L. 73.  >
À Charles Spon,
le 24 novembre 1642

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu la vôtre du sieur Columbanus, [1][2] qui est un honnête homme ; vous m’avez obligé de m’en donner la connaissance. Je me repose sur votre parole touchant M. Daléchamps. [3] Je vous garde des thèses [4] et ai mis avec icelles un nouveau catalogue des docteurs en médecine de notre École [5] qui s’imprime de deux en deux ans aussitôt qu’il y a un nouveau doyen. [6] J’ai pensé l’être tout de bon car on a coutume d’en nommer trois, que l’on met dans un chapeau, unde qui primus a veteri decano depromitur, ille est decanus[2] MM. Perreau, [7][8] de La Vigne [9] et Patin ont dansé ensemble dans le chapeau. Le sort, qui m’est toujours contraire et qui jamais ne m’a été favorable, tomba sur M. de La Vigne, qui est un excellent homme, et très digne de cet honneur qui est accompagné d’une très lourde et très pénible charge. Je ferai un petit paquet des thèses et des autres choses que je trouverai dignes de vous, et vous l’enverrai dans un des paquets de M. Jost [10] à M. Borde, [11] libraire à Lyon, [3] ou bien je me servirai de toute telle autre voie que vous m’indiquerez si vous changez celle-là. Dieu vous fasse la grâce de pouvoir recouvrer vos manuscrits d’Allemagne. [12] Je m’étonne fort comment on n’envoie point ici du premier tome de Zacutus, [13] duquel pas un de nos libraires n’a encore rien reçu. [4] Pour La Framboisière, [14] je puis bien vous donner un bon avis : c’est que j’ai céans la copie toute revue et corrigée, que l’auteur même, qui était fort mon ami, m’a laissée avant que de mourir, le tout écrit de sa propre main. Si celui qui le fait réimprimer y veut penser, je la lui enverrai ; il pourra en obtenir un privilège, et le tout ne lui coûtera que quelques copies qu’il me donnera et une couple pour vous, pour votre peine. [5] Prenez la peine de voir s’il est encore assez temps. Pour le Commentaire sur les Épidémies d’Hippocrate[15] j’ai grande envie de le voir. [6][16] Vos libraires de Lyon, qui cherchent à imprimer quelque chose qui se débite aisément, devraient imprimer La Sagesse de Charron [7][17] ou les Colloques d’Érasme, [18] in‑8o, comme autrefois a fait Gryphe ; [19] ou bien plutôt ses Épîtres, qui sont un bon in‑fo, très bon, mais très rare et en récompense, très nécessaire, corruptissimis hisce temporibus ; [8] mais je ne sais s’ils ne craindraient pas les loyolites, [20] qui voient plus clair qu’Argus, [21] qui totus oculeus fuisse perhibetur[9] M. Du Val, [22][23] notre ancien doyen, fait ici imprimer quelque chose de sanctis Medicis qui est une bagatelle de l’autre monde, [10] cui subiunget orationem publice habitam de numero quaternario[11][24][25] à cause des quatre licenciés [26] de notre dernière licence. Cette harangue ne sera pas mauvaise ; dabo operam ne careas[12] comme de toute autre chose qui viendra à ma connaissance. [13] Faites-moi la faveur de m’aimer toujours et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 24e de novembre 1642.

Je vous prie de me mander le nom de votre rue. Pour mes lettres, inscrivez-les à votre serviteur, rue des Lavandières, près la chapelle aux Orfèvres, devant l’Étoile. [14][27] Je n’ai jamais douté que l’Hipparchus ne fût du P. Th. R. ; [15][28][29][30] son style ne le montre que trop, mais j’en doute encore moins que jamais. [16]


a.

Ms BnF no 9357, fo 11 ; Triaire no lxxv (pages 248‑251) ; Reveillé-Parise, no clx (tome i, pages 272‑273). Au revers, de la main de Charles Spon : « Paris, 24 novembre ; Lyon, 26 décembre, jour de la Saint‑Étienne. Risposta, adi 30 décembre. »

1.

Ce Jean Columbanus, de Bruxelles, portait des lettres de Charles Spon à Guy Patin ; v. note [a], lettre 71.

2.

« celui que l’ancien tire le premier du chapeau est le doyen » (v. note [2], lettre 72).

