L. 115.  >
À Charles Spon,
le 8 novembre 1644

Monsieur, [a][1]

Après vous avoir amplement écrit par ma dernière il y a environ 15 jours, je n’ai rien de nouveau à vous dire, sinon que M. Le Roy, [2] s’en retournant à Lyon, a bien voulu se charger de ces quatre petites pièces que je vous envoie, dont le livret est double afin qu’en fassiez part à qui vous voudrez. Vous m’obligerez dans votre première de m’apprendre quand seront achevées les Institutions de Hofmannus. [3] Je les ai ici fort recommandées à quelques libraires, qui en écriront à M. Huguetan [4] et qui tâcheront d’en avoir des premiers. Cela servira à faire connaître le livre, qui est un de mes plus grands souhaits. Il faut tâcher de n’y rien omettre, une table des chapitres au-devant et une des matières à la fin, avec le portrait de l’auteur si faire se pouvait. Pensez-vous que nous le puissions avoir dans la fête des Rois prochaine ? Faxit Deus[1] La reine d’Angleterre [5] a fait ici son entrée le 5e de ce mois, qu’on lui a faite fort magnifique. [2] On dit que la reine d’Espagne [6] est morte. M. de Saumaise [7] est encore en Hollande où il a fraîchement [3] reçu une grande affliction par la mort de deux de ses filles que la petite vérole [8] lui a ravies. Nondum constat de eius reditu [4] parce qu’on ne lui a pas encore envoyé ses lettres. On imprime en Hollande toutes les œuvres de Spigelius [9] in‑fo avec les figures d’anatomie tirées sur les planches de la première édition qu’on a fait venir d’Italie. [5] On y imprime aussi un Fernel [10] in‑8o[6] Leur Théophraste [11] nouveau, grec latin, est ici arrivé in‑fo avec des figures ; ce qui en est arrivé a été vendu 22 livres la pièce. [7] On imprime ici une réponse pour l’Université de Paris contre le livre du P. Caussin [12] et leur Théologie morale[8][13] La première qui entrera céans sera pour vous, ne vous en mettez pas en peine. Il en viendra après encore un autre, qui répondra au livre du P. Le Moine. [14] Le grand prieur de France, commandeur de La Porte, [15] oncle du feu cardinal de Richelieu, [16] mais plus homme de bien que lui, est ici mort d’apoplexie, [17] ex immodica venere[9] âgé de 82 ans. M. le comte d’Harcourt [18] s’en va en Catalogne [19] pour tâcher d’y mieux faire que le maréchal de La Mothe-Houdancourt, [20] ou au moins pour tâcher d’y être plus heureux. [10] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 8e de novembre 1644.


a.

Ms BnF no 9357, fo 25 ; Triaire no cxviii (pages 436‑437) ; des fragments ont servi à Reveillé-Parise, dans sa lettre no clxxx (tome i, pages 341‑342), datée du 10 novembre 1644. Au revers, de la main de Charles Spon : « 1644, Paris 8 novembre ; Lyon, 21 dudit ; Risposta, adi 29 dudit. »

1.

« Puisse Dieu le permettre. »

V. note [12], lettre 92, pour les Institutions médicales de Caspar Hofmann, dont le libraire Jean-Antoine i Huguetan achevait alors l’impression à Lyon.

Le frontispice présente un petit portrait de l’auteur en médaillon, avec sa devise ;

Sic ego cantabricam cum spinis tempero rusci.

[Quant à moi, j’équilibre ainsi les épines du myrte sauvage avec la giroflée].

Il est placé au-dessus du faux titre qui est flanqué de deux colonnes.

Sous le faux titre, dans un cartouche, est dessinée une vue cavalière des remparts et de la ville de Nuremberg.

V. note [9], lettre latine 125, pour la présentation de ce même frontispice par Hofmann lui-même (mais il le destinait à ses œuvres complètes de Galien en grec et français qui n’ont jamais vu le jour).

Le livre contient deux index : au début, celui des chapitres (Index capitum) ; à la fin, celui des matières (Index rerum et verborum memorabilium, quæ hoc Institut. Medic. volumine continentur, in sex partitus [Index des choses et des mots remarquables contenus en ce volume des Institut. Médic., divisé en six livres]).

L’achevé d’imprimer est du 18 mars 1645.

2.

Henriette-Marie de France, épouse du roi Charles ier, revenait des eaux de Bourbon. Louis xiv, son neveu, et Anne d’Autriche, sa belle-sœur, étaient allés à sa rencontre jusqu’à la Croix de Montrouge. Le peuple de Paris fit un accueil chaleureux à cette princesse de France, curieux et surpris qu’une guerre civile l’eût chassée de son pays d’adoption.

3.

Récemment. V. note [8], lettre 114, pour la nouvelle exacte de la mort de la reine d’Espagne.

4.

« Son retour n’est pas encore arrêté ».

