L. française reçue 47.  >
De Charles Spon,
le 28 août 1657

De Lyon, ce mardi 28e d’août 1657.

Monsieur, [a][1][2]

J’ai reçu les deux vôtres dernières, l’une du 10e par M. Fourmy [3] et l’autre, du 21e du courant, par M. Robert, [1][4] procureur de notre Collège. [5] Je ne saurais vous exprimer avec quels sentiments de joie j’ai reçu l’une et l’autre, les voyant toutes remplies de marques visibles de votre affection dont je vous demeurerai obligé toute ma vie, sachant bien que quand j’aurais fait plus que mes forces ne portent, ce serait toujours au-dessous de ce que je vous dois et dont je ne m’acquitterai jamais. Je mets au rang de tant d’obligations les lettres et écrits derniers qui m’ont été délivrés de votre part par ledit sieur Fourmy, dont j’ai baillé sa part à M. le médecin Gras, [6] mon collègue, qui vous en remercie très affectueusement. Ce sont des pièces mémorables et élaborées qui méritent d’être conservées soigneusement. Quant à l’in‑fo intitulé Asiæ nova descriptio[2] que vous adressez à M. Volckamer [7] de Nuremberg, [8] je l’ai baillé au même marchand auquel j’avais remis, il y a trois semaines, les deux livrets in‑8o que vous m’aviez envoyés pour le même. Ce marchand, qui est facteur du sieur Fermond de Nuremberg, [3] fait balle cette semaine (à ce qu’il m’a assuré), dans laquelle il mettra tous les trois susdits livres. Je me suis amusé à visiter un peu ce dernier et ai reconnu par quelques passages, entre autres aux pages 40 et 58, que l’auteur qui l’avait compilé était jésuite. [4][9] Je ne sais si vous savez son nom, c’est bien merveille que l’auteur l’ait celé ; cette modestie est rare à ceux de cette Société, qui sonnent ordinairement la trompette pour peu de chose. [10] Demain doit partir de cette ville pour Paris un brave écolier en médecine allemand de Strasbourg nommé M. Dinckel, [11] auquel je viens de bailler un petit mot de lettre pour vous, lui ayant aussi remis un paquet qu’il m’a promis de mettre dans sa valise pour vous le rendre étant par delà ; comme aussi une feuille de l’Heurnius [12] qu’on imprime, que le sieur Huguetan [13] m’a baillée pour vous servir d’échantillon pour tout le reste de l’ouvrage. [5]

Vous trouverez dans ledit paquet vos manuscrits du sieur Hofmann [14] que j’avais entre mes mains depuis quelques années en çà[6] i. Il y a une copie, que j’ai faite, du traité de Calido innato et Spiritibus, dont je vous renvoyai l’autographe il y a quelque temps ; ii le traité de Humoribus, dont j’ai transcrit seulement les deux premiers cahiers que je vous envoie ; si j’eusse eu le loisir, je l’aurais tout transcrit afin qu’une si excellente pièce ne se vienne à perdre ; [15] iii le traité de Partibus similaribus. Outre lesquels manuscrits, je vous envoie encore un petit livret de Obsidione Fontirabiæ[7][16] fait par un jésuite. [17] Et voilà le contenu du dit paquet, lequel Dieu veuille préserver d’infortune, aussi bien que celui qui s’en charge, qui souhaite fort de vous voir, y ayant très longtemps qu’il vous connaît de réputation. Il est disciple du docteur Melchior Sebizius, [18] parent de feu le sieur Saltzmannus, [8][19] autre professeur de Strasbourg. Il vient depuis peu d’Italie, ayant le plus séjourné à Vérone [20] chez le sieur Petrus à Castro. [21] Il a eu lettres depuis quelques jours de ce pays-là, par lesquelles on lui donne avis de la mort du bonhomme Fortunius Licetus, [22] professeur de Padoue, [23] qui était en un âge décrépit. On lui mande aussi qu’un autre professeur du dit lieu, nommé Guido Anton. Albanesius, [24] âgé de 46 ou 47 ans, avait été malheureusement assassiné à la porte d’une église par un certain écolier en médecine auquel il avait refusé sa voix en quelque rencontre[9] Ô l’abominable pays où l’on ne fait pas plus de difficulté de tuer un homme qu’une mouche ! Gardez-vous bien, mon cher ami, de penser d’aller jamais là, quelque belles offres que l’on vous fasse. Dites-leur, comme fit saint Pierre à Simon le Magicien, [25] Pecunia tua tecum sit in perditionem[10][26] pour parler aux termes de la Vulgate, [27] ou, pour parler avec Bèze, [28][29] Pecunia tua tecum pereat ! [11] Heu fuge crudelis terras ! [12][30] Mais vous êtes bien à Paris, grâces à Dieu, n’en bougez point ; mais vous êtes trop sage pour faire autrement et mes conseils sont hors de saison sur ce point-là. Toutefois, vous permettrez bien, s’il vous plaît, que je vous témoigne par là l’affection que je vous ai vouée. Res est solliciti plena timoris amor ! [13][31] Je tremble quand je pense à la barbarie qui règne en ce climat-là, et nous trouve encore heureux en France au prix de ces lieux-là, nonobstant toutes les autres misères que nous y voyons. Non obtusa adeo gestamus pectora Galli, Nec tam aversus equos nostris Sol iungit ab oris, Speramusque Deum memorem fandi atque nefandi[14][32] Je ne doute point qu’un jour la vengeance divine ne se réveille pour faire périr toute cette maudite nation, avec d’autant plus de sévérité qu’elle l’a plus attendue à repentance. Consuevere nimirum, (disait César) dii immortales interdum hominibus diuturniorem impunitatem concedere, quos pro scelere eorum ulcisci parant[15][33] Malis (disait Lactance) quanto serius, tanto vehementius mercedem scelerum exolvit Deus[16][34] Mais trêve de lieux communs, avez-vous point encore reçu votre Sennertus [35] que M. Devenet [36] a envoyé à Paris dans une de ses balles ? [17] Si cela n’est fait, il ne doit guère plus tarder. Je soupai le 20e du courant chez M. Gonsebac, [37] mon compère, où était un marchand de Marseille [38] nommé M. David [39] qui a longtemps demeuré à Gênes [40] et qui en partit seulement au commencement de la peste [41] de ladite ville. Je lui demandai s’il ne connaissait point M. Musnier, [42] le médecin, et qu’est-ce qu’il était devenu. Il me dit qu’il le connaissait fort bien, qu’il avait appris que mademoiselle sa femme était morte de la contagion ; [18][43] mais que pour sa personne, il n’en avait rien pu apprendre. Je crains fort que le pauvre homme n’ait passé le pas s’il ne s’est sauvé de bonne heure, comme ont fait la plupart des meilleurs bourgeois de cette pauvre ville qui est dans une désolation épouvantable. J’estime bien fort avec vous la générosité de ceux de Rotterdam [44] de vouloir faire imprimer à leurs dépens toutes les œuvres de leur compatriote, le grand et incomparable Érasme. [45] J’ai su de ceux qui y ont été qu’ils lui ont érigé, il y a longtemps, une statue de bronze dans une place publique. [19][46] À ce que je recueille de votre lettre, nous ne manquerons pas de Celse [47] à l’avenir puisque le sieur Vander Linden, [48] le sieur Rhodius [49] et le sieur Mentel [50] en promettent chacun une édition. [20][51][52]

