L. 17.  >
À Claude II Belin,
le 6 février 1634

Monsieur, [a][1]

C’est avec beaucoup de regret et de ressentiment de votre perte [2] que je vous écris la présente ; [1] ce que j’eusse fait plus tôt si la nouvelle que j’en ai apprise ne m’eût tellement étonné que j’ai été plus de huit jours sans me pouvoir résoudre d’en mettre la main à la plume, sachant bien que mon style n’est guère consolatif, et vous prie de n’en attendre de moi aucune, [2] vu que moi-même, à cause de vous, en aurais besoin, et ne m’en veux mêler, de peur de ressembler à ces anciens ambassadeurs grecs qui, après le deuil passé de la mort du fils de Tibère, [3] vinrent pour consoler le père qui se moqua d’eux ; [3][4][5] et prie Dieu que n’en ayez plus guère besoin quand vous recevrez la présente. La mauvaise disposition de ses entrailles, son mauvais foie et sa triste et pâle couleur ont été capables de vous avertir du malheur qui la suivait de près ; et croyant bien que l’avez prévu, cela vous doit servir à modérer votre douleur, ayant reconnu qu’il n’y avait point de remède. Prava diathesis iamdudum fixa in hepate, summam vitæ brevem pollicebatur, spemque vetabat inchoare longam[4][6] Pour vous le dire en un mot, j’en porte le deuil comme vous et en ai un grandissime regret, et vous puis assurer que ma femme même en a été fort touchée. Je voudrais bien avoir ou savoir quelque chose qui fût capable de vous consoler. [7] Il n’y a rien ici de nouveau. Le marquis de Coislin, [8][9] fils aîné de M. de Pont-Château, [10][11] parent de M. le cardinal[12] épousa avant-hier la fille aînée de M. le garde des sceaux[13][14][15][16] moyennant une dot de 100 000 écus[5] M. de Bullion [17][18] est en mauvaise posture aux finances et a reçu de gros mots, qui sont les précurseurs d’une grande disgrâce qui s’en va lui venir. [6] L’évêque d’Orléans [7][19][20] est ici fort malade d’une pierre dans le rein [21][22] quæ ischuriam iam triduo perseverantem intulit[8] Je vous envoie un livre nouveau, plein de paradoxes assez gentils, et souhaite qu’en sa lecture il vous donne du divertissement. J’attendais toujours à l’avoir pour vous écrire, mais le privilège nous a retardés. Dans le milieu du dit livre, vous trouverez le portrait de M. François, [9][23] auteur du Pantagruélisme, que monsieur votre petit frère [24] m’a demandé pour vous. [10] Je vous prie de recevoir l’un et l’autre de bonne part, comme venant d’un de vos plus fidèles amis. Hier au matin, le premier président [25] trouva sur son siège, [11] y prenant place, un petit sac de cuir dans lequel était contenu un nouveau manifeste de Monsieur ; [12][26] lequel Messieurs de la Cour jugèrent qu’il fallait envoyer au roi, [27] ce qui fut exécuté. Hier au soir, un honnête homme m’apporta céans en mon absence votre gummi hederæ[13][28] duquel je vous remercie. J’ai bien du regret que je n’aie vu cet honnête homme qui a pris la peine de me l’apporter. Le jeudi gras, [14] M. Bouvard, [29][30] premier médecin, présidera ici à une thèse [31] de aquarum mineralium facultatibus[15][32] opposée à celle que vous avez emportée de M. Piètre. [16][33][34] Nous verrons si elle sera aussi bien faite que la première. Je ne manquerai de vous en envoyer une dès l’heure même, et me ferez la faveur de m’en dire votre jugement. Le bonhomme Piso, [35] auteur du livre de serosa colluvie[17] est mort cet été passé à Nancy en Lorraine. [18][36] On commence à imprimer ici les Conseils de médecine de feu M. Baillou, [19][37][38] qui mourut en 1616, l’ancien de notre Faculté ; [20][39][40][41] je crois que ce sera une fort bonne pièce car il était fort savant, et ce que j’en ai vu m’a beaucoup plu. Je vous prie de remercier monsieur votre frère [42] de celle qu’il lui a plu m’écrire ; quand j’aurai quelque chose digne de lui, je ne manquerai de lui écrire en lui envoyant. Je vous baise les mains, à madame votre mère [43] et à madame votre sœur, lesquelles j’ai eu le bonheur de voir ici, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Patin.

