L. 100.  >
À Claude II Belin,
le 10 février 1644

Monsieur, [a][1]

Je sais bien il y a longtemps que je vous dois réponse, mais j’espère que vous me pardonnerez mon silence. J’ai tant eu d’affaires pour notre Faculté que je n’en puis encore respirer qu’à peine. [1] Je vous dirai donc, pour réponse à la vôtre dernière, les vers de M. de Bourbon [2] contre le Gazetier [3] sur mon plaidoyer, les voici : [4]

Non tractat Medicus mutas inglorius artes,
(Hoc tibi me licuit dicere, magne Maro) :
Hippocratis Schola tota, Patinus et ipse refellit
Orantem summo quem stupuere foro ;
Causa fuit tenuis, tenuis non gloria, quando
Insigni palmam de Nebulone tulit
[2]

Je pense que monsieur votre fils [5] vous aura envoyé quelques exemplaires de mes thèses. [6] J’en ai fait faire une seconde édition in‑4o pour en pouvoir donner à tous ceux qui m’en demandaient. Je vous en envoie six dont vous donnerez les cinq à qui vous voudrez : par exemple, si vous le trouvez bon, à MM. Sorel, Allen et Camusat, et vos MM. de Courberon et Grassins ; ou mieux, premièrement à monsieur votre frère le chanoine ; [7] et vous garderez pour vous l’exemplaire auquel j’aurai écrit quelque chose, page 3, où tout ce qui est rayé par dessous a été ajouté en cette seconde édition ; et ce qui est rayé à la quatrième n’a été que transposé. [3] Si vous en désirez d’autres, je vous en enverrai tant qu’il vous plaira, si elles vous plaisent. M. de Saint-Germain [8] a ici toutes ses assurances. Il a prêché quelquefois en diverses églises. C’est un excellent homme, mais j’apprends que son Histoire ne sera pas sitôt prête, lentum erit negotium, quia dies adhuc mali sunt ; [4] donnons-nous patience. Monsieur votre fils me vient voir quelquefois, il étudie, j’espère qu’il vous donnera contentement. Il a une méchante gratelle [9] qui l’incommode, et laquelle il tâche de guérir. [5] On imprime à Lyon une Pratique de M. de Feynes, [10] jadis médecin de Montpellier. [6][11] On ne fait presque rien ici que des livres de moines et des romans, qui sont de la filouterie, tant pour le spirituel que pour le temporel. M. Grotius, [12] ambassadeur de Suède, fait ici imprimer trois volumes de commentaires in Vetus Testamentum approuvés de la Sorbonne, [13] combien qu’il soit apparemment arminien ; [7][14] ils seront achevés dans deux mois. M. Richer, [15] notre collègue, âgé de 34 ans (je pense que vous vous souvenez de l’avoir vu) die 24 Ianuarii penetravit ad plures, ex diarrhea purulenta ab ulcere mesenterii, cum febre lenta, etc[8] Je vous baise très humblement les mains et à Mme Belin, et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 10e de février 1644.


a.

Ms BnF no 9358, fo 84 ; Triaire no cii (pages 366‑367) ; Reveillé-Parise, no lxx (tome i, pages 110‑111).

1.

Depuis août 1643, Guy Patin avait participé à cinq actes de licenciés, rédigé et présidé la quodlibétaire de Paul Courtois (vUne thèse de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie »), joué un rôle de premier plan dans les menées de la Faculté contre Théophraste Renaudot (v. notes [4], lettre 92, et [9], lettre 96), et été nommé censeur de la Faculté (le 7 novembre).

2.

« Ce n’est pas sans gloire que le médecin manie les arts silencieux (j’ai, grand Maro, pris la liberté de t’emprunter ce vers) : École d’Hipocrate tout entière, Patin en personne a réfuté et ridiculisé le plaideur devant la Grand’Chambre ; la cause était ténue, mais la gloire ne le fut pas, quand il remporta la palme sur l’insigne vaurien. »

Le premier vers s’inspire de Virgile (surnommé Maro) : Maluit et mutas agitare inglorius artes [Et il a préféré exercer sans gloire les arts silencieux] (Énéide, chant xii, vers 397) ; v. note [4] du Borboniana 7 manuscrit pour une plus longue citation de ce passage que beaucoup de médecins ont reproché à Virgile.

Quant aux vers de Nicolas Bourbon, ils ont été imprimés plusieurs fois, notamment à la page 180 (seconde partie, Poemata exposita [Poèmes délaissés]) de ses Opera omnia… [Œuvres complètes…] (Paris, 1654, v. note [22] du Borboniana 1 manuscrit), avec agitat (plus virgilien mais de même sens que tractat), sous le titre de :

Pro Guidone Patino, Bellovaco, Doctore Medico Parisiensi eximio, qui anno 1642, die 14. Augusti, victor evasit in lite quam ipse in medio Senatu egit, adversus quemdam qui, de nebulonis nomine, violati honoris pœnam adversus Patinum a iudicibus reposcebat.

