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À Pierre Garnier,
le 2 novembre 1649

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de tant de protestations d’amitié que vous me faites. Mes premiers présents ne méritent pas de tels remerciements. L’Encyclopédie d’Alstedius [2] est un fort bon livre composé de plusieurs pièces contenant toute la philosophie théorique et pratique. [1] Je connais fort bien cet auteur qui a été un homme de grand mérite et que j’estime beaucoup. Les acigniens [3][4] sont une race de gens haïs de Dieu et du monde, qui ont dans la chrétienté fait plus de mal que Luther [5] et Calvin. [2][6] Ils ont ici depuis peu tant pateliné et flatté le Mazarin [7] qu’il a donné pour confesseur au roi [8] leur P. Paulin. [3][9] Ce sont des gens qui chassent de haut vent [4] et comme a dit Petrus Aurelius, [10] qui les connaissait, flatteurs de tout le monde et ennemis de tout le genre humain[5] Cette année a été fertile en morts de savants hommes : Famien Strada [11] est mort à Rome, Vittorio Siri [12] à Venise, Iohannes Gerardus Vossius [13] à Amsterdam, [14] M. Nicolas Piètre [15] et M. Hérauld [16] à Paris. [6]

Toute ma famille est en bonne santé, Dieu merci. Mon aîné [17] a été fort malade par sa faute, mais il en est échappé. Mon Carolus [18] étudie en droit, mais j’aimerais bien mieux qu’il employât son temps à la médecine où je le trouverais plus propre. Je l’en entretiens souvent et il en saurait bientôt plus que son aîné. [19] Enfin, j’aimerais mieux qu’il fût médecin que légiste, je lui apprendrais beaucoup de fines observations. Je vous remercie de vos fromages de Roche, [7][20] et je ne vous demande autre présent que vos bonnes grâces et suis, etc.

De Paris, ce 2d de novembre 1649


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no xviii (pages 68‑69) et Bulderen, no xxviii (tome i, pages 81‑82), « À Monsieur G.D.M. » ; Reveillé-Parise, no clvii (tome i, pages 262‑263) « Au même » (c’est‑à‑dire au même que le lettre no cliv, « À Monsieur Garnier, D.M. »). Rien dans la lettre ne permet de s’assurer qu’elle était bien destinée à Pierre Garnier ; il aurait aussi bien pu s’agir d’André Falconet.

1.

V. note [11], lettre 203, pour l’Encyclopædia universa (Lyon, 1649) de Johann Heinrich Alsted (Alstedius).

L’Esprit de Guy Patin a repris ce passage (v. note [60‑2] du Faux Patiniana II‑1).

2.

Acigniens est l’anagramme d’ignaciens (v. note [4], lettre 430) dans l’Euphormion de Jean Barclay (v. note [3], lettre 320) ; Guy Patin l’a emprunté pour enrichir la collection de surnoms dont il a affublé les jésuites.

3.

Charles Poulain, jésuite, dit le P. Paulin (Orléans 1593-Paris 12 avril 1653), après avoir enseigné la grammaire et la rhétorique, puis dirigé le collège de Blois et la maison professe de Paris, devait à l’amitié que lui portait Mazarin l’honneur d’être choisi pour premier confesseur du jeune Louis xiv. Il assura cette fonction jusqu’à sa mort. Médiocre directeur de conscience en adoration perpétuelle devant son pénitent, il travailla surtout à le persuader que jansénistes et protestants étaient de dangereux rebelles qu’il fallait mater (M. Pernot, Dictionnaire du Grand Siècle).

4.

En termes de vénerie, pour un chien, chasser de haut vent, c’est chasser contre le vent (Littré DLF), sans doute pour dire que les jésuites ont la ruse et le flair très fins.

5.

La source se trouve dans le tome i (page 260) des Petri Aurelii theologi Opera… (Paris, 1646, v. note [9], lettre 133) :

Concurrant igitur omnes et obruant perfidiam hanc crassam, spongiosam, indignam, omnium adulatricem, et omnium inimicam, nec verbis solum, ut Barnesius arguit, sed et factis æquivocam, totam ancipitem, totam ambiguam.

[Tous s’uniraient donc et écraseraient cette perfidie grossière, {a} spongieuse, indigne, à la fois flatteuse de tous et ennemie de tous, équivoque non seulement dans ses propos, comme dénonce John Barnes, {b} mais surtout dans ses actes, tout entière double, tout entière ambiguë].


  1. Des jésuites.

  2. V. note [9], lettre 643.

En 1658, probablement par méprise, Guy Patin a attribué ce même jugement sur les jésuites (les « flatteurs et les ennemis de tout le monde ») à Joseph Scaliger (v. note [6], lettre 546).

6.

Famiano Strada (v. note [11], lettre 152) était mort à Rome le 6 septembre 1649.

L’annonce était cependant tout à fait prématurée pour Vittorio Siri (Parme 1608-Paris 1685) : entré chez les bénédictins en 1625 sous le nom de Francesco, il avait acquis une certaine réputation comme géomètre à Venise où il enseignait les mathématiques. S’étant déclaré partisan de la France contre l’Autriche dans un écrit relatif aux contestations sur la succession du duché de Mantoue, il avait gagné la protection de Richelieu et plus tard, celle de Mazarin qui lui fit accorder une pension avec les titres de conseiller, d’aumônier et d’historiographe du roi. Toutefois, Siri ne vint en France qu’en 1649 et ne s’y fixa qu’en 1655, comme résident du duc de Parme avec le bénéfice de l’abbaye Sainte-Marie de Valmagne (à Villeveyrac dans l’Hérault).

Son principal ouvrage est le Mercurio, overo historia de’ correnti tempi [Mercure, ou la véritable histoire des temps présents] (Casal, Christoforo della Casa, 1644-1682, 15 tomes en 17 volumes in‑4o) qui relate l’histoire des années 1635 à 1682. Les livraisons se sont réparties comme suit : tomes i‑ii, Casal [Venise], C. della Casa, 1644 ; tome iii, Lyon, Jean-Antoine Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1652 (v. note [38], lettre 286) ; tomes iv‑x, Casal, Giorgio del Monte, 1655‑1668 ; tomes xi‑xiii, Paris, Cramoisy, 1670‑1674 ; tomes xiv‑xv, Florence, I. della Nave, 1682. S’y est ajouté le Memorie recondite dell’anno 1601 sino al 1640 [Mémoire sur les années 1601 à 1640] (Rome et Paris, 1676-1679) (G.D.U. xixe s. et L.J).

V. note [2], lettre 126, pour Didier Hérauld.

7.

Fabriqué avec du lait de vache, ce fromage était originaire de la région de Roche dans le Forez sur le flanc oriental de la Pierre sur Haute (1 634 mètres), une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Montbrison ; il est l’ancêtre des actuelles fourmes d’Ambert et de Monbrison.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Pierre Garnier, le 2 novembre 1649

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(Consulté le 19/04/2024)

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