L. 18.  >
À Claude II Belin,
le 27 octobre 1634

Monsieur, [a][1]

Ce sera pour répondre à votre dernière. Je n’ai depuis rien vu ni ouï du curé de Loudun. [1][2][3][4] On m’a néanmoins dit que l’on en faisait un gros livre ; vereor ne sit opus otiosi et male feriati alicuius monachi, qui suas nugas nobis obtundat[2] Pour le Sennertus[5] on achève son cinquième volume de pratique, qui sera sa Chirurgie[3] Vous n’avez qu’à me donner charge de ce qu’il vous plaira que je vous achète et l’envoyer prendre céans. Tout ce qui a été imprimé de lui à Paris est in‑4o, assez fautif, à Lyon, in‑8o, qui ne vaut pas mieux. Dans quelques années, nous verrons toutes les œuvres de cet auteur en deux volumes in‑fo, plus correctes que par ci-devant ; et si n’en êtes pressé (ce que je ne crois pas), je vous conseillerais d’attendre. [4][6][7] Les Conseils de M. Baillou [8] marchent toujours, sed lento pede[5] à cause que le manuscrit en est fort difficile. Vous me faites honteux de dire que m’ayez de l’obligation : c’est moi qui confesse vous en avoir de toute sorte. Quant aux nouvelles de ce pays, je vous dirai que Monsieur [9] est revenu, [6] qu’il a salué le roi [10] à Saint-Germain [11] le samedi 17e d’octobre ; le lendemain dîné à Rueil [12] chez M. le cardinal[7][13] qui sont fort bons amis. Delà il est allé à Limours, [8][14] et puis ira à Blois, [9][15] où il demeurera jusqu’à ce que son mariage soit rompu avec la princesse Marguerite ; [10][16][17][18][19] quoi fait, il reviendra à la cour épouser la princesse Marie, [20][21] fille de M. de Mantoue ; [11][22][23] voilà le bruit qui court. On dit que Monsieur est tellement indigné contre M. d’Elbeuf [24] qu’il a prié spécialement le roi de ne lui permettre jamais qu’il revienne en France. [12] On dit aussi que l’on traite du retour de la reine mère [25] et que le roi y a envoyé exprès un gentilhomme. Pour les affaires des Suédois, on les tient toujours en mauvais état. M. le cardinal donne sa cousine de Pont-Château, [26] l’aînée, [27][28] en mariage à M. de La Valette ; [13][29][30] et la seconde à M. de Puylaurens, [14][31][32][33] en vertu du nouvel accord et de la réconciliation. On envoie des troupes en Allemagne sous la conduite de M. le maréchal de Brézé, [34] beau-frère de monseigneur l’Éminentissime, et toutes les garnisons de Picardie y sont employées. [15] Si les livres de Mercurial [35] se rencontrent, [16] je ne manquerai pas de vous les retenir. Je ne vous prie que du Cardan [36] de Utilitate ex adversis capienda[17] La nouvelle est fausse de la surprise de Toulon, [37] trop bien que plusieurs vaisseaux espagnols en ont côtoyé les bords ; [18] et qu’on a pris en Languedoc un espion qui était capitaine espagnol et commandeur pour le roi d’Espagne [38][39] en la comté de Roussillon. [19] Dans 15 jours j’espère de vous faire savoir de mes nouvelles et vous envoyer la thèse [40] de présidence de M. Piètre [41] le jeune, et le nom de notre nouveau doyen. [20][42] Je vous prie de me conserver toujours en vos bonnes grâces, et de monsieur votre frère, et tenir pour assuré que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur,

Patin.

De Paris, ce 27e d’octobre 1634.


a.

Ms BnF no 9358, fo 24 ; Triaire no xviii (pages 71‑75) ; Reveillé-Parise, no xv (tome i, pages 28‑29) ; Prévot & Jestaz no 1 (Pléiade, pages 407‑408).

1.

Loudun (Vienne) est située aux confins de l’Anjou, du Poitou et du Maine. Elle appartenait à la duché-pairie de Richelieu.

