chambre voisine de la leur, furent renvoyés parce qu’on les avait surpris dans un tranquille et profond sommeil. Les juges ne purent jamais se persuader que la nature, toujours la première à nous reprocher certains crimes, permît à des parricides un repos que de moindres coupables n’auraient pas eu. En effet, on est agité malgré soi, le trouble au cœur s’empare du visage, il saisit toute la personne du criminel, et < sic pour : qui > s’accuse par son propre silence ; où s’il parle, c’est plutôt pour hâter sa condamnation que pour travailler à sa défense. [78]
- Moréri 1674, page 642 – Hunéric, [301] roi des Vandales en Afrique, qui vivait dans le cinquième siècle, a été un des plus grands persécuteurs de l’Église : à la persuasion d’un évêque arien, [302] il bannit près de cinq mille ecclésiastiques, publia divers édits contre les catholiques et en fit mourir jusqu’à quatre cent mille par des tourments inouïs. Son frère et ses enfants furent les victimes de sa cruauté. [79]
- Moréri 1707, tome 3, page 475 – Jean de Launoy, [303] docteur < en théologie > de Paris, de la Maison de Navarre, [304] originaire de Normandie, au diocèse de Coutances, [305] est mort en 1678 après avoir passé sa vie dans un travail continuel. Il n’y a pas d’homme qui ait plus écrit que lui : il a laissé près de 70 volumes de sa façon, presque tous en latin. Il était bon critique, il avait beaucoup profité des entretiens familiers qu’il avait avec le Père Sirmond. [306] Il a combattu presque toutes les anciennes traditions des églises de France, fondant son sentiment sur les époques de Sulpice-Sévère [307] et de Grégoire de Tours. [80][308]
- Moréri 1707, tome 1, page 365 – François Armellino [309] naquit à Pérouse [310] de parents peu illustres. Il résolut de s’établir à Rome, où il commença par solliciter des procès. Il se rendit habile maltôtier, cette industrie le fit connaître au pape Léon x. [311] Ce pontife, satisfait des moyens qu’Armellino donnait pour trouver de l’argent, le créa cardinal en 1517, lui donna un gouvernement et le fit intendant de ses finances. Cette élévation lui suscita des envieux et son nom devint en exécration parmi les peuples ; jusque-là que dans un consistoire où l’on parlait de chercher un fonds pour subvenir aux nécessités de l’Église, le cardinal Pompée Colonna [312] dit hautement : « Il ne faut que faire écorcher Armellino et exiger un quatrain de tous ceux qui seront bien aises de voir sa peau. L’argent qu’on en tirera produira une somme considérable. » Mais le cardinal de Médicis, dans la famille duquel il avait été adopté, prit son parti ; et ayant depuis été élevé au pontificat sous le nom de Clément vii, il le gratifia de l’archevêché de Tarente [313] et de plusieurs autres bénéfices considérables. Bientôt après, il fut assiégé avec le pape dans le château Saint-Ange [314] et il mourut de déplaisir d’avoir perdu tous les amis qu’il avait à Rome, dans le temps que les Impériaux s’en rendirent maîtres. Le pape se consola de cette mort qui lui procurait deux cent mille écus en terres, il s’en servit pour payer sa rançon car Armellino mourut sans avoir fait de testament. [81]
- Moréri 1707, tome 2, page 94 – Jean de Carvayal, [315] gentilhomme espagnol injustement accusé d’avoir commis un meurtre, fut précipité, par ordre de Ferdinand, roi de Castille, [316] du haut d’un rocher. [317] On remarque qu’avant son exécution, il ajourna ce prince trop crédule à comparaître devant le Tribunal de Dieu dans trente jours, et que trente jours après son exécution, Ferdinand mourut subitement. [82][318]
