L. 58.  >
À Claude II Belin,
le 1er juillet 1641

Monsieur, [a][1]

Je n’aurais eu garde d’être si longtemps sans vous écrire (et je pense que vous me croyez bien) et de vrai, il y a longtemps que je m’en fusse acquitté, mais les deux livres contre Renaudot [2] en ont été cause. Voilà donc que je vous les envoie maintenant. J’espère qu’aurez quelque plaisir à les lire ; au moins j’entends quantité de gens de bien de deçà qui en ont de la satisfaction, et surtout de celui de M. Moreau. [3] À l’un et à l’autre, le bourreau d’adresse [4] n’y a répondu que des injures, n’ayant aucune raison. Il est si honteux de ses mauvaises réponses qu’il les supprime tant qu’il peut ; et faisant comme les jésuites [5] font de la Doctrine curieuse du P. Garasse [6] et de sa Somme théologique[1] il n’ose s’en vanter, n’en donne à personne, au contraire les refuse, et dit qu’il n’en a plus et qu’il a tout donné. Son Éminence [7] a en quelque façon interposé son autorité sur ce débat, car il a dit lui-même à M. Moreau qu’il désirait qu’on n’écrivît plus. Il faut obéir à ce grand homme ; mais parce que cette défense est venue nostro damno[2] et alors que M. Moreau était en train de répondre, il n’a pas laissé de travailler et d’achever ce qu’il avait commencé ; laquelle réponse verra jour en son temps. Quand elle sera imprimée et que nous la distribuerons, nous nous souviendrons de vous. [3] M. Camusat, [8] le chanoine, est une bibliothèque vivante en votre ville. Je vous prie que je le consulte comme un oracle : demandez-lui, s’il vous plaît, qui est l’auteur et où est écrit ce distique du célibat et des neveux des prêtres, [9][10]

Cum sator rerum privasset semine clerum,
Ad Satanæ votum successit turba nepotum
[4]

On m’a dit qu’il est dans un glossaire du droit canon. Faites-moi ce plaisir que je le puisse apprendre de M. Camusat, qui est trop savant pour ignorer cela. Je ne trouve ici personne qui me le puisse apprendre, ni docteur de Sorbonne, [11] ni professeur en droit canon ; peut-être même que monsieur votre frère le chanoine le saura bien. [12] Mandez-moi s’il vous plaît quel accord vous avez fait vous et vos collègues sur la lettre que m’envoya M. de Blampignon, [13] votre syndic, à laquelle je fis une ample réponse. [5][14] On dit que nous aurons Aire [15][16] dans le mois présent. [6] Le roi [17] et Son Éminence, qui étaient à Abbeville, [18] quittent la Picardie, et s’en vont à Reims [19] pour y donner ordre à Sedan [20][21] et au tumulte qu’on dit qui s’y brasse. [7] Dii meliora[8] Je vous baise très humblement les mains et à Mme Belin, pour être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 1er de juillet 1641.

Je ne sais rien de nouveau de Montpellier. [22] J’ai vu seulement ici une fois M. de Belleval, [23] qui n’était encore assuré de rien. Je vous remercie de votre M. Mustel ; [24] je n’ai pas encore le Sanctius[9][25] Le jubilé n’est pas encore ici publié. [26]


a.

Ms BnF no 9358, fo 62 ; Triaire no lx (pages 200‑202) ; Reveillé-Parise, no xlviii (tome i, pages 78‑80) ; Prévot & Jestaz no 10 (Pléiade, pages 421‑422).

1.

François Garasse (Angoulême 1585-Poitiers 1631) entra dans la Compagnie de Jésus en 1600 et y prononça ses vœux en 1618. Il se livra d’abord à la prédication, mais ses excentricités provoquèrent le scandale et les bons pères lui interdirent la chaire ; alors il prit la plume pour produire un grand nombre d’ouvrages polémiques où il anathémisait une infinité de personnages de son temps, qu’il accusait d’être athées et ennemis de son Ordre (v. note [37] du Borboniana 1 manuscrit pour quelques éloquents échantillons).

Guy Patin citait ici deux de ses livres :

Bayle :

« Celui qui écrivit le plus fortement contre ce jésuite fut l’abbé de Saint-Cyran. On veut qu’à cause de cela le P. Garasse ait été l’Hélène de {a} la guerre des jésuites et des jansénistes. La dernière action de sa vie fut très belle : il demanda instamment à ses supérieurs la permission de servir les pestiférés pendant une affreuse contagion {b} qui faisait mille ravages dans Poitiers ; il l’obtint, et ayant gagné la peste dans cette fonction de charité, il mourut à l’hôpital au milieu des pestiférés. »


  1. C’est-à-dire celui qui déclencha.

  2. V. note [6], lettre 7.

2.

