L. 19.  >
À Claude II Belin,
le 17 novembre 1634

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie bien humblement de la vôtre et de vos bonnes nouvelles. Je vous envoie le catalogue de nos docteurs[2] que notre nouveau doyen, M. Guillemeau, [3] a fait imprimer initio suæ inaugurationis ; [1] comme aussi la thèse [4] en laquelle M. Piètre [5] le jeune présida hier avec honneur et satisfaction de tous ses bons amis. Le point en est bien commun, mais la raison n’en est pas commune, joint que le texte me semble être couché en fort bons termes. [2] On dit ici que M. de Vitry [6][7] et M. de Saint-Chamont [8] ont eu grosse querelle en Provence, [9] jusque-là qu’on tient [que] M. de Vitry y est arrêté prisonnier de par le roi ; [10] d’autres disent qu’il a commandement de s’en revenir. [3] Quelques-uns disent que la reine mère [11] revient, sed non ego credulus illis[4][12] Deux docteurs de Sorbonne, [5][13] savoir MM. Isambert [14] et Lescot, [6][15][16] deux jésuites, l’un desquels est confesseur du roi, nommé [le] P. Maillan, [7][17] deux capucins[18] l’un desquels est le P. Joseph, [8][19][20] sont de retour d’Orléans [21][22] où ils étaient allés conférer avec Monsieur [23] pour rompre son mariage avec la princesse Marguerite. [9][24] C’est à quoi, sur leur relation, on va travailler ; ce sera premièrement devant l’évêque de Chartres, [10][25][26][27][28] puis après devant Monsieur notre archevêque de Paris ; [11][29][30] finalement, devant M. le cardinal et Archevêque de Lyon, [31][32][33] lequel, après cela, s’en ira à Rome. [12] On imprime ici à grande hâte l’histoire du roi d’à présent, faite par M. Dupleix [34] sur les mémoires de M. le cardinal. [35] Je crois bien qu’elle ne dira pas toutes les vérités, et néanmoins, par ce que j’en ai vu, je vous assure qu’elle dit plusieurs belles et étranges choses, fausses ou vraies. Elles sera achevée aux Rois, si nihil superveniat[13] Les importuns qui m’ont emprunté des livres sans me les rendre m’ont obligé de les avertir in posterum[14] par une affiche que j’ai mise à la porte de mon étude, [36] de laquelle je vous envoie une copie pour vous en servir à même fin, s’ils vous incommodent, mettant votre nom collé au-dessus du mien, qui sera toujours de celui qui veut être toute sa vie, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur,

Patin.

De Paris, ce 17e de novembre 1634.


a.

Ms BnF no 9358, fo 25 ; Triaire no xix (pages 76‑78) ; Reveillé-Parise, no xvi (tome i, pages 29‑30).

1.

« au début de son mandat ».

2.

Disputée le 16 novembre 1634, la première thèse présidée par Jean Piètre (v. note [20], lettre 18) avait été la première quodlibétaire du bachelier Léon Le Tourneurs (docteur régent en février 1637) : An qui e trucidati vulnere antea sicco manat sanguis, prodeunte etiam siccario, sola effluit putredine ? [Le sang qui se remet à couler de la plaie d’un homme assassiné, en présence de son meurtrier, provient-il de la seule putréfaction ?] (affirmative).

La question touchait au phénomène superstitieux de la cruentation que Jean-Pierre Camus (Le Témoignage du sang, L’Amphithéâtre sanglant… Paris, Joseph Cottereau, 1630, page 328, v. note [9], lettre 72) a défini en ces termes :

« Les histoires sont pleines d’exemples de ceux qui ont été convaincus des meurtres qu’ils avaient commis par le sang qui sortait en leur présence des plaies des meurtris. »

3.