De votre [21] maison de Paris, ce 6e de février 1634.


a.

Ms BnF no 9358, fo 23 ; Triaire no xvii (pages 66‑70) ; Reveillé-Parise, no xiv (tome i, pages 26‑28).

1.

Marie Sorel, première épouse de Claude ii Belin, venait de mourir. Mariés en 1618, ils avaient eu six enfants.

2.

Le Dictionnaire de Trévoux dit de consolatif (« qui a la vertu de consoler », Littré DLF) que cet adjectif « n’est pas du bel usage » ; « aucune » sous-entend consolation.

3.

Tibère (42 av. J.‑C.-37 apr. J.‑C.) fut le deuxième empereur romain (14-37). Ce qu’en disait ici Guy Patin vient des Vies des douze Césars de Suétone (Tibère, chapitre lii) :

« Il n’eut de tendresse paternelle, ni pour son propre fils Drusus, ni pour Germanicus, son fils adoptif. {a} Il haïssait Drusus pour ses vices, car il avait un caractère faible et une vie molle. Aussi ne fut-il nullement sensible à sa mort ; {b} et à peine ses funérailles furent-elles achevées, qu’il reprit le soin des affaires et défendit que les tribunaux fussent fermés plus longtemps. Des envoyés de Troie lui apportèrent un peu tard leurs compliments de condoléances. Il se moqua d’eux, comme si sa douleur était déjà effacée, et leur dit qu’il les plaignait aussi beaucoup d’avoir perdu un aussi bon citoyen qu’Hector. »


  1. Mort en l’an 19, probablement empoisonné.

  2. Par empoisonnement en l’an 23.

On ne sait presque rien sur la vie de Suétone (Caius Suetonius Tranquillus, né au ier s., mort au iie s.), historien latin, dont nous sont restés les Vies des douze Césars, de Jules César à Domitien, et les fragments d’un De Viris illustribus (Les Hommes illustres).

4.

« Une mauvaise diathèse, depuis longtemps fichée dans le foie, lui promettait une brève survie et lui interdisait de longues espérances ». La fin est inspirée d’un vers d’Horace, v. note [12], lettre 98.

Terme vague et tombé en désuétude, la diathèse (mot que Guy Patin n’a employé qu’en latin, diathesis) est la « disposition générale en vertu de laquelle un individu est atteint de plusieurs affections locales de même nature » ; autrement dit (comme ici pour le foie) « la disposition intime générale déterminée peu à peu par la cause pathogénique et l’affection » (Nysten). Un avatar moderne de la diathèse est la prédisposition innée (génétique).

5.

Pierre-César Du Cambout (1613-1641), marquis de Coislin, lieutenant général des armées du roi et colonel général des Suisses, avait épousé, le 3 février 1634, Madeleine Séguier (1618-1710), fille aînée de Pierre iv Séguier, alors garde des sceaux (v. note [2], lettre 16). Le marquis de Coislin mourut le 28 juillet 1641, des suites de blessures reçues au siège d’Aire.

La marquise de Coislin se remaria en 1644 avec Guy de Laval-Boisdauphin, troisième fils de Philippe-Emmanuel de Laval, marquis de Sablé, et de Madeleine de Souvré, célèbre sous le nom de marquise de Sablé. Tallemant des Réaux a consacré une historiette à Guy de Laval, où il narre par le menu son mariage avec la marquise de Coislin (tome ii, pages 337‑349) (Triaire et Adam).

