L. 179.  >
À Nicolas Belin,
le 5 juin 1649

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre, je vous dirai que ceux de Bordeaux [2] qui assiégeaient Libourne [3] y ont eu du pis et que M. d’Épernon [4] les a dissipés ; et néanmoins, on dit que la reine [5] a envoyé un nouveau commandement d’abattre les fortifications de cette place afin de mettre la paix partout. [1] Le roi, [6] la reine, le Mazarin [7] sont à Compiègne. [8] On dit qu’ils s’en vont à Amiens [9] en prendre le gouvernement pour le Mazarin sur le maréchal de Chaulnes, [10] qui ne le veut pas rendre autrement, et qui veut tâcher d’attraper ainsi les autres places de cette province. [2] M. le Prince [11] est à Chantilly. [12] Toutes les troupes ont passé la rivière de Somme et entrent dans le pays ennemi. Les Suisses [13] grondent bien fort, qui ne reçoivent aucun argent. [3] Il y a du bruit en Hollande pour un envoyé d’Angleterre nommé Ladislas [14] qui y a été massacré à table par des Anglais, d’autant qu’il avait été un des juges de leur feu roi. [4][15] Le jeune et nouveau roi d’Angleterre, [16] par ci-devant prince de Galles, et le prince d’Orange, [17] son beau-frère, sont soupçonnés d’avoir fait faire ce massacre qui déplaît aux Hollandais. L’Angleterre est tout à fait réduite en république[18] Gerardus Io. Vossius, [19] le plus savant homme de Hollande, si demas Salmasium[5][20] est mort à Amsterdam [21] depuis six semaines. J’ai céans 15 volumes de sa façon. Il y est mort aussi un fort savant ministre nommé Frid. Spanheim, [22] c’est celui qui a autrefois écrit le Soldat suédois et Dubia evangelica en quatre volumes in‑4o[6] On dit ici que le roi d’Espagne [23] est mort le 17e de mai, à Madrid ; mais je ne sais plus qu’en croire, vu qu’on l’a dit plusieurs fois. [7] Je vous prie de faire mes recommandations très humbles à monsieur votre père, [24] lequel j’exhorte de penser à sa santé et de se purger [25] souvent avec séné [26] et sirop de roses pâles, [27] du vieux, in decocto portulacæ ; [8][28] et même de se faire saigner [29] quelquefois, tantôt d’un bras, tantôt de l’autre, ut liberetur a tam importuno hospite ; [9] comme aussi de ne boire que du vin vieux [30] et de le fort tremper. J’ai lu tout le livre des Jésuites sur l’échafaud[31] je pense que tout cela est vrai car il n’y a mal imaginable que ces fourbes ne commettent. [10][32] Ces carabins sortis de la braguette du P. Ignace [33] sont aussi méchants que le diable et néanmoins, ces fins pharisiens paraissent réformés comme pets d’apôtres. [11][34] Depuis la mort de feu M. Piètre, [35] notre ancien [36] qui était un homme incomparable, nous avons perdu le vieux père < Le > Vignon, [37] de 92 ans, et un jeune, nommé Crespon, [38] âgé de 38 ans. [12] Il n’y a ici aucun livre nouveau que l’Anthropographia Riolani [39] in‑fo, qui est un très excellent livre. [13] Je vous baise les mains, à monsieur votre père, à Mme Belin, à Messieurs vos deux oncles, à MM. Camusat, Allen et Sorel. Il y a grand désordre à Bordeaux contre M. d’Épernon qui a fait tuer par trahison M. de Chambaret, [14][40] chef du peuple qui s’est soulevé contre la tyrannie de ce gouverneur. Un avocat du Conseil nommé M. de Bautru [41] est dans un cachot au Châtelet, [42] accusé d’avoir fait un libelle [43] depuis six semaines, dans lequel le prince de Condé et le premier président [44] sont offensés. [15] Plusieurs se mêlent d’intercéder pour lui, et même M. le duc de Beaufort. [45] Je souhaite qu’on lui pardonne, quandoquidem tam multis in hunc diem licuit insanire[16] Je vous baise les mains et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 5e de juin 1649.