Urbain Grandier (Rovère près de Sablé 1590-Loudun 1634), curé de Saint-Pierre à Loudun et chanoine de Sainte-Croix dans la même ville, détonnait par la liberté de ses idées religieuses et de ses mœurs. Condamné une première fois, en 1630, à l’interdiction pour empiètement sur l’autorité épiscopale, il avait obtenu son absolution et commis la faute de rentrer triomphalement à Loudun, ce qui avait porté au comble l’irritation et la haine.

On n’attendit plus dès lors qu’une occasion pour le perdre : on se souvint qu’en 1626, il avait demandé la place de directeur d’un couvent d’ursulines et s’était vu préférer un de ses adversaires ; on ne manqua pas alors de l’accuser d’intentions coupables à propos de la recherche de cette direction spirituelle. Quelques années plus tard, le bruit s’étant répandu que les ursulines étaient possédées du démon et qu’elles accusaient Grandier de les avoir ensorcelées, le curé porta une plainte en calomnie ; l’affaire fut momentanément étouffée, grâce à l’intervention d’Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux (v. note [5], lettre 29).

Quelque temps après, le conseiller d’État Laubardemont, créature de Richelieu, étant venu à Loudun pour y exécuter les ordonnances royales concernant la démolition des forteresses de l’intérieur du royaume, prit un intérêt d’autant plus grand à cette affaire étrange que la supérieure du couvent (possédée elle-même) était sa parente. Il en rendit compte à Louis xiii et à Richelieu et en obtint une commission qui lui donnait les pouvoirs les plus étendus. Grandier avait été arrêté le 16 décembre 1633 et transféré à Angers ; on n’avait trouvé chez lui que le manuscrit d’un ouvrage contre le célibat des prêtres. Laubardemont poussa l’instruction avec haine et partialité. Les ursulines, livrées à toutes les folies démoniaques, interrogées, exorcisées, conjurées, continuèrent à accuser le curé de Saint-Pierre de les avoir ensorcelées au moyen d’une branche de laurier jetée dans le couvent. De nombreux témoins l’accusèrent à leur tour de sacrilège, d’orgueil, et surtout d’impudicité.

Après sept mois de procédure, une commission de douze juges, présidée par Laubardemont, le reconnut coupable de magie, maléfice et possession, et le condamna à être brûlé vif, sentence qui fut exécutée le jour même (18 août 1634) ; mais les religieuses de Loudun restèrent possédées pendant longtemps encore et il fallut une multitude d’exorcismes pour les délivrer du démon (G.D.U. xixe s.).

2.

« je crains que ce ne soit l’œuvre de quelque moine oisif et mal occupé, qui nous assomme de ses balivernes. »

Comme il l’a dit plus loin, Guy Patin, avec bien d’autres, jugeait que l’affaire de Loudun n’était qu’une machination fomentée par Richelieu et le P. Joseph pour venger les impertinences de Grandier. Il est impossible de deviner l’ouvrage que mentionnait ici Guy Patin parmi les nombreux qui parurent en 1634 et 1635 sur les religieuses de Loudun (mais aucun de ceux qu’on trouve ne peut être qualifié de gros).

3.

Practicæ medicinæ liber quintus. Qui est de Tumoribus, Cutaneis vitiis, Fracturis ; de Ulceribus, Vulneribus, et Luxationibus, auctore Daniele Sennerto…

[Médecine pratique de Daniel Sennert… {a} Cinquième livre, qui traite : des tumeurs, des affections cutanées, des fractures, des plaies et des luxations]. {b}


  1. V. note [5], lettre 8, pour les six livres qui composent cette œuvre.

  2. Paris, apud Societatem, 1635, in‑4o.

4.

Annonce de l’édition complète des Opera de Daniel Sennert dont Guy Patin s’occupait donc déjà ; elle allait paraître en 1641 (v. note [12], lettre 44) et compter non pas deux, mais trois tomes in‑fo.

