L. 161.  >
À André Falconet,
le 10 octobre 1648

Monsieur, [a][1]

Je n’ai point d’assez belles paroles pour vous remercier de l’affection que vous m’avez témoignée en votre très obligeante lettre ; mais en attendant mieux, je vous en remercie de tout mon cœur. Je vous prie de croire que je fais très grand état de votre amitié, et même que je ne refuse pas le présent que vous me promettez, De philosophia Epicuri, in fo[2] en échange duquel je vous en promets un autre qui sera Io. Riolani Anthropographia[3] in fo, laquelle sera augmentée de plus de la moitié avec quelques traités tout nouveaux comme De Circulatione sanguinis, Errata recentium anatomicorum, Laurentii, Bauhini, Bartholini, Hofmanni, Spigelii, etc., Encheiridium, sive Manuale anatomicum ; [4][5][6][7][8][9][10][11] mais je ne vous la puis faire rendre dans Lyon guère avant la Saint-Jean, vu que Teucris illa lentum negotium [1][12] à cause que le bonhomme veut qu’on lui porte en sa maison toutes les épreuves, avant que d’en rien tirer, pour la grande quantité des bonnes choses qu’il y a ajoutées. Pour le livre que vous m’avez envoyé de M. Gassendi in‑4o, j’ai été bien aise de l’avoir deux fois vu qu’il est bon, je vous en remercie encore une fois. [2] Pour le bézoard [13] du Gazetier[14] c’est une fort belle drogue ; il n’a débité que la tablature de N., [15] qui est un moqueur. [3] Les quatre saignées ont sauvé la vie au roi, [16][17] encore, dit-on, qu’il n’a point pris de bézoard ; mais ce qu’on en dit là-dedans est pour faire du dépit aux médecins de Paris qui n’y croient point. Quoi qu’il en soit, il y a un examen de cette Gazette [18] tout fait quelque part, qui se mettra en lumière quand la bonne occasion s’en présentera ; autrement cela ne se peut à cause du roi. [4] Cet homme n’est-il pas bien ignorant de nous dire que le roi a guéri après avoir pris du bézoard ? Hoc post hoc, ergo propter hoc ; [5] la conséquence n’en vaut rien du tout. Cet homme raisonne comme si nous étions des bêtes. J’ai eu autrefois un bon maître à qui j’ai souvent ouï dire qu’il n’était rien de tel que d’être impudent, et que c’étaient les impudents qui gouvernaient le monde ; et néanmoins, ce digne homme n’était rien moins qu’impudent, c’était ce grand poète feu M. de Bourbon, Nic. Borbonius[19] qui mourut fort vieux entre mes bras l’an 1644, le 7e d’août. Il a été en son temps très grand homme et très bon poète, et nous voyons aujourd’hui pis qu’il n’a dit car en ce temps, la fortune triomphe par impudence, par ignorance et par imposture ; mais c’est assez pour ce coup. Si vous voyez quelquefois mon bon ami M. Spon, [20] il pourra vous dire de mes nouvelles. Je lui écris souvent et quand il vous plaira m’écrire, vous n’aurez qu’à lui donner vos lettres pour les enfermer dans son paquet. Je lui en prépare un petit dans lequel il y aura quelque chose pour vous qu’il vous rendra fidèlement. [6] Quand j’apprends quelque nouvelle de livres, je la lui mande volontiers et je serai bien aise qu’il vous en fasse part, comme aussi à M. Garnier, [21] votre collègue que j’honore fort ; et je vous prie de disposer de moi et de croire que je tiens à très grand bonheur d’être toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 10e d’octobre 1648.


a.

Bulderen, no xiv (tome i, pages 38‑39) ; Reveillé-Parise, no ccclxiii (tome ii, pages 509‑511) ; Triaire no clxiii (pages 507‑509). Lettre portant la suscription de G.D.M. (Gras) dans l’édition de Rotterdam 1725 (Triaire).

1.

« cette Troyenne traîne en affaire » (Cicéron, v. note [3], lettre 48).