3.

Philippe Borde (Orléans vers 1600-juillet 1669), libraire lyonnais, exerça rue Mercière à l’enseigne du Temps, de 1624 jusqu’à sa mort. Il avait pour devise Semina fortunæ geminat cum tempore virtus [Avec le temps, la vertu double les graines de la fortune]. De 1629 à 1641, il s’était associé avec sa belle-mère, la veuve du libraire Claude i Rigaud. En 1643, son nom allait apparaître à côté de ceux de Laurent Durand et de Laurent Arnaud. Les trois associés consacrèrent une grande partie de leur production aux livres de théologie. De 1644 à 1649, les successeurs de Pierre Prost travaillèrent avec eux, bientôt rejoints par Claude ii Rigaud (Jestaz).

4.

V. notes [5], lettre 71, pour les manuscrits de Caspar Hofmann, et [7], lettre 68, pour le premier tome des Opera omnia d’Abraham Zacutus.

5.

Les Œuvres de Nicolas-Abraham de La Framboisière (v. note [17], lettre 7) ont été rééditées à Lyon en 1644 (Jean-Antoine i Huguetan, in‑fo).

6.

Annonce d’un ouvrage de Phrygius, le jeune : v. note [11], lettre 78.

Επιδημια (Les Épidémies ou Maladies populaires) est un traité hippocratique en cinq livres, dont seuls les premier et troisième paraissent pouvoir être attribués à Hippocrate lui-même (Jourdan et Boisseau in Panckoucke) :

« Cet ouvrage offre le premier modèle de la science descriptive des maladies : exactitude et précision dans l’exposé des symptômes, tel fut le secret d’Hippocrate à une époque où la médecine n’était point encore l’art de supposer ce qu’on ne voit pas à l’aide de ce qu’on voit, et trop souvent de ce qu’on croit voir. Quelque mérités que soient les éloges qu’on a donnés à Hippocrate pour le talent qu’il a déployé dans l’étude des phénomènes morbides, nous avons à regretter que parmi ceux de ses successeurs qui se sont fait une sorte de point d’honneur, ou plutôt une espèce de devoir religieux, de l’imiter, aucun n’ait osé s’élever, pendant si longtemps à la recherche des lésions cachées, dont ces phénomènes ne sont que l’ombre, et qui seules peuvent fournir des sujets positifs d’indication. Il a fallu tous les travaux des anatomistes depuis le commencement du dernier siècle, {a} il a fallu surtout l’impulsion donnée par Morgagni {b} pour qu’on reconnût combien les observations rapportées par Hippocrate sont imparfaites. Le plus ordinairement il néglige de citer des symptômes capables de mettre sur la voie du siège et de la nature des maladies, pour ne s’attacher qu’à ceux qui peuvent faire prévoir l’issue des dernières. »


  1. Le xviiie s.

  2. Giovanni Battista Morgagni (1682-1771), fondateur de la méthode anatomo-pathologique.

7.

Pierre Charron (Paris 1541-ibid. 1603), d’abord avocat, puis prêtre, aumônier de la reine Margot, la première épouse de Henri iv (v. note [4], lettre latine 456), était devenu un orateur religieux de très grand renom. Ami et disciple le plus éminent de Montaigne, Charron s’est singularisé par son scepticisme épicurien qui lui coûta de n’être pas admis à gravir les échelons de la carrière ecclésiastique : il ne dépassa pas celui de « chanoine théologal et chantre dans l’église cathédrale de Condom ».

On peut le comprendre quand on lit son jugement sur les diverses religions (La Sagesse, tome ii, chapitre v, pages 130‑131, édition d’Amaury Duval, Paris, Rapilly, 1827) :

« < leur > particulière réception se fait bien tous les jours par voie, mains et moyens humains. La nation, le pays, le lieu, donnent la religion : l’on est de celle que le lieu et la compagnie où l’on est né tient ; l’on est circoncis, baptisé, juif et chrétien, avant que l’on sache que l’on est homme ; la religion n’est pas de notre choix et élection, l’homme sans son su est fait juif ou chrétien, à cause qu’il est né dedans la juiverie ou chrétienté ; que s’il fût né ailleurs dedans la gentilité {a} ou le mahométisme, il eût été de même, gentil {b} ou mahométan. »


  1. Le paganisme.

  2. Païen.

Cette Sagesse de Charron, que Guy Patin citait ici et admirait profondément, est son ouvrage le plus célèbre ; il parut pour la première fois avec le nom de son auteur à Bordeaux (1601, v. note [9], lettre latine 421) ; les autres éditions alors disponibles étaient déjà fort nombreuses.

