L. 107.  >
À Claude II Belin,
le 21 juillet 1644

Monsieur, [a][1]

Je dois réponse à vos deux lettres que j’ai reçues bien près l’une de l’autre. Pour la première, je vous dirai que M. Bareton [2] n’a pas encore contenté son apothicaire. Je suis bien marri de vous donner tant de peine, mais néanmoins nisi grave sit, gratissimum mihi facies si iterum compelles hominem, meo nomine eaque de causa aurem iterum ei vulseris[1] Vous m’avez fort obligé de donner ma thèse [3] à M. Comper ; [2][4][5] je vous prie de n’en pas manquer afin de la bien distribuer comme vous faites. Un médecin de Dordrecht [6] en Hollande, nommé Beverovicius, multis aliis libris editis clarus[3][7] a mis en lumière un livre intitulé Medicæ quæstiones epistolicæ, dans lequel il a fait insérer madite thèse, tant il l’a trouvée belle, mais il n’y a mis que la deuxième édition. J’ai grand regret qu’il n’ait eu la troisième, laquelle est tout autrement meilleure. Je reçois tous les jours des applaudissements et des actions de grâces, et même des petits présents pour icelle. Je n’en ai pas encore un cent de reste de la troisième édition et si j’en fais une quatrième, j’ai quelque chose de fort bon à y ajouter ; si cela arrive, je vous en enverrai aussitôt. Le bonhomme La Framboisière [8] m’a autrefois envoyé quelques thèses de Reims, [9] mais celui-ci ne m’en envoie point ; j’aurai pourtant soin d’avoir celles du fils de M. Comper par une autre voie. [4][10] Je ne sais qui vous a dit que j’avais dessein de faire imprimer quelque chose ; il est pourtant vrai, mais la misère du temps, d’une part, et de l’autre, la tyrannie du siècle m’en empêchent. En attendant un meilleur temps, mes écrits mûriront, nonumque prementur in annum[5] et peut être que dans ce délai ils amenderont[11]

Quant à votre seconde, nihil aliud quidquam audivi de filio illo fugitivo ; [6][12] s’il vient jusqu’à moi à force de courir, je lui ferai bien sa leçon et tâcherai de faire qu’il s’en retourne ; sinon, je vous donnerai avis de ce que j’aurai appris de son petit fait. Donnez-vous en attendant patience ; c’est la coutume des bons pères, et presque l’ordinaire, qu’ils aient de mauvais enfants, tout au moins désobéissants. Les jésuites [13] sont ici en très mauvais prédicament, ils ont augmenté le nombre de leurs ennemis et de leurs malveillants pour avoir si scandaleusement et si malignement impugné le livre de M. Arnauld, [14][15] qui triomphe par-dessus tout le loyolitisme. [7] Le P. Caussin [16] a fait une Apologie pour eux, mais ce n’est que du jargon, il n’entre point dans les difficultés. [8] Celui qui fit l’an passé quatre livres pour l’Université et qui n’est qu’un jeune homme de 25 ans, [17] bachelier de Sorbonne, [18] les a convaincus sans ressource et les a réduits à de simples paroles, et rien de plus. Un autre carabin du P. Ignace, [19] nommé le P. Le Moine, [20] a aussi écrit pour eux, mais il a fait encore pire que le P. Caussin : uterque mera fecerunt mapalia[9] Les Espagnols tiennent Lérida [21] étroitement assiégée en Catalogne, [10][22] mais on dit ici qu’en récompense nous prendrons Gravelines, [23] ainsi soit-il. [11] Les trois tomes des Commentaires de M. Grotius [24] in Vetus Testamentum sont achevés d’imprimer in‑fo ; ils seront en vente dans 15 jours, comme aussi un nouveau volume in‑fo contenant divers Opuscules de M. de Balzac. [12][25] Il n’y a rien autre chose que je sache ici de nouveau, je vous baise les mains, à madame votre femme et à Messieurs vos frères, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 21e de juillet 1644.


a.