Hier au soir, M. le Prince arriva ici de Chantilly, presque inconnu et sans aucune acclamation. [17] Gaston [46] est encore à la cour à Compiègne, on dit qu’ils s’en vont à Amiens. [18] On parle ici du mariage de la nièce [47][48] du bateleur avec M. le duc de Mercœur, [49] lequel est accordé de parole. Les effets s’en pourront ensuivre, adeo sunt infatuati principes nostri ; [19] et néanmoins, il y a sur ce mariage plus à penser qu’à dire. Lisez le proverbe dans Érasme : [50] Aut regem aut fatuum nasci oportet. Heroum filii noxæ[20][51]


a.

Ms BnF no 9358, fo 120, « À Monsieur/ Monsieur Belin le fils,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no xcvi (tome i, pages 152‑154).

1.

Les événements de Guyenne (v. note [45], lettre 176) se concentraient alors sur la citadelle que le duc d’Épernon faisait ériger à Libourne (Gironde) sur la Dordogne pour barrer l’accès à Bordeaux.

Journal de la Fronde (volume i, fos 25 vo, 39 vo‑40 ro, 44 vo, et 46 vo) :

« Le 28 {a} on eut avis de Bordeaux, du 23 du courant, que M. d’Argenson y était arrivé et qu’on espérait qu’il pourrait pacifier les esprits ; que cependant, {b} le marquis de Chambret, général des Bordelais, serait toujours à la campagne pour rendre les passages libres et faire entrer les vivres dans Bordeaux ; et que le duc d’Épernon était malade en sa maison de Cadillac. […]

Le même jour au soir passa ici {c} un courrier envoyé à la cour par M. de Saint-Simon, gouverneur de Blaye, pour y apporter la nouvelle que le 26 du passé, le duc {d} ayant amassé jusqu’au nombre de 1 500 hommes, avait attaqué les Bordelais devant Libourne, où le marquis de Chambret, général de ceux-ci, ayant été tué dès la première attaque, ce duc en avait défait plus de 3 000, dont la plupart s’étaient noyés ayant voulu se sauver à la nage dans la rivière de Dordogne et de l’Isle. L’on dit que cette nouvelle a obligé M. le Chancelier de mander aussitôt à M. de Comminges, lieutenant des gardes de la reine, qui était prêt à partir d’ici pour aller porter les ordres du roi pour faire raser la citadelle de Libourne, de ne partir point jusqu’à nouveau ordre de la cour. Cette défaite fut confirmée par l’ordinaire de Bordeaux arrivé ici le 31, dont les lettres du 27 portaient à peu près la même chose, mais d’une autre façon, assurant que le marquis de Chambret y avait été tué par un sien garde, qui avait été au duc d’Épernon et qui, sous prétexte de mécontentement, s’était mis du parti des Bordelais ; qu’après la mort de ce marquis, le désordre s’étant mis dans l’armée, il y eut environ 300 tués ou noyés, tant d’une part que d’autre, et deux vaisseaux pris par M. d’Épernon avec trois pièces de canon ; mais que cette nouvelle ayant été sue à Bordeaux, le marquis de Donneval accourut aussitôt avec le neveu du marquis de Chambret et quelques autres gentilshommes, qui rallièrent promptement les troupes et tournèrent à Libourne pour y continuer le siège, bien que le duc d’Épernon y eût déjà fait entrer tout ce qu’il avait voulu d’hommes, de munitions de guerre et de bouche. Le comte de Cornusson, envoyé à la cour par ce duc et parti de Libourne le 28, passa ici le soir du premier du courant {e} et raconta cette action encore d’une autre façon. Il dit que ce duc s’étant avancé vers Libourne avec 300 chevaux et 600 fantassins en attendant le régiment de Guyenne et de la marine pour tâcher d’y jeter du secours, les Bordelais ayant su son approche, lui allèrent au-devant ; mais qu’ils y furent repoussés si rudement qu’il en défit plus de 300, dont la plupart ayant voulu se sauver à la nage furent noyés, entre lesquels il y a deux ou trois conseillers ; que le marquis de Chambret y fut tué avec quantité d’autres ; qu’il y eut plusieurs prisonniers faits par ce duc qui se trouva souvent dans la mêlée sans avoir été blessé, et prit trois vaisseaux avec trois pièces de canon et tout le bagage ; et que le combat avait été si opiniâtré que, nonobstant la mort du marquis de Chambret, les Bordelais ne s’étaient point étonnés, s’étant ralliés par trois fois et ayant même fait durer le combat deux jours entiers. Depuis, l’on a fait ici courir divers bruits dont on ne peut rien dire d’assuré jusqu’au prochain ordinaire. […]

