L. 68.  >
À Claude II Belin,
le 31 juillet 1642

Monsieur, [a][1]

Je vous dirai en continuant que monsieur votre frère [2] eut hier son accès, [3] qui dura huit bonnes heures, avec frisson et vomissement dans le commencement, et sueur à la fin. Je le vis hors de son accès, in perfecta απυρεξια. [1][4] Il m’a avoué que cet accès lui a été beaucoup plus supportable que tous ceux de par ci-devant. Je lui ai promis, et j’espère qu’il sera vrai, que dorénavant tous ses accès diminueront à vue d’œil. Il doit avoir son accès demain à huit heures au matin. Afin de diminuer la matière qui le fomente, je l’ai purgé [5] aujourd’hui avec casse [6] séné [7] et sirop de roses pâles, [8] quali medicamento incredibile est quot et quanta deiecit antehac[2] Selon l’état auquel il sera, j’espère que je ne perdrai aucune occasion de vous en donner avis. Les jésuites [9] sont brouillés à Rome, on dit que le pape [10] leur a ôté tous leurs privilèges et qu’il veut les réduire à petit pied ; fiat, fiat[3] On dit que M. le chancelier [11] ne bougera d’ici et qu’on amènera les prisonniers au Parlement afin de leur faire faire ici leur procès. [4][12][13][14] Le général Lamboy [15] est ici prisonnier dans le Bois de Vincennes. [5][16] On imprime à Lyon l’Hippocrate de Foesius, [17][18] sur la copie d’Allemagne, [6] ce qui est fort à propos car on n’en trouve plus ici pour de l’argent. C’est le même libraire [19] qui a imprimé in‑4o les Cinq centuries d’observations chirurgicales de Guilielmus Fabricius Hildanus. [20] C’est le même qui imprime les œuvres de Zacutus Lusitanus [21] en deux volumes in‑fo, lesquelles sont en onze tomes in‑8o d’impression d’Amsterdam, [22][23] que j’ai céans tous onze. [7] Ce Zacutus est mort le 21e de janvier dernier. Croyez que je n’épargnerai ni omettrai chose quelconque pour la guérison de monsieur votre frère. Je vous baise les mains, totique familiæ[8] et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 31e de juillet 1642.


a.

Ms BnF no 9358, fo 72 ; Triaire no lxx (pages 232‑233) ; Reveillé-Parise, no lviii (tome i, pages 93‑94).

1.

« en parfaite apyrexie » : apurexia en grec, pour absence de (a privatif) fièvre (purexia).

2.

« il est incroyable de voir à quel point ce médicament l’a fait évacuer jusqu’ici. »

Les pétales de plusieurs espèces de roses passaient pour purgatifs : on cite particulièrement, comme jouissant de cette propriété, la rose pâle ou rose ordinaire. M. Jean-François Vincent, rédacteur en chef de notre édition, m’a aimablement procuré le lien qui mène à une jolie gravure de cette fleur, dessinée au xviiie s. Distincte de celle de Provins, qui est d’un rouge plus foncé, la rose pâle figurait parmi les prescriptions favorites de Guy Patin. On n’attendait pas pour la recueillir que ses boutons soient entièrement épanouis : les pétales perdaient de leurs qualités en se développant ; pour les préserver, il était essentiel de les faire sécher promptement. Le sirop simple de roses pâles se préparait avec le suc épuré des pétales et partie égale de sucre, que l’on faisait cuire sur un feu doux jusqu’à consistance de sirop. Ses propriétés laxatives étant faibles, on le composait en y ajoutant du séné ou de l’agaric. L’électuaire de roses, de même, ne devenait purgatif que par l’addition de scammonée (v. note [4], lettre 172). Les pétales de rose servaient de base à un autre médicament réputé cordial et trochistique, le diarrhodon, où on les mêlait à quantité d’autres substances végétales (aloès, safran, réglisse…), et animales (ivoire d’os de cœur de cerf, perles, musc, ambre gris…). Ce médicament était réputé tonique (cordial) et astringent (trochistique), mais Patin n’y recourait pas, considérant qu’il appartenait à la méprisable panoplie des apothicaires avides de sophistication et d’argent.