8.

« en ces temps fort corrompus ».

V. note [14], lettre 71, pour les Épîtres d’Érasme. Il a conçu ses Colloques comme un manuel scolaire pour aider les élèves à apprendre le latin, mais ils ne ménagent ni les partisans de la Réforme, ni les ordres religieux romains. Ils connurent un très grand succès.

Imprimeurs d’origine allemande au xve s., les Gryphe (Gryph ou Gryphius), dont la marque était un griffon (v. note [31], lettre 477), s’étaient établis dans les diverses capitales d’Europe. Le plus réputé a été Sébastien Gryphe (Souabe 1493-Lyon 1556), qui avait installé son imprimerie à Lyon. Il employait, le plus ordinairement, le caractère italique. Ses éditions, qui ont paru de 1521 à 1555, sont au nombre d’environ 300. Son frère, François, exerça à Paris et se servit surtout du caractère romain. Un autre frère, Jean, imprima vers la même époque à Venise sous le nom de Griffio (G.D.U. xixe s.).

9.

« qui était, dit-on, entièrement couvert d’yeux. »

Argus, fils d’Arestor, « avait 100 yeux, dont 50 étaient ouverts, pendant que le sommeil fermait les 50 autres. Junon lui confia la garde d’Io [v. note [4], lettre 795] qu’elle venait de changer en vache ; mais Mercure l’endormit au son de sa flûte et lui coupa la tête. Junon prit ses yeux et les répandit sur la queue du paon, ou le métamorphosa en cet oiseau » (Fr. Noël).

10.

Guillaume Du Val (Pontoise vers 1572-Paris 22 septembre 1646), neveu du théologien André Du Val (v. note [17], lettre 39), avait d’abord enseigné la philosophie aux collèges de Calvi puis de Lisieux. En 1606, il avait obtenu la chaire royale de philosophie grecque et latine au Collège de France grâce à la protection du cardinal Duperron. Quoique livré presque tout entier à la philosophie, et notamment à celle d’Aristote, dont il édita les œuvres complètes en grec et latin (1619, v. note [3], lettre latine 429), Du Val ne cessa jamais de cultiver la médecine et les sciences naturelles. Il avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1612 et en avait été doyen de 1640 à 1642 (J. in Panckoucke).

L’ouvrage de Du Val que citait ici Guy Patin « sur les saints médecins » est intitulé :

Historia monogramma, sive pictura linearis sanctorum medicorum et medicarum, in expeditum redacta breviarium. Adiecta est series nova, sive auctarium de sanctis præsertim Galliæ, qui ægris opitulantur, certosque percurant morbos. Item digressiuncula de plantis nomenclaturæ sanctioris. Ipsa denique pietas Facultatis medicinæ Parisiensis, nimirum litaniæ de beatissima Virgine Deipara : oratio ad sanctos medicos, et sanctas medicas. Preces pro rege, regina, et regia prole, singulis sabbathis post sacrum recitari solitæ, in sacello Facultatis, ante consultationes charitatis, officiaque therapeutica doctorum, erga pauperes ægros, in superiorem aulam convenientes. Accessit præsentatio licentiandorum solenni oratione celebrata, die 29 Iunii 1642. Authori Guillelmo Du Val, Pontesiano, doctore medico, reg. profess. et Faultatis medicinæ Parisiensis decano, a die 3. Novemb. anni 1640. ad diem 8. Novemb. anni 1642.

