L. 36.  >
À Claude II Belin,
le 8 décembre 1637

Monsieur, [a][1]

Il faut premièrement que je vous demande pardon d’avoir été si longtemps à vous écrire, avant que de vous dire que, depuis tantôt trois mois, j’attends, de jour en jour, d’avoir les deux livres que je vous envoie, lesquels je vous prie d’avoir agréables. Les libraires sont si longtemps à achever leurs livres que c’est une misère. Le libraire qui a imprimé la Pathologie de Fernel [2] me l’a dédiée, pour cause que je vous ferai voir quelque jour. [1] Pour le Riolan[3] c’est un médecin agrégé de Lyon, nommé M. Sauvageon, [4] qui a pris le soin de le faire réimprimer ; [2] mais n’en ayant pas la meilleure copie, je lui donnai la mienne où j’avais fait d’étranges remarques et corrigé bien des fautes, dont il en est néanmoins resté encore quelques-unes. Quidquid est muneris libenter precor accipe[3] Je vous renvoie aussi vos papiers et folia sparsa Passerati[4][5] desquels je vous remercie bien humblement. J’en ai retenu quelques-uns, par le moyen desquels je pourrai enrichir la première édition qui se fera de ses œuvres. Si néanmoins ceux à qui ces pièces appartiennent les requéraient, je ne désire en aucune façon vous être importun, ni à eux aussi. Dicto citius[5] je vous renverrais le tout, vous n’aurez qu’à m’en faire savoir votre volonté. Il y a entre autres des vers d’un Franc. Insulanus ad Ios. Scaligeri epistolam[6] dont ledit Scaliger [6][7] a parlé dans ses Épîtres, que je suis bien aise d’avoir. On m’a ici assuré que l’on imprime en Hollande les Épîtres de Casaubon, [8] dont il doit y en avoir plusieurs à Scaliger ; [7] lesquelles seront excellentes, vu que dans celles de Scaliger il y en a plusieurs fort bonnes à Casaubon. Plût à Dieu que nous eussions ce livre, j’en ai extrêmement bonne opinion. On a réimprimé en quatre volumes in‑fo à Anvers [9] les œuvres de Lipse, [10] de fort belle impression, mais la guerre nous empêche d’en avoir librement. [8] J’en ai vu ici un exemplaire qui est venu par Angleterre, qui revient à 25 écus à cause des frais du port. Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 8e de décembre 1637.


a.

Ms BnF no 9358, fo 42 ; Triaire no xxxvi (pages 125‑127).

1.

Ouvrage chéri et vénéré par Guy Patin, {a} la Pathologie de Jean Fernel a connu plus de trente éditions et a été insérée dans diverses compilations. C’est la deuxième partie de la :

Ioannis Fernelii Ambiani Universa Medicina tribus et viginti libris absoluta. Ab ipso quidem Authore ante obitum diligenter recognita, et quatuor libris nunquam ante editis, ad praxim tamen perquam necessariis, aucta. Postea autem studio et diligentia Gul. Plantii Cenomani postremum elimata, et in librum Therapeutices septimum doctissimis scholiis illustrata. His accessit eiusdem Authoris Febrium ac Luis Venereæ curatio methodica libris duobus comprehensa nunc longe quam antehac emendatioribus.

[Médecine universelle de Jean Fernel, natif d’Amiénois, {b} divisée en 23 livres. Avant sa mort, l’auteur l’a soigneusement révisée et l’a augmentée de quatre livres précédemment inédits, pourtant fort nécessaires à la pratique. Après quoi, le travail et la diligence de Guillaume Plancy, {c} natif du Mans, l’a tout dernièrement parfaite et l’a enrichie de très savantes annotations sur le septième livre de la Thérapeutique. On a ajouté à cela la guérison méthodique des Fièvres et de la Maladie vénérienne en deux livres du même auteur, bien plus correcte maintenant qu’elle n’était jusqu’ici]. {d}


  1. « Ce livre, après les quatre évangélistes, est le meilleur livre du monde » (lettre 449).

  2. Fernel, le plus célèbre médecin français du xvie s., était natif de Clermont-en-Beauvaisis, v. note [4], lettre 2.

  3. V. note [1], lettre 80.

  4. Lyon, Junte et Paulus Gultius, 1586, in‑fo ; première édition à Paris, André Wechel, 1554, in‑fo. Les 23 livres en sont répartis en trois grands domaines : Physiologie (7 livres), Pathologie (7 livres), Thérapeutique (9 livres).