Le père de Pierre-César était Charles Du Cambout, marquis de Coislin, baron de Pont-Château, chevalier des Ordres du roi, gouverneur de Basse-Bretagne, etc. Sa mère était Louise du Plessis, dame de Béçay, fille aînée de Louis du Plessis, seigneur de Richelieu et de Françoise de Rochechouart, tante du cardinal de Richelieu. Il mourut en 1648.

6.

Claude de Bullion (Paris 1569-ibid. 1640), sieur de Bonelle, etc., surintendant des finances depuis 1632, était petit-fils d’un bourgeois de Mâcon (qui avait fait fortune en vendant des tuiles après un ouragan) et fils de Jean de Bullion, maître des requêtes, et de Charlotte de Lamoignon (sœur de Chrétien et tante de Guillaume, le premier président). Il avait été reçu conseiller au Parlement en 1595, maître des requêtes en 1605, conseiller d’État en 1629. Président à mortier au Parlement de Paris en 1636, il ne connut jamais la disgrâce prédite par Guy Patin (Popoff, no 71, et R. et S. Pillorget). Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome i, pages 300-304).

7.

Nicolas de Netz ou Nets (Tours 1592-Orléans 20 janvier 1646), avait été nommé évêque d’Orléans en 1630, et sacré l’année suivante (Gallia Christiana) et occupa ce siège jusqu’à sa mort.

Il appartenait à l’entourage de Richelieu, dont il accueillit le corps à la chapelle de Sorbonne en décembre 1642. Ennemi des jésuites, Netz avait de solides inclinations pour le jansénisme (Dictionnaire de Port-Royal) : défense de l’abbé de Saint-Cyran (v. note [2], lettre 16), approbation du livre De la fréquente Communion d’Antoine ii Arnauld (Paris, 1643, v. note [47], lettre 101).

8.

« qui produit une ischurie [suppression d’urine] qui persiste depuis déjà trois jours. » V. note [11], lettre 33, pour la lithiase urinaire, ou maladie de la pierre.

9.

Guy Patin vénérait François Rabelais (Chinon entre 1483 et 1500-Paris 1553), comme Charles Patin et Jacob Spon l’ont souligné la Préface de la première édition des Lettres (1683) et ses auteurs :

« M. Patin était un des plus spirituels et des plus agréables railleurs qui fût en France, et non pas de ces railleurs qui rient les premiers de leurs bons mots. Il disait les choses avec un froid de stoïcien, mais il emportait la pièce, et sur ce chapitre il eût donné des leçons à Rabelais. On disait qu’il avait commenté cet auteur, et qu’il en savait tout le fin. C’est ce qui le fit accuser d’être un peu libertin. {a} La vérité est qu’il ne pouvait souffrir la bigoterie, la superstition et la forfanterie ; mais il avait l’âme droite et le cœur bien placé. »


  1. V. note [9], lettre 60.

V. note [53] du Borboniana 10 manuscrit pour la longue vie monastique de Rabelais chez les frères mineurs (franciscains), puis dans l’Ordre de saint Benoît. Il a brièvement quitté le froc pour devenir médecin : bachelier de l’Université de médecine de Montpellier en 1530, puis docteur deux ans plus tard, il a peu contribué aux progrès de l’art de soigner : v. notes [8], lettre 288, notule {d}, pour sa contribution aux études hippocratico-galéniques, et [2], lettre 597, pour son édition partielle des Epistolarum medicinalium Manardi [Épîtres médicales de Manardi] (Lyon, 1532). Avec absolution de Rome, il redevint bénédictin au bout de quelques années et finit ses jours comme curé de Meudon (v. notes [16], lettre 240, et [3], lettre 619).

Rabelais nous a surtout laissé cinq livres immortels que Patin a volontiers cités dans sa correspondance :

Dans un article intitulé Rabelais entre bibliophilie et lecture érudite : sur un exemplaire du Tiers Livre de 1552 (Études rabelaisiennes, Genève, Droz, 2015, tome liv, pages 71‑95), Raphaël Cappellen a procuré l’analyse érudite d’une rare exemplaire du Tiers Livre, couverte d’annotations manuscrites anonymes, qui a appartenu à Patin, mais dont il n’a pas parlé dans sa correspondance.

