L. 33.  >
À Claude II Belin,
le 18 janvier 1637

Monsieur, [a][1]

Je ne sais par où je dois commencer cette lettre : ou à vous remercier de votre beau pâté, [2] ou à me réjouir avec vous et vous congratuler de la nouvelle amie qu’avez faite. [3][4] Utrique vestrum omnia læta faustaque precor. Si tu gaudes et ego tecum gaudeo. Erit mihi tecum hæc congratulatio κοινη ut παντα τα των φιλων. Gaudeo tibi contigisse quod paucis contigit, ut bonam bonis prognatam, divitem, formosam sis nactus. Quare unum tum beatiorum potes dicere : itaque hoc unum enixe cupio, [5]

Omnis ut tecum meritis pro talibus annos
Exigat, et pulchra faciat te prole parentem
[1]

Je voudrais bien savoir quelque bonne nouvelle de ce pays pour vous mander, mais nous ne sommes pas si heureux que d’en savoir. Le jeudi 8e de ce mois, on joua ici à l’hôtel de Richelieu une comédie qui coûta 100 000 écus, quod notandum in ista qua versamur temporum difficultate ; [2][6] et le lendemain, vendredi 9e, entre sept et huit < heures > du matin, la rigueur de la saison joua une rude tragédie sur l’eau, qui fit enfoncer plus de cent bateaux [7] de la Grève, [3][8] chargés de vin, de blé, d’avoine, de poisson, de bois et de charbon, qui est un malheureux désastre pour les pauvres marchands. On met ici de nouveaux impôts [9][10][11][12] sur ce qu’on peut, entre autres sur le sel, le vin et le bois. J’ai peur qu’enfin on n’en mette sur les gueux qui se chaufferont au soleil et sur ceux qui pisseront dans la rue, comme fit Vespasien. [4][13] On dit ici qu’il y a eu sédition à Marseille, [14] et quelques maisons pillées. Dii meliora[5][15] Le commentaire de feu M. Martin [16] sur l’Hippocrate avance fort ; [6] j’espère que nous l’aurons ce carême. On s’en va ici imprimer de nouveau les préfaces et les poésies de M. Jean Passerat, [17] qui olim fuit vestros, nimirum Trecensis, vere nobilis, flos delibatus populi Suadæque medulla[7][18][19][20]

Toutes ses préfaces sont extrêmement bonnes, mais j’en prise particulièrement deux, savoir celle de Ridiculis, et de Cæcitate[8] dans la première desquelles graphice depictus legitur grex Loyoliticus[9][21] On parle ici d’un emprunt que veut faire le roi [22] sur toutes les bonnes villes de France, et que Paris y est taxé pour sa part à douze cent mille livres, et les autres à moins, chacune selon son pouvoir ; mais il me semble que ce n’est point argent prêt, tant pour les villes de la campagne que pour Paris même, quelque richesse qui semble y avoir ; car c’est chose horrible de savoir l’incommodité et la pauvreté qui se rencontrent partout ; et plût à Dieu que le roi sût par la bouche d’un homme de bien le malheureux état de son royaume et la disette de son peuple ; il y donnerait infailliblement tout autre ordre qu’il ne fait. Il y a quelques mois que M. Duret, sieur de Chevry, [23] président des comptes, qui était fils de Louis Duret, [24] qui a commenté les Coaques d’Hippocrate, [10][25] mourut en cette ville, le troisième jour après avoir été taillé de la pierre ; [11][26][27] pour lequel on a fait l’épitaphe que verrez au dos de la présente. [12] Je vous baise très humblement les mains, et à madame votre femme, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 18e de janvier 1637.

Épitaphe du président de Chevry

Ci-gît qui fuyait le repos,
Qui fut nourri dès la mamelle
De tributs, tailles, [28] impôts,
De subsides et de gabelle ; [29]
Qui mêlait dans ses aliments
Du jus de dédommagements,
De l’essence du sol pour livre. [30]
Passant, songe à te mieux nourrir,
La taille aussi l’a fait mourir !


a.

