Je vous écrivis le 20e d’août pour vous donner avis du retour du roi [2] en cette ville, dont il y eut et y a encore grande réjouissance. Je vous dirai ensuite de cette arrivée, que le roi a été à cheval, par la rue Saint-Honoré [3] et Saint-Antoine, [4] aux Jésuites [5] le jour de Saint-Louis, [1] accompagné de plusieurs grands de la cour, tous à cheval, et entre autres de MM. le prince de Condé, [6] de Conti, [7] de Chevreuse [8][9] et d’Elbeuf. [2][10] Il y eut tant d’acclamations et de réjouissance de tous côtés de ce que le roi se montrait ainsi, que je ne vous le puis assez exprimer. La reine [11] recommence d’aller à la messe les samedis à Notre-Dame, [12] menant le roi dans son carrosse, pour faire continuer au peuple ses réjouissances. On dit que la reine, le Mazarin [13] et tout le reste de la cour ne bougeront d’ici cette année, et qu’ils n’iront point passer le reste de l’automne jusqu’à la Toussaint à Fontainebleau [14] comme l’on disait ; et je le croirais aisément, tant pour continuer de rentrer aux bonnes grâces du peuple et de se rapatrier avec lui comme ils prétendent, [3] ce qui pourra bien être pourvu qu’ils ne demandent rien, que pour la sûreté du cardinal Mazarin qui, étant ici caché dans la maison du roi et de la reine, et enfermé dans le cabinet comme il est ordinairement, est moins en danger d’être surpris ou attrapé par le grand nombre d’ennemis qu’il a, et à la cour et ailleurs, qu’il ne serait à Fontainebleau où il faudrait quelquefois par compagnie et divertissement aller tantôt à la promenade et tantôt à la chasse ; en quoi il serait toujours obligé de se fier à la fidélité des courtisans, qui est un mauvais garant. Dorénavant que le roi est ici, on ne parle plus de la paix générale, mais seulement d’Aix [15][16] et de Bordeaux [17] où les pauvres gens pâtissent bien, sans être secourus, par la tyrannie des gouverneurs de ces deux provinces que néanmoins le Mazarin n’apaise point ; ce qui me fait douter de la bonté et de la fidélité de son intention, et qui est ce qu’il devrait faire afin de se faire aimer puisqu’il n’a ni n’aura de longtemps le moyen de se faire craindre comme il a pu faire par ci-devant. [4] Il est mort ici un de nos anciens nommé M. Gervais, [18] âgé de 66 ans, d’une fièvre continue [19] maligne cum caumate interno et parotidibus. [5][20] Il n’y a pas grande perte pour notre Faculté, il était fougueux et ivrogne, et vir malarum partium et malarum artium ; [6] grand bigot, cafard, homme de secours et indulgences (et peut-être par hypocrisie), et nonobstant, outre tout cela, infâme valet d’apothicaires, [21] de laquelle sorte de gens il cherchait les bonnes grâces per fas et nefas, [7] par nombre d’apozèmes, [22] juleps, [23] bézoard [24] et tablettes cordiales. [25] Si cet homme va en paradis avec le train de vie qu’il a mené, il y a d’étranges gens en ce pays-là, en la compagnie des saints et des bienheureux de paradis. Si post fata venit gloria, non propero. [8][26]
Il y a ici un livre nouveau, in‑8o d’environ 23 feuilles fait par M. Chanet, [27] savant et excellent médecin de La Rochelle. [28] J’en ai mis un tout relié pour vous en votre paquet, il est intitulé Traité de l’esprit de l’homme et de ses fonctions. [9] Mais à propos de livres, je n’ai point encore reçu le Perdulcis [29] de M. Carteron : [30] croiriez-vous bien qu’il fût perdu ? non puto. [10] M. Rigault, [31] fort savant homme, par ci-devant bibliothécaire du roi et aujourd’hui doyen du parlement de Metz, [32] ad mentem Tertulliani, [11][33] a dit en ses notes ad Tertullianum [12] que N.S. Jésus-Christ avait été laid de visage. Il l’avait prouvé par diverses autorités dans la première édition de son Tertullien ; ce qu’il a augmenté dans la deuxième édition, de plusieurs passages ; et enfin, il s’est tout à fait déclaré pour la même opinion dans les notes qu’il a mises dans son Saint Cyprien, [34] qu’il a mis en lumière depuis un an. [13] Un nommé Machon, [35] chanoine et archidiacre de Toul, [14][36] qui était un homme curieux de livres, faisait courir le bruit qu’il s’en allait faire imprimer un livret sur cette controverse contre M. Rigault et qu’il prouverait que le Sauveur du monde avait été vraiment speciosus forma præ filiis hominum [15][37] (ce que pourtant le cardinal Bellarmin, [38] Comm. in psalmos, n’a point expliqué de la beauté du corps, combien qu’il en apporte trois raisons) ; [16] mais depuis que ce Machon a été exilé et banni de ce pays pour avoir été convaincu du crime de faux sceaux, dont il pensa être pendu et je ne sais par quel bonheur en a été quitte à fort bon marché, un jésuite [39] (race de gens qui mettent leur nez partout) nommé le P. Vavasseur [40] a fait un livret dans le sens de ce Machon, de pulchritudine Christi, [17] contre M. Rigault. On m’a dit ce matin qu’il n’est pas encore tout à fait achevé ; dès que ce sera fait, j’en ajouterai un à votre paquet. Il y a ici un livre nouveau intitulé Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin depuis le 6e de janvier jusqu’à la déclaration du 1er d’avril 1649. [41][42] Le livre est de 492 pages. [18] L’auteur est un honnête homme de mes amis, mais mazarin, qui est un parti duquel je ne puis être ni ne serai jamais ; imo, [19] il ne s’en est fallu que cent mille écus de mon patrimoine que je n’aie été conseiller de la Cour, et que je n’aie été frondeur aussi généreux et aussi hardi que pas un. Il en a fait tirer 250 exemplaires et l’a présenté au cardinal Mazarin à l’examiner ; quo facto, [20] s’il est approuvé, il le mettra au jour et m’en donnera encore un exemplaire que je vous ai dédié comme à la fleur de mes amis. Tout au pis aller, étant en vente, nous en aurons pour de l’argent. Tandis que le cardinal Mazarin le lit pour en donner la permission de le vendre, nous sommes cinq de ses amis qui avons aussi commission de l’examiner, dont MM. Dupuy [43][44] font l’un, [21] M. Talon, [45] avocat général, l’autre. Je suis le troisième. Les deux autres ne m’ont pas été révélés, je saurai néanmoins tout à la fin. Là-dedans sont introduits deux vendeurs de pièces mazarines (qui est une espèce de gens qui ont bien gagné leur vie pendant les trois mois de notre guerre), l’un desquels accuse le Mazarin, et l’autre le défend chaudement et plaisamment ; et combien que le sujet me déplaise, la lecture du livre ne laisse pas de m’être fort agréable, tum ratione aucthoris, amici suavissimi, tum ratione variæ doctrinæ et multiplicitis eruditionis quæ undiquaque pellicient, [22] avec grande quantité de belles et rares curiosités que vous aimerez bien. Voilà ce que je puis vous en dire pour le présent. Je vous souhaite le livre et voudrais que vous le tinssiez déjà, il ne tiendra pas à moi que cela n’arrive bientôt ; et en attendant qu’il me vienne d’autres matières pour vous achever la présente, je m’en vais me remettre à la lecture de ce livre, qui est in‑4o, duquel je n’ai encore guère passé que la moitié.