Patin parlait ici d’une édition séparée de la Pathologie :

Fernelii Pathologiæ libri septem, nova editio emendatissima, cum duplice indice, in gratiam tyronum.

[Sept livres de pathologie de Fernel, nouvelle édition tout à fait irréprochable, avec un double index pour le bénéfice des débutants]. {a}


  1. Paris, Claude Le Groult et J. Le Mire, 1638, in‑12.

    La dédicace des libraires à Patin est longue de trois pages ; comme il n’en a pas reparlé dans sa correspondance, le motif précis de cette dédicace demeure obscur.


Les titres des sept livres de la Pathologie sont :

  1. Les Maladies et leurs causes ;

  2. Les Symptômes et les signes ;

  3. Le Pouls et les urines ;

  4. Les Fièvres ;

  5. Les Maladies et symptômes de chaque partie ;

  6. Les Maladies des parties qui sont sous le diaphragme ;

  7. Les Maladies externes du corps.

Pour éclairer les références de Patin à la Pathologie, à la Thérapeutique et à la Physiologie, mes notes ont puisé (avec quelques rares corrections mineures) dans trois traductions françaises parues en 1655 (Paris, Jean Guignard, in‑8o) :

2.

Guillaume Sauvageon, né à Decize dans le Nivernais, est mort, selon Guy Patin, près d’Autun au printemps de 1660. Docteur en médecine de l’Université de Rome (v. la signature de son épigramme dans la note [6], lettre latine 194), il était agrégé (avec éclipses) au Collège de Lyon. Guy Patin a souvent parlé de lui dans ses lettres comme éditeur d’ouvrages médicaux et grand chicaneur, mais jamais comme praticien habile et régulier.

Guillaume Sauvageon a publié la Pharmacopée de Bauderon (v. note [15], lettre 15). Dans son épître dédicatoire à René Moreau, il déclare l’avoir eu pour maître :

« Voilà les véritables motifs qui m’ont porté à ce dessein, lequel je me promets, sur la connaissance de votre bienveillance et de ma sincérité, que vous agréerez et permettrez que les remèdes qui sont contenus dans ce livre viennent, par la favorable influence de votre nom, à en recevoir une nouvelle vertu, qui sera tout au moins l’avantage d’être plus estimé après l’approbation et agrément que vous en aurez fait. Ce qui arrivera encore plus assurément lorsqu’on saura que les armes dont vous vous servez il y a longtemps à combattre les ennemis de notre nature, sont de même trempe que celles de cet arsenal. Ce que je publie plus certainement pour vous les avoir vu autrefois manier, avec tant d’adresse et de bonheur, pour le bien et soulagement d’un nombre infini de pauvres affligés dans ce grand amphithéâtre de l’infirmité humaine, l’Hôtel-Dieu de Paris. »

Le nom complet de Sauvageon n’apparaît pas dans les :

Ioannis Riolani Patris, Medici Parisiensis, viri clarissimi ; Opera Medica. Hac postrema editione scholiis aliquot, notisque marginalibus locupletata, infinitisque mendis repurgata.

[Œuvres médicales du très brillant M. Jean Riolan, le père : denière édition enrichie de quelques commentaires et notes marginales, et purgée d’uneinfinité de fautes]. {a}


  1. Paris, Louis Boullenger, 1638, in‑8o de 155 pages.

L’épître dédicatoire de ce petit livre est adressée Clarissimo Eruditissimoque Viro D.D. Guidoni Patino Doctori Medico Parisiensi. G.S.P.D. [G.S. (Guillaume Sauvageon) adresse toutes ses salutations au très brillant et savant M. Guy Patin, docteur en médecine de Paris]. Son début fait écho au propos de Patin à Claude ii Belin et lève tous les doutes :

Redit ad te, vir clarissime, Riolanus, non iam nævis maculisque fœdatus, non lethalibus contagiosisque confossus vulneribus, sed amica Cosmetices Therapeuticesque arte, novo cultu, nitore habituque donatus conspicuusque.

[À vous, très éminent monsieur, revient que désormais Riolan ne soit plus souillé de taches et de fautes, ni percé de blessures mortelles et contagieuses, mais présenté et offert en plus brillant apparat, grâce à votre affectueux talent cosmétique et thérapeutique].

3.