5.

Adriaan van de Spiegel (Spigel ou Spieghel, Spigelius en latin, Bruxelles 1578-Padoue 1625) fit ses études à Louvain où il s’appliqua de bonne heure à la médecine. Il se rendit ensuite à Padoue pour suivre les leçons de Giulio Cesare Casseri {a} et de Fabricio d’Aquapendente. {b} Il y reçut le bonnet doctoral puis retourna dans sa patrie, passa ensuite en Allemagne et se fixa en Moravie comme médecin des États de cette province. À la mort de Casseri, le Sénat de Venise offrit à Spiegel les chaires d’anatomie et de chirurgie qui étaient vacantes à Padoue. Le petit lobe du foie porte son nom, bien qu’il eût été connu avant lui (Jourdan in Panckoucke).

Guy Patin annonçait la parution des :

Adriani Spigelii Bruxellensis Equitis S. Marci, olim in Patavino Gymnasio Anatomiæ et Chirurgiæ Professoris primarii, Opera quæ extant Omnia. Ex recensione Ioh. Antonidæ Vander Linden, Med. Doct. et Professoris in Academia Franekerana.

[Œuvres complètes d’Adrianus Spigelius, natif de Bruxelles, chevalier de Saint-Marc, {c} jadis premier professeur d’anatomie et chirurgie en la Faculté de Padoue. Dans l’édition de Johannes Antonides Vander Linden, {d} docteur et professeur de médecine en l’Université de Franeker]. {e}


  1. V. note [16] de la Consultation 16.

  2. V. note [10], lettre 86.

  3. V. note [53] de l’Autobiographie de Charles Patin.

  4. Johannes Antonides Vander Linden a correspondu avec Patin.

  5. Amsterdam, Jan Blaeu, 1645, 2 volumes in‑4o richement illustrés ; v. note [13], lettre 428, pour Jan Blaeu.

Je n’en ai pas trouvé de « première édition » italienne à proprement parler ; Patin voulait sans doute parler des :

Adriani Spigelii… De humani corporis Fabrica libri decem. Tabulis xciix æri incisis elegantissimis, nec ante hac visis exornati… Opus posthumum. Daniel Bucretius Vratislaviensis Philos. et Medic. D. jussu Authoris in lucem profert.

[Dix livres d’Adriaan van de Spiegel… sur la Structure du corps humain. Illustrés de 98 gravures inédites… Ouvrage posthume que Daniel Bucretius, docteur en philosophie et médecine natif de Breslau, publie sur la volonté de l’auteur]. {a}


  1. Venise, Evangelista Deuchinus, 1627, in‑fo.

6.

Ioan. Fernelii Universa Medicina. Nova hac editione quæ obscura erant illustrata, quæ deficiebant suppleta sunt.

[Médecine universelle de Jean Fernel. {a} Dans cette nouvelle édition, ce qui était obscur a été expliqué et ce qui manquait a été ajouté].


  1. Guy Patin appelait volontiers cet ouvrage la « Pathologie de Fernel », en le réduisant à sa partie qui l’intéressait le plus : v. note [1], lettre 36.

  2. Leyde, Franciscus Hackius, 1645, deux tomes in‑8o.

7.

Theophrasti Eresii de Historia Plantarum Libri Decem, Græce et Latine. In quibus textum Græcum variis Lectionibus, emendationibus, hiulcorum supplementis Latinam Gazæ versionem nova interpretatione ad margines totum Opus absolutissimis cum Notis, tum Commentariis, item rariorum Plantarum iconibus illustravit Ioannes Bodæus a Stapel, Medicus Amstelodamensis. Accesserunt Iulii Cæsaris Scaligeri in eosdem Libros Animadversiones, et Roberti Constantini Annotationes, cum Indice locupletissimo.

[Dix livres sur l’histoire des plantes de Théophraste d’Érèse, en grec et latin, où Johannes Bodæus van Stapel, {a} médecin d’Amsterdam, a enrichi : le texte grec avec divers choix, corrections et suppléments aux parties manquantes ; la traduction latine de Theodorus Gaza {b} avec une interprétation nouvelle dans les marges ; et l’ensemble de l’œuvre tant avec les notes qu’avec les commentaires les plus parfaits, ainsi qu’avec les dessins des plantes plus que rares. Il y a ajouté les observations de Jules-César Scaliger et de Robert Constantin {c} sur ces mêmes livres, et un très riche index]. {d}


  1. Mort en 1636, v. note [72], lettre latine 351.

  2. V. notule {a}, note [51], lettre latine 154 ; sa traduction latine de Théophraste (v. note [1], lettre latine 44) avait paru à Trévise en 1483.

