L. 167.  >
À Nicolas Belin,
le 14 mars 1649

Monsieur, [a][1]

Je vous ai beaucoup d’obligation, et à monsieur votre père, [2] du soin que vous avez de moi. Depuis trois mois, je n’ai vu qu’une de vos lettres, savoir celle du 10e de mars ; il faut que les deux autres aient été égarées. Je vous remercie néanmoins du souvenir et de la bonne volonté qu’avez pour votre serviteur. Je pense qu’il ne sera pas besoin que nous empêchions nos amis, [1] vu que l’on nous fait espérer que dans peu de jours nous jouirons de la paix que Messieurs nos députés ont accordée depuis trois jours à Rueil, [3] avec les députés de la reine. [2][4] Elle n’est pas encore ratifiée ni publiée, pour quelques instances qu’y font à l’encontre Messieurs les généraux que nous avons ici, ou au moins quelques-uns d’entre eux qui semblent être malcontents de cette paix ; mais je pense qu’il faudra qu’ils en passent par là. Vous savez le naturel des princes : ils aiment mieux la guerre que la paix ; et c’est à nous tout le contraire, nous ne saurions ni ne devons faire la guerre, la paix ne nous étant pas seulement utile, mais nécessaire aussi. Si Dieu nous donne cette paix bientôt, j’espère de vous écrire plus amplement. Je la souhaite de tout mon cœur, comme aussi que monsieur votre père soit bientôt quitte de sa paralysie, [5] pour laquelle, en cette saison trop humide, il faut le saigner [6] hardiment du bras qui n’est pas du côté malade, et même un peu du bras malade, sine ullo metu ; [3][7] puis le purger [8] plusieurs fois de séné, [9] de sirop de roses pâles, [10] de fleurs de pêcher, [4][11] et même d’un peu de diaphénic. [5][12][13] Sed noctuas Athenas mittere ne videar, sileo, et nihil definio[6][14] Nous avons ici perdu un des plus grands hommes qui ait jamais été en notre profession, savoir le bonhomme M. Nicolas Piètre, [15] notre ancien, [16] âgé de 80 ans, lequel mourut ici le 27e de février ex hydrope pulmonis. Quiescat in pace[7][17] Il a fait autrefois honneur à notre profession et à notre Compagnie ; et moi en particulier, lui ai de très grandes obligations. Je vous baise les mains et à monsieur votre père, à Messieurs vos oncles, à MM. Sorel, Camusat, Allen ; et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 14e de mars 1649.


a.

Ms BnF no 9358, fo 116, « À Monsieur/ Monsieur Belin le fils,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Triaire no clxix (pages 672‑673) ; Reveillé-Parise, no xcii (tome i, pages 146‑147). Guy Patin a écrit cette lettre et les quatre suivantes tandis qu’il achevait son récit du siège de Paris (v. note [1], lettre 171), c’est‑à‑dire la longue lettre précédente que, pour la compréhension des événements, j’ai mise avant celle‑ci, malgé sa date plus tardive, 20 mars.

1.

Empêchions : embarrassions.

2.

La paix de Rueil avait été conclue le 11 mars.

3.

« sans aucune crainte ».

Âgé de 52 ou 53 ans, Claude ii Belin avait récemment été victime d’un accident artériel cérébral (apoplexie) avec une hémiplégie (paralysie d’une moitié, probablement gauche, du corps) dont il récupéra avec des séquelles. Guy Patin ne lui écrivit plus avant le 27 novembre 1649 (lettre 208), après avoir adressé neuf lettres (dont celle-ci est la première) à son fils, Nicolas Belin.

4.

« Les fleurs de pêcher lâchent le ventre, provoquent le vomissement et aident les hydropiques » (Thomas Corneille) ; la sève, les feuilles et les noyaux du pêcher faisaient aussi partie de la pharmacopée.

5.

Diaphénic : électuaire purgatif à base de dattes et de scammonée (v. note [4], lettre 172).

Un électuaire est un « médicament composé de poudres ou d’autres drogues incorporées avec du miel et du sucre ; il est ainsi nommé, à cause que les parties qui le composent doivent être curieusement [exactement] choisies [electæ en latin] » (Furetière).

6.

« Mais je me tais, et ne fixe rien pour ne pas paraître envoyer des chouettes à Athènes. » {a} Érasme a commenté ce proverbe dans ses Adages (no 111), en y remplaçant noctuas [chouettes] par ululas [hiboux, chats-huants] :

Ululas Athenas.

Γλαυκας εις Αθηνας, id est, Ululas Athenas : subaudiendum, portas, aut mittis. Conveniet in stultos negotiatores, qui merces eo comportant, ubi per se magis abundant, ut si quis in Ægyptum frumentum, in Ciliciam crocum invectet. Venustius fiet, si metaphora ad res animi transferatur, ut si quis doceat doctiorem, carmina mittat poetæ, consilium det homini consultissimo. […] non ob id solum dici, noctuas Athenas, quod Athenis noctuarum sit copia, sed quod in nummis etiam tum aureis, tum argenteis Atheniensium noctua inscalpi solebat, una cum facie Minervæ.

[Des hiboux à Athènes.

Γλαυκας εις Αθηνας, sous-entendu tu portes ou tu envoies : Conviendrait aux négociants stupides qui transportent des marchandises là où elles abondent naturellement, comme importer du blé en Égypte {b} ou du safran en Cilicie. {c} On fera plus élégamment en transférant la métaphore aux mentalités, comme celui qui en remontrerait à plus savant que lui, qui enverrait des odes à un poète, qui donnerait un conseil à un homme extrêmement avisé. […] on ne dit pas seulement Noctuas Athenas pour la raison que j’ai expliquée, qu’il y a quantité de chouettes à Athènes, mais aussi parce qu’on y avait coutume de graver une chouette sur les monnaies d’or et d’argent, avec l’effigie de Minerve]. {d}


  1. Porter de l’eau à la rivière.

  2. L’Égypte était un des greniers à blé de la Rome antique.

  3. V. note [52], lettre latine 351.

  4. Athéna, v. note [13], lettre 6.

7.

« d’une hydropisie du poumon. Qu’il repose en paix ! »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 14 mars 1649

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(Consulté le 19/04/2024)

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