Nicolas de L’Hospital, marquis puis duc de Vitry (1581-Nandy, près de Melun, 28 septembre 1644), descendait de la famille napolitaine des Galluccio (sans relation avec celle, auvergnate, du Chancelier Michel de L’Hospital, v. note [3], lettre 102). En 1611, Vitry avait hérité de son père la dignité de capitaine des gardes du roi. Il avait comploté avec le duc de Luynes la perte du maréchal d’Ancre, et obtenu du roi un ordre de le tuer. Accompagné de son frère cadet, François, comte du Hallier, maréchal de L’Hospital (v. note [7], lettre 83), il avait exécuté cet assassinat le 24 avril 1617, dans la cour du Louvre, et reçu en récompense le bâton de maréchal. Lors du soulèvement des huguenots (1621), il avait soumis au roi les villes de Châteaurenault, Gien et Jargeau, contribué, sous le prince de Condé, à la prise de Sancerre et de Sully, et conduit les opérations du blocus de La Rochelle. Il fut nommé en 1631 gouverneur de Provence. Ses abus d’autorité lui valaient alors d’être rappelé à la cour pour s’expliquer. En 1637, un acte de violence envers l’archevêque de Bordeaux, Henri Escoubleau de Sourdis (v. note [5], lettre 29), qu’il frappa de son bâton, le firent suspendre de son gouvernement et mettre à la Bastille, d’où il ne sortit qu’en 1643, après la mort de Richelieu. L’année suivante, il fut créé duc et pair, et mourut peu de temps après (G.D.U. xixe s. et Triaire).

Melchior Mitte de Chevrières Miollans (1586-1649), marquis de Saint-Chamont (Saint-Chamond ou Saint-Chaumont), homme de confiance de Richelieu, avait été successivement nommé lieutenant général du Lyonnais, Forez et Beaujolais en 1612, chevalier des Ordres du roi en 1619, maréchal de camp en 1621, ambassadeur en Italie en 1627, et enfin ministre d’État en 1633 (Triaire) ; c’est lui qu’on avait en vain chargé d’empêcher la fuite de Marguerite de Lorraine à Bruxelles en août 1633 (Adam). Envoyé en ambassade à Rome en septembre 1643, Saint-Chamont en fut rappelé en novembre 1644 « avec injure pour ne s’être pas bien gouverné en l’élection du pape » (Olivier Le Fèvre d’Ormesson, Journal, tome i, page 227).

4.

« mais je ne les crois pas » : tournure volontiers employée par Guy Patin, qu’on trouve dans Virgile (Bucoliques, églogue ix, vers 34). En butte à l’inébranlable vindicte de Richelieu, Marie de Médicis, veuve de Henri iv et mère de Louis xiii, exilée en juillet 1632, ne revit en effet jamais le ciel de France avant de mourir, dix ans plus tard.

5.

Au sens restreint, la Sorbonne avait été un Collège fondé par Robert de Sorbon (Sorbon, près de Rethel, 1201-Paris 1274) en 1253 pour accueillir les étudiants en théologie appartenant au clergé séculier, voulant ainsi s’opposer à la dominance du clergé régulier (dominicains et franciscains) sur la Faculté de théologie (exclusivement catholique) de Paris. Plusieurs autres collèges dispensaient l’enseignement préparatoire aux degrés de cette Faculté (baccalauréat, licence, doctorat, v. note [4], lettre 674) ; le plus renommé était celui de Navarre. Toutefois, à partir de 1554, la Faculté ayant pris l’habitude de siéger dans le Collège de Sorbonne, elle adopta son nom et devint la Maison et Société de Sorbonne, mêlant de manière plus ou moins balancée les deux clergés, régulier et séculier. Cette mixité faisait coexister les deux grands courants de l’Église française : les ultramontains qui se plaçaient sous l’obédience directe de Rome, et les gallicans qui faisaient valoir les intérêts du roi et des évêques de France.

Au sens large, la Sorbonne désignait l’assemblée des docteurs de théologie à Paris (Sacra Facultas theologorum [sainte Faculté des théologiens]). Elle prononçait des avis sur toutes les questions religieuses et philosophiques, et exerçait un pouvoir de censure. Aucun jésuite n’en faisait partie, mais cela n’empêchait pas tout à fait la Compagnie de Jésus d’y exercer son influence indirecte (par l’intermédiaire du pouvoir royal, quand il lui était favorable, et du clergé régulier, soumis à Rome), comme il est notamment apparu lors des querelles sur le jansénisme.

Outre celle de théologie, la Sorbonne abritait la Faculté de droit canonique. La Faculté des arts (Quatre-Nations), comme la plus ancienne, dirigeait l’Université de Paris, avec prééminence sur les trois autres facultés qui la composaient (théologie, médecine, droit canon, v. note [8], lettre 679).

6.

Nicolas Isambert (ou Ysambert), natif d’Orléans (mort à Paris le 14 mai 1642 âgé de 77 ans), docteur et professeur de théologie en Sorbonne, a composé divers ouvrages de philosophie scolastique (v. note [3], lettre 433).

