L. 109.  >
À Claude II Belin,
le 21 août 1644

Monsieur, [a][1]

Je sais bien que votre fils [2] vous met en peine, il m’y met aussi. Vous avez peur qu’il ne perde son temps à Troyes. [3] S’il n’a envie de le bien employer, il le perdra ici tout autrement. Il m’a vu depuis peu, je l’ai fort exhorté à bien faire, et me l’a promis comme je crois qu’il fera ; mais il me semble que vos exhortations seraient bien plus puissantes que les miennes. Votre présence serait très capable de le retenir, vous pourriez le mener avec vous tant aux champs qu’à la ville, et cela lui aiderait fort à le dépayser car il ne l’est pas encore tout à fait. Pour moi, je suis encore dans mon premier avis, qui est qu’il s’en aille à Troyes pour y demeurer près de vous et y étudier tout ce temps-là. Vous en êtes le maître et le père, c’est à vous à conclure sur ce que je vous ai proposé. Pour votre quatrain latin qui commence par ces mots Dicite quid faciam[1] je vous prie de me mander qui en est l’auteur et où je le pourrai trouver. Quand monsieur votre fils sera ici de retour pour la Saint-Martin d’hiver, il y sera encore assez tôt ; et ne devez pas craindre, ce me semble, que son jeune frère [4] le débauche[2] Au contraire, il me semble que cela les pourra tous deux retenir davantage à cause de votre présence et les porter à bien. Néanmoins, pensez-y deux fois et n’en faites que ce que vous en penserez le meilleur. Pour moi, je tiendrai celui-là le meilleur des avis que vous choisirez en cette matière, qui est douteuse et qui n’est pas hors de soupçon tant de part que d’autre. [3] Pour le livre que citez de Scaliger, [5] De Utilitate ex adversis capienda, il n’est pas de lui, mais de Cardan [6] même, qui le fit pour se consoler de la mort de son fils qui avait été pendu à Milan pour avoir empoisonné sa femme. [4][7][8] S’il se fait ici quelque chose sur la mort du bon M. de Bourbon, [9] je vous en ferai part. L’Apologie de M. de Saint-Cyran [10] est en lumière, qui est une pièce très bien faite et fort hautement louée. Toute la médisance loyolitique ne peut que mordre sur la mémoire de ce grand personnage, mais elle ne la peut entamer. [11] Petrus Aurelius [12] vivra à jamais et quamdiu erunt homines[5] il fera honneur à ce grand homme, ne tanti laboris mercedem acciperet in vita sua, qui de sola æterna cogitabat[6] Pour M. Bareton, [13] je vous remercie de votre bon avis, je parlerai à son apothicaire. Je vous donne le bonjour et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.


a.

Ms BnF no 9358, fo 89 ; Triaire no cxii (pages 416‑417) ; Reveillé-Parise, no lxxv (tome i, pages 117‑118).

1.

« Dis pourquoi je ferai » ; je n’en ai pas trouvé plus sur ce poème latin.

2.

Seconde allusion (v. note [6], lettre 107) de Guy Patin au frère cadet de Nicolas Belin (qui menait alors ses études de médecine à Paris). Alors écolier à Troyes, ce jeune homme allait à son tour venir faire son collège à Paris où il fut compagnon de Robert Patin, le fils aîné de Guy ; mais il abandonna ses études au début de 1646 pour se faire soldat. Apparemment assagi, il réapparut en 1653 à Paris, malade et soigné par Guy Patin, avant (probablement) de partir, à l’été 1654, prendre ses degrés de médecine à Montpellier (mais il ne figure pas dans le recensement des docteurs de cette ville établie par Dulieu). La dernière fois qu’il a parlé de lui (lettre du 29 juillet 1654), Patin a prié son père de le remercier pour des thèses qu’il lui avait envoyées, probablement de Montpellier. C’est sans doute lui que la liste de Le Clert identifie sous le prénom de Claude ou Jean-Baptiste, installé médecin à Troyes en 1654.

3.

Pour dire qu’aucune des deux solutions n’était sans inconvénients. Nicolas Belin passa finalement son congé d’été à Paris.

4.

V. note [30], lettre 6, pour les De Utilitate ex adversis capienda libri iv [Quatre livres sur le Profit à tirer des malheurs] (Bâle, 1561) de Jérôme Cardan. Dans sa longue préface, datée du Tessin (Ticino) le 18 décembre 1560, l’auteur disserte sur les grandes peines humaines, et particulièrement sur le deuil des parents qui ont perdu un enfant, mais sans expliquer celui qui le frappait alors spécifiquement. Dans son autobiographie (De Vita propria, chapitre xxvii, Filiorum adversa fortuna [Mauvaise fortune de mes fils] ; v. note [1], lettre 72), Cardan a parlé du funeste destin de son fils aîné, Giovanni Battista, docteur en médecine né en 1534 :

Hic usque ad xxiii. annum ferme quietus vixit, post amore captus, ubi lauream consecutus est, Brandoniam de Serono, absque dote uxorem accepit : […] tum vero cœpere dolores, et lachrymæ […]. Interim accusatus filius, quod uxorem veneno tentasset, et in puerperio, decima septima die Februarii captus, post quinquagesimum tertium diem Idibus Aprilis, securi percussus est in carcere. Atque hoc primum et maximum infortunium.

[Il vécut assez paisible jusqu’à sa 23e année. Il tomba ensuite amoureux au moment où il reçut son degré de l’Université et épousa une femme sans dot, Brandonia de Serono. (…) Mais alors commencèrent les chagrins et les larmes (…). On accusa mon fils d’avoir empoisonné sa femme alors qu’elle était en couches, on l’arrêta le 17 février {a} et 53 jours plus tard, le 13 avril, on lui coupa la tête en prison. Et ce fut le couronnement de mon infortune].


  1. 1560.

5.

« et aussi longtemps qu’il y aura des hommes » (v. note [7], lettre 325) ; v. notes [8] et [9], lettre 108, pour l’Apologie de Saint-Cyran et pour le Petrus Aurelius.

6.

« qui ne pensait qu’à la vie éternelle, et non qu’il recevrait de son vivant la récompense d’un si grand labeur. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 21 août 1644

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(Consulté le 25/04/2024)

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