« Quoi qu’il en soit de mon cadeau, je vous prie de l’accepter de bon cœur. »

4.

« et des feuillets épars de Passerat », v. note [10], lettre 34.

5.

« Aussitôt dit ».

6.

« Franciscus Insulanus en réponse à une lettre de Joseph Scaliger ».

V. notes [10][10] du Borboniana 8 manuscrit pour les détails de cette querelle entre Joseph Scaliger et Franciscus Insulanus (François de l’Isle).

7.

Isaac Casaubon (Genève 1559-Londres 1614), critique et théologien calviniste français, était le fils unique d’Aranaud Casaubon, pasteur calviniste de Crest (v. note [16] du Borboniana 1 manuscrit), et le gendre de l’imprimeur érudit Henri Estienne (v. note [8], lettre 91). Il connut très durement les tourments des guerres de religion avant de jouir de la bienveillance du roi Henri iv qui le fit venir à Paris en 1600 : « Ayant délibéré de remettre sus l’Université de Paris et d’y attirer pour cet effet le plus de savants personnages qu’il me sera possible, […] je me suis résolu de me servir de vous pour la profession des bonnes lettres en ladite Université et vous ai à cette fin ordonné tel appointement que je m’assure que vous vous en contenterez. »

Refusant obstinément de se convertir au catholicisme, Casaubon n’obtint pas la chaire promise par le roi, qui se contenta d’en faire son bibliothécaire. Après l’assassinat de son protecteur (1610) et la recrudescence de bigotisme qui s’ensuivit, Casaubon jugea plus sage de se réfugier en Angleterre. Jacques ier le nomma conseiller et lui conféra des prébendes (v. note [6] du Borboniana 10 manuscrit), l’une à Canterbury, l’autre à Westminster, ajoutant à ces dons une pension de 4 000 livres. Cette position brillante détermina Casaubon à se faire naturaliser Anglais (1611). Helléniste d’une rare érudition, Casaubon a été l’un des premiers qui ait compris la vie et les usages des Anciens dans leur ensemble, et qui en ait pénétré surtout les côtés moraux. Il a laissé une œuvre considérable (G.D.U. xixe s.). Dans plusieurs écrits polémiques, Casaubon défendit vigoureusement le souverain britannique dans son différend avec les jésuites et le pouvoir pontifical (1610-1612, v. notes [16] et [19] du Borboniana 1 manuscrit).

Ses lettres, dont parlait ici Guy Patin, ont été publiées pour la première fois par Johann Friedrich Gronovius : {a}

Isaaci Casauboni Epistolæ, quotquot reperiri potuerunt, nunc primum iunctim editæ. Adiecta est epistola de morbi eius mortisque causa, deque iisdem narratio Raphaelis Thorii.

[Lettres d’Isaac Casaubon, autant qu’on en a pu retrouver, éditées ensemble pour la première fois. Avec une lettre sur sa maladie et sa mort, et la relation que Raphael Thorius {b} en a donnée]. {c}


  1. V. note [5], lettre 97.

  2. V. note [31], lettre 1019.

  3. La Haye, Théodore Maire, 1638, in‑4o, contenant 755 lettres ; v. notes :

    • [3], lettre de Claude ii Belin datée du 4 mars 1657, pour l’édition de Brunswick, 1656 (833 lettres) ;

    • [16], dernière notule {a}, du Borboniana 1 manuscrit pour celle de Rotterdam, 1709 (1 110 lettres (presque toutes latines), dont près de 150 sont adressées à Joseph-Juste Scaliger).

8.

Joest (Juste) Lipse (Justius Lipsius, Isca, Brabant, 1547-Louvain 1606) avait fait ses études à Bruxelles, Ath, puis Cologne, où il suivit les cours supérieurs du collège des jésuites. Comme il semblait déjà disposé à entrer dans cette Compagnie, ses parents le rappelèrent et l’envoyèrent faire son droit à Louvain ; mais il préféra suivre la carrière des lettres et dès l’âge de 19 ans, il envoyait et dédiait au cardinal Antoine Perrenot de Granvelle (v. notes [19][24] du Borboniana 5 manuscrit), dont il se conciliait par là les bonnes grâces, trois livres de corrections et variantes, Variarum lectionum libri iii, qui furent publiés trois ans plus tard (Anvers, in‑8°). Granvelle le prit pour secrétaire et l’emmena en 1567 à Rome, où Lipse suivit les leçons de Muret.