Ms BnF no 9358, fo 39 ; Triaire no xxxiii (pages 114‑116) ; Reveillé-Parise, no xxv (tome i, pages 42‑44) ; Prévot & Jestaz no 3 (Pléiade, pages 410‑412).

1.

« À chacun de vous je souhaite tout ce qu’il y a d’heureux et d’agréable. Si vous vous réjouissez, eh bien, je me réjouis avec vous. Vous accepterez mes félicitations puisque les amis partagent tout entre eux [avec παντη pour παντα]. Je me réjouis que vous soit arrivé ce qui est arrivé à peu de gens, et que vous en ayez trouvé une belle, riche et bien née parmi les bien nées. Comment pourrez-vous jamais dire une plus heureuse nouvelle ? C’est pourquoi je formule de tout cœur ce seul souhait : “ Qu’en échange de vos services, elle passe avec vous toute sa vie et vous rende père d’une belle progéniture. ” » Les deux vers sont de Virgile (Énéide, chant i, vers 74‑75).

Deux ans après son veuvage, Claude ii Belin s’était remarié, le 29 décembre 1636, avec Marie Riglet, fille de Moïse Riglet, maire de Troyes, et d’Anne Paillot. Cinq enfants naquirent de ce second lit (Delatour-Lathuillière).

2.

« ce qui doit être remarqué dans la rigueur des temps où nous vivons ».

La pièce de théâtre nouvelle qui fit alors sensation à Paris était Le Cid de Pierre Corneille. S’il s’agissait bien d’elle ici, l’indication de Guy Patin n’est pas dénuée de valeur car les historiens s’interrogent encore sur la date exacte de sa première, entre décembre 1636 et janvier 1637. Elle fut jouée par la troupe du Marais. L’hôtel Richelieu était sans doute le tout nouveau Palais-cardinal (futur Palais-Royal, v. note [10], lettre 16), doté d’un théâtre (devenu l’actuelle Comédie française).

3.

La Grève, ancien nom de la place de l’Hôtel de Ville de Paris, du fait de sa situation sur la berge de la Seine, était exposée à des inondations fréquentes. Afin d’empêcher l’éboulement des terres que minait l’effort des grandes eaux, le Corps de la ville avait fait depuis longtemps établir des palissades en bois, liées par des attaches en fer, qui furent plus tard remplacées par un mur divisant la place en deux : sur le bord de l’eau, la Grève proprement dite où accostaient les navires, et se tenait le marché aux vins et au charbon ; sur le même plan que l’Hôtel de Ville (qui était moins large, mais se tenait au même endroit que l’actuel édifice), se trouvait la petite place aux Canons, ainsi nommée parce qu’on y mettait l’artillerie de la ville lors des cérémonies et des fêtes publiques. Depuis le Moyen Âge se dressait sur la Grève un gibet, qui restait du temps de Guy Patin un des lieux les plus courants pour les exécutions capitales. Avant la construction du Pont-Neuf, la Grève était le rendez-vous des oisifs, des étrangers, des gens du peuple, des ouvriers (de là l’expression se mettre en grève). La Grève était le théâtre le plus ordinaire des fêtes populaires ; tous les ans, la veille de la Saint-Jean, on y allumait un grand feu de joie (G.D.U. xixe s.).

4.

L’empereur Vespasien (Titus Flavius Sabinus Vespasianus, 7-79 apr. J.‑C.), dixième des douze Césars, n’a pas établi les urinoirs publics à Rome, mais institué une taxe sur la collecte de l’urine, employée comme source d’ammoniac par les foulons (Suétone, Vie des douze Césars, Vespasien, xxiii, 5) :

« Son fils Titus lui reprochait d’avoir mis un impôt sur les urines. Il lui mit sous le nez le premier argent qu’il perçut de cet impôt et lui demanda s’il sentait mauvais. Titus lui ayant répondu que non : “ C’est pourtant de l’urine ”, dit Vespasien. »

5.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » ; citation raccourcie de Virgile (Géorgiques, chant iii, vers 513, qui s’achève sur une description effrayante de la peste) :

di meliora piis, erroremque hostibus illum !

