L. 171.  >
À Charles Spon,
le 2 avril 1649

Monsieur, [a][1]

Voilà trois feuilles de papier que je vous envoie, par lesquelles vous apprendrez le train de nos affaires passées. Je vous enverrai la quatrième dès que je saurai que vous avez reçu ces trois premières. [1] La quatrième sera la conclusion de la guerre et l’exécution de la paix, [2] laquelle a été ici aujourd’hui proclamée et publiée à son de trompe. [2] Je vous ai, il n’y a que deux heures, écrit une lettre par une autre voie. Je souhaite fort que vous puissiez recevoir l’une et l’autre, et suis de tout mon cœur, monsieur votre très humble et obéissant serviteur. Nosti manum, nosti hominem[3]

On dit que la reine [3] fera bientôt un voyage à Tours [4] et par delà. Je pense qu’elle accepte ces promenades afin de n’avoir pas occasion de revenir sitôt ici. [4]

De Paris, ce vendredi saint, 2d d’avril 1649, à neuf heures du soir.


a.

Ms BnF no 9357, fo 48, sans adresse ; au revers, de la main de Charles Spon, « 1649/ Paris, 2 avril/ Lyon, 7 dudit/ Risposta/ Adi [effacé] » ; Jestaz no 3 (tome i, page 425), qui considère cette courte lettre comme un post‑scriptum de la précédente, mais Guy Patin dit bien qu’il les a expédiées par des voies différentes.

1.

Le récit de la guerre de Paris occupe six feuilles (fos 41-46 du Ms BnF no 9357, soit 12 pages ; v. lettre 166). Les trois premières (fos 41‑43), qui s’achevaient sur « Adieu Monsieur » (v. note [128], lettre 166), accompagnaient le présent billet.

Ce soir du 2 avril, Guy Patin devait être en train de terminer sa « quatrième » quand une occasion se présenta de confier son courrier à quelqu’un qui se préparait à partir pour Lyon. Au moment où il écrivait ce mot d’accompagnement, Patin ne se doutait pas qu’il lui faudrait encore deux feuilles de plus pour conclure. Les deux derniers feuillets du long récit de la guerre de Paris ont donc certainement été écrits après le 2 avril. Patin a joint le reste de sa narration dans sa lettre à Charles Spon, datée du 16 avril (v. note [1], lettre 176).

2.

La paix avait été vérifiée par le Parlement le 1er avril (v. note [1], lettre 170).

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 733‑734) :

« Ainsi finit cette guerre, après avoir duré douze semaines contre la pensée de la cour, qui ne l’avait entreprise que dans la pensée qu’elle ne durerait que huitaine. La cour l’avait entreprise pour perdre le Parlement, croyant que le peuple, après trois jours de marché sans pain de Gonesse, {a} se jetterait sur le Parlement, et ainsi, qu’en trois semaines le roi reviendrait à Paris après avoir détruit le Parlement qui empêchait la continuation des prêts et des taxes sur le peuple. Le Parlement avait pris les armes pour sa conservation, et quelques particuliers de la Compagnie pour ne pas tomber dans la puissance de leur ennemi, et la ville de Paris pour avoir du pain et conserver sa liberté. Les généraux, sous prétexte du bien public, s’y sont joints, mais en effet pour venger leurs haines particulières contre le cardinal et le chasser ; et de fait, pas un ne se voulut déclarer qu’après l’arrêt donné contre le Mazarin. La cour, voyant les révoltes de toutes les provinces et l’approche de l’archiduc, résolut l’accommodement, mais croyant séparer les généraux du Parlement et du peuple, elle fit l’accord avec le Parlement et ne parla des généraux qu’en général, et donna, pour gagner le peuple, l’abondance des vivres. Ce qui ayant fait cesser la crainte de la famine, l’on ne voulut pas accepter la paix pour le Parlement sans celle des généraux ; de sorte que la cour ayant été trompée et perdant espérance de forcer Paris, a été obligée de contenter les généraux ; encore avait-elle peur qu’ils ne se voulussent pas contenter, et il lui fallut jouer d’adresse et d’intelligence avec le Parlement, qu’elle avait voulu opprimer, pour réduire les généraux à vouloir l’accommodement ; ainsi, elle s’est mécomptée en tous ses desseins.

La plupart des membres du Parlement, qui avaient cru qu’après l’arrêt le cardinal s’enfuirait, voyant tout au contraire que leur résistance le rendait plus fort et ne produisait qu’une guerre civile et leur ruine tout entière, voulaient la paix ; mais ils étaient traversés par les inventions continuelles des généraux et par leurs brigues, qui tâchaient à continuer la guerre et à éloigner tous les accommodements. Les généraux, qui n’ont considéré que leurs intérêts, n’ont point pensé à finir la guerre, mais à se rendre les maîtres pour donner la loi partout. […] Ainsi l’on peut conclure que Dieu seul n’a point été trompé dans cette guerre, lui qui a voulu affliger Paris et en diminuer le luxe et l’abondance, et non pas le perdre ; ce qui fût arrivé si ou la cour, ou les généraux fussent venus à bout de leurs mauvais desseins. »


  1. V. note [27], lettre 166.

Le décor était bien planté pour une seconde Fronde : celle des princes, après celle du Parlement.
3.

« Vous connaissez la main [l’écriture], vous connaissez l’homme » ; v. note [8], lettre 168.

4.

Il n’y eut pas de voyage à Tours. Le roi et sa cour quittèrent Saint-Germain le 30 avril pour séjourner à Compiègne du 3 mai au 17 août, veille du retour à Paris.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 2 avril 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0171

(Consulté le 25/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.