C’est l’ouvrage médical que Patin a le plus souvent cité dans sa correspondance, mais ça n’est pas, et de très loin, le plus marquant du xviie s., honneur qui a depuis échu, sans conteste, à l’Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus [Essai anatomique sur le mouvement du cœur et du sang chez les animaux] de William Harvey (v. note [12], lettre 177).

5.

« mais à pas lents ». Ce premier livre des Conseils de Guillaume de Baillou ne fut achevé qu’en 1635 (v. note [19], lettre 17).

6.

Louis xiii ayant mis fin à son exil de Bruxelles, Gaston d’Orléans était venu le 8 octobre jurer au roi, son frère, « d’aimer M. le cardinal autant qu’il l’avait haï ». Au moment où Richelieu préparait l’entrée, en 1635, de la France dans la guerre de Trente Ans contre les Habsbourg d’Autriche, il ne pouvait lui convenir de laisser le duc d’Orléans, le propre héritier de la couronne, entre les mains des Espagnols, avec lesquels ce prince s’était lié par un traité tellement insensé qu’on ne lui trouve pas d’autre excuse que celle d’être un acte désespéré, accompli avec la ferme résolution de ne pas l’exécuter.

Après des négociations très habilement et très fermement menées par le cardinal, Gaston avait accepté l’accommodement signé par le roi à Écouen (v. note [3], lettre 606), le 1er octobre 1634. Par ce traité, il consentait à ce que la grave affaire de son mariage avec la princesse Marguerite de Lorraine, que Louis xiii se refusait obstinément à reconnaître, fût jugée selon les lois du royaume, c’est-à-dire par les tribunaux ecclésiastiques. Une amnistie était accordée à la plupart des gentilshommes qui l’avaient accompagné et il était autorisé à résider dans une des provinces du centre de la France. Gaston avait quitté Bruxelles le 8 octobre 1634 (Triaire).

7.

Rueil, aujourd’hui Rueil-Malmaison, à 12 kilomètres à l’ouest de Paris et 10 kilomètres au nord-est de Versailles, possédait un vaste domaine que Richelieu avait acquis. Il fit considérablement agrandir le château et les jardins qui en dépendaient, en y établissant, notamment, des cascades artificielles, innovation qui eut un très grand succès : « Rueil, un des logis du monde/ Où l’eau plus amplement abonde » (Loret).

Après la mort du cardinal, Rueil échut à sa nièce, la duchesse d’Aiguillon, qui en jouissait encore quand, en 1648, la cour, menacée par la Fronde, s’y retira. En mars 1649, la paix de Rueil mit fin à la première Fronde. Quelques années après, Louis xiv acheta le domaine pour un million de livres (G.D.U. xixe s.).

8.

Limours (Essonne), à 31 kilomètres au sud-ouest de Paris, possédait un château construit par Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes, favorite de François ier. Il appartenait alors à Richelieu et passa ensuite entre les mains de Gaston d’Orléans. L’édifice a été rasé en 1835.

9.

Blois (Loir-et-Cher), sur la Loire, se situe à mi-chemin entre Orléans et Tours. Son château avait été la résidence favorite des rois de France durant la Renaissance. Louis xiii l’avait offert avec son comté en cadeau de mariage à son frère, Gaston d’Orléans, en 1626. Monsieur y résida régulièrement à partir de 1634.

10.

Marguerite de Lorraine (1615-1672) était la fille de François ii, duc de Lorraine, et la sœur du duc d’alors, Charles iv (v. note [37], lettre 6). En 1629, alors qu’il était réfugié à Nancy, Gaston d’Orléans (v. note [16], lettre 13), frère puîné du roi Louis xiii, et jeune veuf, avait été séduit par ses charmes et avait décidé de l’épouser. Le mariage clandestin avait eu lieu le 3 janvier 1632, au grand dam de la Couronne de France. Louis xiii n’y avait pas consenti, y voyant une manœuvre politique destinée à rapprocher son frère d’un État étranger, la Lorraine, alliée de l’Espagne. De fait, jusqu’aux naissances du futur Louis xiv (1638) et de son frère, Philippe (1640), Gaston, qui se mettait ainsi en puissance d’avoir un fils, était l’héritier de la couronne, éventualité rendue plausible par la santé fort chancelante du roi. Tout était donc mis en œuvre à la cour de France pour rompre cette union, considérée comme illégitime car non approuvée par Louis xiii ; mais rien n’y fit.