[puissent les dieux ménager des jours meilleurs aux gens pieux, et réserver cet égarement à vos ennemis !].

Marseille était la principale ville de Provence, mais le parlement s’en situait à Aix. « Le port de Marseille […] n’est pas extrêmement grand ; mais il est fort sûr, l’entrée en est si étroite qu’on la ferme toutes les nuits avec une chaîne de fer et outre cela, il est défendu par deux citadelles qui sont aux deux côtés de son entrée. On y tient les galères du roi et on voit sur son bord un bel arsenal où l’on bâtit de nouvelles galères […]. Cette ville a une sénéchaussée, une Cour de l’Amirauté, et un évêché suffragant d’Arles. Son terroir est fort beau et si rempli de maisons de campagne que les plus modérés y en comptent jusqu’à six mille. Elles sont destinées au divertissement des bourgeois ; mais principalement à leur servir de retraite en temps de contagion [peste, v. note [6], lettre 7] » (Trévoux).

6.

De Morbis internis (v. note [3], lettre 31) dont l’achevé d’imprimer est daté du 16 avril 1637.

7.

« qui fut autrefois de votre pays, assurément Troyen, vraiment célèbre, “ fleur détachée du peuple, et moelle de Suada ”. »

La citation est de Quintus Ennius (Annales de la République romaine, ix, 308), poète latin (239-169 av. J.‑C.) protégé et favori des Scipion qui lui donnèrent après sa mort une place dans leur tombeau de famille. Son œuvre eut une grande influence sur la poésie latine, mais il ne nous en est parvenu que des fragments.

Suada (ou Suadela) est la déesse ou Grâce romaine (Peitho des Grecs) « de la persuasion et de l’éloquence, fille de Vénus et sa compagne chérie, une des déesses qui présidaient au mariage » (Fr. Noël).

Guy Patin travaillait alors à la réédition des :

Io. Passeratii eloquentiæ professoris et interpretis regii, Orationes et præfationes [Discours et préfaces de Jean Passerat, {a} professeur et interprète royal d’éloquence]. {b}


  1. Mort en 1602, v. note [2], lettre 21.

  2. Paris, Mathurin Hénault, 1637, in‑8o de 335 pages ; les précédentes éditions avaient été imprimées à Paris (David Douceur, 1606, in‑8o) et à Francfort (W. Richter, 1615, in‑12, et F. Weiss, 1622, in‑12).

    L’index fournit la liste des 31 oraisons et préfaces réunies dans l’ouvrage.


Je remercie beaucoup Gianluca Mori (v. note [5], lettre latine 302) d’avoir attiré mon attention sur la dédicace de cette édition :

Clarissimo et Nobilissimo Viro D.D. Carolo Guillemeau, Regis Christianissimi Consiliairio, et Medico ordinario, et Facultatis Medicæ Parisiensis ex Decano, G.P.B. S.P.D.

[G.P.B. {a} adresse ses profondes salutations au très brillant et noble M. Charles Guillemeau, conseiller et médecin ordinaire du roi très-chrétien, et ancien doyen de la Faculté de médecine de Paris]. {b}


  1. Guy Patin natif de Beauvaisis.

  2. Charles Guillemeau (v. note [5], lettre 3) avait été doyen de la Faculté de 1634 à 1636.

S’agissant, à ma connaissance, de la seule épître dédicatoire que Patin ait signée, {a} il vaut la peine de la transcrire et traduire dans une édition de ses écrits qui ambitionne d’être complète :