Ce 2d de septembre. On fait état ici de plusieurs grands avantages que ceux de Bordeaux ont obtenus sur leur gouverneur ; je souhaite fort qu’ils soient vrais : qu’ils ont pris un vaisseau dans lequel étaient 18 canons et plusieurs autres provisions ; qu’ils ont tué plusieurs de leurs ennemis et qu’ils ont assiégé le château Tropeyte, [46] qu’ils prendront bientôt si cette guerre ne s’apaise par les ordres de deçà ; [23] ce qu’ils tâcheront de faire sans doute lorsqu’ils verront que M. d’Épernon [47] sera devenu le plus faible. Le Parlement de Paris s’est ici fort trémoussé et remué pour témoigner à ceux de Bordeaux que l’on tâchait de les servir, et secourir ou assister dans leur nécessité ; mais M. le premier président, [48] qui est une misérable créature mazarinesque, et M. le chancelier, [49] qui ne vaut pas mieux, ont différé tant qu’ils ont pu. Enfin, l’assemblée a été conclue et arrêtée de toutes les chambres comme le désiraient les gens de bien ; et dès le même jour, la reine signifia au Parlement que les députés des chambres eussent à l’aller trouver dès le lendemain à onze heures du matin, qu’elle voulait elle-même entendre leurs plaintes et y satisfaire ; [24] qui n’était pas chose malaisée, vu que le jour d’auparavant le courrier était parti pour Bordeaux avec les articles de pacification de la part du Conseil. [25] On dit aussi que la Provence est en paix, que la déclaration du roi a été vérifiée et enregistrée au parlement d’Aix ; [50] qu’ils ont posé les armes de part et d’autre ; que l’honneur de la paix et de la victoire est demeuré du côté du comte d’Alais, [51] mais qu’en récompense, le parlement n’a pas de semestre et qu’il est délivré de ce supplice qui lui était préparé. M. le comte d’Alais a eu l’avantage, à ce qu’on dit, en ce traité pour avoir été porté [26] dans le Conseil par M. le prince de Condé, qui est son cousin. On dit que la peste [52] est encore bien forte à Marseille et que l’on a grande appréhension qu’elle ne vienne à Lyon. Dieu vous préserve de cette méchante bête ; mais si cela arrivait, quod omen Deus avertat, [27][53] et que voulussiez venir de deçà pour en éviter le malheur, venez-vous en céans tout droit avec Mlle Spon. [54] Nous vous donnerons une chambre entière pour vous deux et je tâcherai de vous rendre ce que vous m’avez offert de si bonne grâce durant notre guerre mazarine cuius infelici auctori toto animo lumbifragium et crurifragium exopto, [28] pour les divers et étranges maux qu’il a causés ici alentour, et pour ceux qu’il nous a voulu faire. C’est le vœu que faisait autrefois quelque part en ses épîtres Divis Virginibus Sichemiensis et Hallensis [29] le bonhomme Dom. Baudius [55] à cause de son bon maître Lipse [56] qui fit naufrage de son honneur à la fin de ses jours par ces deux petits traités pleins de tant de bigotisme et de superstition ; [30][57] ce qu’il ne fit jamais qu’à la persuasion des jésuites, et entre autres du P. Lessius, [58] afin de se faire connaître à Rome, en Hollande et en Allemagne bon papelard et vraiment converti [59] à la Romaine, [31] quamvis potius Africane loquetur aut saltem Latine, quam Romane. [32] Votre M. Du Moulin [60] a dit là-dessus que ce bon homme avait consacré sa latinité de 50 ans aux pieds d’une idole, c’est dans son livre de l’Accomplissement des prophéties, [33] que je me souviens de l’avoir lu autrefois ex indicina Petri Guenaldi, collegæ nostri, [34][61] qui mourut il y a tantôt un an de l’antimoine de son oncle. [62] Le bon Keckermann [63] a blâmé Lipse pour le même fait in suo libello de historiæ scriptoribus. [35] Mais je m’égare, je le vois bien, et ex diverticulo in viam regredior. [36][64] Je pensais la faire plus longue, mais le frère de celui qui vous la présente étant ici, je suis obligé de finir là. Le présent porteur est un jeune homme natif de Beauvais, [65][66] popularis meus, [37] qui étudie la médecine, et qui est fort savant et de bonnes mœurs ; eum itaque tibi commendo de meliore nota. [38] Je suis de tout mon cœur et serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 3e de septembre 1649.
Ms BnF no 9357, fo 58 ; Reveillé-Parise, no ccxi (tome i, pages 472‑474) ; Jestaz no 13 (tome i, pages 501‑508).
La lettre, pareillement datée du 3 septembre 1649, qu’on trouve dans Du Four (édition princeps, 1683), no xvi (pages 61‑64, à Charles Spon), Bulderen, no xxvi (tome i, pages 75‑78, à André Falconet) et Reveillé-Parise, no ccclxxii (tome ii, pages 530‑532, à Falconet), a été entièrement fabriquée à partir de celle‑ci.
Mlle de Montpensier (Mémoires, première partie, volume 1, chapitre vi, pages 227‑228) :
« La fête de Saint-Louis {a} arriva peu après. Le roi alla ce jour-là à cheval aux Jésuites de la rue Saint-Antoine. {b} Tous les princes et seigneurs qui étaient lors à Paris l’accompagnèrent, tous bien vêtus, avec de belles housses. {c} Cette cavalcade était fort politique et belle à voir. M. le cardinal fit une chose qui étonna assez, lui que l’on accusait de n’être pas hardi : il alla trouver le roi aux Jésuites, passa toute la ville dans son carrosse, peu accompagné, et personne ne lui dit un seul mot. » {d}
- 25 août.
- V. note [7], lettre 55.
- Couvertures qu’on met sur la selle des chevaux.
- Guy Patin a simplement omis de dire ce dernier détail à Charles Spon.
Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, pages 763‑764) :
« Le jour de Saint-Louis, 25 du mois d’août, le roi voulut signaler la fête par une pompeuse cavalcade qu’il fit du Palais-cardinal aux Jésuites de la rue Saint-Antoine, et donner le contentement à tout le peuple de se faire voir plus à découvert qu’à son entrée, ni même que le samedi précédent, que Leurs Majestés étaient allées en carrosse à Notre-Dame pour entendre la messe, où la presse n’avait pas été moins grande ni les rues moins parées ; de sorte que la résolution de cette cavalcade ayant été prise, ce fut à qui serait le mieux monté et le plus richement vêtu pour y accompagner le roi. Toute la cour en voulut être, excepté M. le duc d’Orléans qui prétendait que M. le Prince dût marcher un peu devant lui à sa main gauche et non pas sur une même ligne. Ce que la reine n’ayant pas trouvé raisonnable dans son Conseil, S.A.R. {a} prit occasion d’aller à la chasse, chez elle, à Limours, durant cette cérémonie, de laquelle M. de Vendôme et M. de Beaufort se dispensèrent aussi pour d’autres considérations presque semblables.
En voici l’ordre : après que le cardinal Mazarin eut traversé dans son carrosse toute la ville et fut arrivé aux Jésuites sans aucune suite, et sans que personne lui eût dit un seul mot ni témoigné le moindre ressentiment du blocus de Paris, on commença de voir paraître à cheval M. le grand prévôt de l’Hôtel du roi suivi de tous ses lieutenants de courte robe, exempts et archers à pied, deux à deux, puis les Cent-Suisses du corps et M. Saintot, maître des cérémonies, force noblesse bien parée et bien montée, quantité de grands seigneurs, les officiers de la Couronne, les ducs et pairs de France, les princes des maisons étrangères, et enfin MM. les princes de Condé et de Conti un peu devant Sa Majesté, après laquelle marchaient M. le maréchal de Villeroy, son gouverneur, et les autres grands officiers de sa Maison. […] Sa Majesté était si remplie de joie parmi les continuelles acclamations de Vive le roi ! dont cette foule incroyable de peuple de toutes conditions faisait retentir toutes les rues par où Elle passait, qu’Elle la témoignait à tous moments, ayant presque toujours la main au chapeau, et saluant à droite et à gauche toutes les princesses, les dames et les autres personnes de condition qui paraissaient aux fenêtres ou sur des échafauds dressés à cet effet dans les boutiques et le long des maisons. Le carrosse de la reine où était M. le duc d’Anjou ne fut pas longtemps à passer après le roi. Elle faisait bien paraître alors sur son visage l’extrême contentement de son âme par les caresses et les paroles obligeantes dont elle honorait toutes les princesses et les dames que ses yeux rencontraient de côté et d’autre. »
- Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.
Claude de Lorraine, duc de Chevreuse (1578-24 janvier 1657) était le dernier des trois fils de Henri ier de Lorraine, duc de Guise, le Balafré (v. note [1], lettre 463), et de Catherine de Clèves. Devenu duc de Chevreuse et pair de France en 1612, Claude menait, comme tant d’autres, la vie sans relief d’un grand, à la cour et aux armées. Il a tiré son renom d’avoir épousé en 1622 Marie de Rohan-Montbazon, veuve du connétable de Luynes, qui était ainsi devenue duchesse de Chevreuse (v. note [37], lettre 86). Trois filles étaient nées de leur union : Anne-Marie (1624-1652), abbesse de Pont-aux-Dames ; Charlotte-Marie (1627-1652), Mlle de Chevreuse ; Henriette (1631-1694), abbesse de Pont-aux-Dames, puis de Notre-Dame de Jouarre.
Rapatrier : raccommoder.
Mme de Motteville (Mémoires, page 291) :
« La reine étant à Paris, voulant commencer sa première visite à Notre-Dame, elle y fut entendre la messe le premier samedi suivant {a} et y voulut mener le roi. En passant par les rues, son carrosse fut continuellement suivi du peuple, et toute cette canaille, qui lui avait manqué de respect et de fidélité, lui donna mille bénédictions. Dans le Marché-Neuf, {b} les harangères {c} qui avaient tant crié contre elle la pensèrent par amitié arracher de son carrosse. Elles se jetèrent toutes en foule sur elle. Chacune de ces mégères voulait toucher sa robe et il s’en fallut de peu qu’elle ne fût déchirée de cette vilaine troupe. Elles criaient toutes qu’elles étaient bien aises de la revoir et lui demandaient pardon de leurs fautes passées avec tant de cris, de larmes et de transports de joie que la reine même et ceux de sa compagnie en furent étonnés, et regardaient ce changement comme un petit miracle. Il fallut dans l’église soulever le roi en haut et le montrer au peuple qui, par des cris redoublés de Vive le roi ! montra combien est grande l’impression de fidélité et d’amour qui se trouve naturellement dans le cœur des sujets envers leur roi : elle y est variable et défectueuse, mais elle y revient facilement. » {d}
- 21 août 1649.
- Actuel quai de même nom sur l’île de la Cité, entre le Pont Saint-Michel et le Petit Pont.
- V. notule {b}, note [39], lettre 176.
- Le roi et la cour demeurèrent à Paris jusqu’à leur départ pour leur voyage de Normandie, le 1er février 1650.
V. note [3], lettre 194, pour les paix de Provence (conclue le 24 août) et de Bordeaux (loin d’être encore conclue) ; la France demeurait en guerre contre l’Espagne.
« avec forte chaleur interne et parotides. »
On appelle aujourd’hui parotides les deux grosses glandes salivaires qui se trouvent de part et d’autre de la face, sous chacune des deux oreilles. Jadis, on se servait du mot parotide pour désigner le gonflement inflammatoire de la glande homonyme, ce qu’on appelle maintenant une parotidite. La parotidite bilatérale (alors appelée parotides) est caractéristique des oreillons, maladie infectieuse ordinairement bénigne, provoquée par un virus. La parotidite unilatérale (parotide) correspond à une infection bactérienne qui pouvait connaître une évolution fâcheuse avant l’invention des médicaments anti-infectieux modernes (antibiotiques).V. note [4], lettre latine 293, pour la mémorable querelle entre Gerardus Leonardus Blasius et Nicolas Sténon, son élève, sur le mérite d’avoir le premier observé le canal excréteur de la glande parotide.
« et homme de mauvaises parties et de mauvais arts ».
« par tous les moyens, bons comme mauvais [de façon licite comme illicite] ».
« Même si la gloire doit me venir après la mort, je ne suis pas pressé » (Martial, v. note [8], lettre 164).
Traité de l’esprit de l’homme et de ses fonctions. Par le sieur Chanet. {a}
- Paris, Augustin Courbé, 1649, in‑8o de 349 pages ; v. note [2], lettre 86, pour Pierre Chanet.
