L. 38.  >
À Claude II Belin,
le 10 mars 1638

Monsieur, [a][1]

Je sais bien que vous avez toute occasion de vous plaindre de ma négligence. J’espère néanmoins en obtenir pardon de vous quand vous considérerez que je n’ai rien de nouveau digne de vous être mandé, puisqu’il n’y a rien de deçà qui vous vaille ; joint que l’on m’a donné en nos Écoles une charge cette année d’examinateur [2][3] qui m’empêche bien, et de laquelle je ne serai dépêtré qu’à Pâques. [1] Tant de gens me viennent voir et courtiser que j’en suis étourdi, vu que je ne veux faire à aucun autre faveur que celle qu’il méritera. Multa nihilominus sibi deberi putat officiosissima natio candidatorum[2] comme les appelle Cicéron. [4][5] Je me réjouis, en attendant mieux, de ce que les loyolites [6] ne sont pas les plus forts in gente vestra[3] S’ils n’y peuvent mettre pied ni aile, je louerai tout ensemble votre courage et votre honneur, et dirai a Domino factum est istud[4][7] On nous assure ici que Jean de Werth [8] a été pris prisonnier par le duc de Weimar. [5][9] Il semble que cette prise nous soit aussi avantageuse que si c’était le duc de Hongrie. [6] Je suis du même avis que le poète qui a fait les vers suivants : [10][11]

Cum Ianum veterem clausum tenuere Quirites,
Florentis signum pacis ubique fuit :
Nulla salus bello, pax toto poscitur orbe,
Nos Ianum viridem clausimus ? ecquid erit ?
 [7]

Je prie Dieu qu’il nous donne une bonne paix. On espère toujours bien de la grossesse de la reine. [8][12][13][14][15] La paix et un dauphin, [16][17] ou un dauphin et la paix seraient les bienvenus. [9] Après ces souhaits en général, je n’en puis faire d’autres que pour votre conservation et celle des vôtres, auxquels tous je baise les mains, et à vous particulièrement, < moi > qui désire être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 10e de mars 1638.


a.

Ms BnF no 9358, fo 44 ; Triaire no xxxviii (pages 131‑132) ; Reveillé-Parise, no xxix (tome i, pages 49‑50) ; Prévot & Jestaz no 4 (Pléiade, pages 413‑414).

1.

Les examinateurs de la Faculté de médecine de Paris étaient les docteurs régents chargés, tous les deux ans, de procéder à l’examen des candidats au baccalauréat (v. note [2], lettre 39).

Statuta F.M.P., art. lxiii, pages 63‑64 :

Examinatores eorum qui volunt ad Baccalaureatum promoveri, sic eligantur, ut quinque viri, tres majoris Ordinis, et duo minoris, formula jam dicta Electi in Sacellum secedant, et ex præsentibus nominent tres majoris Ordinis, totidemque minoris, quorum Nomina in duas urnas conjiciantur, et ex utraque duæ tabellæ depromantur ; et quorum Nomina sorte obvenerint, hi quatuor, duo scilicet majoris, et duo minoris Ordinis, Baccalaureso futuros cum Decano examinent. Ista Electis fiat singulis bienniis proximo Sabbatho ante Purificationem Beatæ Mariæ Virginis, ejus tantum anni, quo Baccalaurei examinabuntur.

« Que les examinateurs de ceux qui veulent se présenter au baccalauréat soient élus de manière que cinq hommes, trois anciens et deux jeunes, désignés selon la méthode déjà dite, {a} se retirent dans la chapelle, et choisissent parmi les docteurs présents trois anciens et autant de jeunes {b} dont les noms seront jetés dans deux urnes, et qu’on tire deux bulletins de chaque urne. Les quatre dont les noms auront été décidés par le sort, savoir deux anciens et deux jeunes, examineront les futurs bacheliers avec le doyen. Que cette élection ait lieu tous les deux ans, le samedi précédant la fête de la Purification de la Vierge Marie, {c} et ce seulement les années où il y aura des bacheliers à examiner. »


  1. Comme pour l’élection du doyen, par tirage au sort (v. note [16], lettre 247), pour garantir au mieux l’impartialité des examinateurs envers les candidats.

  2. Respectivement inscrits au grand banc (ordo maior) et au petit banc (ordo minor) de la Faculté (v. note [20], lettre 17).

  3. 2 février.

Guy Patin avait donc été élu examinateur le samedi 30 janvier 1638, comme l’un des deux jeunes. Les épreuves du baccalauréat avaient lieu pendant l’avant-dernière semaine du carême.

2.

« La troupe fort servile des candidats estime pourtant que beaucoup lui est dû ».

Cicéron a parlé de l’officiosissima natio candidatorum en deux endroits.

Guy Patin nous renseignait sur une coutume non écrite de la Faculté : les sollicitations des candidats et de leurs protecteurs pour obtenir un bon classement à un examen oral ; n’ayant pas que des inconvénients, ce genre de pratique n’a pas disparu (on en viendrait même à trouver suspect un candidat sans recommandation).