Affero tibi delicias tuas, (Vir Clarissime) nimirum Ioannis Passeratii του μακριτου Epistolas et Præfationes ; imo Passerativm ipsum, in arte sua plane Roscium, tuæ virtuti debitum, gratissima mentis veneratione offero atque appendo : Tuum, inquam, an potius bonorum omnium ? qui justi rerum æstimatores, nec transuersa tuentibus hirquis, magnorum virorum monumenta in æternum victura, ardentiore animi studio amplectuntur ? E quibus sane quamplurimi postquam politioribus Musis suam dicarunt operam, ferme necquidquam, (vel seueriore Censorum, queis ραον μωμεισθαι η μιμεισθαι, iudice,) hoc opere præstantius, hoc Orationum suauius, hoc Præfationum monimento elegantius existimant. Unde facile conijcias quanta cum iniuria, quam immerito, id opus densiori oblivionis et tenebrarum caligini immersum sepeliretur, quam nostro periculo videntur in regnum literarium subinducere nebulones quidam, qui optima quæque vel damnant iniqui, vel euirant inuidi, ut abortiua nobis obtrudant sua : quique suis hinc et inde emendicatis laboribus ; et inuiso puluere collectis atque consutis centonibus, nihil aliud, quam meram cum Lauernæ sacris impolitiam et horridam barbariem afferunt. Ne vero male recoctum olus, quod ajunt, fastidioso præsertim huius seculi palato obijcerem ; vtque in posterum fieret optimi Scriptorum illustrior memoria ; placuit operis fronti, in partes distracta varias doctorum virorum Elogia huc adcribenda transferre : quæ eo præsertim nomine tibi offero, ut Passerativm, meque ipsum, quem iamdudum noto singulari foues, deinceps amare pergas : Operis argumentum et a se, et ab Auctore, satis apud Te obtinet commendationis : Offerendi ratio, si te spectes, multum habet æquissimæ ; si me, plurimum officiosæ, necessitudinis. Vale.

[Voici des friandises que je vous offre (très distingué Monsieur) : ce sont les Épîtres et Discours de feu Jean Passerat, et même Passerat en personne, qui fut un parfait Roscius {b} en son art. Je l’offre et ajoute à ce qui est dû à votre vertu, en témoignage de ma très reconnaissante vénération. À vous, dis-je, mais n’est-ce pas plutôt au meilleur de tous les honnêtes gens ? de ceux qui, en impartiaux arbitres des choses, embrassent, nec transversa tuentibus hirquis, {c} avec le plus ardent zèle de l’esprit, les chefs-d’œuvre des grands hommes qui vivront pour l’éternité ? Vous êtes de ceux qui, en vérité fort nombreux, après avoir dédié leur travail aux plus brillantes Muses, en toute gratuité, estiment que (sauf jugement plus sévère de censeurs, pour qui il est plus aisé de blâmer que d’imiter) {d} rien n’est plus remarquable que ce recueil, plus plaisant que ces Discours, plus élégant que ces Préfaces. Imaginez donc sans peine avec quel outrage et quelle injustice un tel ouvrage gît enseveli dans cette épaisse profondeur d’oubli et de ténèbres dont on voit certains vauriens, à notre détriment, subrepticement couvrir le royaume des lettres, soit en y condamnant iniquement tout ce qu’il a de meilleur, soit en le châtrant jalousement, pour nous accabler de leurs avortons. Ce sont les mêmes qui, par les travaux qu’ils ont mendiés çà et là, et par les centons que leur invisible sable a assemblés et cousus, {e} ne font rien d’autre qu’honorer le culte Laverne {f} de leur pure grossièreté et de leur sauvage barbarie. En vérité, pour ne pas arroser d’un potage mal recuit les palais particulièrement dégoûtés de notre siècle, et pour que désormais brille la mémoire du meilleur des écrivains, j’ai cru bon, en tête de ce livre, de transcrire les éloges de savants hommes que j’ai tirés de divers endroits. {g} Je vous les offre afin que vous ne cessiez désormais d’aimer Passerat, tout autant que moi-même, que vous avez jusqu’ici honoré d’une particulière faveur. Quant au corps de l’ouvrage, son contenu et son auteur suffisent pour se recommander à votre attention. Mes raisons de vous le dédier ne sont que trop légitimes et comblent en grande part les obligations que j’ai à votre égard. Vale].