[Histoire succincte, ou esquisse des saintes et saints guérisseurs, rédigée en un abrégé simplifié. Y est ajoutée une nouvelle série ou un supplément au sujet des saints, notamment de France, qui ont secouru les malades et entièrement guéri certaines maladies. Il y a aussi une petite digression sur les plantes de la nomenclature sacrée. Et finalement, la piété et bien sûr les prières de la Faculté de médecine de Paris pour la bienheureuse Vierge mère de Dieu : oraison pour les saintes et saints médecins. Prières pour le roi, la reine et la famille royale, qu’il est coutume de réciter tous les samedis après l’office, dans la chapelle de la Faculté, avant les consultations charitables, qui sont un devoir thérapeutique des docteurs, devant les pauvres malades réunis dans la cour supérieure. Avec en plus la présentation des licentiandes qui fut célébrée par un discours solennel le 26 juin 1642. Par Guillaume Du Val, natif de Pontoise, docteur en médecine, professeur royal et doyen de la Faculté de médecine de Paris, du 3e de novembre 1640 au 8e de novembre 1642].

Paru à Paris chez la veuve de Jérôme Blageart (1643, in‑4o), son épître dédicatoire est adressée à Michel Le Masle, abbé des Roches (v. note [3], lettre 83), avec élégant frontispice à sa gloire. La première édition datait de 1642 (id. et ibid. in‑8o), dédiée au cardinal de Richelieu, mort en décembre de la même année.

11.

« à laquelle il attachera le discours qu’il a publiquement tenu sur le nombre quaternaire ».

Dans la philosophie pythagoricienne (v. note [27], lettre 405) le nombre quaternaire (τετρακτυς) est le nombre 10 formé par l’addition des quatre premiers nombres (1 + 2 + 3 + 4), considéré comme le fondement de toutes choses. Les quatre licenciés de juin 1642, en l’honneur des quels le doyen Du Val avait composé son discours, avaient été, par ordre de mérite : Roland Merlet (v. note [6], lettre 450), Jean ii Cousin (v. note [67], lettre 150), Nicolas Crespon (v. note [12], lettre 179) et Jean Le Prévost (natif de Vire en Normandie, les trois autres étant de Paris) (Baron).

Du Val consacrait les dix dernières pages (numérotées 13‑23) de son Υγιαινειν, sive Presentatio licentiandorum quatuor Facultatis medicinæ Parisiensis ann. 1642 [Être en bonne santé, ou Présentation des quatre licentiandes de la Faculté de médecine de Paris pour l’an 1642] à une digression sur le nombre quatre, dont voici le début :

Iam vero si altum sapere liceat, et numerorum mysteria sanctiora perscrutando, fidem habere abstrusis ac reconditioribus illis Pythagoricæ Philosophiæ Logismis, arcanisque documentis, iure vobis Doctores Medici quotquot adestis, Collegæ mei sapientissimi, iure et mihi nunc Decano vestræ Facultatis, lætandum esse censeo, prorsusque gratulandum, quod in insignes hosce Quadrum viros, Quatuor inquam, Licenciatos inciderimus, atque eos quidem suo Marte arteque claros ac longe ornatissimos ; sed quorum maxime numerus qui Quaternarius est, omnino videatur sitque revera sacer, augustus, felix, plenusque mysteriis ; et qui propterea omnium numerorum habeatur sanctissimus, locupletissimus, fœcundissimus ; quod eminenti quadam, prorsusque admiranda ratione, Rerum principia, primævasque origines, et ipsas essentiarum radices, ac thesauros ; unoque verbo, naturæ fontes, arcana Entium, ipsorumque numerorum dignitatem, fundamenta, perfectiones pulcherrime contineat.

Eam quippe ob rem (Doctissimi Auditores) Sapiens ille Samius, et Harmonicæ ac Numeralis Philosophiæ princeps Pythagoras, solenne sacrumque iusiurandum, δια τετρακτην, quasi mysterium, atque maximum Sacramentum creditur instituisse, ως μεγιστου ορκου οντος της τετραδος, ac si Quaternarius, inquit Plutarchus in Placitis Philosophorum, sit Iusiurandorum maximum.

[Et maintenant, s’il est légitimement permis, tant à vous, docteurs en médecine ici présents, mes collègues les plus sages, qu’à moi, qui suis maintenant doyen de votre Faculté, de prendre de la hauteur et, sondant les plus sacrés mystères des nombres, d’aaccorder crédit à ces calculs abstrus et très mystérieux de la philosophie pythagoricienne, et à ses secrets enseignements, je pense qu’il faut nous réjouir et nous féliciter profondément, parce que nous y aurons rencontré ce carré d’hommes remarquables, je veux dire nos quatre licenciés {a}. Certes, leur combat et leur art les ont rendus brillants et leur ont fait atteindre les plus hauts sommets de la distinction ; mais surtout, leur nombre, qui est le quaternaire, paraît tout à fait et est véritablement sacré, auguste, heureux et plein de mystères ; de tous les nombres, on le tient donc pour le plus saint, le plus riche et le plus fécond parce que, pour quelque raison supérieure et tout à fait admirable, il contiendrait magnifiquement les principes des choses, les origines premières et les racines mêmes des essences, ainsi que leurs trésors ; soit en un mot, les sources de la nature, les mystères des êtres et la grandeur, les fondements, les perfections des nombres eux-mêmes.