Jacques Lescot (mort le 22 août 1656) était docteur en Sorbonne et confesseur de Richelieu. Nommé évêque de Chartres le 13 décembre 1641 en succession de Léonor d’Étampes-Valençay (v. infra note [10]), il allait recevoir ses bulles d’Urbain viii le 22 juillet 1643 (Triaire et Gallia Christiana).

Dom Jean Liron a parlé de Lescot dans sa Bibliothèque générale des auteurs de France, livre premier… (Paris, Jean-Michel Garnier, 1718, in‑8o, page 152) :

« Ce prélat rechercha avec soin les bons livres, dont il composa une belle bibliothèque. L’an 1654, il fut chargé de faire la lettre circulaire adressée aux évêques absents par ceux de l’Assemblé du Louvre. Il dressa un catéchisme pour l’usage de son diocèse. On dit qu’il avait entrepris d’écrire l’histoire de son église, mais qu’il trouva de si grandes difficultés dans l’exécution de ce dessein qu’il fut obligé de l’abandonner. On trouve aussi qu’il publia quelques écrits dans sa jeunesse, qui lui firent bien de l’honneur ; et néanmoins, on prétend qu’il s’en repentit dans un âge plus avancé. »

7.

Charles Maillan, jésuite originaire du Bugey, avait été recteur des collèges de Lyon et d’Avignon. Richelieu, durant son exil dans cette ville, avait fait sa connaissance et fait de lui un confesseur du roi en 1631 (à la place du P. Jean Suffren). Il se montra à la fois parfaitement étranger aux affaires politiques et très fidèle au cardinal jusqu’à sa mort, à Bourbon-Lancy, le 4 octobre 1635 (R. et S. Pillorget).

8.

François Leclerc (ou Le Clerc) du Tremblay (Paris 1577-Rueil 18 décembre 1638), en religion le père Joseph de Paris, surnommé l’Éminence grise de Richelieu, était le fils puîné de Jean, président des Requêtes du Parlement de Paris (v. note [13] du Borboniana 3 manuscrit). François avait reçu une éducation brillante, fait une campagne sous le nom de baron de Maffiée, et était entré en 1599 dans l’ordre des capucins dont il conquit rapidement les premiers grades. En 1612, il avait fait connaissance de l’évêque de Luçon, futur cardinal de Richelieu, pour s’attacher définitivement et indéfectiblement à sa personne. Quand Richelieu devint principal ministre (novembre 1623), il sortit le P. Joseph de son couvent pour le prendre à son service. Ce fut lui qui obtint de Rome la dispense nécessaire au mariage de Henriette de France avec le roi d’Angleterre, Jacques ier (1624), qui négocia avec les princes allemands pour imposer à Ferdinand ii le renvoi du général mercenaire Albrecht von Waldstein (v. note [8] du Borboniana 9 manuscrit), et qui signa la paix de Ratisbonne (1629). Il eut encore la plus grande part à l’odieuse rétractation arrachée à Edmond Richer (v. notes [27], lettre 337, et [41] du Patiniana I‑2), à l’arrestation de la reine mère, Marie de Médicis et à son éloignement ; enfin à tous les événements importants de l’administration du cardinal, dont il était réellement le bras droit, et même l’alter ego.

Ce moine homme d’État était un vrai ministre, sans titre officiel, mais avec une autorité devant laquelle s’inclinaient les plus grands. Après des années de vaine insistance auprès du pape Urbain viii, Louis xiii venait d’obtenir pour lui le chapeau de cardinal, mais le P. Joseph mourut avant de pouvoir être nommé. Mazarin lui succéda auprès de Richelieu dans les fonctions de conseiller et exécuteur diplomatique. Le Borboniana 3 manuscrit a conté quelques anecdotes rares sur le P. Joseph (v. ses notes [13], [14] et [15]).

9.

V. notes [6] et [10], lettre 18, pour le mariage de Gaston, frère cadet de Louis xiii avec Marguerite de Lorraine, que contestait la Couronne de France. Orléans (Loiret), sur la Loire, à 135 kilomètres au sud-ouest de Paris, était la plus grande ville du duché d’Orléans que le fils cadet du roi recevait en apanage depuis le xive s. (règne de Philippe vi). L’autre grande ville de l’Orléanais était Blois (v. note [9], lettre 18), où Monsieur avait son château. L’Université d’Orléans, fondée en 1306, était surtout réputée pour sa Faculté de droit.

10.

Chartres (Eure-et-Loir), sur l’Eure à 90 kilomètres au sud-ouest de Paris, capitale de la Beauce et d’un duché alors attribué à la Maison d’Orléans. C’était le siège d’un évêché et d’un vice-bailliage.

