L. 1.  >
À Claude I Belin,
le 20 avril 1630

Monsieur, [a][1]

J’ai bien peur que ne trouviez étrange qu’un homme à vous inconnu tel que je suis, poussé d’une seule curiosité, ose bien vous adresser ce petit mot de supplication. C’est, Monsieur, que depuis six ou sept ans je me suis mis à rechercher curieusement des antiquités de notre École de médecine de Paris ; et après en être venu à bout, un autre désir m’est venu, savoir de ramasser toutes les thèses [1][2][3] qui ont été soutenues dans nos dites Écoles, desquelles j’en ai fait un nombre de plus de 500, principalement de toutes celles qui depuis 20 ans en çà y ont été disputées ; mais d’autant que je n’en trouve pas si aisément de celles de votre temps, [2] comme nous étant plus éloigné, je vous prie, Monsieur, fort affectionnément, de me faire cette faveur que de m’en donner quelques-unes de reste si en avez encore, soit des vôtres, soit des autres compagnons de votre cours, soit de quelque cours au-dessus ou au-dessous du vôtre. M. Le Vignon, [3][4][5] qui m’a donné charge de vous baiser les mains, qui vous a été compagnon de licence, [4][6] m’a donné espérance de pouvoir impétrer [5] cela de vous. J’en ai nombre d’anciennes, mais je n’en ai aucune de votre cours, qui fut en 1593 et 1594 ; [7] même ledit M. Le Vignon n’en a aucune. Je vous les demande à tel prix qu’il vous plaira, et m’offre de vous en faire satisfaction à votre plaisir, soit en argent, soit en livres ou en toute telle autre chose qu’il vous semblera bon de choisir. Si vous me daignez faire cette faveur, vous aiderez beaucoup à contenter la curiosité de l’esprit d’un jeune médecin de Paris qui, en récompense, vous servira en toute occasion où il vous plaira l’employer, et qui sera toujours, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur.

Guy Patin, natif de Beauvais, [6] docteur en médecine à Paris.

De notre maison de Paris, ce 20e d’avril 1630.

Si désirez, Monsieur, de m’en envoyer quelques-unes, vous le pourrez faire par le messager de votre ville, et adresser le petit paquet en la rue des Lavandières, près Sainte-Opportune, à Paris, [7][8][9] chez votre serviteur bien humble, Patin.


a.

Ms BnF no 9358, fo 4 portant le titre Lettres de feu M. Guy Patin, doyen de l’Université et professeur en médecine au Collège royal de Paris, lettre i à M. B., D.M., D.T. [M. Belin, docteur en médecine, demeurant à Troyes] ; Triaire no i (pages 3‑5) ; Reveillé-Parise no i (tome i, pages 1‑2).

Le manuscrit de la BnF s’ouvre (fo 4) sur cette courte annonce au lecteur, « Ce recueil a appartenu à M. Claude Brossette avocat aux Cours de Lyon et ancien échevin, qui lui a été donné par Antoine Briasson, libraire, en 1695. », placée en regard du portrait gravé de Guy Patin, fait en 1670 par Antoine Masson (le même qui accueille les lecteurs de la présente édition électronique de sa Correspondance).

Le fo 2 est un grand portrait gravé de son fils Charles, en compagnie de son épouse, née Madelein Hommetz, et de ses deux filles, intitulé Familia Caroli Patini,/ a Nat. Iouvenet picta Patavii, 1684 [Famille de Charles Patin,/ fait en 1684 par Noël Jouvenet, peintre de Padoue]. On y voit de gauche à droite : la fille cadette, Charlotte-Catherine, debout, tenant une sphère armillaire (v. note [30] du Faux Patiniana II‑2) dans la main droite ; Charles Patin, assis ; son épouse, debout, tenant le bras droit sur l’épaule gauche de son mari, et un portrait de Guy Patin dans la main droite ; la fille aînée, Gabrielle-Charlotte, assise, tenant sur les genoux un livre ouvert (v. notes [32], lettre 146, pour Charles Patin et sa famille, et [165] des Déboires de Carolus, pour ses deux filles).

L’adresse de cette première lettre est « À Monsieur/ Monsieur Belin,/ Docteur en médecine à Troyes ». Le doublement emphatique du mot Monsieur était alors ordinaire dans les suscriptions de lettres : à Monsieur N. est une simple déférence ; à Monsieur, Monsieur N. est une déférence double. On le retrouve dans toutes les adresses écrites de la main de Patin.