- Moréri 1707, tome 2, page 41 – Lorsque Félix Peretti, depuis appelé le cardinal de Montalte, eut été créé pape sous le nom de Sixte v, [319] la Signora Camilla, [320] sa sœur, fut mandée à Rome. Quelques cardinaux, avertis de son arrivée, jugèrent à propos d’aller au devant d’elle ; et croyant faire leur cour au pape, ils firent habiller en princesse cette sœur qu’il aimait avec distinction ; ils la présentèrent ainsi au pape ; mais Sixte v, surpris de la voir dans un tel équipage, feignit de ne la pas connaître ; Camilla, qui s’aperçut de la délicatesse de son frère, parut le lendemain au Vatican avec ses habits ordinaires ; alors le pape l’embrassa et lui dit : « Vous êtes à présent ma sœur, et je ne prétends pas qu’un autre que moi vous donne la qualité de princesse. » Il la pria de ne lui demander aucune grâce, chose qu’elle observa avec tant d’exactitude qu’elle se contenta d’obtenir des indulgences pour une confrérie dont on l’avait faite protectrice. [83][321]
- Moréri 1707, tome 3, pages 272‑273 – Jean Hus, [322] qui renouvela dans le xive siècle les erreurs des vaudois [323] et de Wiclef, [324] fut condamné en 1415 à être brûlé avec ses livres. Un auteur de sa suite, qui était présent à son supplice, dit que Jean Hus monta sur le bûcher avec une intrépidité extraordinaire et qu’il mourut en chantant des psaumes et invoquant le nom de Jésus-Christ. Nous, qui sommes persuadés de la vérité de notre religion, aurions-nous à la défendre le même zèle qu’ont les hérétiques à soutenir leurs erreurs ? [84][325]
- Moréri 1707, tome 1, page 372 – Monsieur < Arnauld > d’Andilly, [326] père de Monsieur Arnauld de Pomponne, [327] secrétaire d’État et ambassadeur en Suède, quitta le monde à l’âge de 55 ans, et il se retira en l’abbaye de Port-Royal-des-Champs, [328] où sa mère, [329] six de ses sœurs et cinq de ses filles ont été religieuses. C’est pendant tout ce temps qu’il a fait ces excellentes traductions imprimées en 8 volumes in‑fo. Il a vécu près de 86 ans. [85]
- Moréri 1707, tome 1, page 656 – François Brian, [330] chevalier de l’Ordre < de la Jarretière > [331] et de la Maison de Bouillon < sic pour : Boulen >, connu sous le nom de Vicaire infernal, y reçut ce titre de Henri viii, roi d’Angleterre. Ce prince, dont les désordres ont fait la honte du siècle où il a vécu, avait habitude avec la femme de Thomas Boulen, il en eut deux filles qu’il aima, dont il eut ensuite des enfants. Demandant un jour à François Brian si c’était un grand crime d’entretenir la mère et la fille, Brian, qui n’avait pas l’âme fort scrupuleuse, répondit : « C’est comme si l’on mangeait la poule et le poulet. » Le roi ayant trouvé cette réponse plaisante, lui dit qu’il le prenait pour son Vicaire infernal, le nom lui en est resté. [86]
- Moréri 1707, tome 2, page 28 – Ce fut une certaine femme romaine, nommée Calpurnia, [332] qui plaida elle-même sa cause avec tant d’emportement et si peu de pudeur que les magistrats furent obligés de faire un édit par lequel ils défendaient aux femmes de plaider. [87]
- Moréri 1707, tome 3, page 489‑85 – Léon l’Isaurien, [333] empereur de Constantinople, se nommait auparavant Conon, dans le temps qu’il n’était que petit mercier. Portant ses marchandises de village en village, il fut rencontré par deux magiciens qui lui prédirent qu’il parviendrait à l’Empire. Il quitta son métier et s’enrôla. Après s’être signalé par quelques actions, il acquit la confiance de Justinien. [334] Celui-ci fut assassiné ; Bardanès, [335] son successeur, eut les yeux crevés ; Artemius, proclamé empereur sous le nom d’Anastase, [336] donna l’armée et la préfecture de l’Orient à Léon ; Théodose, [337] à qui Artemius avait été contraint de céder l’Empire, y renonça quelque temps après en faveur de Léon. Ainsi fut accomplie la prédiction des deux magiciens. Ce Conon persécuta l’Église et introduisit l’hérésie des Iconoclastes. [88][338]
- Moréri 1707, tome 2, pages 519‑520 – Chacun raconte à sa fantaisie l’histoire de Lucrèce. [339][340] Ceux qui ne la peuvent point révoquer en doute y donnent des interprétations malignes ; mais voici un trait de vertu qu’il est, ce semble, impossible de ne pas admirer : lorsque la ville d’Aquilée [341] en Italie fut prise par Attila, [342] une femme nommée Dugna, [343][344] voyant que ce prince, charmé de sa beauté, formait des desseins sur son honneur, le pria de monter dans une haute galerie, comme si elle eût voulu lui communiquer un secret important ; aussitôt qu’elle se vit en un lieu propre à se jeter dans la rivière qui arrosait les murailles du palais, elle se précipita en criant à ce barbare « Suis-moi si tu veux me posséder ! » Voilà une résolution bien hardie et un exemple de chasteté hors de tout soupçon. [89][345][346]
