L. française reçue 56.  >
De Charles Spon,
le 23 avril 1658

De Lyon, ce mardi 23e avril 1658.

Monsieur, [a][1][2]

Je m’en vais employer ce peu de temps qui me reste à m’entretenir tout doucement avec vous, persuadé que je suis que vous n’en serez pas fâché. Et premièrement, j’ai à vous donner avis de la réception des deux vôtres dernières, l’une du 29e mars et l’autre du 9e du courant, lesquelles m’ont fort réjoui par la variété des nouvelles qu’elles m’ont apprises, et surtout par celle de votre prospérité et santé, dont je vous souhaite la continuation tant que vous durerez, qui sera bien longtemps si la chose pouvait dépendre de moi. Notre M. Robert [3] a rendu tellement quellement compte de son dernier voyage de Paris. [1] Nous n’y voyons pas encore bien clair, mais on le soupçonne de connivence avec le petit chien de chasse qui Collegium allatrabat [2][4][5] et qui est encore par delà, dont nous ne nous tourmentons guère. M. Devenet [6] m’a dit que le Gassendi sera bientôt achevé, [7] mais que le Paracelse [8] de Genève ne serait pas si tôt prêt. Votre épître à M. Gassendi [9] sera mise en son rang suivant sa date, à ce que M. de La Poterie [10] m’a fait entendre, lequel je n’ai pas vu du depuis. [3][11] Le Ciaconius de Vitis pontificum[12] à ce que m’a dit M. Arnaud [13] le libraire, s’imprime à présent à Rome avec plusieurs augmentations ; que s’il peut une fois être fait, ledit sieur Arnaud et sa compagnie font état de l’imprimer ici sur cette dernière copie, et non devant, afin d’éviter toute mauvaise prophétie. [4] Vous avez su que le sieur Andr. Argolus, [14] grand mathématicien de Padoue, y mourut le 17e septembre de l’an passé[15] Cela est cause que ses livres sont à présent plus de requête qu’ils n’étaient ; c’est pourquoi l’on imprime de nouveau en cette ville ses Éphémérides, comme la pièce la plus curieuse de toutes, et puis l’on viendra aux autres œuvres. [5] J’écrivis dimanche dernier au sieur Jean Daniel Horstius [16] et lui fis vos baisemains, lui marquant aussi (comme vous m’en donniez la charge) qu’il ne vous envoyât pas Mœbii Fundamenta medicinæ physiolog[6][17] Ces jours passés, un brave jeune homme allié du dit sieur Horstius, étudiant en médecine et revenant de Montpellier, me vint saluer céans. Il se nomme Laurentius Straussius [18] et me témoigna de se repentir d’être allé perdre son temps à Montpellier où il n’avait vu que quelque lambeau d’anatomie cet hiver, au lieu que s’il fût allé à Paris, il aurait pu se saouler d’en voir, comme c’était son plus grand souhait venant en France. Il s’en va à Bâle [19] pour y prendre ses degrés par ordre de ses parents, mais avec regret de n’avoir pas vu Paris, et particulièrement mal satisfait d’avoir déféré au sieur Horstius, son parent, qui lui avait si fort conseillé d’aller à Montpellier. [7] Il m’a dit qu’il avait autrefois demeuré à Iéna, dans la Thuringe, [8][20] chez M. Mœbius et qu’il y avait connu le sieur Rolfinckius, [21] professeur anatomique, qui était un grand et puissant corps ; que l’un et l’autre de ces deux Messieurs étaient souvent en campagne, absentant ainsi l’Académie, à cause qu’ils étaient archiatres de quelques princes voisins, à la cour desquels ils étaient obligés de rendre leurs services. Je vous remercie de l’avis que vous me donnez touchant la bévue faite par ceux d’Utrecht dans la vie du bienheureux Fernel. [22] Je tâcherai d’y faire corriger une si lourde faute si l’on me donne à prélire le premier volume ; sinon, j’en avertirai ceux qu’il appartiendra, qui vous en auront l’obligation, aussi bien que la postérité à laquelle ce livre parviendra.

