L. 26.  >
À Claude II Belin,
le 8 novembre 1635

Monsieur, [a][1]

Je ne sais par où commencer pour vous remercier de tant d’affection que me témoignez, et principalement de votre pâté, [2] duquel je vous remercie bien humblement. Ma femme pareillement vous baise les mains et vous en remercie. Nous espérions que votre pâté serait venu pour le baptême d’un quatrième garçon que nous attendons, mais il eût pu être gâté auparavant, puisque le petit galant ne vient pas encore. Je crois que c’est qu’il veut mûrir et passer le terme, afin d’être plus habile homme que les autres, et que le terme ordinaire est trop peu de chose, trop court pour lui, aussi bien que pour les enfants des princes. Je souhaite qu’il vienne en bonne santé de lui et de sa mère, et qu’il soit quelque jour honnête homme, combien que ma femme [3] désire fort à cette fois d’avoir une fille. [1][4][5] Je vous envoie par ce présent porteur le 2d tome des Conseils de Baillou, [2][6] desquels je vous prie d’avoir agréable le présent. Dans huit jours, s’il vient quelqu’un de vos amis en cette ville, je vous en enverrai un autre, qui est Scholæ medicæ Frambesarii, multo auctiores et locupletiores quam antea[3][7] avec quelques thèses de médecine [8] dans lesquelles nous allons rentrer à cette Saint-Martin. Il y a quelque temps que je vis ici votre Monsaint, [9] fort pâle et défait ; je pense qu’il a plu sur sa mercerie, [4] de quelque fièvre continue. [10] On dit ici que nos gens ont levé le siège de Valence [11][12] au Milanais, [5][13] et que notre armée était trop faible pour la prendre. On dit aussi que le maréchal de Brézé [14] revient de Hollande, son armée étant dissipée. Il se parle ici de paix, et dit-on que le roi [15] envoie à Constance, [6][16] pour en traiter, M. de Bullion [17] et le P. Joseph, [18] et le maréchal d’Estrées [19] à Rome. [7] On dit aussi que M. de Bellièvre, [20][21] le maître des requêtes, gendre de M. de Bullion et ambassadeur pour le roi vers les princes d’Italie, [8] a accordé avec M. de Mantoue [22] le mariage de la princesse Marie, [23] sa fille, et de Monsieur, [24] frère du roi, lui donnant tout le bien qu’il a en France. [9] On s’en va ici, après la Saint-Martin, faire quantité de nouveaux officiers pour avoir de l’argent, comme conseillers, présidents, maîtres des comptes, etc. On dit plusieurs autres choses, desquelles, pour être trop incertaines, je ne vous écris point. Je vous baise bien humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Patin.

Ce 8e de novembre 1635.


a.

Ms BnF no 9358, fo 32 ; Triaire no xxvi (pages 96‑97) ; Reveillé-Parise, no xx (tome i, pages 34‑35).

1.

Cet enfant, dont Guy Patin était si assuré du sexe, fut prénommé François : comme son grand-père paternel, François i, v. note [9], lettre 10, et son oncle François ii, v. note [19], lettre 106. Baptisé le 21 novembre 1635, il venait après Robert, l’aîné, les deux Charles et Pierre (v. note [4], lettre 11). Ce premier François [iii] mourut en bas âge. Il fut suivi d’un second François [iv], né en décembre 1637.

2.

V. note [8], lettre 24.

3.

« les Conférences médicales de La Framboisière beaucoup plus développées et riches qu’avant » ; annonce des :

N. Abrah. Frambesarii Veromandui, Medici Regii, Primarii in Academia Remensi Professoris, Scholæ Medicæ multo quam antehac ampliores ac locupletiores. In quibus de Medicinæ Theoria et Praxi acriter disputatur. Ad Candidatorum Examen pro laurea impetranda subeundum.
Editio sexta, præcedentibus emendatior, dimidioque auctior, partim nova quæstionum variarum passim insertarum accessione, partim examine quadruplici : Primo super Anatomica administratione ; ad Physiologiæ calcem addito : Secundo super actionibus, excrementis et habitu corporis, ad morbi diagnosin et prognosin accurate perpendendis, in quibus Semiotice ultima Pathologiæ pars versatur : Tertio super medicamentorum præparandorum methodo duplici, analytica et synthetica, sub Therapeuticæ finem : Quarto super Symptomaton Febres comitantium curatione, ad Pyretologiæ coronidem
.

[Conférences médicales de Nicolas-Abraham de La Framboisière, {a} natif du Vermandois, médecin du roi et premier professeur en l’Université de Reims : beaucoup plus développées et riches qu’auparavant, on y dispute avec pénétration sur la théorie et la pratique de la médecine. Destiné à l’examen des candidats au doctorat.
Sixième édition, mieux corrigée que les précédentes et augmentée de moitié, en partie par l’addition nouvelle en tous endroits de questions diverses, et en partie par un quadruple renfort : 1. sur l’organisation anatomique, ajoutée à la fin de la physiologie ; 2. sur les actions, excréments et habitude du corps qu’il convient de soigneusement examiner pour le diagnostic et le pronostic de la maladie, dont traité sémiologiquement la dernière partie de la pathologie ; 3. sur la double méthode, analytique et synthétique, à suivre pour préparer les médicaments, placée à la fin de la thérapeutique ; 4. sur le traitement des symptômes qui accompagnent les fièvres, en couronnement de la pyrétologie]. {b}


  1. V. note [17], lettre 7.

  2. La pyrétologie est l’étude des fièvres.

    Paris, Jean Jost, 1636, in‑12 de 760 pages.