- Moréri 1707, tome 3, page 720 – François de Meinard, [347] de l’Académie française, [348] était de très bonne famille. Il fut président au présidial d’Aurillac [349] et on l’honora avant sa mort d’un brevet de conseiller d’État ; et fut secrétaire de la reine Marguerite, [350] ami de Des Portes, [351] camarade de Régnier, [352] et disciple de Malherbe. [353] Il fut connu très particulièrement du pape Urbain viii, [354] qui prenait plaisir de s’entretenir souvent avec lui de belles choses, et qui lui donna un exemplaire de ses poésies latines écrit de sa propre main. Le cardinal de Richelieu le connaissait, jamais il ne lui a fait de bien ; Meinard lui présenta un jour cette épigramme :
« Armand, l’âge affaiblit mes yeux,
Et toute ma chaleur me quitte,
Je verrai bientôt mes aïeux,
Sur le rivage du Cocyte. [355]
C’est où je serai des suivants
de ce bon monarque de France,
Qui fut le père des savants,
En un siècle plein d’ignorance. [356]
Dès que j’approcherai de lui,
Il voudra que je lui raconte
Tout ce que tu fais aujourd’hui
Pour combler l’Espagne de honte.
Je contenterai son désir
Par le beau récit de ta vie,
Et charmerai le déplaisir
Qui lui fit maudire Pavie. [357]
Mais s’il demande à quel emploi
Tu m’as occupé dans le monde,
Et quels biens j’ai reçus de toi,
Que veux-tu que je lui réponde ? »
Le cardinal rebuta cette épigramme et il répondit brusquement, contre sa coutume, au dernier vers : « Rien ! » Cela fut cause des pièces que Meinard fit contre lui après sa mort. [358] Quelque temps avant la sienne, il avait fait mettre sur la porte de son cabinet cette inscription, qui témoignait son dégoût pour la cour et pour le siècle :
« Las d’espérer et de me plaindre,
Des Muses, des grands et du sort,
C’est ici que j’attends la mort,
sans la désirer ni la craindre. » [90]
- Moréri 1707, tome 2, pages 421‑422 – Crœsus, [359] roi de Lydie, [360] eut trois fils, dont l’histoire a remarqué trois choses fort particulières. L’aîné, mis en otage dans le palais de Cyrus, trouva le secret de machiner une trahison contre ce roi ; elle fut bientôt découverte ; Cyrus, offensé de cette témérité, le fit tuer aux yeux mêmes de son père. Le puîné était muet ; Crésus consulta l’oracle sur sa cause et la durée de ce défaut naturel ; la réponse qu’il reçut fut qu’il ne devait pas souhaiter que son fils cessât d’être muet parce que le moment le plus malheureux de sa vie serait le moment où ce fils commencerait d’avoir l’usage de la parole ; la prédiction de l’oracle s’accomplit quelque temps après, car le jour même que Sardes, [361] capitale des États de Crésus, fut assiégée, un soldat persan, levant son cimeterre pour le tuer, le prince muet trouva, par un effort de crainte et de tendresse, moyen de s’expliquer ; la nature, qui le lui avait refusé, lui suggéra aussitôt ces paroles : « Arrête, soldat, ne porte point la main sur mon père » ; depuis ce moment, il continua de parler. Au contraire, le dernier des trois de Crésus eut de bonne heure la facilité de s’énoncer ; dès le berceau, il s’exprimait distinctement. [91]
- Moréri 1707, tome 1, pages 5‑6 – Pierre Abélard, [362] qui vivait dans le douzième siècle, fut estimé comme un des plus beaux esprits de son temps. Pendant qu’il enseignait la théologie à Paris, il s’instruisait chez un chanoine nommé Fulbert, [363] dont la nièce avait beaucoup d’inclination pour les hautes sciences. Cette fille, qu’on appelait Héloïse, [364] ne résista point à la passion qu’Abélard avait conçue pour elle. Leur amour éclata, et les preuves de leur commerce devinrent publiques. Fulbert prit le parti de chasser Abélard de sa maison, et Héloïse prit aussitôt celui de l’aller trouver en Bretagne, où elle accoucha d’un fils. Ils revinrent à Paris, le