Je reçus, il y a dix ou douze jours, par un ami venant de Vérone, [23] une lettre fort obligeante du docteur Petrus à Castro [24] avec un petit livre nouveau qu’il a fait, ayant pour titre de Peste Neapolitana, Romana et Genuensi[9][25] dont je l’ai remercié, lui ayant fait réponse en français comme il m’écrivait aussi. Il est en grande réputation parmi les Septentrionaux et se l’est acquise par son humeur obligeante envers les écoliers en médecine qu’il mène vers ses pratiques, et même les reçoit en pension dans son logis. M. Volckamer [26] avait autrefois été son pensionnaire, comme a été du depuis M. Dinckel [27] que vous avez vu à Paris ; à propos duquel je vous prie me mander s’il ne vous a point laissé l’adresse du lieu en Poitou où il est allé, ni le nom de ce gentilhomme avec lequel il s’est retiré pour y passer l’été prochain.

M. l’abbé d’Aisnay, [28] notre archevêque, s’en est allé à Paris où il doit être déjà arrivé. L’on dit ici que M. Pelaut, [29] intendant de la justice dans la province du Dauphiné, [30] a été appréhendé par le parlement de Grenoble, étant accusé de divers excès commis par les troupes qu’il a mises en besogne, et surtout pour avoir fait pendre une pauvre femme, laquelle était enceinte, accusée d’avoir sonné le tocsin, ce qui aurait fait prendre les armes aux habitants du lieu où elle demeurait. [31] J’ai reçu ces jours passés une lettre de M. Lyonnet, [32] du Puy en Auvergne, [33] qui m’encharge fort de vous présenter ses très humbles baisemains, m’assurant qu’il vous avait écrit depuis notre entrevue en cette ville. [10] Il me mande qu’il a dessein de faire un commentaire sur le livret d’Hippocrate περι νομου, [11][34] afin d’avoir occasion de montrer combien d’erreurs la malice et l’ignorance des personnes a fait glisser dans notre profession ; mais il se plaint de son peu de santé, ayant eu depuis quelque temps quelques fâcheuses attaques de vertige, [35] avec appréhension de quelque chose de pis, de quoi je prie Dieu le vouloir préserver.

Nous voyons ici diverses personnes qui meurent assez subitement, [36] et principalement de celles qui sont âgées. On écrit de Saint-Gall [37] en Suisse que le même s’y remarque aussi. Pour des maladies de longue haleine, [12] nous n’en voyons guère à présent régner. Notre campagne commence à se rendre belle et à nous faire voir force fleurs d’arbres. Dieu veuille que l’abondance des fruits corresponde à une si riche montre et ne trompe point l’espérance qu’elle nous donne ! Pour la guerre de cette année, vous en savez mieux sans doute les préparatifs que moi. Je crains fort que la principale fusée qu’on aura à démêler ne soit en Allemagne où, [13] selon toutes les apparences, les Suédois minutent de faire irruption du côté de la Silésie [38] après s’être accommodés avec le vénérable électeur de Brandebourg [39] et le roi de Pologne, [40] comme on croit qu’ils sont prêts à faire. [41] Le roi de Danemark [42] se doit joindre à eux, comme l’on croit aussi, ce qui fortifiera beaucoup le parti. J’ai bien encore d’autres spéculations là-dessus, mais comme je me doute fort qu’elles ne soient trop creuses, je ne m’y veux pas enfoncer davantage. Aussi bien, l’heure d’envoyer à la poste me presse et après tout, je vous en ai assez conté, ce me semble, pour ce coup ; et il est temps que je me prépare à vous entendre parler à votre tour. Adieu Monsieur, je vous baise les mains de toute mon affection. Ma femme [43] qui est ici présente vous en fait de même, comme nous faisons aussi, avec votre permission, à Mlle Patin [44] et à Messieurs vos fils les docteurs, [45][46] vous suppliant d’être entièrement persuadé que je suis, avec tout le zèle dont un homme est capable, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Spon, D.M.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 23 avril 1658

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(Consulté le 05/12/2024)

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