L. 174.  >
À André Falconet,
le 20 avril 1649

Monsieur, [a][1]

Gardez-vous bien de croire que je vous aie oublié. Je ne vous écris la présente que pour vous assurer que je ne suis point mort durant notre guerre, mais que je vis, Dieu merci, à votre service. Si je ne vous ai pas écrit ci-devant, vous saurez, s’il vous plaît, que ce n’est ni par faute de me bien souvenir de vous, ni faute d’affection, mais c’est la seule guerre mazarine qui m’en a empêché, en tant qu’elle a ôté aux courriers la liberté de marcher. Tant que notre guerre a duré, j’ai, Dieu merci, fait fort bonne chère et rien du tout ne nous a manqué que le moyen de faire savoir de nos nouvelles à nos amis. Il est vrai que nous avons été obligés de doubler la dépense. [1] Au reste, je vous donne avis que l’édition de l’Anatomie latine in‑fo (juste volume où il y a plus de 900 pages) auct. I. Riolano[2] est achevée d’aujourd’hui. [2] Dès que le libraire aura assemblé ses exemplaires et que l’auteur en aura fait ses présents, je vous promets d’en envoyer un paquet à M. Spon, [3] où le vôtre sera contenu, qui vous sera fidèlement rendu. Il y aura aussi quelque autre gentillesse que je vous prie d’agréer, laquelle accompagnera ledit Riolan.

Il n’y a rien du tout ici de nouveau, sinon plusieurs libelles d’un nombre presque infini contre notre bourreau de Mazarin. [4] On dit qu’on en va faire un grand recueil de toutes les bonnes pièces. [3] Quand la paix [5] sera bien confirmée, je pense que nos imprimeurs [6] recommenceront quelque bon labeur. Nous attendons de jour à autre de Hollande magni viri magnum opus, de disciplinis[4] c’est Gerardus Johannes Vossius, [7] le plus savant homme qui soit en tout ce pays-là, si vous en exceptez notre M. de Saumaise [8] et Daniel Heinsius ; [9] comme aussi nous attendons du même auteur le curieux et bon livre, De Historicis Græcis et Latinis. MM. le duc d’Orléans [10] et le prince de Condé [11] ont été ici deux ou trois jours, et puis s’en sont retournés à Saint-Germain [12] voir le roi [13] et la reine. [14] On dit qu’il y a une affaire secrète, negotium perambulans in tenebris[5][15] Il s’y apprête quelque grand et cruel orage, mais on ne sait pas encore sur la tête de qui il tombera. L’Archiduc Léopold [16] a assiégé Ypres [17] en Flandre. [18] On dit que M. le comte d’Harcourt [19] y va commander notre armée. Je vous prie de me conserver en vos bonnes grâces et de croire que je serai toute ma vie votre, etc.

De Paris, ce 20e d’avril 1649.


a.

Bulderen, no xv (tome i, pages 40‑41) ; Reveillé-Parise, no ccclxiv (tome ii, pages 511‑512).

1.

Tous les bourgeois avaient été taxés par le Parlement pour contribuer à l’effort de guerre. Gustave Saige a transcrit les Rôles des taxes levées par ordre du Parlement pour l’armement et l’entretien des troupes chargées de la défense de Paris pendant le blocus (Dubuisson-Aubenay, Journal des guerres civiles, tome ii, appendice v, pages 313‑354). On y trouve (page 339), en date du 10 février 1649, pour le quartier de Saint-Germain-l’Auxerrois, le nom de Patin (« médecin, pour la subsistance », sans contribution pour l’armement) avec une somme mensuelle de 50 livres.

2.

Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan, parue en 1649 à Paris chez Gaspard Meturas (v. note [25], lettre 146).

3.

Mascurat de Gabriel Naudé, v. note [127], lettre 166.

4.

« le grand ouvrage d’un grand homme, sur les sciences » : v. note [6], lettre 162 ; de même pour le livre de Vossius sur les historiens grecs et latins, qui est cité ensuite.

5.

« une négociation qui chemine dans l’ombre. » Cette locution vient des Psaumes (90:5‑6) où elle a une signification différente :

Non timebis a timore nocturno, a sagitta volante in die, a negotio perambulante in tenebris, ab incursu et dæmonio meridiano.

[Tu ne craindras ni les terreurs de la nuit, ni la flèche qui vole pendant le jour, ni la peste (l’embarras) qui rôde dans l’obscurité, ni le démon qui frappe en plein midi].


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 avril 1649

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(Consulté le 18/04/2024)

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