docteur fit à sa maîtresse des propositions de mariage ; elle refusa de les agréer, ne voulant priver l’Université d’un si habile professeur, ni l’Église, d’un homme qui devait devenir un de ses premiers ornements. Ces raisons touchèrent peu Abélard, il épousa Héloïse en secret et il la mit chez les religieuses d’Argenteuil. [365] Fulbert se plaignit et après avoir intéressé son valet à venger un tel outrage, il le fit eunuque. [366] Ce malheur le couvrit de honte. Pour la cacher, il se retira dans l’abbaye de Saint-Denis, [367] où il prit l’habit de religieux après qu’Héloïse eut fait profession dans le monastère d’Argenteuil. Les affaires que sa doctrine équivoque lui suscita l’obligèrent de sortir de l’abbaye. Il établit enfin son séjour dans le diocèse de Troyes, [368] il nomma son oratoire le Paraclet, [369] pour exprimer les douze consolations dont le Saint-Esprit le comblait. Sa solitude fut bientôt remplie d’un grand nombre de disciples, que sa réputation lui attirait de toutes les parties de l’Europe. Alors Suger, [370] abbé de Saint-Denis, persuadé que les religieuses d’Argenteuil ne vivaient pas régulièrement, les fit sortir de ce monastère, où il envoya des bénédictins. [371] Abélard offrit le Paraclet à Héloïse, elle s’y retira et vécut très saintement. Ce grand homme entretint avec elle ce pieux commerce de lettres, où il lui donne une forme de vie religieuse et l’éclaircissement de quelques endroits de l’Écriture. Sa subtilité parut suspecte à saint Bernard [372] et l’exposa à la censure d’un concile provincial. Abélard en appela au pape et il prit le chemin de Rome, et s’arrêta à l’abbaye de Cluny [373] où Pierre le Vénérable [374] lui donna l’habit de cet Ordre. [375] Ce docteur, soumettant toutes ces lumières à la pure vérité, songea moins à paraître savant qu’à vivre en saint. Ses grandes austérités abrégèrent le cours de sa vie, elle ne dura que soixante et trois ans, et fut terminée en 1145. Pierre le Vénérable apprit cette triste nouvelle à Héloïse, elle la reçut avec une tranquillité chrétienne et demanda, pour toute consolation, le corps de ce grand homme. L’abbé le lui envoya et le fit enterrer dans l’église du Paraclet. [92]
- Moréri 1707, tome 4, pages 669‑670 – Dresser des statues pour rendre éternelle la mémoire des hommes : il semble que cela n’était dû qu’aux grandes actions ; cette rare récompense du mérite est devenue peu à peu une invention ordinaire de la flatterie. Les Grecs établirent les premiers l’usage des statues ; il passa dans l’Italie : les statues de Romulus [376] et de ses successeurs, mises dans le Capitole, [377] furent presque les seules que l’on vit à Rome pendant qu’elle était gouvernée par les rois : celles de Brutus [378] et d’Horatius Coclès, [379] et plusieurs < autres > parurent bientôt après ; il en parut un si grand nombre que le Sénat ordonna qu’on ôterait des places publiques celles qui auraient été érigées sans son ordre ou sans l’aveu du peuple. Cette ordonnance ne fut observée que jusqu’au temps des empereurs. On vit alors plus de statues qu’auparavant. Les femmes obtinrent le droit de mettre les leurs dans les provinces, et même dans Rome. Les temples et les palais, les portiques, les amphithéâtres, les thermes et les places publiques étaient remplis de statues que le mérite ou la flatterie avait élevées. De là vint cette agréable raillerie d’un Ancien : « Il y avait dans Rome un peuple de marbre et de bronze qui égalait le nombre des citoyens. » La vanité, peu satisfaite du marbre et du bronze, employa l’argent sous le règne d’Auguste. Ses successeurs voulurent que les statues qui leur seraient consacrées dans le Capitole fussent d’or : Caligula, Claudius [380] et Commode [381] n’en voulurent point d’autres. Cette magnificence éclata encore sur la fin du quatrième siècle : Arcadius [382] fit faire la statue de l’empereur Théodose, [383] elle pesait sept mille quatre cents livres d’argent. [93][384]