10.

V. note [6], lettre 13, pour Sébastien Belin, le petit frère de Claude ii.

11.

Nicolas Le Jay (mort le 30 décembre 1640), baron de Tilly, etc., était fils de Nicolas Le Jay, secrétaire du roi en 1552 puis correcteur en la Chambre des comptes en 1571. Reçu conseiller aux Requêtes du Parlement de Paris en 1600, Le Jay avait été nommé procureur du roi au Châtelet en 1602. En 1609, il avait succédé à François ii Miron (v. note [9], lettre 211) comme lieutenant civil et calmé le peuple de Paris après l’assassinat de Henri iv en 1610. Reçu en 1613 président à mortier au Parlement de Paris, il en était devenu premier président en 1630. Il devint garde des sceaux des Ordres du roi en 1636 (Popoff, no 109).

12.

En exil à Bruxelles (v. note [16], lettre 13), Gaston d’Orléans quémandait son retour en grâce ; mais comme préalable requis pour ce pardon, son frère, Louis xiii, sollicitait alors devant le Parlement l’annulation de son mariage avec Marguerite de Lorraine.

13.

La « gomme de lierre » correspond à ce qu’on appela plus tard l’hédérée, « suc gommo-résineux qui découle des vieux troncs du lierre dans les pays chauds. Ce suc, que l’on a longtemps appelé improprement gomme de lierre, est en masses rougeâtres, demi-transparentes, d’une saveur amère et astringente. Celui qu’on trouve dans le commerce vient de l’Orient ; on l’a employé comme excitant, détersif et emménagogue [pour provoquer les règles des femmes] » (Nysten).

V. note [71], lettre latine 351, pour les vertus médicinales des feuilles de lierre.

Guy Patin n’est pas revenu sur cet envoi de Claude ii Belin et on en ignore le motif.

14.

Le jeudi gras est celui qui précède le mardi gras : « On se réjouit le jeudi gras et le jeudi de la mi-carême » (Furetière).

15.

« Sur les facultés des eaux minérales ». Ce titre anodin d’une thèse présidée par Charles Bouvard cachait une très vive querelle qui éclata entre lui et la Faculté, dont le roi lui-même se mêla.

Charles i Bouvard (Montoire 1572-Paris 22 octobre 1658), reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1607, avait été nommé professeur au Collège royal en 1625. Après la mort de Jean Héroard en 1628 (v. note [30], lettre 117), il était devenu premier médecin du roi et surintendant du Jardin royal des Plantes lors de sa création (1633). Louis xiii l’avait anobli en 1629. Fier de la place qu’il occupait à la cour, il voulut dominer la Faculté, qui sut pourtant lui résister.

La querelle en question s’était allumée en juin 1633 : Bouvard avait ordonné l’usage des eaux de Forges (v. note [7], lettre 35) à Louis xiii qui souffrait de dysenterie ; un docteur régent du clan des Piètre (v. note [5], lettre 15), Henri ii Blacvod (v. note [29], lettre 390), avait entrepris de critiquer cette prescription en écrivant et faisant soutenir par le jeune bachelier Jean Piètre une thèse intitulée An visceribus nutriis æstuantibus aquarum metallicarum potus salubris ? [La boisson d’eaux métalliques est-elle salutaire dans l’inflammation (v. note [6], lettre latine 412) des intestins (v. note [6], lettre 558) ?] (conclusion négative), soutenance initialement fixée au 17 novembre 1633. Le doyen, François Boujonnier, en avait autorisé l’impression préalable à la soutenance, mais le candidat était tombé malade et l’affaire s’était ébruitée. Bouvard avait manœuvré pour que le tour de Piètre fût reporté, en proposant un autre candidat, Jacques Barrelier, sur un sujet moins polémique et sous la présidence d’un allié, Philibert Morisset.