3.

« dans votre pays », v. note [2], lettre 37.

4.

« c’est là l’œuvre du Seigneur » (Psaumes, 118:23).

5.

Le condottiere allemand Jean de Werth (Johann von Werth ; Büttgen, duché de Jülich, 1595-Benatek, Tchéquie, 1652), avait d’abord servi dans l’armée autrichienne, puis était passé au service de la Bavière pour combattre à Nördlingen (1634). Il avait battu Gassion en 1635 et envahi la Picardie l’année suivante avec les troupes espagnoles de Philippe iv. Fait prisonnier en 1637, il passa à Paris quatre années d’une assez douce captivité où tout le monde venait le visiter comme une curiosité. Libéré sur échange, il reprit sa carrière pour battre Rantzau à Dettlingen (1643), puis Turenne à Marienthal (1645) ; à Nördlingen (1645), il sauva l’armée impériale compromise après la mort de Mercy, le général en chef. Le traité de Westphalie (1648) mit fin à sa carrière militaire. Son nom défiguré (Jean de Vert) resta populaire en France et a passé en proverbe : C’est du bon temps de Jean de Vert, Je m’en soucie comme de Jean de Vert, pour dire que « c’est du temps passé », et « je ne m’en soucie plus » ; « Le monde, disait-on aussi, n’est rempli que de ces preneurs d’intérêt, qui, dans le fond, ne se soucient non plus de nous que de Jean de Vert ».

Autre condottiere fameux de la guerre de Trente Ans, le duc Bernhard de Saxe-Weimar (v. note [7], lettre 27), qui combattait en Allemagne pour le compte de Louis xiii, avait déjà en 1636, de concert avec le cardinal de La Valette, expulsé les Impériaux de Bourgogne. Il venait de remporter de nouveau sur eux la victoire de Rhinfeld (le 2 mars, v. note [21], lettre 39), faisant prisonniers leurs généraux Jean de Werth, le duc Savelli et Ekenforth. Saxe-Weimar assiégea ensuite Brisach (Triaire).

6.

Les Français vécurent la capture de Jean de Werth comme un savoureux soulagement, mettant un terme à la phase de la guerre qui les avait le plus directement menacés. Le duc ou roi de Hongrie était alors en effet un personnage considérable : soit l’empereur germanique (v. note [7], lettre 21), soit son héritier présomptif.

7.

« Lorsque les Sabins eurent enfermé le vieux Janus, ce fut partout le signe d’une paix florissante : il n’y a aucun salut dans la guerre, le monde entier réclame la paix. Et nous, avons-nous enfermé un vigoureux Janus ? Qu’en adviendra-t-il ? »

Ces vers latins sont de Nicolas Bourbon : v. note [37] du Borboniana 9 manuscrit pour leur commentaire.

8.

Anne d’Autriche (Ana de Austria y Austria-Estiria, Valladolid 22 septembre 1601-Paris 20 janvier 1666), alors âgée de 36 ans, était la fille aînée de Marguerite d’Autriche, petite-fille de l’empereur Ferdinand ier, et de Philippe iii, roi d’Espagne. Elle avait épousé Louis xiii 22 ans auparavant, le 28 novembre 1615, à Bordeaux. Décidé par le traité de Fontainebleau (30 avril 1612), ce mariage, comme c’était souvent le cas, avait été impuissant à maintenir longtemps la paix entre les deux couronnes.

Richelieu persuada Louis xiii que son épouse était entrée dans la conspiration de Chalais (v. note [16], lettre 13), et découvrit plus tard (1637) ses correspondances secrètes avec l’Espagne et avec les ennemis de l’État (affaire dite des Lettres espagnoles). Tant que vécut le puissant ministre, Anne fut considérée comme une étrangère suspecte, humiliée par le dédain, irritée par les soupçons légitimes dont elle était l’objet, jetée dans de nouvelles intrigues par la surveillance qui pesait sur elle et reléguée le plus souvent dans sa retraite du Val-de-Grâce. Elle ne se révéla qu’après la mort de Richelieu (décembre 1642), rapidement suivie de celle de Louis xiii (mai 1643).

Commença alors pour elle la longue période de régence, dont la suite des lettres de Guy Patin a abondamment parlé.

En mars 1638, Anne d’Autriche en était à trois mois d’une grossesse qui venait, semble-t-il, après de nombreuses fausses couches qui avaient désolé la cour et la France. Cette fois fut la bonne : Louis-Dieudonné, le futur Louis xiv, allait naître à Saint-Germain le 5 septembre. Refusant d’admettre de tels caprices de la fécondité (qui n’ont pourtant rien d’extraordinaire), une autre explication invoque une assiduité fort défectueuse de Louis xiii.

