L. 129.  >
À Claude II Belin,
le 9 décembre 1645

Monsieur, [a][1]

Pour répondre à votre dernière, je vous dirai que j’apprends souvent des nouvelles de monsieur votre second fils [2] par le mien, [3] auquel je demande souvent des nouvelles de sa classe. [1] M. Courtaud, [4] doyen de Montpellier, [5] fit l’an passé une harangue publique, laquelle il a fait imprimer 15 mois après, en laquelle il tâche de réfuter le plaidoyer de MM. Chenvot [6] et Talon, [7] et l’arrêt [8] aussi que nous eûmes l’an passé contre le Gazetier[9] Vous aurez pitié de ce pauvre homme quand vous lirez cet écrit, opus est senis delirantis[2] Le Gazetier ne m’a pas oublié dans les mémoires qu’il leur a envoyés de deçà et M. Courtaud m’a fait l’honneur d’y faire allusion à mon nom en deux divers endroits. Il y en a de deçà qui tiennent cette pièce indigne de réponse. Quelqu’un néanmoins taille sa plume pour cet effet. S’il s’en fait quelque chose, vous en aurez des premiers. [3] En attendant, je vous prie, si vous écrivez à Montpellier, de mander à monsieur votre frère, [10] qui doit en partir bientôt, à ce que m’en a mandé M. Nissolle, [11] docteur en médecine, [4] qu’il en apporte quand il reviendra quant et soi quatre ou cinq exemplaires afin que nous ne manquions pas de ce chef-d’œuvre. Si le libraire de Montpellier eût eu de l’esprit, il en eût envoyé à divers libraires de deçà et ainsi, nous n’en eussions pas manqué. Si la thèse [12] que vous avez de Bâle [13] ne vous est fort chère ou utile, vous m’obligerez de me l’envoyer. [5] Il n’y a ici rien de nouveau contre les jésuites. Nous avons aujourd’hui enterré un de nos compagnons nommé M. de Saint-Jacques [14] l’aîné, petit homme âgé de 54 ans. [6] Il y en a encore deux ou trois autres bien malades et entre autres M. Cousinot, [15] premier médecin du roi. Il nous est ici venu une très mauvaise nouvelle, que les Espagnols, sans presque coup férir, se sont rendus maîtres du fort de Mardyck, [16][17] pour lequel prendre on a fait tant de dépenses l’été passé. [7] On vend ici dix livres pièce, en blanc, le livre de M. de Saumaise [18] de Primatu Papæ, au commencement duquel < il > y a une grande et longue préface contre le P. Petau, [19] qui écrit de présent pour faire réponse à ce livre. [8] Je vous prie de me conserver en vos bonnes grâces et de croire que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 9e de décembre 1645.


a.

Ms BnF no 9358, fo 97 (inversion des fos 96 et 97) ; Triaire no cxxxii (pages 486‑488).

1.

Robert Patin, le fils aîné de Guy, était alors âgé de 16 ans et étudiait la logique (v. lettre suivante) à Paris avec le second fils de Claude ii Belin (v. note [2], lettre 109).

2.

« c’est l’œuvre d’un vieillard délirant. »

3.

Guy Patin attaquait ici de nouveau la Monspeliensis medicorum Universitatis oratio… que Siméon Courtaud avait prononcée le 21 octobre 1644 pour défendre Théophraste Renaudot et la primauté académique médicale de Montpellier sur Paris (v. note [19], lettre 128). Chenvot avait été l’avocat de la Faculté de médecine de Paris et Omer ii Talon, l’avocat général, dans le procès contre Renaudot (v. notes [53], lettre 101, et [1], lettre 103, et L’ultime procès de Renaudot contre la Faculté).

V. note [3], lettre 131, pour les deux allusions à Guy Patin dans le texte de Courtaud. L’une des premières réponses de la Faculté de médecine de Paris à Siméon Courtaud a été la Centonis Κακορραφιας diffibulatio… de René Moreau, en juin 1646 (v. note [4], lettre 137).

4.

Sébastien Belin, frère cadet de Claude ii, étudiait alors la médecine à Montpellier. François Nissolle (Montpellier 1604-ibid. 1646 ou 1647), fils de Jean, maître chirurgien avait été reçu docteur en médecine de l’Université de Montpellier en 1628. Il avait donné ses soins aux pauvres de l’Hôtel-Dieu Saint-Éloi de 1630 à 1633. En 1642, l’École l’avait désigné comme docteur agrégé (équivalent d’un docteur régent parisien) à la place de Pierre i Sanche (v. note [55], lettre 223) (Dulieu).

5.

Peut-être la thèse que le médecin lyonnais Henri Gras, natif de Lausanne, avait disputée en 1615 à Bâle et dont Guy Patin a reparlé en 1652 (v. note [22], lettre 295).

6.

Gabriel Hardouin de Saint-Jacques avait été doyen de 1620 à 1622 (v. note [15], lettre 54) ; frère aîné de Philippe ii, c’était lui qui avait fait publier le Codex de 1638 où figurait le vin émétique (v. note [7], lettre 122).

7.

Mardyck (aujourd’hui Fort-Mardyck dans le département du Nord), place fortifiée située à 12 kilomètres à l’ouest de Dunkerque, au bord de la Manche, était tombée en 1622 au pouvoir des Espagnols.

Au début de 1645, les Français l’avaient prise après un siège de cinq jours. Ils étaient alors maîtres d’une grande partie des Flandres, mais ne surent pas conserver toutes leurs conquêtes. Ils perdirent ainsi Cassel, puis le gouverneur espagnol de Dunkerque ayant appris que le fort de Mardyck était gardé avec négligence, il le fit attaquer par un corps d’armée espagnol qui le surprit dans la nuit du 3 au 4 décembre et fit prisonnière toute la garnison française (Triaire).

Gazette, ordinaire no 160 du 9 décembre 1645 (page 1168) :

« De Calais, le 4 décembre 1645. Nouvelles sont ici venues que les ennemis, au nombre d’environ 2 000, ont cette nuit surpris le fort de Mardyck ; s’étant saisis en renards de ce que les Français avaient gagné sur eux en lions ; de quoi nous attendons la confirmation avec les circonstances. »

Enjeu stratégique de première importance Mardyck est réapparue plus tard dans les lettres de Guy Patin.

8.

V. notes [6], lettre 62, pour le livre de Claude i Saumaise « sur la primauté du pape » (Leyde, 1645), et [1], lettre 126, pour sa préface contre le P. Denis Petau (qui n’y répondit pas lui-même, v. note [5], lettre 131).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 9 décembre 1645

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(Consulté le 19/04/2024)

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