Lors du traité de Vic qui lui avait été imposé (5 janvier 1632), Charles iv avait pourtant promis de s’opposer au mariage de sa sœur avec Gaston. Quand Louis xiii eut appris qu’on l’avait dupé, son courroux s’était déchaîné contre la Maison de Lorraine. Les troupes françaises avaient envahi à deux reprises (1632 et 1633) les duchés de Lorraine et de Bar, et en 1633, Marguerite dut, pour échapper à Richelieu, s’enfuir de Nancy, déguisée en page, et rejoindre son époux à Bruxelles. Nancy fut occupée, le Parlement de Paris cassa le mariage et condamna Charles iv pour rapt sur la personne de Monsieur Gaston ; mais malgré toutes les négociations, Rome s’obstina à tenir le mariage princier pour légitime. Louis xiii n’allait y donner son consentement qu’à la veille de sa mort (14 mai 1643), bien qu’il fût alors depuis longtemps tout à fait assuré d’avoir une succession directe. Madame put alors quitter Bruxelles pour venir prendre son rang à Paris et s’y marier officiellement avec Gaston, après dix années de séparation forcée. Durant la Fronde, Marguerite poussa Monsieur à prendre position dans le camp des frondeurs et aurait facilité l’incursion de Charles iv en 1652.

11.

Charles ier de Gonzague (1580-20 septembre 1637), duc de Nevers et de Rethel, était fils de Louis de Gonzague, duc de Nevers, et de Henriette de Clèves, et petit-fils de Frédéric ii, duc de Mantoue. En 1627, il avait succédé à son cousin Vincent ii (mort sans héritier), pour devenir duc de Mantoue et de Montferrat, qui étaient deux duchés du nord de l’Italie, respectivement situés à l’ouest et à l’est du Milanais, dont les capitales étaient Mantoue et Casal (v. note [20], lettre 39). Sa politique étrangère interdisait à la France de laisser ces deux duchés sous le contrôle des Habsbourg (l’Autriche et l’Espagne).

Cette succession s’était faite dans une grande tourmente : Charles avait demandé son investiture à l’empereur Ferdinand ii qui, favorable aux prétentions de Ferdinand de Gonzague, duc de Guastalla, avait déclaré vouloir mettre sous séquestre les deux duchés jusqu’à ce qu’il eût prononcé sur les droits respectifs des deux compétiteurs. En même temps, il avait engagé une armée contre le nouveau duc de Mantoue, de concert avec le duc de Savoie (Victor-Amédée ier, v. note [10], lettre 45), qui vint mettre le siège devant Casal. Le 9 mars 1629, les troupes françaises, menées par Louis xiii et Richelieu, avaient franchi le Pas de Suse, défilé alpin menant de France en Savoie, pour venir au secours du duc Charles, qui put ainsi délivrer Casal ; mais peu après, les Impériaux, commandés par le comte de Collalto, étaient venus bloquer Mantoue et ravager le duché avec grande férocité. Charles, secondé par le maréchal d’Estrées, avait défendu la ville jusqu’à la dernière extrémité, puis avait capitulé. Toutefois, après l’audacieux coup d’éclat diplomatique de Mazarin (26 octobre 1630, v. note [6], lettre 53), le traité de Cherasco (6 avril 1631), Charles était rentré en possession des deux duchés, à l’exception d’une partie du Montferrat qui était passée au duc de Savoie. Incapable de payer les garnisons nécessaires pour les tenir, il s’était vu forcé de confier la garde de la forteresse de Mantoue aux Vénitiens et celle de Casal aux Français.