« je ne le crois pas. » V. note [49], lettre 166, pour la réédition lyonnaise (1649) de l’Universa medicina de Barthélemy Pardoux (Perdulcis).
« suivant l’avis de Tertullien ».
« sur Tertullien ».
La succession de ces deux mentions de Tertullien (ad mentem Tertullini et ad Tertullianum) est probablement une maladresse de Guy Patin, et on peut proposer de reconstruire ainsi cette phrase boiteuse : « M. Rigault […] a dit en ses notes ad Tertullianum [sur Terullien] que, ad mentem Tertulliani [de l’avis de Tertullien], N.S. Jésus-Christ avait été laid de visage. »Sur les Pères de l’Église (s’il est permis d’y inclure Tertullien, v. note [9], lettre 119), le prolifique Nicolas Rigault (v. note [13], lettre 86) avait alors notamment publié :
[Observations sur neuf livres de Tertullien] ; {a}
[Œuvres de Tertullien, corrigées en maints endroits sur la foi des exemplaires les plus anciens… Éclairées par des observations et des notes. Avec un glossaire du style africain] ; {b}
[Œuvres de saint Cyprien de Carthage retouchées et enrichies par les observations de Nicolas Rigault sur la foi des anciens exemplaires]. {c}
« Rigault, qui paraît avoir eu beaucoup de penchant pour le paradoxe, prétendit prouver, contre l’opinion générale, que Jésus-Christ était d’une figure tout à fait commune : “ Jésus, disait-il, n’ayant point voulu des honneurs ni des richesses, a dû renoncer de même aux avantages de la figure. ” »Saint Cyprien, Thascius Cæcilius Cyprianus (vers 200-258), évêque de Carthage, mourut martyr ; il fut canonisé, et nommé Père et docteur de l’Église. Son œuvre, écrite en latin, comprend plusieurs traités théologiques et des lettres.
Archidiacre : « supérieur ecclésiastique qui a droit de visite sur les cures d’une certaine partie d’un diocèse » (Furetière) ; à ne pas confondre avec le bachelier archidiacre de la Faculté de médecine de Paris (v. note [49], lettre 152).
Louis Machon (1603-1672), après des études de droit à l’Université de Pont-à-Mousson, était devenu archidiacre de Toul, sa ville natale, dont il écrivit l’histoire. Bibliophile érudit, il était entré en 1644 au service du Chancelier Séguier, comme « antique pensionnaire et domestique » (Dubuisson-Aubenay, Journal des guerres civiles, tome i, page 89). En décembre 1648, on l’avait accusé d’avoir abusé des sceaux pour de fausses lettres de noblesse et il avait été condamné au bannissement perpétuel en mai 1649 (v. note [27], lettre 226). Retiré dans les Ardennes, à l’abbaye de Valdieu, il se mit au service de Charles de l’Aubespine, marquis de Châteauneuf. L’abbé Machon a laissé plusieurs écrits polémiques et on lui a attribué une demi-douzaine de mazarinades. Je n’ai rien trouvé de lui sur la beauté du Christ.
Psaumes (44:3), Épithalame royal, que la tradition juive et chrétienne interprète comme célébrant les noces du roi-Messie avec Israël :
Speciosus forma præ filiis hominum diffusa est gratia in labiis tuis propterea benedixit te Deus in æternum.[Tu es beau, le plus beau des enfants des hommes, la grâce est répandue sur tes lèvres. Aussi tu es béni de Dieu à jamais]
Roberto Bellarmino (Bellarmin en français, Montepulciano, Toscane 1542-Rome 1621), était neveu par sa mère, Cinzia Cervini, du pape Marcel ii. Il entra dans la Compagnie de Jésus en 1560. Enseignant et prêchant dans diverses villes d’Italie, il se fit remarquer par ses grands talents. En 1559, François de Borgia, général des jésuites, l’envoya à Louvain, pour soutenir la foi catholique contre les protestants ; il y fut ordonné prêtre en 1570. Durant son séjour de sept ans en Flandre, Bellarmin rédigea son Traité sur les écrivains ecclésiastiques, dont Guy Patin a plusieurs fois parlé dans sa correspondance. En 1589, le pape Sixte Quint l’envoya en France en qualité de théologien du cardinal Caetani, légat du Saint-Siège. Bellarmin y rédigea un petit catéchisme de la religion catholique et participa à la révision définitive de la Vulgate (v. note [6], lettre 183) dont il fit la préface. Il devint recteur du Collegio Romano (1592-1594) puis provincial de Naples (1594-1597) et théologien du pape Clément viii (1597-1599). Bellarmin fut nommé cardinal en 1599, puis archevêque de Capoue en 1602. Il intervint alors dans la querelle de la grâce qui commençait à agiter l’Église. En 1615, il participa aux débats sur la théorie héliocentrique de Galilée (v. note [19], lettre 226) et fut le prélat qui lui signifia sa condamnation par l’Inquisition.
Le procès en béatification du cardinal Bellarmin fut entamé par le pape Urbain viii en 1627 et on lui conféra la dignité de vénérable. Sa béatification n’intervint qu’en 1923, sous le pontificat de Pie xi. Canonisé en 1930, il fut nommé docteur de l’Église en 1931. Sa fête est célébrée le 13 mai, il est le saint patron des catéchistes. Guy Patin citait ici son Explanatio in psalmos [Explication sur les psaumes] (1612) dont l’édition la plus récente alors était celle de Paris, Jean Jost, 1644, in‑4o.
L’explication de Bellarmin sur le 3e verset du psaume 44 (v. supra note [15]) y commence par ces mots (page 312) :
Incipit Christum laudare, ac primum a pulchritudine laudare, deinde ab eloquentia, tum a fortitudine et robore, tertio a virtutibus animi ; postremo a divina et regia dignitate, et potestate, quibus addit etiam exteriora, videlicet vestimentorum, et palatii nobilitatem.
[Il {a} commence par louer le Christ, et en premier à le louer pour sa beauté, ensuite pour son éloquence, puis pour son courage et sa force, troisièmement pour les vertus de son esprit ; en dernier, pour sa dignité divine et royale, et pour sa puissance, à quoi il ajoute aussi ses apparences extérieures, c’est-à-dire la noblesse de ses vêtements et de son palais].
- Le roi David.
« sur la beauté du Christ » :
Francisci Vavassoris Societ. Iesu de Forma Christi liber.[Livre de François Vavasseur, {a} de la Compagnie de Jésus, sur l’Apparence physique du Christ]. {b}
- P. François Vavasseur (Paray-le-Monial 1605-Paris 1681), enseignait d’Écriture Sainte au Collège jésuite parisien de Clermont.
- Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1649, in‑8o de 205 pages.
