J’ai jusqu’ici attendu de faire réponse aux deux vôtres pour vous mander la reddition de Corbie, [2] de laquelle on vient de nous assurer et pour laquelle on chantera demain sans faute le Te Deum à Notre-Dame. [1][3][4] On continue le livre de M. Martin, [5] duquel je vous donnerai avis quand il sera fait. [2] Je vous prie de croire que quand je prise ce vieux Martin, c’est à cause de son mérite premièrement ; et puis après, par une obligation particulière que j’ai à sa mémoire, laquelle votre bonne affection envers moi me permettra de vous dire : feu mon père [6] étant en cette ville député pour notre pays, y tomba malade, l’an 1601, d’une fièvre continue [7] et échut à avoir M. Martin pour médecin ; lequel ne voulut prendre de lui aucune récompense restituta valetudine, [3] lui disant qu’il ne prenait jamais d’argent de plus pauvres que lui quand ils étaient gens de bien, comme il le tenait pour tel. Cela lui acquit une rente d’un pâté de venaison qui lui a été payé tous les ans jusqu’à sa mort ; mais cela n’empêche pas que je ne prise fort vestratem Martinum, in cuius iactura [4][8] j’ai perdu un bon ami, et qui m’aimait extrêmement. Je l’ai quelquefois gouverné assez particulièrement et ai consulté quelquefois avec lui. [5][9][10] Huit jours avant le malheur fatal qui lui ôta la vie, je lui avais fait signer une consultation [11] pour un gentilhomme qui avait la pierre ; [12] et lui donnant un écu d’or que j’avais reçu pour lui, il me témoigna tant de ressentiment d’affection et d’amitié pour moi que je l’ai toujours extrêmement regretté ; ce que je ne ferais pas moins quand je ne l’aurais pas connu particulièrement, vu qu’au jugement de tous nos anciens, il était le premier de l’École entre ceux de son âge. M. Piètre [13] même, notre ancien, [14] que je tiens comme un oracle, et qui de soi est parcus laudator, [6] me l’a maintes fois haut loué et fort extollé. Quiescat igitur uterque Martinus, quorum memoriam apud me nulla ætas, nulla unquam delebit oblivio. [7] Pour monsieur votre beau-frère, [8][15][16] il m’est extrêmement recommandé, comme me sera aussi tout ce qui me sera adressé de votre part. Je l’en ai assuré et lui confirmerai quand il voudra. Je vous prie d’en assurer M. Sorel, [17] son père, et de le remercier à mon nom de la peine qu’il a prise de m’écrire ; auquel je fais aussi un petit mot de réponse pour l’assurer que son fils m’est fort recommandé et qu’il a tout pouvoir sur moi. M. Mégard [18] m’a adressé cette semaine passée une consultation pro epileptico adolescente Trecensi, dicto Michelin. [9][19] Je lui ai fait ample réponse ; je vous prie pourtant de ne lui en rien dire s’il ne vous en parle le premier, vu qu’il ne m’a nullement parlé de vous. Ex eius epistola et consilio, facile suspicor atque coniicio eum esse virum bonum, minime malum. [10] Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
Ce 16e de novembre 1636.
Ms BnF no 9358, fo 38 ; Triaire no xxxii (pages 111‑113) ; Reveillé-Parise, no xxiv (tome i, pages 40‑42).
Corbie, située 15 kilomètres en amont d’Amiens dans la vallée de la Somme, avait été reprise par les Français le 10 novembre (v. note [2], lettre 31). Le 17, un Te Deum à Notre-Dame et « force canonnades » allaient célébrer la victoire, et l’immense soulagement de Paris (R. et S. Pillorget, page 295).
« après lui avoir rendu la santé ».
« Le Martin de votre pays, avec la mort de qui » ; v. note [4], lettre 31, pour cet autre Jean Martin, originaire de Troyes.
Gouverné est à prendre au sens de soigné.
La consultation médicale était la plus prestigieuse pratique médicale des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris. Elle réunissait autour d’un malade plusieurs médecins qui venaient à son domicile. À Paris, le rituel en était précisément réglé par les statuts de la Faculté.
Nemo cum Empiricis, aut a Collegio Medicorum Parisiensium non probatis, Medica Consilia ineat.
[Que nul ne se participe à des consultation médicale en compagnie d’empiriques ou de praticiens que n’a pas approuvés le Collège des médecins de Paris].
In Medicis Consultationibus juniores primi, pro more sententiam dicant, et eo ordine, quo quisque ad Doctoratum promotus fuerit.