En 1599, Charles de Gonzague avait épousé Catherine de Lorraine, fille du duc de Mayenne et de Henriette de Savoie, qui lui donna cinq enfants. Louise-Marie, appelée la princesse Marie (Paris 1611-Varsovie 10 mai 1667), était la troisième. On voulait alors en vain la marier à Gaston d’Orléans, jadis amoureux d’elle. Marie allait devenir reine de Pologne par son mariage, en 1646, avec Ladislas iv (ou Vladislav vii, mort en 1648), et de nouveau couronnée, en 1649, par son remariage avec Jean ii Casimir, le frère du défunt roi.

Les lettres de Guy Patin ont aussi parlé de sa sœur cadette, Anne-Marie, qui devint la princesse Palatine (v. note [10], lettre 533) en épousant Édouard, comte palatin du Rhin.

Charles (1609-1631), le fils aîné de Charles ier de Gonzague, ne lui survécut pas ; ce fut son fils qui succéda à son grand-père, sous le nom de Charles ii (v. note [8], lettre 414) (J. Prévot et G.D.U. xixe s.).

12.

Charles ii de Lorraine (1596-5 novembre 1657) était devenu duc d’Elbeuf et pair de France en 1605, à la mort de Charles ier son père ; il était frère aîné de Henri de Lorraine, comte d’Harcourt. Nommé gouverneur de Normandie (1620-1627), il avait une première fois été appelé au gouvernement et à la lieutenance générale de Picardie en 1627. Il avait épousé en 1619 Catherine-Henriette, dite Mlle de Vendôme, fille naturelle légitimée du roi Henri iv et de Gabrielle d’Estrées (v. note [7], lettre 957). Richelieu avait exilé Catherine-Henriette en 1631. La même année, le duc avait lui-même été déclaré criminel de lèse-majesté pour complicité avec le duc de Bellegarde, qui avait reçu Gaston d’Orléans dans son château de Bellegarde (Seurre, v. note [7], lettre 221), place forte sur la frontière de Bourgogne. Elbeuf avait alors perdu sa lieutenance, mais ne tarda pas à rentrer en grâce : il la reprit le 1er septembre 1634 et l’occupa jusqu’à sa mort. Il laissa trois fils : Charles iii de Lorraine, prince d’Harcourt, qui a continué la lignée des ducs d’Elbeuf ; François-Louis, auteur de la lignée des comtes d’Harcourt ; et François-Marie, auteur de la lignée des comtes de Lillebonne (G.D.U. xixe s. et Jestaz).

13.

Bernard de Nogaret (Saintes 1592-Paris 25 juillet 1661), futur duc d’Épernon (janvier 1642), était duc de La Valette depuis mars 1622. Il était le fils aîné de Jean-Louis de Nogaret de La Valette, duc d’Épernon (v. note [12], lettre 76) et de Marguerite de Foix. Il avait été nommé à 18 ans, sur la démission de son père, colonel général de l’infanterie, l’une des charges les plus lucratives du royaume (1610). Il s’était distingué aux sièges de Saint-Jean-d’Angély et de Royan (1621), et au Pas de Suse (1629), et allait combattre en Picardie et en Guyenne contre les Espagnols (1636). Nommé gouverneur de Metz et du Messin en 1612, il s’était démis de cette charge en faveur de son frère, le cardinal de La Valette. En 1622, le duc avait épousé Gabrielle-Angélique, légitimée de France, fille de Henri iv et de la marquise de Verneuil. Elle était morte en couches le 24 avril 1627 et on avait soupçonné Épernon de l’avoir empoisonnée. Il se remariait alors avec une nièce de Richelieu, Marie Du Cambout, fille aînée du baron de Pont-Château (v. note [5], lettre 17), qu’il allait rendre très malheureuse. Richelieu, qui l’avait pris en grippe, le rendit responsable d’un échec français devant Fontarabie et le fit traduire devant un conseil de guerre présidé par le roi lui-même (1639). S’étant enfui en Angleterre, Épernon fut condamné à mort par contumace.

