L. 205.  >
À Charles Spon,
le 5 novembre 1649

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière j’ai appris que M. Veslingius [2] est mort à Padoue le dernier d’août, comme il s’apprêtait à écrire contre M. Riolan ; [3] que là même un certain Rhodius, [4] qui est en réputation de savant, y fait imprimer le Scribonius Largus[1][5] Il est ici mort un ancien avocat fort savant nommé M. Hérauld, [6] qui était en querelle avec M. de Saumaise [7] qui avait écrit contre lui Observationes ad ius Atticum et Romanum, il y a environ quatre ans. M. Hérauld, qui se trouvait offensé de ce livre, y faisait une réponse in‑fo ; mais la mort l’ayant surpris, je pense qu’il faudra le vendre tel qu’il est et faire une fin où l’auteur a trouvé la sienne. Il paraissait âgé de 70 ans. C’est celui qui a travaillé autrefois sur l’Arnobe [8] et sur l’Apologétique de Tertullien. [9] Il avait la réputation d’un homme fort savant, tant en droit que dans les belles-lettres et écrivait fort facilement sur telle matière qu’il voulait. [2]

On est ici après le choix de quelque habile homme, savant dans les affaires, que l’on puisse faire surintendant des finances. Les uns disent que l’on y mettra M. d’Émery [10] qui est celui qui a commencé à tout gâter, et l’élection duquel fera encore merveilleusement murmurer le peuple, [3] les malcontents de la cour et des provinces qui ne sont que trop désolées. Il y a pourtant ici beaucoup de personnes qui souhaitent que ce soit lui : les uns allèguent que s’il a gâté les affaires, il saura mieux qu’un autre comment il faudra les réformer ; d’autres, qui ont prêté au roi, [11] désirent que ce soit lui, espérant qu’il les fera rembourser, mais la plupart de ceux-ci sont des parents et amis. D’autres nomment pour cette charge le président de Maisons [12] qui est un animal mazarinique : homme dangereux, fin et rusé, mais fort incommodé et qui par ce moyen, tâcherait de s’acquitter et de payer ses dettes. D’autres y nomment M. d’Avaux [13] qui était par ci-devant plénipotentiaire à Münster [14] et qui est frère du président de Mesmes. [15] Celui-là est un fort habile homme et aimé, mais un plus habile que lui aura encore bien de la peine dans le mauvais état de nos affaires. On avait arrêté que ce serait le marquis de La Vieuville, [16][17] mais les partisans lui ont donné l’exclusion, protestant tout haut à la reine [18] qu’ils ne traiteraient jamais aucune affaire avec lui. Si bien qu’il faut attendre que le Conseil d’en haut, [4][19] composé de la reine, du duc d’Orléans [20] et du prince de Condé, [21] en ait délibéré. [5]

Vous m’avez ci-devant envoyé un livre intitulé Heteroclita pietatis du P. Théophile Raynaud. [6][22] Ce livre est assez étrange, aussi bien que l’esprit de son auteur ; mais à quoi s’occupe-t-il présentement ? Je crois qu’il a beaucoup de traités prêts à mettre sous la presse ; mais entre autres, je voudrais qu’il mît en lumière un ouvrage qu’il a déjà cité et promis deux ou trois fois, De iusta Confectione librorum, dans lequel il promet de dépeindre de toutes leurs couleurs certains écrivains qui lui déplaisent ; il le promet entre autres de Pomponace [23] qui a été un terrible galant du temps de Léon x[7][24]

Je ne vous ai rien écrit ni assuré de M. de Saumaise que lui-même ne me l’ait mandé dans sa lettre. Vous dites qu’après cela, vous ne lui conseilleriez pas de se mettre sur mer de peur qu’il ne tombe entre les mains des Anglais. Et néanmoins, un Suédois, étudiant en médecine, me dit hier céans que la reine de Suède [25] avait demandé M. de Saumaise et qu’il se préparait pour y aller faire un voyage ; mais je ne vous oserais assurer s’il est bien véritable, car je ne vois point de gens, après les L… [8] de Paris et les moines [26][27] lorsqu’ils parlent de la vie éternelle et de l’autre monde où ils ne furent jamais, et où jamais ils n’iront, qui mentent si fort et si rudement que ces étrangers, particulièrement en faveur de leur nation. Pour moi, je suis de votre avis et je ne conseillerais point à M. de Saumaise de s’en aller en Suède, de peur qu’il ne meure en ce pays si froid et de peur aussi que quelque tempête ne le fasse aborder en Angleterre où apparemment, il ne serait pas bien traité après avoir écrit contre eux pour avoir coupé la tête de leur roi. [9][28] S’ils ont si mal et si rudement traité leur maître, que ne feront-ils pas à leur ennemi ?

L’évêque de Riez [29][30] se réduit à ne faire que la vie des cardinaux qui ont vécu avec quelque opinion de sainteté, et ce qu’il a fait imprimer du cardinal de Bérulle [31] n’est qu’un extrait de son livre. [10] Je ne sais s’il mettra parmi ces gens-là le cardinal Duperron [32] qui était un grand fourbe et que je sais de bonne part être mort de la vérole. [11][33] Pour le cardinal de Richelieu, [34] c’était une bonne bête et un franc tyran ; et pour marque de sa sainteté, sanctus olim dicebatur qui abstinebat ab omni venere illicita[12] Je me souviens de ce qu’un courtisan me conta l’autre jour, que ce cardinal, deux ans avant que de mourir, avait encore trois maîtresses qu’il entretenait, dont la première était sa nièce, Marie de Vignerod, autrement Mme de Combalet et aujourd’hui Mme la duchesse d’Aiguillon. [35] Son père [36] était un des espions du marquis d’Ancre [37] à mille livres par an, [13] et son grand-père était notaire à Bressuire, village de Poitou. [14][38] La seconde était la Picarde, savoir la femme [39] de M. le maréchal de Chaulnes [40][41] (frère du connétable de Luynes), [42] lequel est mort ici depuis quatre jours, quelques jours après avoir été taillé de la pierre en la vessie. [15][43] La troisième était une certaine belle fille parisienne nommée Marion Delorme [44] que M. de Cinq-Mars, [45] qui fut exécuté à Lyon l’an 1642 avec M. de Thou, [46] avait entretenue, comme a fait aussi M. le maréchal de La Meilleraye, [47] et plusieurs autres. [16] Elle est encore en crédit, elle est même dans l’histoire pour sa beauté car Vittorio Siri [48] a parlé d’elle dans son Mercure[17] Tant y a que ces Messieurs les bonnets rouges sont de bonnes bêtes ; vere cardinales isti sunt carnales[18] Je suis tout à vous, etc.