La reine de Suède [53] est toujours en notre voisinage, au faubourg de la Guillotière, [54] où elle < est > visitée de diverses personnes de toutes conditions. [21] Je n’ai pas eu la curiosité d’y aller perdre quelque heure de temps, crainte de revenir de là tout aussi savant que j’y serais allé. L’on croit ici qu’elle a envie de retourner encore à Paris et qu’elle n’attend là-dessus que la volonté des puissances. Le sieur Meyssonnier [55] m’a fait présent de son livret intitulé Medicina spiritualis, aussi bien qu’à vous ; [22] mais je suis comme vous, je le trouve trop long et ennuyeux, tout court qu’il paraisse, et crois qu’il ferait beaucoup mieux s’il s’abstenait de tant gratter et gâter le papier. Je vous remercie de ce que vous avez tâté le pouls à notre partie, le sieur B. < Basset >, [56] touchant quelque accommodement entre notre Collège et lui. Je crois que si, au lieu de faire offre de faire son acte de pratique, il offrait de faire un autre acte de théorie comme le Collège le lui ordonnait, et qu’il témoignât être marri de ce qu’il a publié contre le Collège et qu’il remboursât au Collège de bonne grâce les frais auxquels il l’a mis de gaieté de cœur, que son affaire serait tantôt vidée et que, tout bien compté, il trouverait d’avoir plus gagné à en user de la façon qu’à obtenir un arrêt à sa poste, [23] qui ne lui causerait un jour que des déplaisirs continuels et une haine implacable de tout un Corps considérable et (si j’ose dire) formidable à tout particulier. [24] Si vous lui en voulez encore toucher quelque chose et continuer à lui offrir votre entremise envers le Collège pour le mettre bien avec lui, vous le pouvez faire ; et je sais que, s’il se relâche de son orgueil, le Collège fera pour lui tout ce qu’il pourra. Je souhaiterais que vous eussiez assez de bonheur pour ramener cet esprit à son devoir, mais je doute fort qu’il sera assez docile pour cela. En tout cas, M. Sauvageon [57] ne manquera point, à son ordinaire, à lui montrer les dents, qu’il a belles, grandes et déchaussées. À propos des déchaussés, il y a 15 jours que le général de l’Ordre des capucins[58] après qui le pauvre monde court comme il ferait après saint Pierre pour le pouvoir seulement toucher, passa par cette ville, d’où il a pris le chemin de Bourgogne par eau. [25][59] L’on va imprimer en cette ville l’Histoire généalogique des maisons de Savoie faite par le sieur Guichenon, [60] avocat de Bourg-en-Bresse, [61] où il y aura plus de 500 figures. [26] C’est le sieur Barbier [62] qui doit y travailler, à ce qu’il m’a dit.

Je suis bien aise que vous ayez eu des lettres du sieur Horstius [63] et que vous ayez reçu son Manuductio ad medicinam, dont le bonhomme se fait fête. Il n’est plus à présent professeur, il est médecin ordinaire et courtisan du landgrave de Darmstadt, [64] lequel il a mené cet été aux bains d’Ems, [65][66] à ce qu’il m’a mandé. [27] Les sieurs Huguetan et Ravaud menacent toujours qu’ils feront imprimer le Cardan ; [28][67] mais de savoir quand cela sera, il en faudrait aller au devin. Voilà tout ce que j’ai à vous dire pour cette heure. Si quelque chose a échappé à ma mémoire, pardonnez-le, s’il vous plaît, à ma précipitation, n’ayant pas beaucoup de temps de reste pour le présent. Je vous baise très humblement les mains, et à Messieurs les docteurs vos fils, vous suppliant de m’aimer toujours et d’être très persuadé que je suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Spon, D.M.

Mes baisemains, s’il vous plaît, à MM. Sauvageon et Du Prat.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 28 août 1657

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(Consulté le 24/04/2024)

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