Ms BnF no 9358, fo 87 ; Triaire no cx (pages 410‑412) ; Reveillé-Parise, no lxxiii (tome i, pages 114‑115).

1.

« si ça ne vous met pas en peine, je vous saurais profondément gré de presser à nouveau cet homme pour lui tirer une fois encore l’oreille de ma part et pour cette affaire. »

2.

Pierre Le Comper (mort le 9 juillet 1649) avait reçu en 1612 le bonnet de docteur dans les Écoles furnériennes de la Faculté de médecine de Reims (v. note [5], lettre 22). Son fils Nicolas (dont Guy Patin parlait un peu plus bas) avait été honoré du même grade le 22 décembre 1643 sous la présidence de son père ; il mourut en 1684 (Dubourg Maldan, pages 380‑381 et Octave Guelliot, Les Thèses de l’ancienne Faculté de médecine de Reims, Reims, F. Michaud, 1889, page 95).

VUne thèse de Guy Patin, « L’homme n’est que maladie » (1643), pour la quodlibétaire donnée à Le Comper.

3.

« illustre par beaucoup d’autres livres qu’il a publiés ».

Le nouveau livre de Jan van Beverwijk portait le titre complet de Epistolicæ quæstiones, cum doctorum responsis. Accedit eiusdem, nec non Erasmi, Cardani, Melanchthonis, Medicinæ encomium [Questions épistolaires, avec les réponses de savants hommes. Avec l’Éloge de la médecine qu’a écrit l’auteur, et aussi ceux d’Érasme, de Cardan et de Melanchthon] (Rotterdam, 1644, vBibliographie, Beverwijk b).

La thèse de Guy Patin, « L’homme n’est que maladie » (1643), s’y trouve pages 232‑240 : Quæstio medica, discussa in Scholis medicorum Parisiensium. M. Guidone Patin, doctore medico et censore Scholarum, Moderatore. Estne totus homo a natura morbus ? [Question médicale discutée dans les Écoles des médecins de Paris par M. Guy Patin, président, docteur en médecine et censeur des Écoles, L’homme n’est-il pas tout entier maladie ?]. Ce livre contient aussi la lettre de Patin à Beverwijk, datée du 13 mars 1644.

4.

À cet endroit une phrase entière de deux lignes a été très soigneusement raturée, de manière à n’être plus du tout lisible : remords de l’auteur ou censure anonyme, il est impossible d’en décider sûrement.

5.

« ils ne seront jamais imprimés dans l’année ».

6.

« je n’ai rien entendu d’autre sur ce fils fugitif ». La lettre du 21 août suivant (v. note [2], lettre 109) suggère que le fugueur était le fils cadet de Claude ii Belin, prénommé Claude ou Jean-Baptiste.

7.

L’acharnement des jésuites portait sur le De la fréquente Communion d’Antoine ii Arnauld (v. note [47], lettre 101).

8.

Apologie pour les religieux de la Compagnie de Jésus. À la reine régente, par le P. Nicolas Caussin (Paris, Rouen, Lyon, 1644, in‑8o ou in‑12) ; v. note [3], lettre 104, pour la réponse qu’y apporta Godefroi Hermant à la fin de 1644.

9.

« l’un et l’autre ont pondu de pures sornettes. »