[En l’honneur de G. Patin, natif de Beauvaisis, éminent docteur en médecine de Paris, qui, le 14 août 1642, sortit vainqueur du procès, qu’il plaida lui-même devant le Parlement, contre un quidam qui, sur le motif d’avoir été qualifié de vaurien, poursuivait Patin en diffamation devant les juges].

3.

Dans sa précédente lettre à Charles Spon (v. notes [34] et [36], lettre 99), Guy Patin a détaillé ces corrections qu’il avait apportées à la nouvelle édition de sa thèse Estne totus homo a natura morbus ? [Par nature, l’homme n’est-il pas tout entier maladie ?].

4.

« l’affaire sera lente, car les temps sont encore bien malheureux. »

L’Histoire de Mathieu de Mourgues, sieur de Saint-Germain, est restée inédite. {a} Tout allait en effet être bientôt réglé en sa faveur (Olivier Le Fèvre d’Ormesson, Journal, tome i, page 193, année 1644) :

« Le mardi 5 juillet, je fus au Conseil des parties {b} à l’ordinaire et j’opinai sur l’affaire du sieur de Mourgues, abbé de Saint-Germain, à qui le roi avait donné des lettres de rétablissement en tous ses biens, honneurs et dignités. Il avait fait assigner au Parlement où lesdites lettres avaient été vérifiées, en particulier pour rentrer dans un prieuré dont il avait été pourvu pendant son absence par feu M. le cardinal de Richelieu, comme vacant par la mort du titulaire, qui était mort vingt ans auparavant, et sur la résignation duquel l’abbé de Saint-Germain avait été pourvu. Il passa à renvoyer au Parlement, contre le sentiment de M. le Chancelier qui voulait renvoyer cette affaire au Grand Conseil, attendu que Maugas, qui était le pourvu, avait été pourvu par le cardinal comme abbé de la Chaise-Dieu et avait son indult au Grand Conseil. Je vis l’effet de la fortune. Saint-Germain fut déclaré par le roi n’avoir jamais rien fait contre son service ; et néanmoins, si le cardinal de Richelieu l’eût tenu, je crois qu’il l’eût brûlé vif. »


  1. Mourgues a craché l’essentiel de son venin contre Richelieu dans les Diverses pièces pour la défense de la reine mère de Louis xiii (Anvers, 1643, v. notule {a}, note [7], lettre 20).

  2. V. note [23], lettre 222.

5.

Gratelle : « menue gale » (Furetière). La gale est une maladie de la peau qui provoque de vives démangeaisons ; due à un parasite (sarcopte), elle est contagieuse et liée à une hygiène médiocre.

6.

La Medicina practica… de François Feynes n’allait paraître qu’en 1650 (v. note [12], lettre 252).

7.

V. note [11], lettre 71, pour les Annotations sur l’Ancien Testament de Grotius, ambassadeur de Suède à Paris depuis 1635.

Les arminiens ou remontrants étaient des dissidents calvinistes, sectateurs des opinions du pasteur hollandais Jakob Hermanszoon (Arminius, 1560-1609), professeur de théologie à Leyde. Sa doctrine est contenue en cinq chapitres, dont le principal prône (comme faisaient les arminiens, v. note [13], lettre 127) le libre arbitre contre la double prédestination (celle des élus et celle des réprouvés), que Calvin avait postulée. Il publia ce point de vue et se fit chef de parti, étant professeur de théologie à l’Université de Leyde. Les protestants le désapprouvèrent, mais ses disciples continuèrent à soutenir ses idées après sa mort. De la liberté de conscience, leur doctrine déduisait une indépendance complète entre les autorités temporelle (politique) et spirituelle (ecclésiastique). Le Synode de Dordrech (1618-1619, v. note [12], lettre de Chrsitiaen Utenbogard datée du 21 août 1656) les condamna sans effet. On fut donc contraint d’en venir aux armes mais les supplices, l’exil et les défenses les plus rigoureuses n’ayant pu les dissiper, ils continuèrent de s’assembler en Hollande où ils obtinrent enfin le libre exercice de leur religion, excepté à Leyde et Haarlem (Thomas Corneille et G.D.U. xixe s.). Hugo Grotius fut une insigne victime de cette querelle politico-religieuse : après avoir été emprisonné en 1619, il dut quitter à tout jamais son pays (v. note [2], lettre 53).

L’antagoniste le plus vif de l’arminianisme de Rotterdam était le gomarisme d’Amsterdam : v. note [33] du Borboniana 7 manuscrit.

8.

« est passé dans l’au-delà le 24 janvier, d’une diarrhée purulente par abcès du mésentère, avec fièvre lente, etc. » (pour ad plures, v. note [13], lettre 248).

Dans sa précédente lettre (à Charles Spon), Guy Patin a comparé la maladie fatale de son collègue Richer à celle qui avait emporté Louis xiii.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 10 février 1644

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(Consulté le 20/04/2024)

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