L. 59.  >
À Claude II Belin,
le 22 août 1641

Monsieur, [a][1]

Je vous dirai, pour réponse à la vôtre du 28e de juillet dernier, que les deux vers que j’avais demandés à M. Camusat [2] sont dans la vieille glose du Cours canon, [1] mais je ne puis en trouver l’endroit ; je souhaiterais volontiers que ledit sieur rencontrât plus heureusement que moi. Je vous prie de m’écrire tout du long, dans votre première, les deux vers que vous dites être dans l’Histoire de Matthæus Paris. [2][3] Pour les médecins, tant de Paris que de Montpellier, [4] j’en fais autant état des uns que des autres, pourvu qu’ils soient gens de bien. Non sum acceptor personarum[3][5] le lieu ne m’importe du tout. La malignité du Gazetier [6] ne nous doit pas émouvoir ni nous commettre ensemble. [4]

Tros Rutulusve fuat nullo discrimine habebo[5][7]

Joint que ce petit point d’honneur est si léger que ce n’est point la peine d’en parler. M. Riolan [8] est un tétrique et mordant qui ne trouve rien de bien que ce qu’il fait et en récompense, qui paucos habet operum suorum probatores[6] Pour le livre d’Ægidius, [9] je ne l’ai pas, non plus que celui de Gentilis de Fulgineo. [7][10] Pour monsieur votre fils, [11] je préférerais à tous les autres collèges celui de Beauvais, [12] parce qu’il y a un Hibernais, excellent philosophe, lequel recommencera le cours à la Saint-Rémy prochaine ; c’est celui qui fait la plus grande quantité de bons écoliers. Pour ce M. Coquelet [13] des Grassins, [8][14] c’est un homme du petit collet, finet et rusé, prætereaque nihil[9] J’ai céans le livret de Savot, [15] de coloribus, etc. ; [10] adressez-moi par qui vous voulez que je vous l’envoie. Nous avions pris Aire, [16] mais les Espagnols l’ont aussitôt rassiégée sur nos retranchements, en grand danger de la perdre. Le roi, [17] Son Éminence, [18] et toute la cour sont à Amiens. [19] On dit que M. le maréchal de La Meilleraye [20] a un grand dessein pour faire une diversion et obliger le cardinal-infant [21] de lever le siège de devant Aire ; [11] Dieu lui en fasse la grâce. Le cardinal Bagni [22][23] est mort à Rome. [12] Nous y perdons car il était grand ami de la France. Voilà le 23e chapeau du conclave vacant. L’archevêque marin [24] est toujours devant Tarragone, [25] en la Catalogne ; [26] on doute néanmoins s’il la prendra. [13] Je vous baise très humblement les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 22e d’août 1641.


a.

Ms BnF no 9358, fo 63 ; Triaire no lxi (pages 203‑205) ; Reveillé-Parise, no xlix (tome i, pages 80‑81).

1.

« Le droit canon est un recueil qui a été fait en 1151 par Gratien, moine bénédictin, des textes de la Bible, des conciles et des sentiments des Saints Pères sur chaque matière ecclésiastique » (Furetière).

Le Corps du droit canonique, nommé vulgairement Cours canon, « consiste en trois parties, dont la première contient le décret de Gratien ; la seconde renferme les grandes décrétales recueillies par l’ordre de Grégoire ix en 1230. La troisième comprend les quatre moindres compilations des décrétales, qui sont le Sexte, les Clémentines, les Extravagantes de Jean xxii et les Extravagantes communes » (Moréri 1732, tome 3, pages 296). On y appelait Extravagantes les constitutions postérieures aux Clémentines parce qu’elles furent longtemps dispersées et rangées en dehors des recueils canoniques.

V. note [4], lettre 58, pour les vers dont la source préoccupait Guy Patin.

2.

Matthieu de Paris (Matthew of Paris, Matthæus Parisiensis, 1195-1259), chroniqueur et moine bénédictin de Saint-Albans (Hertfordshire), a laissé une histoire d’Angleterre qui va de Guillaume le Conquérant (1066) à la mort de Henri iii (1272). Éditées par William Watts (mort en 1649), chapelain ordinaire du roi Charles ier, cette somme et ses continuations allaient bientôt paraître :

Matthiæi Paris Monachi Albanensis Angli, Historia Maior : juxta exemplar Londinense 1571, verbatim recusa. Et cum Rogeri Wendoveri, Willielmi Rishangeri, Authorisque Maiori Minorique Historiis Chronicisque mss, in Bibliotheca Regia, Collegii Corporis Christi Cambrigiæ, Cottoniaque, fideliter collatæ. Huic primum Editioni accesserunt duorum Offarum Merciorum Regum ; et viginti trium Abbatum S. Albani Vitæ : Una cum Libro Additamentorum. Per eundem Authorem. Editore Willielmo Wats S.T.D. qui et Variantes Lectiones, Adversaria, vocumque babarum Glossarium, adjecit : simul cum Rerum, Nominumque, Indicibus locupletissimis.