- Moréri 1707, tome 2, page 492 – Demetrius Phalereus, [385] philosophe péripatéticien [386] qui vivait du temps d’Alexandre le Grand, a lui seul eu autant de statues que l’ambition de plusieurs en pouvait désirer. La ville d’Athènes lui en érigea trois cent soixante, dont plusieurs étaient élevées sur des chariots attelés à deux chevaux ; de toutes ces statues, il n’y en eut point qu’il ne méritât ; l’envie lui suscita bientôt après des persécuteurs, on conspira contre lui, il prit la fuite, on le condamna à mort ; ses ennemis, fâchés de ne le pouvoir prendre, renversèrent ses statues ; Demetrius l’ayant su, s’en moqua et dit : « J’ai sujet de me consoler du tort que mes ennemis font à mes statues, puisqu’ils n’ont point de pouvoir sur la vertu qui les a fait élever. » [94]
- Moréri 1707, tome 2, page 612 – Éleogabala [387] eut la plaisante et ridicule idée d’établir un Sénat de femmes pour juger les causes des personnes de ce sexe. Sa mère en était la présidente ; il eut ce dessein tellement en tête qu’il fit mourir plusieurs sénateurs qui ne l’avaient pas approuvé. [95] Les femmes ont peut-être souhaité de ne pouvoir être citées qu’à un tel tribunal, mais il leur serait moins favorable que celui des hommes : là, on n’aurait aucun égard à leur jeunesse, à leurs charmes, au lieu qu’une belle solliciteuse trouve le moyen de se rendre son juge favorable.
- Moréri 1674, pages 248‑249 – Jérôme Cardan, [388] médecin et astrologue de Milan, [389] vivait dans le seizième siècle. Il a beaucoup écrit. Sa vie est à la tête de ses ouvrages : quoiqu’il en soit l’auteur, il y rapporte, avec une sincérité admirable, il ne feint point de se dire illégitime. On sait que Jules Scaliger [390] fut son ennemi irréconciliable. Cardan avait pronostiqué l’an et le jour de sa mort ; le temps qu’il avait marqué étant arrivé, il jugea à propos de ne plus manger, afin de n’avoir pas le démenti de ses prédictions. Ainsi, l’amour de sa réputation l’emporta sur le plaisir de vivre : il mourut âgé de 75 ans ; sans doute aurait-il vécu davantage s’il avait eu moins d’entêtement de sa fausse science. [96][391][392]
- Moréri 1707, tome 2, pages 541‑542 – On voit des procureurs faire fortune, mais on n’en a jamais vu une pareille à celle de Jean de Dormans, [393] qui vivait en 1347. L’aîné de ses enfants fut évêque de Beaumont < sic pour : Beauvais >, [394][395][396] peu après cardinal, ensuite chancelier de France, [397] enfin légat du pape Grégoire x < sic pour : xi >, pour travailler à la paix entre le roi Charles v [398] et le roi d’Angleterre ; [399] c’est lui qui est le fondateur du Collège de Saint-Jean de Beauvais. [400] Le second des enfants de Jean de Dormans fut d’abord avocat général au Parlement de Paris, et puis chancelier ; [401] celui-ci eut plusieurs enfants, dont l’un eut aussi l’honneur de remplir cette première place de la justice. [402] En sorte que de la famille d’un procureur sont sortis trois chanceliers, un cardinal, un archevêque, car le troisième fils de Jean de Dormans eut premièrement l’évêché de Meaux [403] et bientôt après l’archevêché de Sens. [404][405] Jamais tant de dignités ne se sont rassemblées dans une famille plus obscure ni plus indigne. [97]
- Moréri 1707, tome 3, page 413 – Le pape Jules ii, dit auparavant Julien de la Rouvère, [406] avait l’esprit fort porté à la guerre. Il prit le nom de Jules en mémoire de Jules César, [407] et par l’imitation de celui d’Alexandre vi < sic pour : v >. [408] On ajoute que contre la coutume de ses prédécesseurs, il portait une longue barbe pour se rendre plus terrible à ceux qui le regardaient. Le pape capitaine commandait lui-même ses armées. Peu s’en fallut qu’un coup de canon ne l’emportât, il fit pendre le boulet dans l’église de Lorette. [409] La perte de la bataille de Ravenne, en 1512, [410] l’affligea beaucoup, son légat y fut fait prisonnier. [98] Il me semble que l’épée et l’Église sont deux professions qui ne sympathisent guère : quand les hommes veulent ainsi se transplanter, et de pape devenir capitaines, il faut donc choisir des prélats parmi les officiers.