Le doyen avait pris ombrage d’une telle intrusion dans une affaire qui relevait de sa seule autorité. Le 6 novembre, il avait adressé une requête au Parlement, visant à rétablir le tour de Piètre et à interdire la soutenance de Barrelier. Les juges avaient décidé que Barrelier passerait le premier sous la présidence de Blacvod et que Piètre soutiendrait ensuite, mais sous le premier régent dont le tour de présider viendrait. C’était, en désunissant le président de son bachelier, résoudre la querelle au profit de Bouvard, mais cela ne lui avait pas suffi. Le vaniteux archiatre voulait une censure complète et avait fait appel de la décision du Parlement devant le Conseil du roi. Deux pièces officielles transcrites dans le tome xii des Comm. F.M.P. (seconde année du décanat de François Boujonnier) prouvent la surprenante importance que prit cette querelle, dont l’enjeu n’était rien de moins que l’indépendance de l’Université face à la volonté du pouvoir royal.

Bouvard n’était pourtant toujours pas satisfait. Il voulut définitivement humilier la Faculté qui avait osé douter de sa haute compétence. Les Comm. F.M.P. en font état, en février 1634 (ibid. fos 362 vo‑363 r) :

Cum magister Carolus Bouvard doctor et primarius regis medicus disputationi quodlibetariæ ex ordine præesse debuit decretum sacri consistorii ad postulationem ipsius datum decano vigesima quinta Januarii significandum curavit, quo vix permittebar doctoribus et baccalaureis faculatis Medicinæ disceptationem quæstionis de qualitate et virtute aquarum metallicarum. In actu illo disputationis cui præsidere debebat M. Carolus Bouvard regius primarius medicus haud vero in aliis actibus atque cum hoc decreto quæstionem quam disputandam susceperat his verbis per apparitorem sacri consistorii significavit An naturis calidis omnes aquæ metallicæ potus insalubres quam aliter per bidellum facultatis enunciandam curavit in scholis et disputavit vigesima tertia februarii. Ægre admodum tulit facultas quod in fine disputationis conclusionem suam a decano in commentariis facultatis iubente se et imperante referendam esse ut veram nec aliis disputationibus agitandam protulerit.

[Quand vint son tour de devoir présider une thèse quodlibétaire, Maître Charles Bouvad, docteur régent et premier médecin du roi, prit soin de faire connaître au doyen l’arrêt que le Conseil privé avait prononcé sur sa propre demande le 24e de janvier, qui ne permettait guère aux docteurs et bacheliers de la Faculté de débattre sur une question relative aux qualité et vertu des eaux minérales. M. Charles Bouvard, premier médecin du roi, fit savoir par l’appariteur du Conseil privé que, dans cet acte qu’il devait présider, contrairement à ce qu’interdisait ledit arrêt pour les autres actes, on disputerait sur la question ainsi énoncée : « Toutes les eaux métalliques sont elles malsaines à boire chez les personnes de nature chaude ? » ; et il eut soin aussi d’en faire annoncer le titre dans les Écoles par le bedeau de la Faculté. Il la soumit à la dispute le 23e de février. {a} La Faculté supporta de fort mauvaise grâce qu’à la fin de sa thèse, il ordonna et commanda que le doyen relatât sa conclusion comme vraie dans les Commentaires de la Faculté, et il déclara qu’elle ne devait pas être contestée lors d’autres actes].


  1. Thèse disputée le 23 février (jeudi gras) 1634 par le bachelier François Le Vignon, présidée et rédigée par Bouvard, dont le titre imprimé est : An calidis naturis qualiumcumque metallicarum aquarum potus insalubris ? [La boisson d’eaux métalliques de quelque sorte que ce soit est-elle insalubre pour les natures chaudes ?], avec conclusion bien évidemment négative.

Le doyen eut pourtant l’audace de ne pas obtempérer : la Faculté décida que le sujet initialement confié au jeune Piètre serait disputé, sous la présidence de Jean iii Des Gorris, par un autre bachelier, Pierre Yvelin, qui s’engageait pourtant à donner une conclusion contraire à celle qu’avait prévue son prédécesseur ; mais bien entendu, il y aurait discussion publique et les objecteurs pourraient se faire entendre… La Compagnie des docteurs régents finit néanmoins par se soumettre à contrecœur, comme en attestent deux autres extraits des mêmes Comm. F.M.P.