Pour cette raison, très doctes auditeurs, on crédite Pythagore, ce sage de Samos et le prince de la philosophie harmonique et numérale, d’avoir institué un serment solennel et sacré, δια τετρακτην, {b} presque un mystère, et le plus grand des engagements : ως μεγιστου ορκου οντος της τετραδος, {c} dit Plutarque dans De Placitis philosophorum, {d} pour dire que le nombre quaternaire était le plus grand de tous les serments]. {e}


  1. Page 22, Du Val confère des qualificatifs aux quatre licenciés : Merlet est Δαιμονα [le Divin], Cousin est Ερωτα [le Passionné], Crespon est Αναγκην [l’Indispensable] et Le Prévost est Τυχην [le Chanceux].

  2. « Par le nombre quaternaire ».

  3. « Par le nombre de quatre, en effet admirable, je jure, et ce serment est le plus redoutable ».

  4. Les Opinions des philosophes, livre i, chapitre iii.

    La suite du texte de Plutarque précise les vertus du nombre quaternaire :

    « Notre âme, ajoute Pythagore, est aussi formée sur l’analogie du nombre quatre. Ses facultés sont l’intelligence, la science, l’opinion et la sensation. Ces quatre facultés ont été les sources de tous les arts et de toutes les sciences ; et c’est par là que nous sommes des êtres raisonnables. »

  5. Le reste du discours de Du Val glorifie lyriquement le nombre quatre au travers des saisons, des vents, des humeurs corporelles, des divinités catholiques (Trinité et Vierge Marie), etc.

12.

« Je veillerai à ce que vous n’en soyez pas privé ».

13.

La suite et la fin de cette lettre sont différentes du manuscrit dans les éditions antérieures, avec reprise presque mot pour mot des passages de la précédente (9 novembre) sur Meyssonnier, Daléchamps, Dupleix, l’évêque de Belley et Cinq-Mars. Le fait est surprenant venant de Triaire, dont la fidélité scrupuleuse aux sources a jusqu’ici été sans faille.

14.

Le logis de Guy Patin, rue des Lavandières, devant l’Étoile (v. note [3], lettre 21), jouxtait la chapelle aux Orfèvres, qui portait aussi le nom de Saint-Éloi, patron des orfèvres. C’était la chapelle d’un hôpital destiné à recevoir les orfèvres pauvres et infirmes, et dont la fondation remontait à 1550, sur les dessins de Philibert Delorme (Triaire). Ces détails permettent de localiser la maison de Patin près de l’angle sud-ouest des actuelles rues Jean Lantier et des Lavandières-Sainte-Opportune, dans le ier arrondissement de Paris, près du théâtre du Châtelet.

15.

Hipparchus, de Religioso negotiatore. Disceptatio Mediastinum inter ac Timotheum. Quæ negotiatio a religioso statu abhorreat. Lucubratio Renati a Valle magistri in theologia.

[Hipparque, {a} du Religieux marchand. Débat entre Médiastin et Timothée, trafic qui est incompatible avec l’état religieux. Fruit des veilles de René de La Vallée, {b} maître en théologie]. {c}


  1. Hipparchus, Hipparque de Nicée, est un astronome, mathématicien et géographe grec du iie s. av. J.‑C.

  2. René de La Vallée a été l’un des pseudonymes du P. Théophile Raynaud, théologien hétérodoxe de la Compagnie de Jésus : v. note [8], lettre 71.