Cette première lettre du recueil est la seule qui soit adressée à Claude i Belin, l’aïeul, que les précédents éditeurs, à l’exception de Finot, ont ici confondu avec son fils, Claude ii, destinataire de la lettre suivante et de bien d’autres (v. la biographie des Belin et la note no [5], lettre 2) ; Claude i Belin, alors âgé de 81 ans, devait être très affaibli et incapable de répondre à Patin ; il allait mourir le 8 juin suivant (v. note [5], lettre 4). Les transcripteurs des anciennes éditions ont surchargé les lettres mansucrites d’annotations que nous n’avons pas jugé utile de prendre en compte.

1.

Après avoir étudié la philosophie et les lettres à la Faculté des arts (Collège des Quatre-Nations, v. note [8], lettre 679) pendant deux ans, un jeune homme obtenait une maîtrise ès arts et pouvait être admis à devenir étudiant (écolier) en médecine (philiatre) de la Faculté de Paris. Au bout de quatre ans de leçons assidues, un rude examen sélectionnait les bacheliers (v. note [2], lettre 39). La licence (autorisation de pratiquer la médecine, v. infra note [4]) venait deux ans plus tard, puis le doctorat et la régence (autorisation d’enseigner la médecine) six mois après. Le Corps des docteurs régents formait une Assemblée de quelque 120 médecins ayant seuls le droit d’exercer et de professer la médecine à Paris.

Tous les membres de la Faculté, depuis le plus jeune étudiant (candidat ou philiatre) jusqu’au doyen élu par ses pairs et au plus ancien régent (doyen d’âge) portaient, leur vie durant, le titre de Maître, par référence à la maîtrise ès arts qui leur avait permis d’y être intégrés. Le mot docteur n’était pas un titre, mais un grade, et ne se plaçait jamais devant le patronyme d’un médecin de la Faculté de Paris. On utilisait aussi couramment le simple titre de Monsieur.

La préparation à la licence exigeait la soumission (dispute) de trois thèses (questions ou actes). Deux étaient dites quodlibétaires (de quod libet, « ce qui plaît »), en référence à la méthode scolastique (v. note [3], lettre 433), parce qu’à la question posée (Estne « proposition » ?), on pouvait répondre par l’affirmative (Ergo « proposition ») ou par la négative (Non ergo « proposition ») ; l’une portait sur la physiologie (choses naturelles) et l’autre sur la pathologie (choses contre nature). Les statuts de 1350 (v. notule {b}, note [3], lettre 3) avaient instauré le principe des deux quodlibétaires. La troisième thèse, bien qu’elle fût aussi quodlibétaire dans son principe, était appelée cardinale (en mémoire du cardinal Guillaume d’Estouteville qui en avait institué la règle lors de sa réforme de 1452, v. notule {r}, note [57] du Faux Patiniana II‑7) ; elle portait sur une question d’hygiène (choses non naturelles, v. note [13] des pièces liminaires du Traité de la Conservation de santé). Les thèses étaient toutes soutenues et disputées publiquement en latin. Aucune ne pouvait l’être sans avoir préalablement reçu l’approbation du doyen, qui vérifiait que le sujet et la conclusion s’accordaient avec l’orthodoxie défendue par la Faculté (ce qui donna lieu à quelques querelles retentissantes dont la correspondance de Guy Patin a transmis l’écho).

Entre mai et juillet de la seconde année se déroulaient les épreuves proprement dites (questions orales) de la licence et les lauréats étaient classés selon leur rang (lieu) de mérite, sans jamais négliger les appuis dont ils bénéficiaient (v. note [8], lettre 3). Les actes du doctorat et de la régence se disputaient après six mois à un an (selon le lieu de la licence), sans laisser de trace imprimée ou manuscrite autre que l’énoncé de la question mise en débat, soigneusement consigné dans les Commentaires de Faculté. Le docteur devenait régent en présidant sa première quodlibétaire.