  3. V. note [5], lettre 9, pour Jules-César Scaliger, et [4], lettre latine 97, notule {c}, pour Robert Constantin.

  4. Amsterdam, Henricus Laurentius, 1644, in‑fo de 1 187 pages : ouvrage posthume de Johannes Bodæus de Stapel publié par les soins de son père, Egbertus Bodæus.

Parmi les Anciens dont les écrits nous sont parvenus, Théophraste est vraiment le seul qui mérite le nom de botaniste. Fils d’un simple foulon, il naquit l’an 370 av. J.‑C. à Érèse, dans l’île de Lesbos. Tyrtame était son véritable nom ; il dut à Aristote, son oncle et son maître, celui de Théophraste (parlant comme un dieu) pour la vivacité de son esprit et son éloquence naturelle. Hormis quelques menus fragments, la Botanique est le seul des très nombreux ouvrages philosophiques de Théophraste qui a résisté au temps (Diogène Laërce).

V. note [38], lettre 477, pour l’énigmatique Theophrastus redivivus… [Théophraste ressuscité…], volumineux manuscrit anonyme, apparemment rédigé en 1659, qui prétendait combattre l’athéisme en faisant revivre les idées de Théophraste sur le sujet (dont il n’est pas resté de preuve écrite).

8.

V. notes [3], lettre 98, pour la Théologie morale, et [8], lettre 107, pour l’Apologie du P. Nicolas Caussin et [9], lettre 107, pour le Manifeste apologétique du P. Pierre Le Moine qui y répondaient.

9.

« d’excès vénérien ».

Amador de La Porte (1568-31 octobre 1644), frère de Suzanne La Porte, mère de Richelieu, était devenu chevalier puis commandeur de l’ordre de Malte. En 1640, Richelieu l’avait fait élever à la dignité de grand prieur de France. Il existait plusieurs grands prieurés de l’Ordre de Malte en France : [Île-de-]France, Champagne, Aquitaine.

10.

Philippe de La Mothe-Houdancourt (1605-1657) était entré dans le métier des armes à 17 ans. Blessé à l’affaire de Castelnaudary en 1632, il avait alors été nommé gouverneur de Bellegarde (Seurre, v. note [7], lettre 221), puis mestre de camp en 1633. La Mothe avait ensuite assisté aux sièges de Nancy et de Louvain (1635), été promu maréchal de camp en 1637, donné de nouvelles preuves de sa valeur dans l’armée de Bourgogne, dans celle d’Allemagne, battu un corps ennemi à Poligny, puis passé à l’armée de Piémont (1639) dont il eut le commandement provisoire à la mort du cardinal de La Valette. Lorsque cette armée avait dû battre en retraite, La Mothe-Houdancourt l’empêcha d’être écrasée en soutenant de pied ferme le choc de l’ennemi à l’arrière-garde. La valeur dont il avait également fait preuve à la bataille de Casal (1640) et au siège de Turin lui valut le grade de lieutenant général en 1641. Chargé la même année du commandement de l’armée de Catalogne, il avait battu plusieurs fois les Espagnols, pour être nommé successivement maréchal de France (2 avril 1642), vice-roi de Catalogne (25 juin) et duc de Cardone. Battu lui-même devant Lérida (15 mai l644, v. note [10], lettre 107) puis devant Tarragone (9 août, v. note [5], lettre 111), il avait perdu sa vice-royauté. « Il fut calomnié, les intrigues de la cour s’en mêlèrent ; c’était un homme qui n’avait d’appui que ses actions et son mérite » (Saint-Simon, Mémoires, tome iii, page 329).

Arrêté le 28 décembre 1644, il allait être détenu pendant quatre ans dans la prison de Pierre-Ancise à Lyon (v. note [52], lettre 156) ; Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 240‑241, 1er janvier 1645) :

« Le soir, mon père me dit que le maréchal de La Mothe-Houdancourt, arrêté prisonnier à Lyon, entre la porte et la herse, avait été conduit en Saint-Pierre-Ancise ; que l’on avait trouvé quatre cent mille écus d’argent comptant dans son bagage et quantité de pierreries ; et qu’on l’accusait d’avoir laissé perdre Lérida, faute de s’être voulu obliger pour le roi de cent mille francs. L’on arrêta, au même temps, son correspondant à Paris, et fut mis à la Bastille. »

En 1648, La Mothe fut traduit devant le parlement de Grenoble qui l’acquitta ; libéré en septembre, il se retira dans ses terres. Bien que très hostile à Mazarin et au parti de la cour, il prit une très faible part aux troubles de la Fronde. En 1651, il obtint de retourner en Catalogne comme vice-roi et commandant en chef de l’armée. Étant parvenu à se jeter dans Barcelone, il défendit de la plus brillante façon cette place, que la famine seule força à se rendre après cinq mois de siège (avril-octobre 1652). Il se démit de sa vice-royauté au début de 1653 et revint attendre la mort en France (G.D.U. xixe s.).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 novembre 1644

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(Consulté le 28/03/2024)

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