En échange des Animadversiones… de Gassendi sur la philosophie d’Épicure, qu’on était en train d’imprimer à Lyon (v. note [1], lettre 147), Guy Patin promettait à André Falconet la nouvelle Anthropographie de Jean ii Riolan, à paraître en 1649 (Opera anatomica vetera…, v. note [25], lettre 146), enrichie de nouveaux traités : « La Circulation du sang, Erreurs des anatomistes modernes, Du Laurens, Bauhin, Bartholin, Hofmann, Spiegel, etc. » ; l’« Enchiridion, ou Manuel anatomique » avait paru au printemps 1648 (v. note [25], lettre 150).

2.

Dans sa lettre datée du 29 octobre 1647 (note [1]), Guy Patin avait déjà remercié André Falconet pour l’envoi du De Vita et moribus Epicuri libri octo [Huit livres sur la Vie et les règles d’Épicure] de Gassendi, en lui signalant qu’il en possédait déjà un exemplaire.

3.

Théophraste Renaudot était le Gazetier. « Ce devin vous a promis de vous faire découvrir votre larron, c’est un charlatan, un moqueur » (Furetière). Le moqueur N. en question ici était Nicolas Præpositus, auteur de l’alors célèbre Antidotaire (codex ou tablature, v. note [3], lettre 15).

4.

À presque un an de distance, Guy Patin donnait ici à André Falconet son avis sur la relation de la variole du jeune Louis xiv (v. note [42], lettre 152) que Théophraste Renaudot avait faite dans un extraordinaire de la Gazette (no 144, 29 novembre 1647, pages 1137‑1148) intitulé L’heureuse convalescence du roi, avec l’histoire de sa maladie ; et voici comment le Gazetier y débitait la tablature de Nicolas (page 1143) :

« Sa Majesté {a} lui donnait elle-même presque tous ses aliments qui n’étaient que des bouillons rafraîchissants et cardiaques, tels qu’ont été aussi ses remèdes, ayant pris souvent des eaux cordiales, du bézoard, et des tablettes faites avec les perles préparées et le sucre dissout en eau d’oxytriphyllon ; {b} et son boire ayant été de la décoction de corne de cerf, dans laquelle on dissolvait le plus souvent cet excellent cardiaque < qu’est > l’aigre de cètre . » {c}


  1. Anne d’Autriche, sa mère.

  2. Décoction vinaigrée de trèfle.

  3. Breuvage qui se fait avec du citron et du sucre ; sans référence ni même allusion à l’antimoine.

5.

« ceci après cela, donc à cause de cela » : fameuse formule de la scolastique (v. note [3], lettre 433) pour désigner l’erreur qui consiste à prendre pour cause avérée ce qui n’est peut-être qu’un antécédent dans le temps. Guy Patin n’a pas dit mot sur la nouvelle guérison d’une variole princière survenue à la cour (qui avait pu rallumer la curiosité d’André Falconet sur les remèdes cordiaux dans cette maladie).

Gazette, ordinaire no 137, du 5 septembre 1648 (page 1208) :

« De Paris, le 5 septembre 1648. […] Le roi s’alla hier divertir à la chasse au bois de Boulogne, Sa Majesté témoignant une grande inclination à ce royal exercice. Monsieur, {a} frère unique du roi, ayant eu la fièvre le 30 du passé, qui obligea à le saigner deux fois, la petite vérole lui parut le 1er de ce mois avec grande diminution de la fièvre, et fort avec toutes les bonnes conditions qui se peuvent souhaiter en cette maladie. Il use de perles, confection d’hyacinthe et autres remèdes cordiaux, et on espère en bref sa guérison. »


  1. Philippe duc d’Anjou, futur duc d’Orléans.

6.

Nous n’avons malheureusement aucune lettre de Guy Patin à Charles Spon, datée du second semestre de 1648 (début de la Fronde, paix de Westphalie). Ce passage prouve qu’il dut pourtant y en avoir de nombreuses. Le contraire eût été surprenant car, comme le prouvent les lettres du premier semestre 1649, Patin suivait avec la plus grande attention les affaires politiques intérieures et mettait le plus grand soin à en informer par le menu son ami de Lyon.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 10 octobre 1648

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(Consulté le 18/04/2024)

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