Fondé sur le contenu du Nouveau Testament, ce traité est composé de cinq parties :
Mascurat de Gabriel Naudé (v. note [127], lettre 166), dont la seconde édition (1650) compte 718 pages.
« Et même » : Guy Patin voulait sans doute dire que, s’il avait suivi les souhaits de son père et disposé d’une grande fortune (100 000 écus font 300 000 livres), il aurait pu étudier le droit plutôt que la médecine et acquérir une charge de conseiller au Parlement de Paris (la Cour), pour fronder avec les autres ; vers 1650, un tel office ne se monnayait toutefois qu’entre 100 000 et 130 000 livres (Descimon et Jouhaud, page 195).
« Après cela ». Il, dans « Il en a fait… », désigne Gabriel Naudé.
Il s’agit d’amis de Gabriel Naudé (et non de Mazarin). Les frères Dupuy, Pierre et Jacques (v. note [5], lettre 181), ne font qu’un sous la plume de Guy Patin ; on retrouve ici le petit monde de l’Académie putéane qu’il fréquentait.
« tant à cause de l’auteur, mon ami le plus doux, qu’à cause du savoir varié et de l’érudition étendue qui y séduiront de toutes parts ».
Le Jugement de tout ce qui a été imprimé… est présenté sous la forme d’un dialogue entre le libraire Saint-Ange, d’Aix-en-Provence, et l’imprimeur Mascurat, de Paris.Le château Trompette était une forteresse bâtie aux portes de Bordeaux par Charles vii sur l’emplacement d’un port médiéval auquel on donna le nom du ruisseau Tropeyte qui passait là. Les dommages que l’édifice subit durant la Fronde furent réparés en 1653-1655, mais il fut définitivement rasé en 1818, laissant place à l’esplanade des Quinconces.
Journal de la Fronde (volume i, fo 89 ro et vo) :
« De Bordeaux le 26 août. Le 23 du courant, le marquis de Sauvebœuf arriva en cette ville l’hui 3e. {a} Aussitôt on lui offrit le commandement de l’armée du parlement en qualité de général, lequel il n’a jamais voulu accepter, faisant espérer dans peu de temps l’arrivée d’un grand, sans le nommer, {b} à qui il dit que cette qualité est mieux due qu’à lui. Il a laissé 1 700 hommes au Pays entre les Deux Mers commandés par le marquis de Hautefort, lesquels viennent au secours de cette ville et doivent être suivis d’autres, que doit amener ce grand personnage qui doit remplir la charge de général. Le château Trompette tire incessamment sur la ville, mais depuis les terrasses qu’on y a élevées devant, tout le feu qui en vient ne fait ni mal, ni peur. L’on travaille fort à le prendre et pour cet effet l’on a abattu deux maisons sur les ruines desquelles l’on a dressé deux batteries qui ont commencé à faire merveilles et l’on a mis à sec le fossé pour le miner. D’ailleurs nous sommes assurés qu’il n’y a dans le château pour tous vivres que la farine que M. d’Argenson a fait mettre après le premier accommodement, et ainsi l’on espère d’en venir bientôt à bout. L’Isle-Saint-Georges {c} tient toujours bon et a jusqu’ici empêché qu’on ait fait des dégâts aux vignes. Hier il y eut un combat naval proche le Bec d’Ambès {d} où le vaisseau amiral de M. d’Épernon, commandé par le sieur de Montvielle, frère de M. Brisancier, fut pris par les nôtres ; mais le commandant se voyant pris, mit lui-même le feu aux poudres afin qu’on ne profitât pas de sa prise, et ensuite sauta dans un autre vaisseau et se sauva en désordre à Blaye {e} où les nôtres l’ont poursuivi. Cependant, l’on n’a pas laissé de prendre 46 pièces de canon de fonte verte et 4 000 boulets avec quantité de voiles qui étaient dans le vaisseau amiral, où il y avait aussi grand nombre de bombes qui ont été perdues. Depuis le commencement de cette guerre, l’on fait compte que le duc d’Épernon a perdu en diverses rencontres environ 800 hommes, et dans ce dernier combat y a perdu deux braves personnages qui sont le comte [blanc] et le marquis de La Serre Aubeterre, maréchal de camp. Quatre cents Bordelais se sont retranchés devant Cadillac, ce qui donne grande jalousie à M. le duc d’Épernon qui ne sait plus où faire camper ses troupes. Jamais il ne s’est vu plus d’union en cette ville. Aussitôt qu’on voit un homme suspect, on lui envoie un huissier avec ordre de sortir et ainsi, on le met dehors. »
- Il y a deux jours, v. note [5], lettre 307.
- Sans doute le duc de Beaufort.
- V. note [47], lettre 240.
- Confluent de la Garonne et de la Dordogne en aval de Bordeaux.
- Vers le nord.
Journal de la Fronde (volume i, fos 87 vo et 88 ro) :
« Le premier du courant, {a} le Parlement s’assembla pour la mercuriale, {b} où Messieurs des Enquêtes ayant dit à M. le premier président qu’il y avait longtemps qu’il les traînait pour une assemblée qu’ils avaient d’autant plus de sujet de demander qu’il s’agissait de l’intérêt public et de celui de leurs confrères ; à quoi le premier président répondit que les affaires des provinces étaient accommodées ; et le président de Mesme ayant ajouté qu’on s’était obligé par la déclaration à ne s’assembler plus, le conseiller Coulon {c} lui repartit que cela était faux, ce qui obligea ce président à quitter l’assemblée et s’en aller avec le président Le Bailleuil à la buvette où, la Compagnie les ayant envoyés prier de revenir, ils s’y résolurent peu après et l’on ouvrit le paquet que M. Loisel avait reçu de Provence il y a trois semaines ; {d} mais l’ordinaire de Provence étant arrivé au même temps avec la nouvelle de l’accommodement, on envoya promptement le paquet du roi au premier président, qui fit voir par ce moyen comme la paix était faite en Provence avec des grands avantages pour le comte d’Alais. Après cela, l’on parla de s’assembler pour délibérer sur les affaires de Bordeaux et Messieurs des Enquêtes dirent que la reine ni son Conseil ne devaient pas s’en alarmer, qu’on ne parlerait de rien qui fût contre le service du roi et que pour cet effet, on pourrait prier M. de duc d’Orléans de se trouver à l’assemblée. Sur cela, il fut résolu qu’on s’assemblerait le lendemain et qu’on enverrait les députés à Son Altesse Royale pour la prier de s’y trouver, afin de ne rien résoudre qu’en sa présence ; mais la reine ne voulut pas que cela se pressât, ainsi pria M. le duc d’Orléans de n’y aller point et résolut au Conseil de mander le Parlement.