  1. Dans les livres qu’il a édités, Patin préférait se cacher derrière la signature des libraires qui les publiaient : v. note [12], lettre 44, pour le remarquable exemple des Opera de Daniel Sennert (Paris, 1641).

  2. V. note [132], lettre 166.

  3. « sans que les boucs les regardent de travers », clin d’œil amical de Patin à Guillemeau, emprunté à une célèbre gaillardise de Virgile, (Bucoliques, églogue iii, vers 7‑8), où le berger Damétas dit à son camarade Ménalque :

    Parcius ista viris tamen obicienda memento,
    novimus et qui te transversa tuentibus hircis
    .

    [Souviens-toi pourtant d’être plus avare de reproches, car nous savons que les boucs t’ont regardé de travers].

    Voltaire a interprété sans ambages cette allusion (Dictionnaire philosophique, au mot « bouc ») :

    « C’est aux boucs et aux chèvres, aux asirim, qu’il est dit que les juifs se sont prostitués : asiri, un bouc et une chèvre ; asirim, des boucs et des chèvres. Cette fatale dépravation était commune dans plusieurs pays chauds. Les juifs alors erraient dans un désert où l’on ne peut guère nourrir que des chèvres et des boucs. On ne sait que trop combien cet excès a été commun chez les bergers de la Calabre, et dans plusieurs autres contrées de l’Italie. Virgile même en parle dans sa troisième églogue, vers 8e : le Novimus et qui te transversa tuentibus hircis n’est que trop connu. »

  4. Adage grec cité par d’autres auteurs, mais dont je n’ai pas identifié la source.

  5. Notre glossaire explique ce qu’est un centon, genre littéraire de rhapsodie où Patin s’est lui-même plu à exceller dans ses thèses sur l’Homme n’est que maladie (1643) et sur la Sobriété (1647).

  6. Déesse des pillards, v. notule {a}, note [8] de L’Esprit de Guy Patin, faux Patiniana II‑7.

  7. Les Elogia virorum eruditorum de Ioannis Passeratio Trecensi, regio Eleoqueniæ Professore Lutetiæ Parisiorum, ex eorum scripta [Éloges de Jean Passerat, natif de Troyes, professeur royal d’éloquence à Paris, tirés des écrits de savants hommes], composés de 33 pièces (surtout en latin, mais aussi en français, pour les dernières), occupent les 50 pages qui suivent l’épître dédicatoire et confèrent son originalité à l’édition de Patin.

Un Recueil des Œuvres poétiques de Jean Passerat avait paru en 1606 (Paris, Claude Morel, in‑8o). N’en ayant pas trouvé de réédition au xviie s., je conclus que, dans sa lettre à Claude ii Belin, Patin a par mégarde écrit « poésies » au lieu de « discours ».

8.

« Des plaisanteries et De la cécité : »

9.

« on lit le troupeau loyolitique parfaitement dépeint. »

La Bibliothèque Sainte-Geneviève (cote 8 x 806 inv 1811) conserve l’exemplaire de la première édition (Paris, David Douceur, 1606, in‑8o) des Orationes et præfationes de Passerat dont Guy Patin s’est servi pour sa réédition de 1637 : il y a laissé une annotation tronquée à la plume dans la marge de la dernière page, entre les entrées 13 (Prolegomena in Cic. Topica [page] 131) et 14 (Præfatio in lib. Cic. de legibus [page] 154) de l’Index, « Cic. de/ diculis,/ i. 142 », pour faire remarquer que l’imprimeur a omis d’y insérer la Præfatiuncula in disputationem de Ridiculis, quæ est apud Ciceronem in lib. ij de Oratore [Petite préface sur la discussion à propos des plaisanteries, qui est au (chapitre liv du) livre ii de l’Art oratoire de Cicéron] qui se trouve à la page 142. L’index contient d’autres fautes et omissions.