Dans ses Ordonnances, Nicolas-Abraham de La Framboisière (v. note [17], lettre 7) a décrit avec grande précision la préparation et l’usage du sirop de roses pâles (Œuvres complètes, 1669, pages 694‑695, référence que m’a aimablement indiquée Magdalena Kozluk, historienne de la médecine, département de littérature française de l’Université de Lodz [Pologne]). Il en attribuait l’invention à Mésué, médecin persan du viiie s. (v. note [25], lettre 156), et terminait son discours en décrivant la conserve de rose :

« On garde du suc de rose sans corrompre tout le long de l’année, comme Mésué a enseigné, en y mettant un bien peu d’huile d’olive par dessus, et le tenant l’espace de quarante jours au soleil dans des fioles de verre, ou un pot de terre verni, pour en faire fraîchement du sirop toutes et quantes fois qu’on en a disette. » {a}


  1. Toutes et autant de fois qu’on en manquera.

Ainsi donc, les deux purgatifs favoris de Guy Patin, séné (v. note [6], lettre 15) et roses pâles, lui venaient non pas d’Hippocrate et Galien, mais des « Arabes » (v. note [4], lettre 5), qu’il exécrait indistinctement et obstinément.

3.

« advienne que pourra. »

Vivre à petit pied (« vivre avec épargne, faire peu de dépense », La Curne) est le contraire de vivre sur un grand pied.

4.

On hésita peut-être, mais le chancelier quitta Paris pour présider à Lyon le procès de la conjuration de Cinq-Mars.

5.

Wilhelm von Lamboy (près de Liège vers 1600-Dimokur, Bohème 1659) était l’un des principaux généraux impériaux. Il avait secouru Dole, combattu Condé, forcé le maréchal de Châtillon à lever le siège de Saint-Omer (1638), opéré l’année suivante une fort belle retraite qui lui valut le grade de feld-maréchal, battu la cavalerie française devant Arras (1640) et à La Marfée (1641), pris Creuznach. Guébriant (v. note [10], lettre 95) l’avait fait prisonnier à Kempten (17 janvier 1642). Par la suite, Lamboy prit les places d’Armentières et de Landrecies, reçut deux blessures à Lens et se retira après la paix des Pyrénées (1659) (G.D.U. xixe s. et G.D.E.L.).

6.

Του μεγαλου Ιπποκρατους παντων των ιατρων κορυφαιου τα ευρισκομενα. Magni Hippocratis, medicorum omnium facile principis, opera omnia quæ extant, in viii sectiones ex Erotiani mente distributa : nunc recens Latina interpretatione et annotationibus illustrata, Anutio Foesio Mediomatrico Medico Authore. Adiecta sunt ad vi Sectionem Palladii Scholia Græca in lib. περια γμων, nondum antea excusa, et nunc primum latinitate donata. His præterea accessere variæ in omnes Hippocr. lib. Lectiones Græcæ, ex reconditissimis manuscriptis exemplaribus summa diligentia collectæ, necnon etiam quorundam doctis. virorum in aliquot Hippocr. libros Observationes.

[Toutes les œuvres qui existent du Grand Hippocrate, sans conteste le premier de tous les médecins, en huit sections, réparties selon le plan d’Erotianus : {a} maintenant récemment enrichies d’une traduction en latin et d’annotations, par Anuce Foës, {b} médecin natif de Metz. On a enrichi la Section vi avec les Scolies grecques de Palladius {c} sur le livre des Fractures, inédites à ce jour et traduites en latin. On a en outre ajouté divers Commentaires grecs sur tous les livres hippocratiques, puisés avec le plus grand soin dans les manuscrits les moins accessibles, ainsi que les Observations de très savants auteurs sur quelques livres d’Hippocrate]. {d}


  1. V. note [10], lettre 9.

  2. V. note [23], lettre 7.

  3. Palladius Alexandrinus, dit le Iatrosophiste, médecin grec d’Alexandrie au ve s., connu pour son traité des fièvres et ses commentaires d’Hippocrate.