[La Grande Histoire de Matthieu de Paris, Anglais de Saint-Albans, retranscrite mot à mot d’après l’exemplaire de Londres, 1571. Et avec les grande et petite Histoires et les Chroniques manuscrites de Roger de Wendover, de William Rishanger {a} et de l’auteur, qui sont dans la Bibliothèque royale, la Bibliothèque du Corpus Christi College de Cambridge, {b} et dans la Cottonian Library, {c} fidèlement collationnées. À cette édition sont jointes pour la première fois les Vies des deux rois Offa de Mercie {d} et de vingt-trois abbés de Saint-Albans, ainsi qu’un livre d’Additions, par le même auteur. Dans l’édition de William Watts, docteur en théologie sacrée, qui y a ajouté quantité de commentaires divers, des annotations critiques et un glossaire des mots étrangers au latin, ainsi que de très riches index des matières et des noms]. {e}


  1. Frères de Matthieu de Paris en religion et continuateurs de son Historia Maior, Roger de Wendover (mort en 1236) et William Rishanger (mort après 1312, v. note [36] du Faux Patiniana II‑3) sont deux chroniqueurs anglais, moines bénédictins de Saint-Albans.

  2. Collection de manuscrits médiévaux fondée par Matthew Parker en 1576.

  3. Autre collection de manuscrits réunie par Robert Bruce Cotton (1571-1631), aujourd’hui conservée par le British Museum.

  4. La Mercie (Mercia) est l’ancien nom des Midlands, au centre de l’Angleterre, sur laquelle (selon les chroniques de Matthieu Paris) auraient successivement régné, au viiie s., Offa i et Offa ii (fondateur de l’abbaye de SaintAlbans) ; mais tout cela n’a pas été vérifié par les historiens modernes, qui ne reconnaissent qu’un seul Offa roi de Mercie.

  5. Paris, veuve de Guillaume Pelé, 1644, in‑fo de 680 pages, suivies de copieuses annexes.

    Je n’y ai pas trouvé les deux vers léonins que Claude ii Belin avait cités à Guy Patin (v. supra.note [1]).


3.

« je ne suis pas partial envers les personnes », avec référence probable aux Actes des apôtres (10:34) :

Non est personarum acceptor Deus sed in omni gente qui timet eum et operatur iustitiam acceptus est illi.

[Dieu ne fait pas acception (n’a pas égard à l’apparence) des personnes, mais en toute nation celui qui le craint et pratique la justice est accepté de lui].

Claude ii Belin, docteur en médecine de l’Université de Montpellier, avait dû faire mine de solidarité pour son collègue Théophraste Renaudot, le Gazetier.

4.

« Se commettre avec quelqu’un, pour dire, s’exposer, se mettre au hasard d’avoir une affaire, un démêlé avec lui » (Académie).

5.

« Que ce soit un Troyen ou un Rutule, je ne ferai aucune différence » (Virgile, Énéide, chant x, vers 108).

Les Rutules étaient un petit peuple du Latium, resserré entre les Latins et les Volsques. Quand Énée aborda en Italie, Turnus, roi des Rutules, fut indigné qu’un étranger voulût lui disputer la main de Lavinie. S’alliant à ses voisins, Turnus (que Virgile a comparé à Achille) engagea une guerre contre le Troyen, mais Énée le tua dans un combat singulier. Les Rutules, obligés de se soumettre au vainqueur, furent confondus avec les Latins.

6.

« qui a peu d’approbateurs de ses œuvres. »

Tétrique (du latin tæter, affreux) : « adjectif qui ne se dit guère qu’en ces phrases : un homme tétrique, une mine tétrique, une humeur tétrique, pour dire, un homme austère, une mine renfrognée, une humeur critique, ennemie du bien et de la joie des autres » (Furetière).

En disant autant estimer les médecins de Montpellier que ceux de Paris et en critiquant durement son maître Jean ii Riolan, Guy Patin était-il ici sincère, ou cherchait-il à revenir dans les bonnes grâces d’un correspondant, précieux fournisseur de livres et de renseignements, que la verve excessive des Parisiens contre Théophraste Renaudot avait irrité (car Belin était lui-même docteur de Montpellier) ?

7.

Ægidius Corboliensis, ou Ægidius de Sancto Ægidio, est le nom latin de Gilles de Corbeil, moine bénédictin et chanoine de Paris au xiie s., médecin de Philippe-Auguste. {a} Son œuvre médicale (en vers latins) a été publiée à maintes reprises. Guy Patin déplorait de ne pas avoir une édition des :

Carmina de urinarum iudiciis : edita ab excellentissimo domino magistro Egidio cum expositione et commento magistri Gentilis de fulgineo noviter castigatis et pluribus in locis emendatis per magistrum Avenantium de camerino artium et medicine professorem.