Pour célébrer Henri iv, Passerat part d’un prodige qui s’est produit sous le règne de Néron, à Marruca en Béthique, où toute une olivaie se transporta un beau jour de l’autre côté d’une route pour laisser place à un simple champ de labour. Il compare cette fable au transfert massif des Espagnols en France, qu’il accuse d’avoir provoqué la guerre civile déclenchée par l’assassinat de Henri iii en 1589. Là cesse la plaisanterie : s’étant lamenté sur les malheurs sans nombre qui se sont abattus sur tout le pays, Passerat salue la victoire du roi qui a pacifié la Nation.

Il se plaint pourtant amèrement du délabrement de l’Université qui en a résulté. Sans les nommer, il s’en prend à l’emprise des jésuites sur l’instruction des jeunes Français, et consacre quatre pages entières (146‑150) à accabler leur Société de sarcasmes ; en voici un échantillon :

Lustranda igitur et expianda nunc Academia, Musisque iterum dedicanda, diligenti cautione adhibita, ne amplius earum templa et ceremoniæ contaminentur. Id ut recte fiat atque ordine, abigendæ sunt imprimis obscœnæ volucres, quæ rapinis contactuque omnia fœdant immundo :

Decolor est illis vultus, tæterrima ventris
Proluvies, uncæque manus, et pallida semper
Ora fame.

Non agnoscitis volucres : agnoscite sine plumis bipedes, Curua quibus pullam subnectis fibula vestem. Has Harpyas nisi Senatus et amplissimi ornatissimique viri, quibus Academiæ, scholæque Regiæ instaurandæ tradita est provincia, fugarint et exterminarint, ut pinnati Aquilonis filii in fabulis, frustra littoralibus diis vota nuncupabimus : rursus ad eos scopulos, ad quos nuper est ferme adflicta, navis nostra referetur. Nequicquam in excolendo Musarum fundo sudabimus : nequicquam lolium, lappas, et tribulos extirpabimus, nisi ex agro nostro hæc felix radicitus evellitur. Meminisse debemus quonam pacto profugi homines, nec minus vagi quam Scythæ, nova gratuitæ doctrinæ professione vulgo commendati, huc irrepserint αεκητι θεων in Academiæ parte consederint : quibus artibus, inhiantes locupletum fortunis, divites orbos, vel cœlibes, deliros senes, superstitiosas mulierculas, et adolescentulos imperitos deceperint : et velut Circæo poculo, repente immutarint : ut religionis specie, quam inexplebili avaritiæ suisque fraudibus obtendunt, equum Troianum paulatim introduxerint : ut semper in insidiis manserint, et in speculis steterint, proditionis occasionem expectantes : ut ea oblata, machinam suam continuo aperuerint, armatisque hostibus hanc urbem, et totam Galliam omni genere calamitatis repleverint.

[L’Université doit donc expier, et pour se purifier maintenant, elle doit se consacrer de nouveau aux Muses, appliquer un soin diligent à ce que leurs temples et leur culte ne soient plus souillés davantage. Pour que cela s’accomplisse convenablement et en bon ordre, il faut d’abord et avant tout chasser les oiseaux de mauvais augure qui flétrissent tout par leurs rapines et par leur contact immonde.