  3. Francopolis, Petrus Salvianus, 1642, in‑8o.

    Bien que le titre de l’édition 1642 porte Francopolis, nom de lieu supposé, ce livre fut imprimé à Chambéry par les soins de Tripier, précepteur des bâtards du duc de Savoie. Tripier, qui était ami de l’auteur, s’étant brouillé avec les jésuites, en fit, sous le titre d’Hipparque, une traduction française, où il joignit des notes piquantes contre la Compagnie. Elle parut sans nom de lieu, mais à Orange (1645, « Avec Approbation des Docteurs », in‑8o) :

    Hipparque du Religieux marchand, Dispute entre Médiastin et Timothée ; savoir quelle sorte de négociation répugne à l’état religieux : Émue et fortement agitée de part et d’autre, à l’occasion d’une bulle de Rome par laquelle il est défendu aux jésuites, etc., d’exercer aucun trafic en faveur des séculiers, et qui a été ici insérée exprès après la conclusion de toute la Dispute, comme le fondement et le sceau de l’ouvrage, par René de La Vallée, maître en théologie. Traduit en français par un des amis de l’auteur. “ En ce jour-là il n’y aura plus de marchands en la Maison du Seigneur ”, Zachar. 14.

16.

Dans ce traité, commente L. Ellies Du Pin (Nouvelle Bibliothèque des auteurs ecclésiastiques…, tome xvii, Amsterdam, Pierre Humbert, 1711, pages 89‑91), le P. Théophile Raynaud :

« agite la question s’il est permis aux religieux de négocier. Il ne s’arrête pas au négoce que l’on peut faire dans les religions en donnant des charges en vue de présents considérables. C’est un abus manifeste contre lequel il cite des lois et des autorités. La question qu’il propose ne regarde que le négoce de marchandise que l’on achète pour revendre ; il apporte sous le nom de Médiastin toutes les raisons que l’on peut alléguer pour autoriser, ou du moins excuser le trafic que font les religieux. Le négoce n’est point un mal ni une chose défendue, c’est un moyen juste d’acquérir pourvu que l’on se contente d’un gain raisonnable. Plus il est utile à la vie, plus il est à souhaiter qu’il soit exercé par des personnes de probité et de piété, tels que sont les religieux. On a vu des saints et des moines négocier. Les anciens moines d’Orient et d’Occident faisaient des ouvrages qu’ils vendaient pour gagner leur vie. La plupart des monastères avaient des écoles où l’on recevait des enfants en pension. Qui peut douter que les religieux ne puissent vendre ce qu’ils ont de superflu ? pourquoi leur interdire l’usage de la pharmacie, si utile et si charitable ? Les religieuses font tous les jours des ouvrages qu’elles vendent, sans qu’on y trouve à redire. Les moines peuvent placer leur argent pour en tirer un revenu ; c’est une espèce de négoce. D’ailleurs, il semble qu’il n’est pas à craindre que les moines soient dissipés par le négoce, parce que l’on peut conserver l’esprit de retraite au milieu des occupations. Voilà le sommaire des raisons de Médiastin.

Timothée en apporte de contraires pour prouver que le négoce est défendu aux religieux. Il se sert d’abord de l’autorité de l’Écriture, où le négoce est considéré comme une occupation dangereuse qui éloigne de Dieu, et qui est tout à fait contraire à la vie spirituelle et religieuse. L’apôtre saint Paul ne veut pas que celui qui sert Dieu s’embarrasse dans les négoces des séculiers : Nemo militans Deo implicat se negotiis sæcularibus. {a} Il défend aux évêques de rechercher un gain honteux tel qu’est celui du négoce par rapport à l’état ecclésiastique ; les conciles, les papes et les Pères de l’Église ont aussi défendu aux clercs les occupations du négoce ; et les chefs des ordres monastiques les ont entièrement interdites aux moines. Si on passe de l’autorité aux raisons, rien n’est plus contraire à la vie retirée que les moines doivent mener, et à la conversation continuelle qu’ils doivent avoir avec Dieu, que les occupations du négoce, qui les tirent nécessairement de la solitude, dissipent leur esprit et sont incompatibles avec l’heureuse tranquillité de leur état. Ils ont renoncé au monde, le négoce les y fait rentrer ; l’avarice s’empare bientôt de leur cœur ; enfin, rien ne semble plus contraire que le négoce à la pauvreté dont ils font profession.