De Bordeaux {f} on eut avis que la ville, par l’entremise de l’archevêque, avait envoyé des députés au duc d’Épernon pour lui demander la paix contre le gré du parlement, ce qui a été confirmé aujourd’hui par le sieur de Saint-Quentin ; que le duc a envoyé à la cour pour porter la nouvelle ; qu’ensuite de cette députation, la paix y avait été faite et que ce duc était retourné dans Bordeaux où étant arrivé, quelques frondeurs du Parlement avaient voulu inciter de nouveau le peuple contre lui, mais inutilement. […]

Le 15 {e} on eut avis de Bordeaux que le duc d’Épernon, après avoir été bien reçu du peuple qu’il a désuni avec le parlement, s’en est retourné en sa maison de Cadillac ; qu’un conseiller l’ayant été visiter, n’avait pu entrer le lendemain dans le parlement, ses confrères lui ayant fermé les portes ; et qu’on continuait la construction de la citadelle de Libourne sans que le peuple en murmurât. La reine, considérant les services que ce duc a rendus à l’État en apaisant les désordres en Guyenne, a donné la survivance de sa charge de colonel général de l’infanterie française au duc de Candale, son fils, qui en a prêté le serment entre les mains du roi afin de l’exercer à la cour en l’absence de son père. »


  1. D’avril 1649.

  2. Pendant ce temps.

  3. Le 30 avril, à Paris.

  4. Le duc d’Épernon.

  5. Juin.

  6. Le 9 juin.

2.

Phrase boiteuse où l’avant-dernier qui se rapporte au maréchal de Chaulnes, et le dernier à Mazarin. V. note [42], lettre 176, pour le désir du cardinal de s’accaparer toutes les places de Picardie.

3.

Journal de la Fronde (volume i, fo 41 ro, de Paris, le 4 juin 1649) :

« Les Suisses avaient hier résolu d’envoyer demander à la cour des cautions pour ce qui leur est dû et des passeports pour se retirer en leur pays, mais le maréchal de Schomberg, {a} qui les avait fait attendre toute la semaine, les pria d’attendre encore jusqu’aujourd’hui 9 heures du matin, ce qu’ils lui accordèrent ; et ce matin, on leur a dit de la part de la reine qu’on leur baillerait 500 mille livres sur ce qui leur est dû, dont il y aurait 150 mille livres de comptant et le reste en bonnes assignations. Ils sont mécontents du colonel Molondin {b} pour avoir donné trop de connaissance à la cour de leurs affaires. »


  1. Colonel général des Suisses et Grisons.

  2. Jacques d’Estavayé-Molondin.

4.