Rentré en France en 1643 après la mort de Louis xiii et devenu, par celle de son père (en janvier 1642), duc d’Épernon, il fit annuler par le Parlement de Paris le jugement injuste dont il avait été frappé et obtint le gouvernement de Bourgogne, puis celui de Guyenne. Il s’y montra cupide et surtout maladroit. Sa maîtresse, Ninon de Lartigue, bourgeoise d’Agen, contribua à son impopularité. De son premier mariage, il avait eu un fils, Louis-Charles Gaston, marquis de La Valette, duc de Candale (mort en 1658, v. note [40], lettre 229) et une fille, Anne-Louise-Christine, Mlle d’Épernon, qui devint carmélite contre le gré de son père. Le duché d’Épernon s’éteignit donc en 1661 avec la mort de Bernard de Nogaret parce que son frère, Louis, était entré dans les ordres pour devenir cardinal de La Valette (v. note [12], lettre 23) (G.D.U. xixe s.).

14.

Antoine de L’Âge de Puylaurens (mort à Vincennes en 1635) était gentilhomme (et favori) de Gaston d’Orléans. D’abord son enfant d’honneur, compagnon de jeux et de plaisirs, il avait acquis sur l’esprit de Gaston un grand ascendant et il prit une part active à toutes les intrigues auxquelles Monsieur se trouva mêlé. Sur ses conseils, Gaston s’était retiré à Bruxelles après la défaite de Castelnaudary en 1632 (v. note [16], lettre 13). Puylaurens s’employa à réconcilier Gaston avec la cour, en lui faisant accepter le principe de casser le mariage clandestin qu’il avait contracté avec la princesse Marguerite de Lorraine.

Richelieu le récompensa de ce bienfait en érigeant pour lui en duché pairie la seigneurie d’Aiguillon en Agenais et lui donna en mariage, avec 100 000 livres comptant, une de ses cousines, Marguerite Philippine de Cambout-Coislin, fille puînée du baron de Pont-Château. Sa sœur aînée était en même temps mariée au duc de La Valette (v. note précédente), tout comme une autre cousine du cardinal, Mlle du Plessis-Chivry, avec le comte de Guise. La cérémonie eut lieu le 28 novembre 1634 au Petit Luxembourg, et les fêtes, le soir, à l’Arsenal.

La faveur de Puylaurens fut fort brève : il ne tint pas sa promesse de démarier le duc d’Orléans et se remit à intriguer de plus belle en sa faveur. La riposte du cardinal fut immédiate et sans pitié : arrêté au Louvre en février 1635, le duc fut enfermé au château de Vincennes (v. note [4], lettre 20) ; il y mourut d’une fièvre pourprée au mois de juin suivant (G.D.U. xixe s.).

Puylaurens ne laissa pas d’enfant et son duché échut en 1638 à une nièce de Richelieu, Marie-Madeleine de Vignerod, veuve du marquis de Combalet. Guy Patin a souvent évoqué la duchesse d’Aiguillon (v. note [62], lettre 101) dans la suite de ses lettres, en termes généralement peu flatteurs.

15.

La France avait consolidé ses alliances avec la Suède et les princes allemands contre l’empereur, et commençait à s’engager directement dans la guerre de Trente Ans. Le 2 septembre, devant Nordlingen, les Impériaux avaient imposé une dure défaite aux coalisés protestants.

Urbain de Maillé, marquis de Brézé (Brézé, Maine-et-Loire, 1597-Milly-le-Meugon, même département, 13 février 1650), maréchal de France, était fils de Charles de Maillé, marquis de Brézé, et de Jacqueline de Théval. Gouverneur de Saumur, il avait pris part au siège de La Rochelle, fait les campagnes de Piémont en 1629 et en 1630, recevant alors le grade de maréchal de camp. Envoyé en 1632 comme ambassadeur auprès du roi de Suède, Gustave-Adolphe, le marquis de Maillé était devenu la même année maréchal de France. Nommé commandant de l’armée d’Allemagne en 1634, il prit Heidelberg et Spire, passa l’année suivante dans les Pays-Bas, remporta sur les Espagnols la victoire d’Avein, mais ne sut point en profiter. Ambassadeur en Hollande en 1636, il devint en même temps gouverneur d’Anjou, se signala ensuite en diverses rencontres dans le Roussillon et en Picardie, et obtint en 1642 la vice-royauté de Catalogne.