Hier au matin, {e} le Parlement, étant mandé de la part de la reine, y envoya 25 ou 30 députés, lesquels étant arrivés au Palais-Royal, Sa Majesté les pria de ne s’assembler point, leur disant qu’ils n’en avaient aucun sujet puisque la paix était faite en Provence et qu’elle attendait la nouvelle de celle de Bordeaux, dont elle ajouta que M. le duc d’Orléans et M. le Prince étaient les médiateurs. Sa Majesté leur représenta encore que cela faisait bouillir dans les provinces, et que les ennemis en espéraient de nouvelles divisions et le faisaient fort éclater ; et ainsi que, si le Parlement avait quelque chose à demander, qu’il devait envoyer des députés chez le premier président afin que cela ne fît point d’éclat. »
- Mercredi 1er septembre 1649.
- V. note [6], lettre 252.
- V. note [39], lettre 294.
- V. note [38], lettre 192, pour ce paquet qu’avait reçu Antoine-Philippe Loisel (v. première notule {g}, note [27], lettre 216).
- 2 septembre.
Journal de la Fronde (volume i, fo 91 ro) :
« De Paris, le 10 septembre. La semaine passée M. le Prince ayant voulu s’entremettre pour accommoder les affaires de Guyenne, Messieurs < du parlement > de Bordeaux lui mirent leurs intérêts entre les mains et leurs députés, qui étaient ici, furent chez lui pour cet effet. Son Altesse les réduisit à la raison autant qu’il se pouvait, les ayant obligés de se relâcher de quantité de choses, et se rendre à toutes celles qui pouvaient y rétablir l’autorité du roi et satisfaire en quelque façon le duc d’Épernon, leur gouverneur. Après quoi Sadite Altesse apporta les articles qu’elle avait dressés de cet accommodement à la reine. M. le cardinal, qui était alors avec elle, ayant lu ces articles, dit que l’autorité du roi était bien rétablie par là, mais que le duc d’Épernon n’y était pas entièrement satisfait ; à quoi M. le Prince répondit que l’autorité du roi y étant rétablie, M. d’Épernon devait être satisfait, ces deux choses étant inséparables puisque l’intérêt de ce duc n’était choqué qu’en tant qu’il représentait en ce pays-là la personne du roi et qu’il savait bien que M. d’Épernon serait content de ce qu’il avait fait. La reine et M. le cardinal insistant toujours qu’il fallait contenter M. le duc d’Épernon, M. le Prince remit les articles en sa poche et dit à Sa Majesté, “ Madame, il est vrai que les conseils violents ont si bien réussi jusqu’à cette heure que Votre Majesté fera fort bien d’en prendre ”. Le maréchal de Villeroy, qui s’y rencontra, dit qu’il fallait contenter M. d’Épernon et que la reine et Son Éminence avaient raison. Sur cela, M. le Prince lui dit par ironie : “ Monsieur, vous en parlez bien. Je change d’avis pour suivre le vôtre. La reine devrait vous envoyer en ce pays-là avec une armée. Vous y feriez grand feu et mettriez tous ces peuples à la raison. ” Le maréchal répondit qu’il irait si on lui commandait. “ Je n’en doute pas, repartit M. le Prince, et que vous n’y fassiez merveilles. ” Après quoi, M. le Prince sortit du Conseil et se retira. L’on résolut ensuite d’envoyer à Bordeaux une déclaration du roi portant révocation pure et simple de l’interdiction du parlement, et cette déclaration y fut envoyée le 2 du courant par courrier exprès. »
« présage que Dieu veuille bien écarter » (Sénèque le Jeune, v. note [35], lettre 166). Guy Patin, médecin de Paris, offrait à Charles Spon, son confrère, un refuge distant contre la peste qui menaçait Lyon, au lieu de l’encourager de bien se dévouer à soigner ceux qu’elle pourrait frapper. François Ranchin avait donné en 1630 à Montpellier un bien plus vaillant exemple de ce qu’il incombe à un médecin de faire en un tel cas (v. note [5], lettre 13).
« dont je souhaite de toute mon âme à son auteur qu’il ait jambes et reins brisés » (v. infra note [30]).
« aux Vierges divines de Sichem et de Hal ».
Peu avant sa mort (1606), dans l’exaltation mystique de sa conversion au catholicisme (v. infra note [33]), Juste Lipse rédigea deux curieux ouvrages qui firent scandale parmi les calvinistes :
[La divine Vierge de Hal, ses bienfaits et ses miracles décrits fidèlement et point par point] ; {a}
[La divine Vierge de Sichem ou Montaigu, ses récents bienfaits et merveilles]. {b}
La Notre-Dame de Hau. Ses bienfaits et miracles fidèlement recueillis et arrangez en bel ordre. Par le très docte Justus Lipsius, historiographe de Leurs AA. Sérmes, {i} et de leur Conseil d’État. Traduits du latin, par M. Louis du Gardin de Montaigne, licencié en médecine, et appensionné de la ville d’Enghien. {ii}
- L’archiduc Albert d’Autriche et son épouse Isabelle Claire Eugénie, v. notule {b}, note [23] du Grotiana 2.
- Bruxelles, Rutger Velpius, 1605, in‑8o de 155 pages.
Histoire miraculeuse, de Notre-Dame de Sichem, ou Mont-aigu en Brabant. Écrite en latin par Juste Lipse. Traduite en français au Collège de Tournon {i} de la Compagnie de Jésus par un des professeurs du dit Collège. À la fin est ajouté un abrégé des choses plus remarquables, arrivées en divers lieux : mais principalement à Tournon, par les Images faites du Chêne de la même Notre-Dame de Sichem. Item un Poème de l’invention de ladite Image. {ii}
- V. note [3], lettre 284.
- Tournon, Claude Michel, 1615, in‑12 de 421 pages.
Hal et Sichem étaient deux lieux de pèlerinage du Brabant espagnol. Dans l’église collégiale de Hal, à 15 kilomètres au sud de Bruxelles, on vénère depuis le Moyen Âge une Vierge noire. À Sichem, aujourd’hui Scherpenheuvel-Zichem à 25 kilomètres au nord-est de Louvain, on adorait Notre-Dame de Montaigu (Aspricollis en latin, Scherpenheuvel en flamand) ; les misères qui se sont abattues longtemps sur cet endroit (peste, guerre, incendie, tremblement de terre) ont sans doute favorisé le développement du culte marial ; l’archiduc Albert et l’infante Isabelle y avaient fait construire une magnifique église au début du xviie s. Les traditions les plus incertaines et les fables les plus puériles, auxquelles Lipse avait donné foi, lui valurent les insultes des protestants et les reproches des catholiques eux-mêmes.