Théophile, pour résoudre cette question, remarque que l’avarice est un des plus grands dérèglements auxquels les moines puissent être sujets. Il distingue ensuite plusieurs sortes de négoces : tous ceux qui achètent et vendent ne sont pas marchands, mais celui qui achète précisément pour revendre ou la même chose, ou la chose sous une différente forme, est censé négociant ; acheter les choses nécessaires et vendre les superflues que l’on a, n’est pas proprement un négoce. Ces principes supposés, Théophile conclut qu’il est à la vérité permis aux religieux et aux clercs d’acheter leur nécessaire et de vendre ce qu’ils ont de superflu ; mais qu’il leur est défendu d’acheter des marchandises dans la vue de les revendre et d’y gagner ; défense qu’il prétend être signifiée par leur tonsure, sur laquelle il fait à son ordinaire une longue digression, par leur habit, par la retraite à laquelle ils sont obligés, et enfin par leur état ou par leur profession. Mais quant au négoce que l’on fait des choses achetées que l’on a mises en œuvre, il peut y avoir quelques-uns de ces négoces qui soient permis aux religieux, quoiqu’il y en ait de défendus. Il est certain que suivant la pratique ancienne, les moines peuvent tirer leur subsistance des ouvrages qu’ils font par le travail de leurs mains. Cependant, ils ne doivent pas travailler par avarice et pour gagner.

Théophile passe ensuite à un nouveau négoce des religieux, savoir de prendre des pensionnaires et de gagner sur leurs pensions. Il blâme fort cet usage. Si les anciens moines recevaient des enfants dans leurs monastères pour les instruire et les élever dans la crainte du Seigneur, ils le faisaient gratuitement et sans intérêt. Les écoles des monastères du temps de Bède {b} étaient pour les externes et non pas pour les pensionnaires. Il est vrai que saint Ignace ou plutôt Jacques Lainez {c} permet aux jésuites, par un article de la déclaration de leurs constitutions, de prendre des pensionnaires ; mais Théophile Raynaud soutient que ce ne doit être que des pauvres écoliers qu’on doit nourrir du superflu des revenus des collèges, et des donations faites pour cela uniquement par charité, non par obligation, et qu’il ne s’ensuit pas delà qu’on puisse recevoir sans choix tous ceux qui se présentent, pourvu qu’ils donnent une bonne pension. Il ajoute qu’il a été jugé dans un chapitre général que la Société devait faire son possible pour se débarrasser de cette charge ; mais qu’ensuite on l’a permis dans un chapitre de 1572 en vue d’un bien spirituel, parce qu’il y avait en ce temps-là plusieurs maîtres imbus des nouveautés du calvinisme, et qu’enfin cette permission n’a été accordée qu’à condition que les pensions seraient mises entre les mains d’économes séculiers.

Il conclut que ce métier de tenir des pensionnaires est entièrement indigne des clercs et des religieux, et que ce grand nombre de séculiers qu’on reçoit dans les maisons religieuses y apporte du trouble et du désordre, cause le relâchement de la discipline religieuse et est capable de corrompre les mœurs des religieux. Il étend ces raisons aux filles pensionnaires que l’on prend dans les monastères de filles. Enfin, Théophile Raynaud ne veut pas même souffrir que les religieux fassent le négoce d’apothicairerie, du moins en vendant des drogues aux étrangers. Il ne trouve pas mauvais que les religieuses travaillent à des ouvrages qui peuvent servir à l’Église et qu’elles les vendent. Il leur permet même de faire quelques ouvrages profanes, pourvu qu’ils ne soient pas indécents. Il traite enfin la question des dots des religieuses, et n’en croit le pacte licite qu’en cas que le monastère soit véritablement pauvre et qu’on les donne seulement pour la nourriture de la fille qu’on reçoit. Enfin, il exhorte toutes les personnes religieuses à négocier spirituellement pour l’éternité, sans se dissiper dans des négoces temporels et séculiers. On trouve à la fin de ce livre un décret de la Congrégation de la visite apostolique donné sous le pontificat d’Urbain viii, le 29 août 1637, par lequel les trafics lucratifs sont défendus généralement aux clercs et aux moines. »


  1. 2e Épître à Timothée, 2:4.

  2. Bède le Vénérable, moine et historien anglais du viiie s.

  3. Successeur d’Ignace de Loyola en 1558 comme supérieur général de la Compagnie de Jésus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 novembre 1642

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