La thèse de Piètre et Blacvod a néanmoins été réimprimée in‑4o quatre ans après la mort de Louis xiii (Paris, Nicolas Boisset, 1647), avec sa conclusion négative. L’exemplaire mis en ligne par Medica porte cette mention manuscrite :

« Un arrêt du Conseil, du 16 déc. 1633 empêcha qu’elle ne fût soutenue. Il fut sollicité par Bouvard, alors premier médecin, qui prétendit qu’elle attaquait sa juridiction sur les eaux minérales du royaume. »

Bouvard avait épousé Anne Riolan, fille de Jean i Riolan (v. note [9], lettre 22) et d’Anne Piètre ; il était donc beau-frère du Grand Piètre, Simon ii. Pourtant, comme on vient de le voir, cela ne l’empêcha pas de se brouiller gravement avec son clan. Cela a pu contribuer à interrompre la carrière médicale de Jean ii Riolan à la cour. La fille de Bouvard, Anna, fut mariée à Jacques ii Cousinot qui lui succéda dans la charge de médecin du roi, en 1642.

V. note [23], lettre 417, pour le seul livre qu’on connaisse de Bouvard, son énigmatique discours de la Historicæ hodiernæ medicinæ rationalis veritatis [Vérité historique de la médecine d’aujourd’hui] (sans lieu, 1655). Il était partisan de la saignée et surtout des purgatifs, ce qui lui valait la relative bienveillance de Guy Patin.

16.

Comprendre « que je vous ai passée ». Ce détail fait supposer que Claude ii Belin avait rendu visite à Guy Patin vers la fin de 1633.

17.

« sur l’eau des égouts », v. note [15], lettre 9.

18.

Nancy (Meurthe-et-Moselle), ville fortifiée sur la Meurthe, était la capitale du duché de Lorraine. Comme celle du duché, l’annexion de Nancy par la France n’a jamais cessé d’être un enjeu pendant toute la période des lettres de Guy Patin.

19.

Guillaume de Baillou (Ballonius, Paris vers 1538-ibid. 1616) était le fils d’un architecte originaire de Nogent-le-Rotrou. Après de très solides études littéraires qui lui donnèrent une parfaite maîtrise du grec et du latin, et d’excellentes connaissances en philosophie (qu’il enseigna même avec beaucoup d’éclat dans le Collège de Montaigu), Baillou étudia la médecine : docteur régent de la Faculté de Paris en 1570, il en devint doyen pour deux ans en novembre 1580. Il dut une grande réputation à son talent dans les discussions de l’École, au point d’acquérir le surnom de Fléau des bacheliers, et plus encore à la mise en pratique des enseignements hippocratiques qu’il reçut de ses maîtres, Jacques Houllier, Jean Fernel et Louis Duret. Tout ce que Baillou a écrit n’a été publié qu’après sa mort. De son mariage avec la fille de Gervais Honoré, apothicaire de Paris, étaient nés quatre enfants, deux fils et deux filles. Son aîné exerça une charge d’inspecteur dans les troupes, et le cadet se fit moine capucin. Deux docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris, Jacques Thévart (v. note [23], lettre 146) et Simon Le Lettier, ses petits-neveux, par sa femme et par son frère, se chargèrent de publier les œuvres de Baillou après sa mort.

Guy Patin a volontiers vanté ses ouvrages, et au premier rang les :

Gulielmi Ballonii Medici Parisiensis celeberrimi, Consiliorum medicinalium libri ii, a Iacobo Thevart, Facultatis Medicæ Paris. Doctore, authoris pronepote, scholiis nonnullis illustrati, digesti ac in lucem primum editi. Tomus primus, in quo pleraque continentur quæ et ad morborum cognitionem, eorumdemque curationem propositis exemplis, et obscurorum Hippocratis locorum intelligentiam pertinebunt. Inter cetera elegantissimum et utilissimum est de Calculo opusculum. Adiecta est authoris vita, cum indicibus necessariis.