Ce « Ladislas » était le militant calviniste Isaac Dorislaus (Alkmaar, Hollande 1595-La Haye 1649), que Lord Brooke avait fait venir à Cambridge en 1627 pour y enseigner l’histoire ; mais ses violentes convictions antiroyalistes, en faveur de la révolte hollandaise contre l’Espagne, le firent bientôt exclure de l’Université. Installé avocat à Londres en 1629, Dorislaus servit avec zèle la cause républicaine comme intermédiaire diplomatique avec les Provinces-Unies. En janvier 1649, il avait plaidé devant la haute Cour de justice comme témoin à charge contre Charles ier et avait été l’un des 59 commissioners qui signèrent sa condamnation à mort. Après l’exécution du roi, le Commonwealth l’avait envoyé à La Haye pour négocier une alliance avec les Hollandais. Le 12 mai, une bande d’officiers royalistes anglais força la porte de l’auberge où il logeait et l’assassina. Héros de la jeune République, Dorislaus eut les honneurs de funérailles d’État dans l’abbaye de Westminster (Plant).

5.

« si vous exceptez Saumaise » : addition en marge du manuscrit.

6.

Dubiorum evangelicorum Pars Prima : in qua xxxiv. Dubia partim εξηγητικα partim ελεκτικα discussa et vindicata a cavillis Atheorum, Paganorum, Iudæorum, Samosatenianorum, Anabaptisarum, Pontificiorum et Sectariorum aliorum. Opera Friderici Spanhemii, Pastoris et S. Theologiæ Professoris in Ecclesia et Academia Genevensi. Cum indicibus necessariis.

[Première partie des Doutes évangéliques : où sont dissipés et attaqués 34 doutes, tant en les expliquant que réfutant, en s’appuyant sur les balivernes des athées, des païens, des juifs, des samosaténiens, {a} des anabaptistes, {b} des papistes et autres sectaires, par les soins de Friedrich i Spanheim, {c} pasteur et professeur de théologie sacrée en l’Église et Académie de Genève. Avec d’utiles index]. {d}


  1. Précurseurs des sociniens, v. note [14] du Grotiana 2.

  2. V. note [11], lettre 16.

  3. V. note [5], lettre 354.

  4. Genève, Jacques Chouët, 1639, in‑4o de 695 pages ; deuxième partie, ibid. et ibid. 1655, in‑4o de 695 pages ; troisième partie, ibid. et ibid. 1655, in‑4o de 976 pages.

V. note [11], lettre 16, pour le Soldat suédois du même auteur.

7.

Guy Patin avait raison d’être sceptique : Philippe iv, frère d’Anne d’Autriche, ne mourut que bien plus tard, le 17 septembre 1665.

8.

« dans une décoction de pourpier ».

Le pourpier est une « herbe qu’on mange en salade et dans le potage » (Furetière). « Le pourpier domestique rafraîchit, étant humide au second degré et froid au troisième. Il incrasse [épaissit le sang], répercute, restreint et condense. Il est céphalique et néphrétique, et fait mourir les vers. Selon quelques-uns le pourpier sauvage échauffe » (Thomas Corneille).

9.

« pour le libérer d’un hôte si importun ». Au début de 1649 (v. note [3], lettre 167), Claude ii Belin, père de Nicolas, avait été frappé d’apoplexie (attaque cérébrale) qui l’avait rendu hémiplégique (paralysé d’une moitié du corps) ; on ne voit pas précisément de quel hôte (hospes) Guy Patin voulait ici parler.

10.

Gabriel Naudé (Mascurat, pages 653‑654) ne partageait pas l’opinion de son ami Guy Patin sur cet ouvrage épouvantablement calomnieux du P. Pierre Jarrige contre les jésuites (v. note [7], lettre 162) :