Bien que difficile à tenir pour véritable, tant l’obsession de perpétuer la lignée faisait partie des tout premiers devoirs royaux, en voici la version (« la nuit du Louvre ») qu’on a le plus souvent colportée (Montglat, Mémoires, page 61) : le dimanche 6 décembre 1637, Louis xiii était venu de Versailles à Paris pour rencontrer sa platonique favorite, Louise de La Fayette, au couvent de la Visitation ; une pluie diluvienne l’avait empêché de retourner ensuite dormir à Saint-Maur, où il séjournait alors ; son appartement du Louvre n’étant pas meublé, Guitaut, capitaine des gardes (v. note [22], lettre 223), suggéra au roi d’y aller demander l’hospitalité à son épouse ; la reine l’accueillit avec plaisir, dîna avec lui en tête à tête, puis dans l’impossibilité matérielle de faire chambre à part, ils avaient passé la nuit ensemble. Deux mois après, la nouvelle de la grossesse de la reine se répandait dans tout le royaume. Chacun, comme Guy Patin, pouvait souhaiter la ruine des espérances de Gaston d’Orléans sur le trône de France, et le retour à la paix intérieure et même étrangère, puisque Monsieur ne cessait de tramer des intrigues avec les Habsbourg (R. et S. Pillorget, pages 300-301).

Bertière c (pages 353-354) :

« Tous les éléments d’un miracle son ici réunis : un monastère, un orage, un concours de circonstances imprévu, l’influence irénique de Louise de La Fayette viennent à bout de la résistance du roi. Et la date du 5 décembre, ordinairement retenue pour cette rencontre, précède de neuf mois, jour pour jour, la naissance du dauphin. Hélas ! ce charmant récit est aujourd’hui mis en pièces par les historiens. À l’itinéraire évoqué par Montglat, ils opposent le compte rendu des déplacements du roi fourni par la Gazette. Et, fait plus grave, ils invoquent le témoignage des médecins. Pas un mot sur la date fatidique. Leurs calculs prennent pour point de départ la période du 23 au 28 novembre. C’est donc pour la fin août – le 28 ou le 29 au plus tard – que la naissance est annoncée. Et le roi lui-même, dans une lettre du 2 septembre suivant, affirme que son épouse “ est de deux jours dans le dixième mois ”. Bref, il est possible qu’un orage ait conduit Louis xiii dans le lit d’Anne d’Autriche le 5 décembre et que Louis xiv ait été conçu ce soir-là, mais on ne peut plus voir dans cet orage la cause seconde providentielle mettant fin, de par la volonté divine, à la séparation des époux. Il y avait déjà quelques semaines qu’ils s’efforçaient de procréer.

Pour l’opinion publique, cependant, l’intervention surnaturelle n’est pas douteuse. Depuis longtemps toute la France dévote se consumait en prières et macérations ! Des visionnaires inspirés n’avaient-ils pas prédit la naissance d’un dauphin ? L’Enfant Jésus apparaissant à une jeune carmélite, lui aurait promis à plusieurs reprises d’exaucer ses prières ; à la mi-décembre 1637, il lui aurait révélé que la reine était enceinte, avant même que celle-ci ne le sût. Toutes les communautés religieuses de Paris, mues par par une inspiration mystérieuse, avaient, dit-on, joint leurs prières à celles des visitandines pendant la fameuse nuit du 5 décembre et Vincent de Paul lui-même aurait annoncé dès le lendemain à la reine que ses vœux étaient exaucés. »

Nicolas Goulas (Mémoires, tome i, page 326, note 1) :

« L’on se réjouit extrêmement de la grossesse de la reine dans tout le royaume ; l’on en fit tant de bruit et tant de compliments au roi qu’il s’en ennuya ; et quelqu’un attribuant son bonheur à miracle, il répondit avec chagrin {a} que Dieu en faisait souvent, mais que ce n’en était point un qu’un mari qui couchait avec sa femme lui fît un enfant. »


  1. Aigreur.

9.

Depuis le xive s. le titre de dauphin était réservé à l’aîné mâle des Enfants de France, successeur présomptif du roi sur le trône : son fils aîné ou, à défaut et dans un sens plus large, le prince qui était le plus proche de lui par le sang. Étant donné que Louis xiii n’avait pas d’enfant, le dauphin de France était alors son frère cadet, Gaston, duc d’Orléans.

« Un seigneur nommé dauphin comte d’Auvergne, d’Albon et de Viennois, laissa deux filles, dont une surnommée Dauphine, ayant hérité des comtés de Viennois et d’Albon, fut tant aimée de son mari qu’il changea le titre de prince et de comte en celui de dauphin, et voulut que sa province s’appelât Dauphiné ». Humbert, dauphin de Viennois en 1343, sous le règne de Philippe de Valois, donna le Dauphiné à la Couronne sous condition qu’il devînt l’apanage du premier Fils de France (Furetière).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 10 mars 1638

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(Consulté le 25/04/2024)

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