Nisard (Juste Lipse, chapitre ix, pages 107‑109) :« Il eût été très agréable à Lipse d’être l’historiographe du roi, très honorable d’être trouvé digne par les États d’écrire l’histoire de la Belgique et très commode de n’en rien faire, si les jésuites n’eussent pas toujours été là, menaçants et attendant toujours quelque nouvelle preuve de sa résipiscence. Mais il pressentait les désirs de ces tyranniques protecteurs et se tenait constamment prêt à les satisfaire. Il avait eu, soi-disant, dès son enfance un culte passionné pour la Sainte Vierge. Un jour qu’il était allé en pèlerinage à Notre-Dame de Hal, à quelques milles de Bruxelles, comme il contemplait les magnifiques offrandes qui couvraient les autels et les parois de la chapelle, il entendit je ne sais quelle voix intérieure qui lui dit d’écrire l’histoire des miracles opérés par la sainte patronne de ces lieux. Il fit vœu à l’instant de l’exécuter et comme gage de sa parole, il suspendit à l’autel de la madone une plume d’argent accompagnée d’une vingtaine de vers latins en manière de dédicace. Cela fait, il écrivit ce chef-d’œuvre qu’il corrobora d’un nouveau chef-d’œuvre du même genre en l’honneur de Notre-Dame de Sichem. La foi religieuse est une chose en soi si respectable qu’on ne saurait être trop circonspect quand on examine les formes sous lesquelles elle se produit. Aussi n’ai-je rien à redire à la tendresse de Lipse pour la Vierge ni à la dédicace qu’il lui fit de sa plume ; mais j’avoue ne rien comprendre à cette superstition de vieille femme qui paraît avoir inspiré Lipse dans le récit des miracles des deux Notre-Dame. Ce n’est pas de la foi, c’est (le mot est un peu dur) de l’imbécillité. Quoi aussi de plus maladroit ! Lipse avait été initié assez longtemps, assez intimement au protestantisme pour savoir que les contes de cette nature n’avaient pas peu contribué à lui recruter des prosélytes ; que l’exploitation déhontée de prétendus miracles, aussi bien que le trafic des indulgences, avait détaché de Rome plus de fidèles que les arguments des ministres réformés. Au lieu donc de combattre l’influence anticatholique, il conspirait avec elle et s’exposait non plus à une critique digne de lui, digne de ses remarquables travaux, mais à la risée de tout le monde, catholiques comme protestants. […] Les outrages lui arrivèrent successivement de Hollande, de France, d’Allemagne et d’Angleterre ; on eût dit que ses ennemis se fussent donné le mot et qu’ils se relayassent. Lipse ne fut plus pour eux qu’un gentil qui ramenait l’idolâtrie du fond des enfers. »
V. les notes [24]‑[31] du Grotiana 1, pour de copieux compléments sur la consternation que les deux livres dévots de Lipse provoquèrent chez les érudits protestants de son époque.
Dominicus Baudius (Dominique Baudier, Lille 1564-1613) était issu d’une famille protestante. Les rigueurs du duc d’Albe (v. note [24], lettre 601) l’avaient forcé de se réfugier à Aix-la-Chapelle. Il acheva ses études à Genève où il reçut les leçons de Théodore de Bèze, prit le grade de docteur en droit en 1585, fit partie, la même année de l’ambassade envoyée à la reine Élisabeth ire d’Angleterre par les états généraux ; et après avoir été quelque temps avocat à La Haye, il partit pour Paris où il resta dix ans. Il s’y lia avec les hommes les plus éminents du temps, Sully-Mornay, de Thou, du Harlay dont l’amitié lui permit de devenir avocat au Parlement de Paris. Établi à Leyde vers 1602, il y fut nommé successivement professeur d’éloquence et d’histoire, et historiographe des états généraux conjointement avec Meursius (v. note [9], lettre 443). Doué d’une brillante imagination, possédant une érudition prodigieuse, à la fois éloquent et passionné, Baudius gâta ses belles qualités par les désordres de sa vie privée, par son amour désordonné du vin et des femmes (v. note [24] et [25] du Grotiana 2), et mourut dans la misère (G.D.U. xixe s.).
Baudius a laissé des poèmes latins (v. notes [36], [37] et [38] du Patiniana I‑3 pour quatre savoureux échantillons), et quelques traités de droit et d’histoire flamande. Son renom littéraire a surtout tenu à ses épîtres. Publiées pour la première fois en 1615, elles ont été réimprimées et complétées jusqu’en 1662. La dernière édition alors disponible était Epistolarum centuriæ tres, lacunis aliquot suppletis, accedunt eiusdem Orationes [Trois centuries d’épîtres, où on a comblé certaines lacunes et ajouté ses Discours] (Amsterdam, Jan Jansson, 1647, in‑12).
Guy Patin venait de citer {a} l’épître lvi de la iie centurie (pages 241‑243 de l’édition de 1650), {b} écrite à Adriaan van Blyenborgh, poète latin de Dordrecht, non datée (mais sans doute de 1606), où Baudius s’échauffe contre l’Amphitheatrum honoris in quo Calvinistarum in Societatum Iesu criminationes iugulatæ [Amphithéâtre de l’honneur où sont abattues les calomnies des calvinistes contre la Compagnie de Jésus] (1606) de Clarus Bonarscius : {c}
Nihil unquam vidi illaudatius, execrabilius, monstrosius. Deest scilicet hostis, et seges ac materies metendæ gloriæ non suppetit, nisi ex labe et ruina celebratissimi in literis viri, et honorifice a bonis nominandi, tametsi famam suam misere decoxerit duplici illa publicatione Virginum, quibus sæpe incolumi authore lumbifragium exoptavi.
[Je n’ai jamais rien vu de plus indigne de louange, de plus odieux, de plus monstrueux. Il {c} manque sans doute d’adversaire, mais ni le champ ni la matière ne lui font défaut pour tirer gloire de l’écroulement et de la ruine de l’homme qu’on a le plus célébré dans la république des lettres, {d} et que les honnêtes gens ne doivent nommer qu’en l’honorant ; même s’il a misérablement dissipé sa bonne réputation par ces deux livres des Vierges, dont j’ai souvent souhaité que l’auteur résistât sans dommage à ceux qui lui veulent briser les reins]. {e}
- V. supra note [28].
- V. note [8], lettre 334.
- Clarus Bonarscius est un pseudonyme du jésuite flamand Charles Scribani, v. note [26], lettre 128.
- Baudius avait une profonde affection pour « son bon maître » Juste Lipse (v. note [8], lettre 36) et l’a vigoureusement défendu pendant les dernières années de sa vie contre les attaques que lui valaient sa conversion catholique et sa dévotion pour la Vierge Marie (v. notes [26] du Grotiana 1).
- Patin a ajouté crucifragium, « et les jambes ».