Ce sont quatre Disputationes, présentées sous forme de dialogue entre le doyen et le candidat, arrangées selon les quatre parties de l’enseignement médical de l’époque (v. note [13] des Pièces liminaires du Traité de la Conservation de santé) :

  1. De medicinæ Definitione, et partitione, deque rebus naturalibus, in quarum contemplatione φυσιολογια occupatur [Sur la Définition et le partage de la médecine, et sur les choses naturelles, qui sont l’objet de la physiologie] ;

  2. De Rebus non naturalibus, in quarum legitimo usu υγιεινη consistit [Sur les Choses non naturelles, en quoi consiste l’utilité légitime de l’hygiène] ;

  3. De Rebus præter naturam, in quarum cognitione παθολογια versatur [Sur les Choses contre nature, dont la connaissance est dévolue à la pathologie] ;

  4. De curandi Methodo, quæ θεραπευτικη Græcis dicitur [Sur la Méthode pour soigner, que les Grecs appellent thérapeutique].

4.

« On dit proverbialement, qu’il a plu sur la mercerie de quelqu’un, pour dire, que son trafic va mal, qu’il est prêt à faire banqueroute » (Furetière).

5.

Après avoir été brièvement placés sous la domination des rois de France, Milan et le Milanais étaient sous contrôle espagnol depuis leur conquête par Charles Quint en 1535.

Valence (Valenza), à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Milan, était alors une ville stratégique du Milanais, située sur sa frontière occidentale (avec le Monferrat), sur la rive droite du Pô. L’un des avant-postes protégeant la route (Camino Español) que les armées d’Espagne empruntaient pour aller de la Méditerranée aux Pays-Bas, Valence allait plusieurs fois changer de mains jusqu’à la paix de Pyrénées (1659).

6.

Constance (Konstanz, Bade-Wurtenberg) était une ville impériale libre du cercle de Souabe, sur les rives du Rhin, à sa sortie du lac de Constance (Bodensee). Évêché suffragant de Mayence, Constance avait été le siège d’un célèbre concile (1414-1418).

7.

François-Annibal, duc et maréchal d’Estrées (Paris 1572-ibid. 5 mai 1670), marquis de Cœuvres, premier baron de Bourbonnais, était le sixième enfant et premier fils d’Antoine d’Estrées, grand maître de l’Artillerie. Une de ses sœurs aînées était Gabrielle d’Estrées (v. note [7], lettre 957), maîtresse de Henri iv. François-Annibal avait d’abord été destiné à l’état ecclésiastique et été nommé évêque de Noyon en 1594. En 1596, après la mort de son frère cadet, François-Louis, il échangea la mitre contre un casque et leva un régiment, sous le nom de marquis de Cœuvres. Sa sœur étant alors toute puissante, son avancement avait été rapide. Il était devenu lieutenant général, gouverneur de Laon, puis, sous Louis xiii, ambassadeur à Rome (1621) où il avait usé de tous les moyens pour faire élire le pape Grégoire xv, puis en Suisse où il avait rendu, contre la volonté du pape Urbain viii et les armes à la main, la Valteline aux Grisons (v. note [28], lettre 240) protestants. Il avait reçu le bâton du maréchal de France en 1626. Envoyé peu après en Italie, d’Estrées y avait fait une expédition malheureuse, n’avait pu défendre Mantoue contre les Impériaux, était passé en Allemagne où il avait pris Trèves (1632). Il était alors sur le point de repartir à Rome comme ambassadeur extraordinaire (1636-1642) pour infléchir la politique pontificale en faveur de la France, contre l’Espagne.

Resté fidèle au roi pendant la Fronde, le maréchal commanda ses troupes dans le nord de la France. À l’avènement de Louis xiv, il remplit les fonctions de connétable pour la cérémonie du sacre, vit alors son marquisat de Cœuvres érigé en duché-pairie sous le nom de d’Estrées (1663), devint gouverneur de l’Île-de-France et ne s’y appauvrit pas. À l’âge de 93 ans, le duc se maria en troisièmes noces avec Mlle °Manicamp (Gabrielle de Longueval), qui fit bientôt une fausse couche, ce qui égaya beaucoup les contemporains.

Le maréchal d’Estrées a écrit des Mémoires de la régence de Marie de Médicis (Paris, 1666, in‑18), un Récit du conclave dans lequel Grégoire xv fut élu pape en 1621 et une Relation du siège de Mantoue en 1629 (G.D.U. xixe s., R. et S. Pillorget, Jestaz).

8.

Pomponne ii de Bellièvre (Paris 1606-ibid. 1657), marquis de Grignon, petit-fils du Chancelier Pomponne i de Bellièvre, était fils de Nicolas de Bellièvre (v. note [21], lettre 206) et de Claude Bruslart, fille du chancelier. Pomponne ii avait été nommé conseiller au Parlement de Paris en 1629. En 1635, il était maître des requêtes depuis 1631, avant de devenir président à mortier après la résignation de son père (1642), puis conseiller d’État. Il fut chargé de diverses missions diplomatiques en Italie (1635), en Angleterre, comme ambassadeur (1637-1640 et de nouveau, en 1646, pour offrir la médiation de Louis xiv entre Charles ier et son Parlement), en Hollande (1651). Il devint premier président du Parlement de Paris en 1653 à la mort de Mathieu i Molé. En 1633, Pomponne ii de Bellièvre avait épousé Marie de Bullion (R. et S. Pillorget, et Popoff, no 58).

9.

Le duc de Mantoue, Charles ier (v. note [11], lettre 18), père de la princesse Marie, était titulaire, en France, des duchés de Nevers et de Rethel. Gaston d’Orléans resta marié à Marguerite de Lorraine, contre la volonté de Louis xiii et de Richelieu.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 8 novembre 1635

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(Consulté le 25/04/2024)

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