« à notre détriment ».

3.

La seconde réponse de René Moreau à Théophraste Renaudot ne fut pas publiée en raison de l’interdiction royale arrêtée le 14 juin (v. note [11], lettre 57).

4.

Dans la lettre suivante, {a} sur les indications de Nicolas Camusat, Guy Patin a cherché une source canonique à ce distique. En 1665, {b} il a dit l’avoir appris de Jean-Pierre Camus, évêque de Belley. Ils sont extraits d’un court poème anonyme que Gilbert-Charles Legendre {c} a donné en exemple des vers dits léonins : {d}

Dæmon languebat, monachus tunc esse volebat,
Ast ubi convaluit, mansit ut ante fuit,
Cum sator rerum privasset semine clerum,
Ad satanæ votum successit turba nepotum.
Curia dat curas, ergo tu, si bene curas
Vivere secure, non sit tibi curia curæ
.

[Étant malade, un démon voulut se faire moine ; mais une fois guéri, il préféra rester comme il était ; puisque le créateur du monde a privé le clergé de progéniture, la horde des neveux a satisfait le dessein de Satan. La curie donne des soucis ; {e} si tu veilles à vivre bien et tranquillement, n’aie donc cure de la curie].


  1. V. note [1], lettre 59.

  2. V. note [9], lettre 812.

  3. Marquis de Saint-Aubin (1668-1746) : Traité historique et critique de l’opinion (Paris, Briasson, 1735, in‑8o, troisième édition, tome premier, page 285), sans mention de la source.

  4. Legendre : « ainsi appelés d’un chanoine régulier de Saint-Victor nommé Léon, qui vivait sous les règnes de Louis le Jeune et de Philippe-Auguste », et qui « ont été la vraie source de la rime » (car les deux césures y riment ensemble).

  5. Jeu de mots latins entre curia [curie] (v. note [8] du Borboniana 1 manuscrit) et curæ [soucis].

5.

Cette ample réponse est la lettre du 26 avril 1641 à Antoine Blampignon.

6.

Après avoir feint d’attaquer Saint-Omer, le maréchal de La Meilleraye s’était porté devant Aire pour l’assiéger (v. note [8], lettre 55). À une vingtaine de kilomètres au sud de Saint-Omer, Aire (aujourd’hui Aire-sur-la-Lys, Pas-de-Calais) était une ville forte d’Artois qui couvrait toute la Flandre.

7.

Abbeville (Somme), capitale du Ponthieu en Picardie, se situe sur la Somme à environ 20 kilomètres de son embouchure.

Sedan (Ardennes), place forte sur la rive droite de la Meuse, appartenait alors à la principauté souveraine des ducs de Bouillon. Elle allait devenir française en 1642. Une importante Académie protestante y florissait.

8.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » (v. note [5], lettre 33).

V. note [8], lettre 55, pour la prise d’Aire. Frédéric-Maurice, duc de Bouillon (v. note [8], lettre 66), avait fait de Sedan un foyer de conspiration contre le gouvernement de Richelieu et le refuge des grands personnages mécontents. À ce moment, se trouvaient à Sedan auprès de lui un prince du sang, Louis de Bourbon, comte de Soissons, et l’archevêque de Reims, Henri de Lorraine, devenu récemment, par la mort de son père, le chef de la Maison de Guise. Tous trois, encouragés par la cour d’Espagne, préparaient la guerre civile (Triaire).

9.

V. note [3], lettre 50, pour le livret de Vincent Mustel sur la peste.

Francisco ou François Sanchez (Sanctius ; Brague, Portugal 1532-Toulouse 1632) avait tout jeune été emmené par son père à Bordeaux. Docteur en médecine de l’Université de Montpellier, il s’était installé à Toulouse pour y enseigner la philosophie et la médecine. Philosophe sceptique considéré comme un prédécesseur de Descartes, ses œuvres ont été réunies par ses fils, Denis et Guillaume (Éloy) :

Opera Medica. His iuncti sunt tractatus quidam Philosophici non insubtiles.

[Œuvres médicales. Avec certains traités philosophiques qui ne sont pas dénués de finesse]. {a}


  1. Toulouse, Petrus Bosc, 1636, in‑4o.

V. note [29] du Patiniana I‑3, pour un complément sur la vie et les ouvrages de Sanchez.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 1er juillet 1641

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(Consulté le 20/04/2024)

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