Le maréchal de Brézé était beau-frère du cardinal de Richelieu, ayant épousé en 1617 Nicole du Plessis, sœur du cardinal, qui devint folle et mourut en 1635. Deux enfants naquirent de leur union : Jean-Armand, duc de Fronsac et de Gaumont, marquis de Brézé, dit Maillé-Brézé, amiral de France, et Claire-Clémence de Maillé, duchesse de Fronsac et de Gaumont, qui épousa en 1641 le duc d’Enghien, le futur Grand Condé (G.D.U. xixe s.).

16.

Geronimo Mercuriali ou Girolamo Mercuriale (Hieronymus Mercurialis), natif de Forli (Émilie-Romagne) en 1530, décéda, disent toutes ses biographies, dans la même ville en 1606, mais la notule {a} de la note [11], lettre 401 (où son décrits ses deux principaux ouvrages), établit qu’il est mort avant 1602. Il avait étudié à Bologne et pris le grade de docteur en médecine à Padoue. Envoyé à Rome en 1562 pour traiter d’affaires importantes à la cour du pape Pie iv (v. note [5], lettre 965), Mercuriali, cédant aux sollicitations pressantes du cardinal Farnèse, y passa sept années, sauf quelques courtes absences. Il les employa à la culture des lettres, à l’enseignement de la médecine, et surtout à la rédaction de son traité sur la gymnastique des anciens, ouvrage qui lui procura une grande réputation et le fit nommer en 1569 professeur à Padoue, par la République de Venise.

L’empereur Maximilien ii (v. notule {g}, note [24] du Borboniana 5 manuscrit) l’appela à Vienne en 1573 pour le consulter sur sa santé et lui donna en récompense le titre de comte palatin. Après avoir enseigné pendant 18 ans à Padoue, Mercuriali passa à Bologne, puis à Pise, où l’attira la générosité du grand-duc de Toscane. Enfin, il se retira dans sa patrie, où il mourut. Mercuriali brilla comme professeur et comme praticien parmi ses contemporains ; il a laissé de nombreux livres qui attestent de son grand savoir et de sa profonde érudition (J. in Panckoucke).

17.

« sur le profit à tirer des infortunes », v. note [30], lettre 6.

18.

Port de guerre doté d’un bel arsenal, Toulon (Var) était alors une ville frontière entre la France et la Savoie. La fausse rumeur courait alors qu’une armée navale s’était rassemblée à Naples pour venir débarquer sur les côtes de Provence, et qu’elle avait surpris Toulon. La flotte espagnole ne fit son apparition sur les côtes de Provence que le 15 septembre 1635 pour s’emparer des îles du Lérins, Sainte-Marguerite et Saint-Honorat (Triaire).

19.

Gazette (ordinaire no 97 du 21 septembre 1634, pages 395‑396), L’entreprise d’un général espagnol découverte sur le Languedoc :