Decolor est illis vultus, tæterrima ventris
Proluvies, uncæque manus, et pallida semper
Ora fame
. {a}

Vous ne reconnaissez pas ces oiseaux, alors reconnaissez des bipèdes sans plumes, Curua quibus pullam subnectit fibula vestem. {b} Si le Parlement et les hommes du plus haut rang et de la plus grande influence, à qui est confiée la charge de régénérer l’Université et le Collège royal, ne dispersent et n’exterminent pas ces harpies, comme firent dans les fables les fils ailés d’Aquilon, {c} alors c’est en vain que nous aurons invoqué les dieux du rivage, et notre navire retournera vers ces rochers sur lesquels il a naguère presque fait naufrage. En vain, nous avons sué sang et eau pour embellir la coupe des Muses. En vain, nous avons arraché l’ivraie, les bardanes et les tribules {d} pour éradiquer entièrement cette fougère de notre champ. Nous devons nous souvenir de quelle manière des hommes exilés, non moins égarés que des Scythes, publiquement recommandés par une nouvelle profession de doctrine désintéressée, se seront ici insinués, et αεκητι θεων {e} auront en partie envahi les bancs de l’Université ; par quels subterfuges, courant après les richesses des nantis, ils auront trompé les orphelins ou les célibataires fortunés, les vieillards déments, les femmelettes superstitieuses, les petits jeunes gens sans expérience, et comme par la coupe de Circé, {f} ils les auront soudainement ensorcelés ; de quelle manière, en matière de religion, qu’ils mettent au service de leur insatiable cupidité et de leurs fourberies, ils auront insidieusement introduit un cheval de Troie ; de quelle manière ils se seront tenus cachés dedans, aux aguets, attendant une occasion de trahir ; quand elle se sera présentée, ils découvriront aussitôt leur machine et rempliront cette ville d’ennemis armés, et toute la France de toute sorte de calamités].


  1. « ils ont le visage décoloré, un flux horriblement repoussant coule de leur ventre, ils ont les mains munies de griffes et le regard toujours blême de faim » (imitation de Virgile, Énéide, chant iii, vers 216‑218).

  2. « Une agrafe tordue attache leur vêtement noir. »

  3. Zéthès et Calaïs. V. notule {b‑ii}, triade 82 du Borboniana manuscrit (note [41]), pour les harpies.

  4. Toutes plantes qui sont des parasites du blé.

  5. « en dépit des dieux ».

  6. La magicienne qui transforma les compagnons d’Ulysse en pourceaux (v. note [7], chapitre vii du Traité de la Conservation de santé).

La conclusion de cette diatribe (page 150) ramène enfin le lecteur au prétexte du discours :

Academia nostra certe, quæ longum periculosumque morbum eorum contagione contraxit, nisi hoc levetur vomitu, vix unquam convalescet. Reliquum est ut de suscepti muneris ratione pauca differam : et cur potissimum ad disputationem de Ridiculis illustrandam aggredia, breviter exponam.

[Leur contagion a plongé notre Université dans une longue et périlleuse maladie, et si un vomissement ne l’en délivre pas, elle pourra n’en jamais guérir. Il me reste à dire quelques mots sur la tâche que je me suis assignée, et je vais exposer brièvement pourquoi je souhaite particulièrement vanter la discussion de Ridiculis]. {a}


  1. La discussion de Cicéron « sur les Plaisanteries ».

10.

Louis Duret : Hippocratis magni Coacæ Prænotiones… [Prénotions coaques du grand Hippocrate…] (v. note [10], lettre 11).

Ce commentaire des Prénotions coaques (Κοακας Προγνωσας, ou tout simplement Coaques, adjectif signifiant « originaires de Cos », île natale d’Hippocrate) est le plus important et le plus considérable des ouvrages de Duret, celui qui lui a fait le plus d’honneur. Il y consacra 30 années de sa vie. À la suite d’une traduction, où Duret s’est moins attaché à traduire les paroles qu’à rendre le sens d’Hippocrate, on trouve un commentaire fort étendu, destiné à éclaircir tous les passages obscurs ou douteux, et à concilier ceux qui paraissent peu en harmonie ensemble, ou même contradictoires. Duret a souvent rétabli des passages entiers du texte grec. « Son travail mérite encore et méritera toujours d’être consulté » (A.‑J.‑L.J. in Panckoucke).