Le Manifeste apologétique pour la doctrine des religieux de la Compagnie de Jésus, contre une prétendue théologie morale, et autre libelle diffamatoire publiés par leurs ennemis (Paris, sans nom, 1644, in‑4o) est un ouvrage de Pierre Le Moine (Chaumont-en-Bassigny 1602-Paris 1671). Il avait été admis à 17 ans chez les jésuites pour enseigner les humanités à Reims et la philosophie à Dijon, et s’adonner à la prédication et à la poésie. Il a composé des ouvrages d’histoire et de morale, et défendu avec vivacité son Ordre contre les jansénistes. Comme il joignait à beaucoup d’imagination une idée exagérée de ses talents, le P. Le Moine résolut de donner à la France une épopée nationale : Saint Louis ou la Sainte Couronne reconquise sur les infidèles, poème en 18 chants, qu’il publia à Paris en 1651-1653 (in‑fo). Nicolas Boileau-Despréaux disait de Le Moine : « Il est trop poète pour que j’en dise du mal ; il est trop fou pour que j’en dise du bien » (G.D.U. xixe s.). Sur la commande de la duchesse d’Aiguillon, le P. Le Moine a rédigé une histoire du cardinal de Richelieu qu’il ne fit jamais imprimer (v. note [6], lettre de Charles Spon, datée du 15 mars 1657).

10.

Lérida, ville forte de Catalogne (à environ 150 kilomètres de Barcelone), avait été prise par les Français en 1642. Elle était alors assiégée par les Espagnols. Le maréchal de La Mothe-Houdancourt (v. note [10], lettre 115), qui avait tenté de la secourir, se fit battre le 15 mai par Philippe de Silvas. La place se rendit le 30 juillet 1644 (Triaire).

11.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 201) :

« L’après-dînée, {a} Mme de Fourcy m’envoya dire que Gravelines était pris. […] Cette nouvelle nous fut confirmée ; la reine avait reçu le courrier à Notre-Dame. Nous vîmes le cardinal Mazarin et grand nombre de carrosses qui allaient à Luxembourg {b} chez Madame. Cette nouvelle réjouissait tout le monde, ce siège ayant été autant opiniâtré qu’aucun siège depuis la guerre, les ennemis s’étant défendus en gens de cœur et jusqu’à l’extrémité. »


  1. L’après-midi du 30 juillet 1644.

  2. Au palais du Luxembourg.

Montglat (Mémoires, page 152) :

« Le 29, {a} don Fernando Solis sortit de Gravelines avec sa garnison et ayant baisé la botte à M. le duc d’Orléans, fut conduit à Dunkerque. Le maréchal de Gassion, sous ombre que la place avait parlé de son côté, crut que c’était à lui à en prendre possession ; et pour cet effet, il s’était mis à la tête du régiment de Navarre et marchait pour entrer dedans ; mais il rencontra le maréchal de La Meilleraye à la tête des Gardes, dans le même dessein, parce que ce régiment, comme le premier de France, a droit d’entrer le premier dans les places conquises. Dans cette contestation, les maréchaux se piquèrent l’un contre l’autre, et même mirent la main sur la garde de leur épée ; et les bataillons des Gardes et de Navarre commençaient à baisser les piques pour soutenir chacun son général, lorsque Lambert, vieux maréchal de camp, courut entre les deux régiments et leur défendit, de la part de Son Altesse Royale, de les reconnaître ni l’un, ni l’autre. Aussitôt, il envoya donner avis de ce désordre à Monsieur, lequel y fut lui-même et jugea en faveur du maréchal de La Meilleraye et du régiment des Gardes, avec lequel il entra dans Gravelines. Ainsi, cette forte place tomba dans la puissance des Français après deux mois de siège, qui fut célébré par la vigoureuse résistance des assiégés, par la valeur des assiégeants et par le grand nombre de princes, de ducs et pairs, et de grands seigneurs qui étaient volontaires dans cette armée pour montrer le zèle qu’ils avaient pour la personne de Monsieur ; lequel envoya cette bonne nouvelle à la reine régente, qui donna le gouvernement au comte de Grancey. » {b}


  1. Juillet 1644.

  2. V. note [159], lettre 166.

12.

V. note [11], lettre 71, pour les commentaires de Grotius « sur l’Ancien Testament ». Guy Patin saluait la parution des Œuvres diverses du sieur de Balzac (Paris, Pierre Rocolet, 1644, in‑4o).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 21 juillet 1644

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(Consulté le 24/04/2024)

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