  4. Francfort, héritiers d’Andrea Wechelus, Claudius Mamius et Iohannes Aubrius, 1595, in‑fo, texte grec et latin ; rééditions ibid. 1620 et 1624, et à Genève, 1657-1672 (v. note [41], lettre 396).

    Le projet de réédition lyonnaise n’a pas abouti : le privilège d’exclusivité attribué en 1639 à René Chartier sur les œuvres d’Hippocrate et Galien imprimées en France (v. note [14], lettre 35) l’a fait avorter (v. note [27], lettre 176).


7.

Le libraire lyonnais dont parlait ici Guy Patin était Jean-Antoine i Huguetan (le père, v. note [6], lettre 70), éditeur des Centuries de Guillaume Fabrice de Hilden en 1641 (v. note [7], lettre 62), qui préparait les Zacuti Lusitani Opera omnia, in duos tomos divisa… [Œuvres complètes du Portugais Abraham Zacutus, divisées en deux tomes…] (Lyon, Huguetan, 1642-1643, 2 volumes in‑fo) :

  1. Historiarum medicarum libri vi ; in quibus medicinales omnes medicorum principum historiæ, de morbis internis, et febribus, utili, et compendioso ordine dispositæ proponuntur…

    [Six livres d’observations médicales ; où sont présentées toutes les observations médicales des principaux médecins sur les maladies internes et les fièvres, disposées en un ordre avantageux et utile…] ; {a}

  2. Praxis historiarum libri v ; Introitus medici ad praxim ; Pharmacopæa elegantissima ; Praxis medica admiranda.

    [Cinq livres d’observations de la pratique ; Introduction à la pratique du médecin ; Pharmacopée la plus raffinée ; Pratique médicale admirable]. {b}


    1. Antérieurement publiés à Amsterdam, Henri Laurent, 1629-1638, 6 volumes, in‑8o.

    2. Tous antérieurement publiés à Amsterdam, Henri Laurent, 1641-1642, 5 volumes, in‑8o.

Une Editio postrema, a mendis purgatissima [Dernière édition, entièrement purgée de ses fautes] allait voir le jour à Lyon en 1649 chez Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud (deux volumes in‑fo) : Tomus primus et Tomus secundus.

Une édition partielle avait paru à Lyon chez Jean-Antoine i Huguetan en 1637 (un volume in‑8o) :

Zacuti Lusitani, medici, Praxis medica admiranda ; in qua, exempla monstrosa, rara, nova, mirabilia, circa abditas morborum causas, signa, eventus atque curationes exhibita, diligentissime proponuntur.

[Pratique médicale admirable de Zacutus, médecin portugais ; où sont proposés avec soin extrême, à propos des causes cachées des maladies, des exemples extraordinaires, rares, nouveaux, admirables, en montrant leurs signes, évolutions et traitements].

Médecin portugais (Lisbonne 1575-Amsterdam 1642), Abraham Zacutus appartenait à une famille juive convertie au christianisme. Il avait étudié la philosophie et la médecine à Salamanque et à Coimbra, avant d’être reçu docteur en médecine à l’Université de Siguenza en Nouvelle-Castille. Il avait exercé à Lisbonne jusqu’à l’édit de Philipe iv, promulgué en 1625, qui chassa les juifs du Portugal, même convertis. Zacutus s’était alors retiré en Hollande, où il s’était fait circoncire l’année même de son émigration pour vivre dès lors dans la religion de ses ancêtres (Z. in Panckoucke et Éloy).

Amsterdam, ville et port de Hollande, était la principale cité des Provinces-Unies. « Elle ne fut entourée de murailles qu’en 1480. Depuis ce temps-là Amsterdam est une ville, et a toujours crû jusqu’au point que nous la voyons. C’est aujourd’hui une des villes du monde des plus riches et des plus marchandes. Mais c’est une tache pour une ville si célèbre, dit un auteur imprimé à La Haye en 1698, que d’être le réceptacle de toutes les religions ».

8.

« ainsi qu’à toute votre famille ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 31 juillet 1642

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(Consulté le 24/04/2024)

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