Les régents présidaient à tour de rôle en suivant un ordre qui était réglé un peu différemment pour les quodlibétaires (v. note [18], lettre 459) et pour les cardinales (v. note [1], lettre 471). En aucun cas le président ne choisissait son bachelier, ni réciproquement : tout était déterminé par l’ancienneté du président sur le tableau des docteurs et par le classement de l’étudiant au baccalauréat. Avec une moyenne de sept bacheliers reçus aux Écoles tous les deux ans, le débit des thèses parisiennes imprimées était d’une dizaine par an.

Les trois thèses étaient rédigées par le président ou, moins ordinairement, par le bachelier (v. note [11], lettre 3). Dans ses lettres, Guy Patin a signalé avoir été l’auteur de ses deux quodlibétaires mais non de sa cardinale, et a revendiqué comme siennes les thèses qu’il a présidées par la suite. Toutes les thèses étaient obligatoirement imprimées (au frais du candidat) pour être distribuées et diffusées. Les quodlibétaires avaient la forme d’une feuille (placard ou affiche in‑fo) qui était imprimée d’un seul côté, sauf texte trop long. Le corps de la thèse pouvait en effet être précédé d’une dédicace du candidat adressée à une éminente personnalité non médicale du moment (membre du Parlement, ou même du gouvernement), avec, pour les bacheliers les plus fortunés, une gravure originale. La thèse proprement dite était généralement introduite par une invocation Deo opt. max. uni et trino, Virgini Deiparæ, et S. Lucæ orthodoxorum medicorum patrono [à Dieu très bon et tout-puissant, qui est une et trois personnes à la fois, à la Sainte Vierge, mère de Dieu, et à saint Luc, patron des médecins orthodoxes] ; avec, au-dessous, le nom du président, la date de dispute et la question posée. Le texte était bâti en cinq articles correspondant chacun à une proposition : exposition, développement, établissement, discussion, conclusion affirmative ou négative (v. l’alinéa 1 de la notice sur Hyacinthe-Théodore Baron dans la Bibliographie). Une lettrine plus ou moins richement ouvragée était placée en tête de chacune des cinq sections. En bas de la feuille, figuraient les noms du candidat et des neuf membres du jury (sans le président), rangés par ordre d’ancienneté croissante. La présentation des cardinales était plus sobre. En novembre 1662, le format in‑fo fut remplacé par l’in‑4o, plus commode à manier et à ranger.

Les Comptes de la Faculté de médecine de Paris rendus le 26 janvier 1652 par Guy Patin pour la première année de son décanat (novembre 1650-novembre 1651) donnent le montant des droits que le bachelier devait payer pour la soutenance de ses thèses :

Ces sommes étaient modiques, mais n’incluaient ni les frais d’impression ni les honoraires privés, de montant inconnu, directement versés aux docteurs régents qui participaient à l’acte (v. note [60] des Décrets et assemblées de 1651‑1652 dans les Commentaires de la Faculté).

En l’absence de journaux médicaux (apparus au xixe s.), les thèses imprimées, avec les livres (plus encombrants et plus coûteux), véhiculaient alors les progrès (toujours laborieux et hautement polémiques) du savoir médical. Ainsi que tous ses confrères, Guy Patin y prêtait donc un immense intérêt, comme on le voit dès cette première lettre. La suite de sa Correspondance montre qu’il cherchait à se procurer ces « disputations », tant françaises qu’étrangères, avec une remarquable avidité, pourvu qu’elles fussent écrites en latin (comme c’était presque toujours la règle).

La Bibliothèque interuniversitaire de santé (BIU Santé) conserve précieusement et met en ligne les originaux de toutes les thèses disputées au xviie s. à la Faculté de médecine de Paris, que Baron a soigneusement répertoriées. Son catalogue couvre les années 1539 à 1752. Il ne subsiste aucune trace des thèses disputées pendant les trois premiers siècles de la Faculté : pas même leurs titres, qui n’ont été transcrits dans les Commentaires qu’à partir de 1539.

Notre édition contient la reproduction, le texte latin intégral et la traduction commentée de trois thèses que Guy Patin a écrites et présidées :

V. la fin de L’homme n’est que maladie, pour la critique pertinente, mais dénuée d’effet, qu’Alexandre Le François a publiée en 1720 sur le contenu des thèses médicales au xviie s.

2.

Claude i Belin avait été reçu bachelier de la Faculté de médecine de Paris en 1588, puis licencié en 1594 (v. note [2] de la notice biographique des Belin) ; s’il était docteur, il avait reçu le bonnet dans une autre Faculté.