Assidu aux bibliothèques, il collationna un grand nombre de manuscrits, étudia les monuments publics et grâce à une mémoire prodigieuse, put bientôt rivaliser avec son maître. De retour à Louvain, après deux ans d’absence, il passa une année dans la dissipation et les plaisirs, puis entreprit un voyage en Allemagne. Comme il regagnait Louvain, il apprit en route les troubles qui agitaient sa patrie, et accepta une chaire de professeur d’histoire et d’éloquence à Iéna, où il séjourna deux ans (1572-1574) et prit part, comme il le fit toute sa vie, aux discussions religieuses, défendant à outrance les idées luthériennes. Soit qu’il fût fatigué de ces controverses sans fin, soit parce que ses collègues jaloux lui avaient refusé la place de doyen à laquelle il avait droit, il donna sa démission, passa à Cologne et s’y maria. À cette époque, il manifestait déjà le désir de se retirer dans sa ville natale, mais il changea de résolution et s’établit à Louvain, qu’il quitta bientôt pour accepter une chaire d’histoire à l’Université de Leyde (1579). C’est à ce moment qu’il abandonna le luthéranisme pour le calvinisme. En 1589, il publia ses six livres de Politiques [Polticorum libri vi] (Leyde, 1589, v. note [22], lettre 177) où il prêchait la nécessité d’une religion unique et exclusive, et la répression des sectaires par le fer et le feu. On pouvait considérer cette publication comme une avance faite au parti catholique. En effet, depuis plusieurs années déjà, Lipse était en relation avec les jésuites et méditait de retourner dans le giron de l’Église catholique. Sa théorie sur la persécution souleva la population hollandaise et fut combattue avec énergie par Coornhert (Gouda, 1590, en néerlandais), ce qui amena une réplique de Lipse, intitulée La Religion unique (Adversus Dialogistam Liber de una Religione, Leyde, 1590), où, pour pallier les conséquences de son système, il allégua que les paroles terribles qu’on lui reprochait, ure et seca [brûle et coupe (par le feu et le fer)], étaient une simple métaphore empruntée à la médecine pour désigner un remède urgent et actif. V. notes [32] et [33] du Grotiana 1 pour les références de ces ouvrages et d’autres détails sur cette controverse.

Voyant tous les esprits irrités et sentant s’échapper l’autorité que la science lui avait acquise, il résolut de quitter la Hollande. Sous prétexte de maladie, il se rendit à Spa, d’où il envoya sa démission aux curateurs de l’Université de Leyde. Vainement, le sénat de cette ville, les États généraux de Hollande insistèrent et lui firent les offres les plus brillantes ; Lipse persista dans son refus et en 1591, il fit publiquement acte d’adhésion à la religion catholique. Lipse vit alors les rois, les princes de l’Europe lui offrir à l’envi une chaire dans leurs États ; Henri iv, entre autres, s’efforça de l’attirer à Paris. Malgré la modicité des émoluments attachés aux fonctions de professeur d’histoire, Lipse choisit la ville de Louvain (1594). Comme professeur, il y eut autant de succès qu’à Leyde, y reçut le titre d’historiographe de Philippe ii d’Espagne et celui de conseiller d’État de l’archiduc Albert. Il rédigea alors deux curieux ouvrages, Virgo Hallensis [La Vierge de Hal] (Anvers, 1604) et Virgo Sichemensis [La Vierge de Sichem] (ibid. 1605), dans lesquels, au jugement des catholiques eux-mêmes, il préconisa l’adoration des images miraculeuses (v. note [29], lettre 195) en adoptant « les traditions les plus incertaines et les fables les plus puériles » (G.D.U. xixe s.).

Le Grotiana s’est longuement étendu sur la vie, les œuvres et les pensées de Juste Lipse (et me semble avoir généreusement alimenté l’article du G.D.U. xixe s.) : v. notes [14][35] de sa première partie.

Guy Patin signalait ici les Iusti Lipsii v.c. Opera omnia, postrerum ab ipso aucta et recensita : nunc primum copioso rerum indice illustrata [Œuvres complètes du très illustre Juste Lipse, qu’il a lui-même augmentées et recensées avant de mourir, maintenant enrichies d’un copieux index] (Anvers, Balthazar Moret, 1637, 4 volumes in‑fo).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 8 décembre 1637

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(Consulté le 19/04/2024)

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