« Mais néanmoins, Saint-Ange, puisque tu voudrais avoir l’exemple d’une médisance plus longue, plus universelle, plus sanglante, et expliquée en plus grand nombre d’écrits scandaleux, de libelles diffamatoires et de pasquinades {a} insolentes que n’a été celle qu’on a exercée pendant ces trois mois contre le cardinal Mazarin, considère un peu celle qui a été faite contre la Compagnie des jésuites, à commencer, s’il faut ainsi dire, dès le moment de son institution. Tu la verras enregistrée dans un nombre de libelles si grand qu’homme du monde ne les peut tous recueillir. Tu la verras expliquée non seulement en toutes langues, mais aussi en toutes les façons d’écrire, en toutes les différences de style. Tu verras qu’on les accuse de tant de crimes que le diable n’en a jamais commis davantage ; qu’on les met en butte aux hérétiques, aux envieux, aux intéressés, à leurs faux frères et à tous les ennemis de leur Compagnie ; que non seulement les libelles, mais les gros livres in folio et in quarto remplis de leurs malversations, malices, ignorances, abominations, pleuvent de tous côtés sur leurs têtes ; que l’on en compose des histoires scandaleuses de leur Ordre, témoins celles que les Hospinianus, les Lucius, et les Polycarpus Leyserus nous ont données ; que l’on en fait des recueils sous le titre de Mercure jésuite, avec assurance d’en faire plus de volumes qu’il y en a en celui de France. {b} Quoi plus, on les a mis depuis six mois sur l’échafaud, et néanmoins personne n’a jamais cru que les jésuites fussent coupables de tout ce dont tant de milliers de libelles les accusent. Personne n’a aussi observé que ces nuages de médisances, ces carreaux {c} dardés par tant de mauvaises langues, ces foudres de la plus horrible calomnie que l’on puisse souffrir aient empêché le moindre progrès de leur fortune ou refroidi la bonne affection que tous les honnêtes gens ont coutume de leur porter. Et j’ose bien me promettre qu’il en sera de même de tous ces libelles publiés avec tant d’animosité contre le cardinal Mazarin. »


  1. V. note [5], lettre 127.

  2. V. note [2], lettre 9.

  3. D’arbalète.

11.

Guy Patin semble détenir l’exclusivité de cette pittoresque expression.

12.

Nicolas Crespon, natif de Paris, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1643 (Baron). V. note [3], lettre 1, pour Quirin Le Vignon.

13.

V. note [25], lettre 146, pour les Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan.

14.

Benjamin de Pierre-Buffière, marquis de Chambret (Chambaret pour Guy Patin), chef militaire de la Fronde bordelaise, mort devant Libourne le 26 avril 1649 (v. note [1], lettre 178).

15.

Journal de la Fronde (volume i, fo 40 vo, Paris le 4 juin 1649) :

« Le même jour {a} à 8 heures du soir on arrêta ici prisonnier un avocat du Conseil nommé Bautru, {b} qu’on a accusé d’être auteur de plusieurs libelles, entre autres de celui-ci qu’on intitule Discours sur la députation du Parlement à Monsieur le Prince. {c} On lui fait le procès au Châtelet, mais le Parlement, qui en veut connaître, a ordonné qu’aujourd’hui les informations lui seraient apportées. »


  1. 1er juin.

  2. Bernard de Bautru, avocat au Conseil privé du roi, natif de Sens.

  3. V. note [5], lettre 176. Bautru n’est connu que pour le procès provoqué par cette mazarinade.

Les premières phrases de cette mazarinade donnent une idée de la fureur offensée qu’elle avait dû allumer chez Condé :

« J’avais eu de la peine à ajouter foi à la nouvelle qu’on m’avait écrite de Paris, que le Parlement avait député vers Monsieur le Prince pour lui témoigner la joie que la Compagnie avait de son retour, et l’assurer en même temps de ses soumissions et de ses respects. Mais cette nouvelle m’ayant été depuis confirmée, j’avoue que j’ai été saisi d’étonnement, et d’indignation tout ensemble, d’apprendre que cette Compagnie, autrefois si auguste et si généreuse, se soit abaissée à une si prodigieuse lâcheté. Car sans parler qu’il n’y a point d’exemple dans les registres que le Parlement de Paris ait jamais fait, en une pareille occasion, des semblables compliments vers des princes du sang, qui sont sujets du roi aussi bien que nous, qui sont soumis aux mêmes lois qui nous lient et n’ont autre avantage que d’être les premiers gentilshommes du royaume, on ne pouvait point d’ailleurs tirer en exemple la députation qui avait été faite vers Monsieur le duc d’Orléans, lequel étant fils de France, oncle du roi et lieutenant général de la Couronne, est infiniment élevé au-dessus d’un prince du sang et mérite partant des honneurs singuliers ; et le Parlement a fait sans doute une injure très sensible à Son Altesse Royale {a} de lui avoir égalé un homme qui ne lui parle que le chapeau à la main. »


  1. Gaston d’Orléans.

16.