3.

Quirin Le Vignon (Clermont-en-Argonne vers 1557-Paris 19 avril 1649), avait été reçu licencié (1606), puis docteur régent (1607), et élu doyen de la Faculté de médecine de Paris (nov. 1614-nov. 1616). Conseiller médecin du duc d’Orléans, il n’a rine publié d’autre que ses thèses.

Guy Patin avait une profonde admiration pour Le Vignon en raison du décret contre les médicaments chimiques qui avait été prononcé sous son décanat, le 18 octobre 1615 (v. note [11], lettre 311). V. note [33], lettre 335, pour François Le Vignon, fils de Quirin, qui n’adhéra pas aux opinions dogmatiques de son père.

4.

Deuxième grade universitaire de médecine, qu’on obtenait deux ans après le baccalauréat (v. note [2], lettre 39) et ordinairement six mois à un an avant le doctorat, la licence de médecine, déjà évoquée à propos des thèses (v. supra note [1]), conférait le droit d’exercer. Pour un médecin, l’année, les compagnons et le lieu (classement, v. note [8], lettre 3) de sa licence demeuraient le repère immuable et indélébile de ses études à la Faculté, avec ses trois thèses de bachelier. Le baccalauréat, le doctorat ou même la régence (première présidence d’une thèse) étaient d’ordinaire moins profondément gravés dans ses souvenirs d’étudiant. À cet égard, et bien qu’elle fût de nature tout à fait différente, la licence était un peu l’équivalent de ce qu’est aujourd’hui le concours d’internat (examen classant national). Comme le baccalauréat, la licence avait lieu chaque année paire. Élu doyen pour deux ans en novembre 1650, Guy Patin en a relaté tout le cérémonial : v. les Décrets et assemblées dans ses Commentaires de la Faculté, en date des dimanches 21 et 28, et du lundi 29 juillet 1652. Son épreuve la plus surprenante aujourd’hui était l’examen particulier des candidats (dont le nombre variait de 4 à 10 par promotion) par chacun des quelque 120 docteurs régents de la Faculté (v. note [13], lettre 155).

Quirin Le Vignon se trompait probablement quand il lui disait avoir été compagnon de licence de Claude i Belin : le premier a été reçu licencié en 1606, et le second en 1594. Le Vignon ne figure pas parmi les 15 bacheliers reçus la même année que Belin (en 1588). Les deux médecins avaient en commun l’âge tardif de leur installation définitive : Belin ne s’établit à Troyes que vers 1594, autour de 45 ans, et Le Vignon ne devint régent à Paris qu’en 1607, à 50 ans ; tous deux avaient connu une éclipse de plus de dix ans entre le début et la fin de leurs études médicales, sans doute due aux graves perturbations qui agitèrent la France avant et après l’assassinat de Henri iii (1er août 1589) ; les Statuta F.M.P. de 1598 (art. xlix) font allusion à la vacuité des bancs de l’École qui en résulta :

Quod si Facultas Baccalaureorum inopia laboraret (quod expertum est hoc infœlici sexennio)…

[Que si la Faculté souffre d’un manque de bacheliers (comme c’est arrivé au cours des six malheureuses dernières années)]…

5.

Impétrer : « obtenir quelque grâce, faveur, don, ou privilège » (Furetière).

6.

Natif d’Hodenc-en-Bray, dans le Beauvaisis, le 31 août 1601, Guy Patin abrégeait volontiers sa signature en G.P.B. (Guy Patin natif de Beauvais, ou plus exactement du Beauvaisis [Beauvaisin], Guido Patin Bellovacus).

7.

La rue des Lavandières-Sainte-Opportune existe toujours dans le ier arrondissement de Paris : partant du quai de la Mégisserie, elle passe derrière le théâtre du Châtelet, croise la rue de Rivoli, et aboutit à la rue des Halles. Au temps de Guy Patin, la rue des Lavandières en était le tronçon qui allait de la rue Saint-Germain-l’Auxerrois, au sud, à l’église Sainte-Opportune (v. note [51] des Décrets et assemblées de la Faculté en 1651‑1652 dans les Commentaires de la Faculté), au nord.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude I Belin, le 20 avril 1630

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(Consulté le 24/04/2024)

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