Léonor (ou Éléonor) d’Étampes-Valençay (1585-Paris 8 avril 1651), entré fort jeune dans les ordres, avait d’abord été abbé de Bourgueil-en-Vallée, député du Clergé aux états généraux de 1614 (v. note [28] du Borboniana 3 manuscrit). Évêque de Chartres en 1620 et le premier, en 1635, à aller faire son hommage au cardinal de Richelieu, il allait être nommé archevêque de Reims en 1641 après la démission du duc de Guise, Henri ii de Lorraine (v. note [4], lettre 27) (G.D.U. xixe s. et Adam).

Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome i, pages 422-432) ; elle commence par ce portrait :

« Éléonor d’Étampes avait fort bien étudié et avait la mémoire heureuse : il a écrit quelque chose. Il avait l’esprit agréable, était bien fait de sa personne ; mais il n’y a jamais eu un homme si né à la bonne chère et à l’escroquerie ; bon courtisan, c’est-à-dire lâche et flatteur. Il eut l’abbaye de Bourgueil, en Anjou, dès son enfance ; après, il fut évêque de Chartres, et enfin archevêque de Reims, quand on fit le procès à M. de Guise. »

Plus loin (page 424), on trouve de scabreux détails :

« M. de Reims (il vaut mieux l’appeler toujours ainsi) dépensait furieusement ; car, outre qu’il a toujours tenu une table fort délicate et fort bien servie, il a toujours eu grand train. Il était soigneux de faire apprendre tous les exercices à ses pages, et d’en avoir toujours de beaux. Quelques-uns en médirent ; cela fut cause qu’il en prit de moins beaux ensuite. On m’a dit qu’il se contentait alors de leur branler la pique, et en même temps leur passait la main dans les cheveux. Je ne sais comment il en usait en sa jeunesse ; mais plus de vingt ans devant que de mourir, il avait un pain de sucre, et demoiselle Giot (une guérisseuse de hergnes) {a} a plusieurs fois travaillé à ses affaires. De là vient le conte qu’on fait de lui et de M. Denetz, évêque d’Orléans. Ils gagèrent {b} à qui aurait le plus long v… M. de Reims perdit et lui dit après : “ Ma revanche pour les couilles. ” » {c}


  1. Hernies. Le « pain de sucre » évoque la protrusion conique d’une hernie ombilicale (au travers du nombril), mais je n’en ai pas trouvé d’attestation écrite.

  2. Parièrent.

  3. Pour être si fanfaron, M. de Reims devait avoir deux hernies inguino-scrotales (une de chaque côté), avec glissement de l’intestin par le canal inguinal dans le scrotum, donnant l’apparence de volumineux testicules.

11.

Jean-François de Gondi (Paris 1584-ibid. 21 mars 1654), cinquième des dix enfants d’Albert de Gondi, duc et maréchal de Retz (v. note [4], lettre 196), a été le premier archevêque de Paris, nommé en 1622 quand Grégoire xv érigea l’évêché de Paris en archevêché. En 1643, il prit pour coadjuteur son neveu, Jean-François-Paul de Gondi, le futur cardinal de Retz.

12.

Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu (Paris 1582-Lyon 23 mars 1653), surnommé le cardinal de Lyon, était le deuxième fils de François du Plessis de Richelieu. Il avait été nommé évêque de Luçon en 1595, mais avait abandonné la mitre pour se retirer à la Grande Chartreuse en 1602. En 1623, son frère cadet, Armand Jean, fraîchement nommé cardinal et alors en pleine ascension politique, l’en avait fait sortir pour lui faire donner l’archevêché d’Aix, puis celui de Lyon, en 1625.

En 1629, il avait été promu cardinal, par dérogation au décret de Sixte Quint statuant que deux frères ne devaient jamais porter la pourpre en même temps. Il était devenu ensuite grand aumônier de France et comme tel, commandeur des Ordres du roi, par la démission du cardinal de La Rochefoucauld en 1632. Il fut pourvu des plus riches bénéfices, s’acquitta avec succès, en 1635, d’une mission auprès de la cour de Rome, assista en 1644 au conclave qui élut Innocent x et l’année suivante, présida l’Assemblée du Clergé de France (G.D.U. xixe s. et R. et S. Pillorget).

13.

« si tout va bien. » V. note [9], lettre 12, pour l’Histoire de Scipion Dupleix (Paris, 1621-1633).

14.

« pour l’avenir ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 17 novembre 1634

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(Consulté le 25/04/2024)

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