[Poèmes sur le diagnostic des urines, mis au jour par l’excellentissime Maître Gilles, {b} avec l’explication et le commentaire de Maître Gentilis de Fulgineo, {c} que Maître Avenantius de Camerino, {d} professeur ès arts et médecine, a récemment revus et corrigés en maints endroits]. {e}


  1. La ville de Corbeil-Essonnes avait honoré son hôpital du nom de Gilles, mais il a aujourd’hui disparu, transféré en 2012 à Évry, intégré dans le CHSF (Centre hospitalier sud francilien).

  2. Ce recueil contient aussi son liber de pulsibus metrice compositus [livre en vers sur les pouls]. Ces deux textes ont fait l’objet de multiples analyses et frappent encore aujourd’hui par leur pertinence sémiologique.

  3. Gentilis, surnommé Fulginas ou de Fulgineo (Foligno, Ombrie 1230-Bologne 1310) était considéré comme un des meilleurs commentateurs d’Avicenne et un des maîtres les plus autorisés de l’arabisme qui gouvernait alors les universités. Outre ses commentaires de Gilles de Corbeil, Éloy cite ses : Expositiones cum texta Avicennæ [Explications d’Avicenne, avec l’assemblage de ses œuvres] (Venise, 1484) ; De Febribus [Les Fièvres] (Venise, 1526) ; Tractatus de balneis [Traité des bains] (Venise 1503, in‑8o). Il aurait été le médecin du pape Jean xxii (v. note [44] du Faux Patiniana II‑7).

  4. Originaire de Camerino dans les Marches, cet Avenantius n’est pas autrement connu.

  5. Lyon, Franciscus Fradin, 1505, in‑4o, première édition à Venise, 1494.

8.

Les Grassins étaient un collège parisien, situé rue des Amandiers, sur la montagne Sainte-Geneviève, fondé par Pierre Grassin, seigneur d’Ablon-sur-Seine, conseiller au Parlement de Paris, natif de Sens. À sa mort en 1569, il avait laissé 30 000 livres pour cette fondation que son fils paya et augmenta. Les pauvres écoliers de Sens y étaient reçus gratuitement (Popoff, no 1351, et G.D.U. xixe s.).

V. note [11], lettre 34, pour le Collège de Beauvais.

9.

« [je n’en sais] rien de plus ».

10.

Nova, seu verius Nova-antiqua de causis colorum sententia. Auctore Ludovico Savotio…

[Jugement nouveau, ou plus exactement néo-antique, sur les causes des couleurs, par Louis Savot…]. {a}


  1. Paris, Plantin, Adrien Périer, 1609, in‑8o ; v. note [10], lettre 54, pour Louis Savot et son opuscule sur le tetragonum d’Hippocrate, qui figure à nouveau à la fin de cette édition.

11.

Prise par les Français le 29 juillet, Aire (v. note [8], lettre 55) avait presque aussitôt été réassiégée par le cardinal-infant et les troupes de Lamboy et du duc de Lorraine. Dans l’espoir de faire une diversion et d’attirer à lui l’armée assiégeante, La Meilleraye, qu’avait rejoint le maréchal de Brézé, s’empara de Lens, pénétra dans les Flandres et poussa jusqu’aux portes de Lille, dont il incendia les faubourgs. Voyant que le cardinal-infant ne quittait pas les murs d’Aire, La Meilleraye revint sur ses pas et emporta Bapaume (10 septembre 1641), mais il ne put parvenir à faire lever le siège, et la ténacité espagnole finit par venir à bout de la garnison française qui capitula le 7 décembre 1641 (Triaire).

12.

Gianfrancesco Guido di Bagno (Florence 1578-Rome 24 juillet 1641) avait été plusieurs fois en mission à Paris sous Henri iv, puis légat en Avignon (1614-1621) et nonce à Paris sous Urbain ii (1627-1630) ; il avait été nommé cardinal en 1627. Gabriel Naudé (v. note [9], lettre 3) avait été son bibliothécaire et avait écrit pour lui ses Considérations politiques sur les coups d’État (Rome, 1639, v. note [5], lettre 925).

13.

Henri d’Escoubleau de Sourdis (v. note [5], lettre 29), archevêque de Bordeaux, assiégeait par mer Tarragone (ville forte catalane, à 76 kilomètres au sud-ouest de Barcelone) pendant que La Mothe-Houdancourt la bloquait par terre. Comme le prévoyait Guy Patin, ce siège se termina par un échec. L’escadre de Sourdis fut dispersée par la flotte espagnole et l’armée française de terre se retira le 2 août 1641 (Triaire).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 22 août 1641

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(Consulté le 19/04/2024)

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