« puisqu’on a, ces temps-ci, permis à tant de gens d’extravaguer. »

17.

En froid avec la cour, Condé, arrivé à Paris le soir du 4 juin, en repartit le 8 (Journal de la Fronde, volume i, fos 43 vo‑44 ro) :

« pour aller coucher à Grosbois {a} et poursuivre son chemin le lendemain en Bourgogne, où l’on dit qu’il demeurera deux mois et après s’en ira en Berry. On assure qu’il lui est dû par le roi plus de 12 millions de livres et quelques-uns veulent que cette somme lui soit assignée sur les premiers deniers qui proviendront de la Bourgogne. Lorsqu’il prit congé à Compiègne pour s’en venir ici, la reine le pria de lui prêter 50 mille écus, lesquels il promit de lui envoyer d’ici, comme il a fait ; mais avant que partir, il dit à M. Le Tellier qu’il s’étonnait fort de ce que la reine lui empruntait cette somme puisqu’elle savait bien qu’il n’était pas payé d’aucune chose de ce qui lui est dû et qu’il s’était grandement incommodé {b} depuis ces désordres ; que néanmoins il lui prêterait cette somme parce qu’il sait bien qu’elle en avait besoin, mais que si Sa Majesté lui empruntait à l’avenir, il la priait de s’adresser à ceux qui se sont enrichis du bien public plutôt qu’à lui. Les officiers de la bouche du roi, qui dépendent de ce prince à cause de sa charge de grand maître de France, lui déclarèrent avant son départ qu’ils allaient tout quitter si on ne les payait et qu’ils ne pouvaient plus fournir à la dépense de Sa Majesté ; mais il les pria de patienter encore quelques jours et leur promit de leur envoyer 1 000 écus aussitôt qu’il serait à Paris, pour passer la semaine. Son Altesse {c} étant arrivée en cette ville le 4, comme vous avez su, leur envoya aussitôt cette somme, qui doit durer jusqu’à lundi prochain, {d} auquel jour lesdits officiers menacent de quitter si on ne les paye, et en même temps donna ordre pour emprunter 50 mille écus qu’il avait promis à la reine, lesquels il a trouvés nonobstant les grandes difficultés qu’on fait de prêter de l’argent dans les conjonctures présentes, et les a envoyés. L’on a remarqué que Son Altesse a eu des longues conférences avec le coadjuteur de Paris et le président Charton, {e} et quelques autres frondeurs du Parlement ; ce qui a fait croire à plusieurs que Son Altesse était mal satisfaite de la cour, bien qu’elle n’ait fait paraître aucune marque dont on le puisse conjecturer. L’on a créé en titre d’office 16 maîtres d’hôtel du roi et 36 gentilshommes servants dont les charges seront vendues. »


  1. V. note [8], lettre 853.

  2. Appauvri.

  3. M. le Prince.

  4. 14 juin.

  5. V. note [2], lettre 216.

18.

Journal de la Fronde (volume i, fos 43 ro et vo, et 45 ro, juin 1649) :

« Le 7, on eut avis d’Amiens que le régiment de Navarre et les autres troupes qu’on a fait aller au rendez-vous général faisaient des grands désordres autour d’Amiens, et que M. de Villequier n’avait pas pu les obliger à passer la Somme à cause qu’il n’y avait pas de quoi les faire subsister au delà de cette rivière, où l’on ne trouve rien, tout y étant ruiné, et les Polonais et autres y ayant demeuré cinq jours sans pain, les munitionnaires n’ayant point d’argent pour leur en fournir ; ce qui aurait obligé un régiment d’Irlandais qui avait son quartier auprès d’Abbeville de quitter le service et se donner aux Espagnols, qui les reçurent dans Saint-Omer. […]