[Deux livres de Consultations médicales de Guillaume de Baillou, très célèbre médecin de Paris, par Jacques Thévart, docteur de la Faculté de médecine de Paris, petit-neveu de l’auteur, enrichis de quelques annotations, rangés en bon ordre et publiés pour la première fois. Tome premier, qui contient bien des choses ayant trait tant à la connaissance qu’au traitement des maladies, en s’aidant d’exemples, et à la compréhension des passages les plus obscurs d’Hippocrate. Il s’y trouve entre autres un opuscule très utile sur le calcul. Avec la vie de l’auteur, ainsi que d’utiles index]. {a}


  1. Paris, Jacques Quesnel, 1635, in‑4o.

Ce premier tome contient 119 conseils (ou consultations). On lit page 21 ce poème de Guy Patin :

In doctissima Consilia
medica clarissimi viri D.D.
Gul. de Baillou,
Doctoris Medici Parisiensis

olim Decani, et antiquioris
Scholæ Magistri,
Hexastichum

Se urgeri fatis cernens Ballonius, atque
Abrumpit vitæ stamina grata suæ :
Nil facitis, Parcæ, nec enim minus ipse saluti
Humanæ, scriptis auxiliabor, ait :
O res mira ! aliis nam sic dum consulit, ipse
Producit vitæ stamina grata suæ.
Guido Patinus, Bellovacus,
Doctor Medicus Parisiensis
.

[Sixain sur les très doctes Consultations médicales du très brillant Me Guillaume de Baillou, docteur en médecine de Paris, jadis doyen, et plus ancien maître de l’École

En décidant de se consacrer tout entier aux malheurs d’autrui, Baillou a rompu les précieux fils de sa propre vie. Parques, vous ne faites rien, c’est que lui-même n’a pas peu dit : pour le salut des hommes, je guérirai par mes écrits. Ô chose admirable ! tandis qu’il pense ainsi aux autres, lui-même prolonge les précieux fils de sa propre vie.
Guy Patin, natif de Beauvaisis, médecin de Paris].

V. notes [8], lettre 24, pour le deuxième tome (51 conseils), et [47], lettre 152, pour le troisième et dernier tome (123 conseils) des Consiliorum medicinalium.

20.

Leur vie durant, les docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris étaient rangés suivant leur date de régence et leur classement de licence (v. note [8], lettre 3) : selon qu’ils se situaient dans la première ou la seconde moitié du tableau, ils étaient anciens (du premier rang, ordo maior, ou grand banc) ou jeunes (du second rang, ordo minor, ou petit banc) ; chaque année, le doyen en exercice dressait à la main dans les Comment. F.M.P. le rôle des quelque 120 docteurs régents, méticuleusement rangés par ordre d’ancienneté (v. notes [20], lettre 7, et [20], lettre 17).

Le rang séparant les anciens des jeunes n’apparaissait pas sur ce tableau annuel ; il se situait vers le milieu du classement, sans règle précise que j’aie su trouver. Guy Patin était passé du petit au grand en 1644 (v. note [11], lettre 771), soit 16 ans après avoir été reçu docteur régent (décembre 1627).

Le plus anciennement reçu du grand banc était l’ancien (antiquior magister ou decanus senior, doyen d’âge) ; l’âge lui donnait les privilèges d’être compté pour présent quand il était absent et de recevoir le double des émoluments réservés aux docteurs régents (Statuta F.M.P., art. xlviii, pages 44‑45) ; l’ancien exerçait une autorité morale sur la Compagnie, il présidait notamment à l’élection du doyen (v. note [16], lettre 247).