- Moréri 1674, page 716 – Quand Innocent iii [411] fut élevé au pontificat, il n’était que diacre. Avant son couronnement on le sacra prêtre, puis évêque. On eut peine à le faire consentir à son élection, il ne l’accepta qu’après avoir eu des marques visibles de la volonté de Dieu. Ce pape refusa de se servir de vaisselle d’argent, il en fit distribuer le prix aux pauvres qu’il servait lui-même à table, et il se contenta d’en avoir de bois et de terre : grands exemples qui tentent peu de prélats ! [99]
- Moréri 1707, tome 3, page 480 – Leone < sic pour : Leene >, [412] femme courtisane d’Athènes, vivait en la soixante-sixième olympiade. Elle sut la conspiration d’Harmodius et d’Aristogiton, [413] de la famille d’Alenteon < sic pour : Alcméon >, [414] opposée à celle de Pisistrate. [415] Cependant, elle aima mieux se couper la langue avec les dents que de découvrir les coupables. Les Athéniens élevèrent en son honneur une lionne sans langue. [100][416]
- Moréri 1674, page 839 – Tertullien [417] et saint Jérôme [418] se servent fort souvent de l’exemple de Lucresse < sic pour : Lucrèce > pour persuader la pureté aux femmes chrétiennes. Saint Augustin [419] et quelques autres ont improuvé sa fureur, et c’est en ce sens que René Laurens [420] a publié cette belle épigramme :
Si fuit ille tibi Lucretia gradus < sic pour : gratus > adulter,
Immerito < sic pour : immerita > ex merita præmia morte petis.
Sin potius casto vis est allata pudori
Quis furor est, hostis crimine velle mori ?
Frustra igitur laudem captas, Lucretia : namque
Vel urina revis < sic pour : furiosa ruis >, vel scelerata cadis. [101][421]
- Moréri 1674, page 785 – Ce fut Léonidas, premier de ce nom, [422] roi des Lacédémoniens, qui défendit le détroit des Thermopytes < sic pour : Thermopyles > [423] contre une armée effroyable de Perses, conduite par Xerxès. [424] Il s’opposa à leur passage avec trois cents hommes seulement. Tous, à la vérité, aussi bien que Léonidas, y perdirent la vie, mais est-ce mourir que d’acquérir une gloire immortelle ? On dit que quand Léonidas partit de Sparte, sa femme lui demanda s’il n’avait rien à lui recommander : « Rien, répondit Léonidas, sinon que tu te remaries après ma mort à quelque grand homme, de qui tu aies des enfants qui me ressemblent. » Ce fut ce même roi qui fit cette réponse, aussi ingénieuse qu’intrépide, que tout le monde admire : quelqu’un disait pour l’étonner que le soleil serait obscurci des flèches des Perses, « Tant mieux, dit-il, nous combattrons à l’ombre ! » Voici un autre trait qui marque encore une grande âme : Xerxès lui ayant mandé qu’en s’accommodant avec lui, il lui donnerait l’empire de la Grèce, « J’aime mieux, dit-il, mourir pour mon pays que d’y commander injustement. » Quand on lui demandait pourquoi les braves gens préféraient la mort à la vie, la raison qu’il en donnait était « qu’ils tiennent celle-ci de la Fortune, [425] et l’autre, de la Vertu ». [102]
- Moréri 1674, page 793 – Il y avait du temps de Cicéron [426] un orateur aussi célèbre que lui, il s’appelait Caius Licinius Calicus < sic pour : C. Licinius Calvus >, [427] fils d’un des meilleurs poètes de son temps. Ses invectives étaient si fortes et si éloquentes qu’un certain Vatinius, [428] craignant d’être condamné, l’interrompit avant qu’il eût achevé son plaidoyer, et s’adressant aux juges, il leur dit : Rogo vos, judices, nam si iste disertus est, ideo me damnari oportet. [103][429][430] Ce Licinius mourut fort jeune. Où n’iraient point des hommes nés avec de si belles dispositions si la nature leur donnait une vie plus longue ?