L. 103.  >
À Charles Spon,
le 29 mars 1644

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai il y a environ douze jours une grande lettre de plusieurs pages touchant ma thèse, [2] et l’arrêt que nous avons obtenu contre le Gazetier [3] et ses adhérents. J’espère que dans quelques semaines nous aurons ledit arrêt tout imprimé avec les plaidoyers, [4] et entre autres celui de M. l’avocat général Talon. [5] Je tâcherai de faire en sorte que vous en ayez des premiers. [1] J’ai jusqu’ici toujours attendu votre paquet du 5e de février ; mais combien que j’aie maintes fois envoyé au coche et qu’on ait toujours parlé au maître, [2][6] nous n’en avons eu aucune nouvelle : il dit qu’il ne l’a pas reçu et qu’il ne sait ce que c’est ; enfin, il a dit qu’il fallait vous mander qu’il n’était pas arrivé de deçà afin qu’on prît garde à Lyon de ce qu’il pourrait être devenu, qui est ce dont je vous prie humblement. Il y a de deçà beaucoup de gens à qui j’ai donné goût des Institutions de Caspar Hofmannus, [7] qui les désirent extrêmement. Je prie Dieu qu’il veuille bien inspirer M. Huguetan [8] de les mettre bientôt sur la presse. M. Le Roy [9] le jeune s’en retournant d’ici à Lyon, a désiré de se charger de cette mienne lettre vers vous, qu’il m’a dit bien connaître, et qui fait particulier état de vous et de monsieur votre père, [3][10] dont j’ai été bien aise. Nous aurons dans peu de temps la Logique, Morale et Physique de M. Du Moulin [11] en trois volumes in‑8o[4] Dès qu’ils seront en vente, je vous en ferai un paquet avec quelques thèses [12] qui me restent du dernier cours. [5] M. le prince d’Orange, [13] M. Rivet [14] et autres honnêtes gens ont mis la paix et ont rapatrié MM. Heinsius [15] et de Saumaise,  qui sont maintenant fort bons amis. [6] Ce dernier fait achever son livre de Primatu Petri et après, il nous donnera de Manna et saccharo [17][18] et son Dioscoride, faxit Deus[7][19] On fait les tables des trois volumes de commentaires de M. Grotius [20] in Vetus Testamentum[8] nous aurons tout dans un mois. Je vous baise très humblement les mains et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 29e de mars 1644.


a.

Ms BnF no 9357, fo 17 ; Triaire no cvi (pages 385‑386). Au revers, de la main de Charles Spon : « 1644, Paris 29 mars ; Lyon, 18 avril ; Risposta, adi 20 mai. »

1.

V. notes [4], lettre 98, pour la thèse de Guy Patin, et [56], lettre 101, pour l’arrêt du Parlement contre Théophraste Renaudot.

2.

Sous le ministère de Richelieu, les postes avaient été réparties en deux domaines : les courriers de cabinet assuraient le transport des dépêches personnelles du roi, de ses ministres et de la cour, quand elles présentaient un caractère important, urgent ou secret ; les maîtres des postes se chargeaient des autres courriers administratifs ou émanant des simples particuliers. Les maîtres, nommés par le surintendant des postes, jouissaient d’exemptions fiscales, qui compensaient la modicité de leurs gages, et de privilèges particuliers qui mettaient notamment leurs chevaux, leur fourrage et leur logis à l’abri des réquisitions militaires (L. Trenard, Dictionnaire du Grand Siècle).

3.

Le père de Charles Spon se prénommait Mathieu ; il était l’un des deux fils de Mathieu Spon, natif d’Ulm et venu s’installer à Lyon vers 1551 après être passé par Genève. Né à Lyon vers 1553 où il exerçait la profession de marchand, Mathieu le jeune s’était marié en 1585 à Claudine Judith Bernard. Le couple avait eu onze enfants. Charles était le dixième, né en 1609. Mollière et Roland Gennerat (huguenots-france.org/france/lyon/lyon17/lyon17.htm) donnent 1632 pour année de sa mort, mais cette lettre de Guy Patin à Charles Spon et la suivante l’ont clairement déclaré vivant en 1644.

4.

V. note [14], lettre 96.

5.

Ce dernier cours était celui des dix bacheliers reçus en mars 1642 (v. note [7], lettre 76) et qui allaient tous être reçus licenciés en juin 1644 après avoir disputé 30 thèses en deux ans.

6.

André Rivet (v. note [25], lettre 79) était alors gouverneur du prince Guillaume ii d’Orange, fils unique du stathouder Frédéric Henri (v. note [8], lettre 66), à qui il allait succéder en 1647. Rivet était le beau-frère de Pierre i Du Moulin. La brouille entre Saumaise et Heinsius venait de leurs écrits contradictoires (v. note [4], lettre 96). Rapatrié a ici le sens de réconcilié.

7.

« Dieu aidant. »

Dioscoride Pedanius (ou Pedacius, par corruption) était probablement contemporain de Néron (ier s. de l’ère chrétienne). On suppose qu’il était né à Anazarbe en Cilicie (Anatolie). Il était soldat (et peut-être médecin) dans les légions romaines, ce qui le mena à beaucoup voyager et lui permit de collectionner quantité de plantes qu’il ramassa en Italie, en Gaule, en Grèce, en Asie Mineure.

Dioscoride a composé, en grec, un traité en huit livres sur la matière médicale (Περι υλης ιατρικης), qui a joui de la plus grande réputation jusqu’au xviiie s. Il existe de nombreuses éditions de cet ouvrage, que plusieurs auteurs ont commenté, dont Matthiole fut l’un des plus prolifiques (v. note [42], lettre 332). J’ai principalement utilisé celle de Jacques Goupil (v. note [4], lettre latine 132), Dioscoridis libri octo Græce et Latine. Castigationes in eosdem libro [Les huit livres de Dioscoride en grec et en latin. Corrections sur ces mêmes livres] (Paris, Pierre Haultin, 1549, in‑8o), et la traduction française de Jean des Moulins, avec les commentaires de Matthiole (Lyon, 1579, v. note [42], lettre 332). L’édition princeps avait paru à Venise (Alde Manuce, 1499, in‑fo).

On ne reconnaît plus à Dioscoride que le mérite historique d’avoir détaillé les connaissances des médecins antiques en histoire naturelle. Mes copieuses annotations de la lettre latine 351 donnent une bonne idée de l’autorité il jouissait encore au temps de Guy Patin.

Le commentaire de Saumaise sur les œuvres de Dioscoride ne fut pas publié, mais Jean-Baptiste de Lamarck (1744-1829) possédait dans sa riche bibliothèque, tout couvert de notes marginales de la main de Saumaise, un Dioscorides latinus [Dioscoride latin], celui de Paris, 1549 (R. Desgenettes in Panckoucke).

V. notes [6], lettre 62, et [16], lettre 95, pour les livres de Saumaise sur la Primauté de Pierre (Leyde, 1645) et sur la Manne et le sucre (Paris, 1663).

8.

Hugo de Groot : Annotations sur l’Ancien Testament (v. note [11], lettre 71).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 29 mars 1644

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(Consulté le 19/04/2024)

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