Hier {a} on écrivait de Compiègne que l’on y parlait du retour de la cour à Rueil ou à Saint-Germain, mais on voyait encore peu de disposition ; que M. le duc d’Orléans et M. le cardinal ne partiront que dans huit jours pour Amiens où ils seront accompagnés par le duc de Vendôme. L’on croit que ce voyage se fait non seulement pour y voir passer les troupes, mais encore pour achever le traité du gouvernement particulier d’Amiens avec le vidame qui ne se peut résoudre à s’en défaire, bien qu’on lui offre 250 000 livres, non plus que M. d’Hocquincourt < gouverneur > de Péronne à qui l’on offre 300 000 livres ; et pour voir de quelle façon le peuple recevra Son Éminence contre laquelle il témoigne grande aversion ; et que les troupes d’Erlach avaient fait trois ou quatre ponts sur la rivière d’Oise pour repasser en deçà, ce qui avait obligé la noblesse de Champagne d’envoyer des députés à la cour pour déclarer qu’elle serait contrainte de faire main basse sur les gens de guerre pour arrêter leurs violences si l’on n’y mettait ordre. »


  1. Le 10 juin.

19.

« tant nos princes sont devenus sots ». La promise était Laure Mancini, aînée des nièces de Mazarin (ici le bateleur) : v. note [35], lettre 176.

Journal de la Fronde (volume i, fo 46 ro et vo, juin 1649) :

« Le 14, les ducs de Mercœur et de Vendôme arrivèrent ici, où le premier est indisposé. Le bruit de ville veut qu’ils soient venus pour vider avec Mme de Vendôme quelques difficultés qui restent pour le mariage du duc de Mercœur, M. le cardinal voulant qu’elle s’oblige pour les 100 mille écus d’argent comptant qu’il donne à sa nièce par le contrat, afin que cette somme lui revienne en cas que son mari vient à mourir sans enfants ; à quoi l’on dit que Mme de Vendôme ne peut se résoudre, disant que cela ferait tort à ses autres enfants. Mais le vrai sujet qui retarde ce mariage est que M. le duc d’Orléans n’y veut pas consentir ni donner les provisions de l’Amirauté qu’il a en ses mains, jusqu’à ce que le chapeau de cardinal de M. l’abbé de La Rivière soit venu, parce que celui-ci appréhende de ne l’avoir point après que M. le cardinal se serait fortifié par l’alliance et agrandissement de la Maison de Vendôme ; de sorte qu’il y a grande apparence que le mariage sera encore longtemps différé parce que le pape n’est pas encore disposé à faire la promotion, suivant le dernier avis de Rome ; et l’on a mandé de Compiègne que cet abbé est fort irrité contre Son Éminence qui lui fit espérer le chapeau toute la semaine passée et l’appelait mêmes par avance son confrère. Le bruit a couru à Compiègne que M. le cardinal devait faire venir de Rome Mme Mancini, mère de celle que M. le duc de Mercœur doit épouser, et lui faire donner la charge de dame d’atour de la reine, dont on récompensera {a} Mme de La Flotte ; et que cependant Son Éminence parlait de se démettre de sa charge de surintendant de la Maison de la reine en faveur de Mme de Vendôme afin de l’obliger par ce moyen à goûter {b} le mariage. Cela ne sera pas nouveau qu’une femme ait cette charge puisque feu Mme de Montmorency l’a eue autrefois, et Mme de Chevreuse aussi. Le duc de Beaufort soutient toujours qu’il n’a fait aucun accommodement avec M. le cardinal et ne parle point d’aller à la cour. »


  1. Dédommagera.

  2. Approuver.

20.

« Il faut naître soit roi soit fou. Les fils des héros sont des calamités. »

Ce sont deux proverbes de l’Antiquité qu’Érasme a commentés dans ses Adages.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Nicolas Belin, le 5 juin 1649

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0179

(Consulté le 19/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.