À Montpellier, l’ancien portait le titre de doyen, charge perpétuelle et purement honorifique, qui n’était donc ni élective, ni limitée à deux ans comme à Paris ; son rôle se limitait à répartir les cours entre les maîtres ; la direction de l’École appartenait au chancelier (Dulieu). Une autre différence de taille entre les écoles de médecine de Paris et de Montpellier était le nom qu’elles se donnaient : Faculté à Paris, et Université à Montpellier. La nuance ne manquait pas d’offusquer les Parisiens (Jean ii Riolan, Curieuses recherches sur les écoles en médecine de Paris et de Montpellier…, pages 102‑104 ; v. note [13], lettre 177) :

« Une grande singularité de l’École de Montpellier paraît en ce qu’elle seule tient le nom d’Université, comme si elle était universelle pour toute la terre habitable, ou à cause que toutes les parties de la médecine y sont enseignées. Par ces deux raisons, l’École de médecine de Paris pourrait être appelée Université tout autrement mieux que celle de Montpellier. Mais, dira le médecin de Monpellier, les papes l’ont seule qualifiée de la sorte : ils ne peuvent prouver cela par leurs bulles, ni par les lettres des rois. Si cela était véritable, il y aurait dans la ville deux universités : l’une composée de trois facultés, théologie, jurisprudence, et des arts ; l’autre Université serait de la médecine. C’est grandement ignorer la signification du nom d’Université, et en quelle manière il est pris et expliqué par les jurisconsultes. Université est une étude générale, pour tous ceux qui viennent apprendre toutes les sciences qui sont enseignées. Je sais qu’un grand jurisconsulte, Petrus Gregorius, Tolosanus, lib. 18. de Republica, c. i, {a} dit qu’il n’est pas de l’essence de l’Université que toutes les sciences soient enseignées en cette École, il suffit que l’étude soit publique et gratuite pour tous ceux qui voudront y étudier : Nam generalitas non ad Universitatem scientiarum pertinet, sed ad publicam causam docendi. {b} Cette raison ne favorise pas davantage l’École de Montpellier que celle de Paris, d’autant que notre École est publique, la médecine y est enseignée gratuitement, sans argent du roi, en toutes ses parties. Laissons cette niaiserie. Si je voulais approfondir cette matière, laissant Gregorius Tolosanus, je trouverais quantité de jurisconsultes contraires à son avis […].

C’est une chose inouïe que dans une ville il y ait deux universités, comme à Montpellier, ce que les jurisconsultes n’ont point encore traité ni décidé. Pour vous ôter de l’esprit cette vanité et folie, je vous prouverai par vos chartes et vos lettres que vous avez produit tout le contraire. »


  1. De Republica libri sex et viginti in duos tomos distincti. Authore D. Petro Gregorio Tholozano, Iuris utriusque Doctore et publico Professore, prius in Academia Cadurcensi, deinc Tholozana, nunc Pontimussana Lotharingica, earundemve facultatum Iuris utriusque ibidem Decano.

    [Vingt-six livres de la République distribués en deux tomes. Par Pierre Grégoire, native de Toulouse, {i} docteur et professeur public en l’un et l’autre droit, {ii} d’abord en l’Université de Cahors, puis en celle de Toulouse, et maintenant en celle de Pont-à-Mousson en Lorraine, et aussi doyen desdites facultés de droit]. {iii}

    1. Vers 1540, mort à Pont-à-Mousson en 1597.

    2. Civil et canonique.

    3. Lyon, Jean-Baptiste Buysson, 1596, 2 tomes in‑8o ; tome 2, livre xviii, chapitre i (pages 145‑149), De studiis, artibus seu scientiis in genere in scholis litterariis tractandis, vel non docendis, publice vel privatim [Les études, arts ou sciences en général qu’il convient ou non d’enseigner, en public ou en privé, dans les collèges de lettres].

  2. « Car la généralité ne tient pas à l’universalité des sciences, mais à l’ouverture de l’enseignement au public » (§ 7, page 148).

21.

Généreux possessif, qui servait d’invitation pour Claude ii Belin à se sentir chez lui chez Guy Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 6 février 1634

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0017

(Consulté le 02/11/2024)

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