[Que lors des consultations médicales, les jeunes donnent ordinairement leur avis en premier, chacun se prononçant dans l’ordre d’ancienneté et de rang où il a été promu au doctorat].
Quod in ejusmodi Consulationibus a majore parte fuerit probatum, id Ægro, vel parentibus Ægri, vel assidentibus, qui Ægri curam habent, a seniore de Collegarum consensu prudenter referatur.
[Que, sur l’accord de ses collègues, le plus ancien fasse part de ce qui aura été approuvé à la majorité, en l’annonçant avec tact au malade, à ses parents, ou aux personnes qui prennent soin de lui].
Ad Consilia Medica vocati, sistant se præcise hora a Seniore præscripta, ne unius mora Ægro molestiam, vel cæteris Collegis incommodum afferat.
[Que ceux qui sont appelés en consultation médicale se réunissent à l’heure précisément fixée par le plus ancien, pour que le retard d’un seul ne soit cause de désagrément pour le malade, ou d’incommodité pour ses autres collègues].
Le reste de l’activité médicale des docteurs de Paris était solitaire, consacré aux visites : chacun allait visiter ses clients à domicile ; la coutume n’était pas de les recevoir chez soi, dans son étude (cabinet de travail). « Que nul ne visite les malades sans y avoir été régulièrement appelé » (art. xiv).
Les consultations pouvaient aussi se faire par écrit, à distance, sur une relation de l’état du malade, comme il en existe de nombreux exemples dans la correspondance de Guy Patin. Il arrivait au médecin, seul depuis son cabinet, de donner avis à une tierce personne (domestique ou parent du patient) ; mais au tout début de la Consultation 18, Guy Patin a mis en garde contre les prescriptions faites sans examiner le malade.
Visites et plus encore consultations étaient onéreuses et réservées aux personnes riches. À compter de 1639 (v. note [15] des Décrets et assemblées de 1650‑1651 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris), pour ne pas en abandonner l’exclusivité aux consultations gratuites de Théophraste Renaudot, quatre puis six docteurs régents (moitié jeunes et moitié anciens) assuraient à tour de rôle, tous les samedis matins, dans les hautes salles des Écoles, avant la messe, des consultations charitables écrites qui étaient réservées aux malades indigents.
« avare de louanges ». Il s’agissait de Nicolas ii Piètre (v. note [5], lettre 15), un des maîtres vénérés de Guy Patin en médecine.
« Que les deux Martin reposent donc en paix ; nulle durée, nul oubli n’effacera jamais en moi leur mémoire. »
La première épouse de Claude ii Belin, Marie Sorel morte en 1634 (v. note [1], lettre 17), était fille de Sébastien Sorel, apothicaire à Troyes, et d’Edmée Nico.
Le jeune beau-frère de Belin se nommait Nicolas Sorel (vers 1620-1690). Il s’apprêtait alors à quitter Troyes pour Paris, en vue d’y compléter ses études sous la tutelle de Guy Patin. En 1640, il partit à Montpellier pour y obtenir ses degrés de médecine en 1642. Il fut agrégé au Collège des médecins de Troyes la même année, et y devint médecin de l’Hôtel-Dieu en 1674 à la suite de son cousin Nicolas Belin (Triaire et Delatour-Lathuillière).
« pour un adolescent épileptique de Troyes, nommé Michelin ».
Blaise Mégard figure sur le tableau chronologique des docteurs agrégés au Collège des médecins de Troyes en date de 1635. N’étant ni licencié, ni docteur de Paris, il devait l’être de Montpellier pour pouvoir exercer à Troyes. Mégard mourut en 1647, ancien du Collège.
L’épilepsie est une maladie si courante et si spectaculaire qu’on l’a décrite depuis la plus haute Antiquité. Elle est faite de crises durant lesquelles le cerveau développe une excitation autonome qui se manifeste par des mouvements, des sensations ou des comportements incontrôlés. La forme la plus typique est la crise généralisée de grand mal, où le patient tombe subitement (mal caduc) en poussant un cri ; puis, au décours d’un spasme violent de tous les muscles (phase tonique, avec ordinairement morsure de la langue et perte des urines), le corps tout entier est agité de convulsions désordonnées (phase clonique) ; après une phase d’inconscience plus ou moins longue (phase résolutive), le malade s’éveille avec un oubli complet de tout ce qui s’est passé.
V. note [5], lettre 796, pour trois des remèdes qu’on employait contre l’épilepsie.
« De sa lettre et de sa consultation, je soupçonne et conjecture qu’il est un homme de bien et d’un peu de malice. »