« L’onzième de ce mois de septembre, comme trois gardes de la traite foraine {a} passaient la nuit à deux lieues de la frontière d’Espagne, ne pensant qu’à empêcher le transport des marchandises défendues et conserver leurs droits aux autres, ils aperçurent sur la minuit un Espagnol bien monté, mais mal vêtu, auquel un guide à pied montrait les avenues. {b} Ils l’arrêtent tout court, lui demandent le billet qu’on est tenu de prendre de tout temps aux Cabanes-de-Fitou, {c} un peu au delà du Mal-Pas qui sépare la France de l’Espagne ; et à faute de l’avoir, ils confisquent son cheval, qu’il leur laisse sans contester, voulant gagner au pied. {d} Ils lui disent qu’il a en outre encouru l’amende ; il leur donne à l’instant une poignée de pistoles, sans les compter. Cette crainte ou cette libéralité extraordinaire les jette en un soupçon qu’il était autre qu’un pauvre cavalier, comme il leur avait dit sur le Qui va là ? C’est pourquoi ils le mènent au sieur de Barry, gouverneur de Leucate, à demie lieue de là ; lequel l’ayant reconnu pour don Juan de Menesses, général du comté de Roussillon pour le roi d’Espagne, comme aussi lui-même l’avait depuis confessé aux gardes par le chemin, le sieur de Barry lui dit qu’il ne pouvait laisser aller un Espagnol déguisé et sans la suite que requérait sa condition, qu’il avait celée, aussi bien que le dessein de son voyage qui ne pouvait être que mauvais et préjudiciable au service du roi, et non un simple égarement comme il disait, qui n’est pas imaginable, n’y ayant là que ce détroit par où il a passé et qui par conséquent, n’a pu être pris pour un autre chemin par un gouverneur du pays. D’ailleurs, inexcusable de s’être trouvé avancé de deux lieues sur les terres du roi sans le billet ou passeport que le roi d’Espagne oblige tous les Français de prendre aussi avant que d’entrer sur les siennes ; et ce à une heure et en une saison fort suspectes. C’est pourquoi il en voulait prendre avis de quelques-uns (pour l’absence du duc d’Alluyn, gouverneur de la province, et du vicomte d’Arpajon, lieutenant du roi au Bas-Languedoc, où se passait cette affaire) ; et l’ayant à cette fin conduit à Narbonne, où il trouva l’archevêque du lieu, les sieurs Miron et Le Camus, intendants de la justice, le sieur du Persi, gouverneur de la place, et le marquis de Varennes, gouverneur d’Aigues-Mortes, ils ne trouvèrent aucune difficulté à le retenir dans Narbonne ; de quoi ils ont donné avis au roi par un courrier exprès, arrivé à la cour le 18e de ce mois. Ce général est l’un des meilleurs chefs qu’eût le roi d’Espagne, qui, ne s’étant voulu fier au rapport d’autrui, venait en personne reconnaître ce passage, lequel est le plus facile à la conduite du canon. Mais comme tous les desseins ne réussissent pas en guerre, il se trouve l’avoir fort mal commencée. Si bien que son parti a besoin de quelque autre plus heureuse main pour lui servir de bon augure aux grands projets qu’il fait contre la France. »


  1. La douane.

  2. Le passage.

  3. Au bord de l’étang de Leucate (v. note [9], lettre 51).

  4. Partir en marchant.

Richelieu menaça de faire subir à Menesses le même traitement que les Espagnols appliqueraient au maréchal Fabert (v. note [15], lettre 357), arrêté à Thionville où, sur l’ordre du roi, il s’était introduit pour prendre le plan de cette ville forte. Le cardinal-infant, gouverneur des Flandres espagnoles (v. note [13], lettre 23), préféra libérer Fabert (Triaire).

20.

Jean Piètre avait obtenu le premier lieu de la licence (v. note [8], lettre 3) en juin 1634, et allait disputer son acte de régence (pastillaire ou antéquodlibétaire ; v. note [13], lettre 22) le 14 novembre de la même année, après sa vespérie, le 26 juin, puis son doctorat le 29 août. Le 16 novembre, il allait présider pour la première fois la thèse quodlibétaire d’un bachelier (v. note [2], lettre 19) ; c’était ce que Guy Patin appelait ici sa « thèse de présidence ».

V. note [15], lettre 17, pour les disputes qui retardèrent la thèse de Jean Piètre sur les eaux minérales. Le nouveau doyen, élu le 4 novembre 1634, allait être Charles Guillemeau.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 27 octobre 1634

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(Consulté le 29/03/2024)

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