11.

La Lithiase, du grec lithiasis, maladie de la pierre (lithos) est une affection qui a de tout temps affligé les humains. Elle engendre la formation de concrétions minérales (calculs, du latin calculus, petit caillou) dans la vésicule biliaire (v. note [10], lettre latine 87), les glandes salivaires et surtout, comme ici, les voies excrétrices urinaires – cavités rénales (calices, bassinets) et vessie.

Une de ses manifestations, alors fréquente, est la pierre vésicale, dont le seul remède efficace était l’extraction chirurgicale, qu’on appelait taille vésicale, ou lithotomie. Les opérateurs spécialisés (lithotomistes) qui taillaient ont longtemps exclusivement appartenu en France à la dynastie des Colot (v. note [17], lettre 455). Deux voies d’abord étaient alors surtout employées : le petit et le grand appareils se distinguaient par le nombre d’instruments requis (respectivement petit et grand) et empruntaient tous deux la voie postérieure du périnée [région anatomique qui sépare l’anus de la vulve chez la femme, et de la racine de la verge chez l’homme].

Autre méthode, le haut appareil ou taille franconienne (v. note [61], lettre 183), inventé au xve s. par les opérateurs italiens, fut probablement introduit en France avec grand succès par Germain Colot sous le règne de Louis xi ; empruntant la voie antérieure, au-dessus du pubis, elle exposait au risque de plaie du péritoine, avec fuite persistante d’urine dans la cavité abdominale.

La note [2], lettre de Thomas Bartholin datée du 25 septembre 1662, procure des détails techniques supplémentaires sur les bas (petit et grand) et haut appareils.

La technique de lithotritie (ou lithotripsie), fort simplificatrice, consistant à fragmenter la pierre à l’aide d’un lithotome, d’abord introduit par une incision de l’urètre, n’a été inventée et systématisée que dans les années 1820 par Civiale et Leroy.

Au temps de Guy Patin, les opérateurs du grand appareil devaient pourtant souvent casser la pierre avant de pouvoir l’extraire.

Tout ce bel art s’est éteint faute du combattant : avec les moyens d’en supprimer les causes (rétrécissement de l’urètre, augmentation du volume de la prostate, infection urinaire basse), la pierre vésicale a désormais presque complètement disparu en France.

La taille sous toutes ses formes se pratiquait bien sûr sans le secours de l’anesthésie, inventée en 1846 (William T.G. Morton, avec l’éther à Boston). V. note [7], lettre 811, pour le récit qu’a laissé Olivier Le Fèvre d’Ormesson sur la taille de son père en 1665.

La lithiase rénale, toujours fréquente, est responsable des coliques néphrétiques, crises douloureuses aiguës dues au passage d’un calcul du rein dans la vessie, par l’uretère. Patin l’a fréquemment évoquée dans sa correspondance (parfois sous le nom de gravelle, v. note [2], lettre 473).

12.

Charles i Duret de Chevry, mort le 18 septembre 1636, était fils de Louis Duret (v. note [10], lettre 11) et le frère de Jean (v. note [3], lettre 149). Intendant et contrôleur général des finances en 1591, il était ensuite devenu président de la Chambre des comptes, conseiller d’État.

Tallemant des Réaux lui a consacré une historiette (tome i, pages 170‑173) :

« C’étaient ses deux principales folies que la faveur et la bravoure. Il disait qu’il fallait tenir le bassin de la chaise percée à un favori pour l’en coiffer après, s’il venait à être disgracié ».

Triaire et Adam ont attribué l’épitaphe que donnait Guy Patin à la fin de sa lettre à l’abbé de Laffemas (v. note [12], lettre 447).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 18 janvier 1637

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(Consulté le 25/04/2024)

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