Selon Robert Estienne (Dictionnarium, Paris, 1531, volume 1, page 54 ro), c’est en jouant sur le mot naufragium [naufrage] que Plaute a forgé lumbifragium [rupture des reins] (par des coups de bâton), dans son Amphitryon (vers 454). Inspiré par le poète anglais John Leech, Guy Patin usé de l’adjectif lumbifragam [briseuse de reins] pour qualifier Vénus dans sa thèse sur la Sobriété (1647) : v. note [56‑3].
Papelard (Furetière) :
« hypocrite, faux dévot. On le dit aussi de celui qui flatte, qui amadoue avec de belles paroles à dessein de tromper. Ce mot signifiait autrefois bégayeur, qui avait la langue grasse, qui parlait avec difficulté, comme les enfants qui ne peuvent dire que papa. Du Cange croit que ce mot vient d’un flatteur, qui à chaque moment fait des admirations et exclamations avec ce terme latin Papæ ! » {a}
- « Oh oh ! peste ! diantre ! »
Sauf jeu de mots de Guy Patin, le vocable n’a donc pas de rapport avec le pape de Rome, comme le contexte aurait pu le suggérer ; « papolâtre » (v. note [7], lettre 183) aurait été mieux venu pour brocarder la conversion de Juste Lipse au catholicisme.
Leonardus Lessius est le nom latin de Lenaert Leys (Brecht, province d’Anvers 1554-Louvain 1623). Entré dans la Compagnie de Jésus en 1572, il devint professeur de théologie à Louvain. Il fut un des premiers à étudier les problèmes moraux liés au commerce, à la banque et au prêt avec intérêt dans son plus célèbre ouvrage :
De Iustitia et Iure cæterisque Virtutibus Cardinalibus Libri iv…[Quatre livres sur la Justice et le Droit, et sur les autres Vertus cardinales…] {a}
- Louvain, Ioannes Masius, 1605, in‑fo de 731 pages, pour la première édition.
« on pourrait aussi bien dire à l’Africaine, ou du moins à la Latine, qu’à la Romaine. »
Guy Patin se référait aux différentes sources de la religion catholique : celle de Rome (la Romaine), et celle des écrivains chrétiens et des Pères africains de l’Église (Tertullien, saint Augustin, saint Cyprien, etc.), « ou du moins » latins. En bon gallican, il voulait dire que sa religion n’était pas romaine (c’est-à-dire italienne, comme Mazarin…), mais bien plus largement universelle (qui est le premier sens grec du mot katholikos).
Pierre i Du Moulin, Accomplissement des prophéties (page 168) : {a}
« Lisez les miracles de Notre-Dame de Hault {b} en Flandres publiés par Lipsius, et vous verrez que ce bonhomme a employé quarante ans à ramasser des fleurs de grammaire latine pour les verser aux pieds d’une image et clore toute sa philologie par une farce : là vous verrez que souvent il appelle la Sainte Vierge Deam et Divam, mettant des femelles de Dieu, {c} à la {d} païenne »
- Sedan, 1624, v. note [24], lettre 97.
- Ou Hal, v. supra note [29].
- Mettant Dieu au féminin.
- À la manière.
D’abord luthérien, Juste Lipse avait adopté le calvinisme à l’âge de 32 ans. Ayant vainement prêché la réunion des chrétiens, catholiques et protestants, il avait définitivement opté pour le catholicisme à l’âge de 44 ans (en 1601). Il mourut à 58 ans. Après une vie consacrée à la tolérance entre les religions chrétiennes, on lui reprocha d’être devenu catholique bigot sur la fin de ses jours.
« dans son petit livre sur les écrivains de l’histoire » :
De Natura et Proprietatibus Historiæ Commentarius, privatim in Gymnasio Dantiscano propositus a Bartholomæo Keckermanno, Philosophiæ ibidem Professore.[Commentaire sur la nature et les propriétés de l’histoire, que Bartholomæus Keckermannus, {a} professeur au Gymnasium de Dantzig, y a présenté en privé]. {b}
- Bartholomäus Keckermann, mort en 1609, v. note [18], lettre 181.
- Hanau, Guilielmus Antonius, 1610, in‑8o de 223 pages.
Même s’il ne partage pas toujours ses jugements, Keckermann y reconnaît les mérites de Juste Lipse comme historien, avec cette curieuse remarque sur les mensonges qui se glissent dans les récits historiques (page 34) :
Lipsius in Epist. quadam de studio Historico, dividit Hstoriam in fabulosam et veram ; quam partitionem probare non possum.
[Dans une de ses lettres sur l’étude historique, Lipse partage l’histoire en imaginaire et véritable ; division que je ne puis approuver].
Le passage auquel pensait Guy Patin se trouve page 170, dans le paragraphe xix du chapitre iii, De Historiarum scriptoribus in specie ; et primo quidem de iis, qui separatas historias, easque simplices et minus combinatas scripserunt [Ceux qui écrivent des histoires en particulier ; et en premier bien sûr, de ceux qui ont écrit des histoires isolées, et les ont faites simples et peu entrelacées], appendice du traité (Auctarium ad Commentarium historicum, quod auctor ob valetudinem adversam hactenus absolvere non potuit [Supplément au Commentaire historique, que l’auteur n’a pas pu achever plus tôt à cause de sa mauvaise santé]) :
Quod ad sexum fœmineum attinet : Iacobus Bergomensis descripsit vitam Mariæ, plurimis fabulis inspersis ; similiter Iohannes Pinus scripsit de vita B. Catherinæ. Falerandus Furannius de vita Iohannæ Francæ scripsit versibus, et quod cum dolore dico, Iustus Lipsius eo abreptus est, ut etiam scripserit vitam Mariæ Halensis, ut et alterius cuiusdam in ista vicinia.
[Pour ce qui touche au sexe féminin : Giacomo Filippo Foresti de Bergame {a} a donné une vie de Marie en y répandant quantité de fables ; Jean du Pin {b} a pareillement écrit sur la vie de la bienheureuse Catherine. Falerandus Furannius a écrit en vers sur la vie de Jeanne de France {c} et je le dis avec peine, Juste Lipse s’est laissé emporter au point même d’écrire la vie de Marie de Hal, {d} ainsi que celle d’une autre de ce voisinage].
- Moine augustin (1434-1520).
- Évêque de Rieux au xvie s.
- Sic pour Valerandus Varanius (Valerand de la Varanne, poète latin français du xviie s.) : De Gestis Joanne virginis France egregie bellatricis libri quatuor [Quatre livres sur l’histoire de Jeanne de France, noble et vierge guerrière] (Paris, Jean de La Porte, 1516, in‑4o).
- Citation reprise dans le Grotiana : v. note [31] de sa première partie.
« mon compatriote ». Ce porteur de lettre était Mauger, jeune étudiant en médecine natif de Beauvais (v. note [7], lettre 202).
« je le recommande donc à votre meilleure attention. »