De Paris, ce 5e de novembre 1649.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no xix (pages 70‑75) ; Bulderen, no xxix (tome i, pages 82‑86) ; Reveillé-Parise, no ccxvi (tome i, pages 491‑494) ; Jestaz no 19 (tome i, pages 537‑540).

La date du 5 novembre, donnée par Du Four , Bulderen, et Reveillé-Parise, est attestée au début de la lettre à Charles Spon du 16 novembre suivant (207).

1.

V. note [19], lettre 192, pour Johann Vesling et ses disputes anatomiques avec Jean ii Riolan.

Scribonius Largus, médecin romain de la première moitié du ier s., suivit l’empereur Claude dans ses campagnes d’Angleterre. Il étudia la médecine sous Triphon et Apuleius Celsus, et fut grand partisan du système d’Asclépiade. {a} Il a laissé une pharmacopée qui a été imprimée pour la première fois sous le titre :

Scribonii Largi de Compositionibus medicamentorum liber unus, antehac nusquam excusus : Ioanne Ruellio, doctore medico castigatore.

[Livre unique de Scribonius Largus sur les Compositions des médicaments, qui n’a jamais été précédemment imprimé : par Ioannes Ruellius {b} éditeur]. {c}


  1. V. note [25], lettre 294.

  2. Jean de La Ruelle, v. note [23], lettre 236.

  3. Paris, Simon Silvius, 1528, in‑fo

Johannes ou Janus Rhodius (Johan Rhode, Copenhague 1587-Padoue 14 février 1659) avait commencé ses études de médecine à Marbourg, pour les terminer à Padoue en 1614. Il vécut entre Copenhague et Padoue, refusant tous les postes de professeur qu’on lui offrit dans l’une et l’autre Université (O. in Panckoucke). Les Scribonii Largi Compositiones medicæ, Ioannes Rhodius recensuit, notis illustravit, lexicon Scribonianum adiecit [Compositions médicales de Scribonius Largus, éditées par Johannes Rhodius qui les a enrichies de notes et y a ajouté un lexique de Scribonius] ne parurent que bien plus tard (Padoue, Paulus Frambottus, 1655, in‑8o). V. note [2], lettre latine 78, pour son édition de Celse qui n’a jamais été publiée, en dépit des efforts de Thomas Bartholin.

2.

V. notes [3], lettre 123, pour les « Observations sur le droit attique et romain » de Claude i Saumaise (1645) et [2], lettre 126, pour Didier Hérauld et ses éditions de l’Ad Gentes d’Arnobe et de l’Apologeticus de Tertullien.

L’Esprit de Guy Patin a repris et étendu ce passage (v. note [60‑3] du Faux Patiniana II‑1).

3.

Élection est ici à prendre au sens premier de « choix qu’on fait de quelque chose ou personne, par lequel on la préfère à une autre » (Furetière).

4.

Depuis 1643 (mort de Louis xiii), le Conseil des affaires ou Conseil secret, avait pris le nom de Conseil d’en haut ou Conseil d’État. Il s’occupait des affaires générales, aux côtés des autres parties du Conseil du roi, dont la répartition ne se stabilisa qu’après la prise du pouvoir par Louis xiv (1661) : Conseil des finances, Conseil privé (v. note [7], lettre 137), encore nommé Conseil des parties ou Grand Conseil (section judiciaire, v. note [23], lettre 222), Conseil de conscience, Conseil des dépêches…

Mazarin, principal ministre, dirigeait le Conseil d’en haut, que présidait la régente et où siégeaient les premiers princes du sang (Monsieur et Monsieur le Prince), le chancelier et les ministres (le ou les surintendants des finances, le garde des sceaux quand ce n’était pas le chancelier qui avait les sceaux).

5.

Journal de la Fronde (volume i, fos 120 ro et vo, 123 vo et 124 ro, octobre 1649) :

« On a parlé tous ces jours passés au Conseil de faire un nouveau surintendant de finances, mais on n’en est pas encore demeuré d’accord. M. d’Émery était le premier qui avait été proposé, mais il fut résolu dès le 25 qu’il ne serait point rappelé à cause que le peuple commençait déjà d’en gronder ; et même, l’on avait fait courir certains billets séditieux sur ce sujet. Depuis, l’on avait proposé le marquis de La Vieuville ; mais les partisans s’étant assemblés le 26 chez le sieur de Launay-Gravey résolurent de tout quitter si on lui mettait cette charge entre les mains, ne voulant point avoir à faire avec lui. L’on a encore proposé de donner cette charge au président de Maisons, mais M. d’Avaux prétend qu’elle lui appartient et qu’on ne la peut pas donner à un autre à son exclusion. […]

L’on n’a encore rien résolu sur le choix d’un nouveau surintendant des finances. Le marquis de La Vieuville en est exclu par la ligue que les partisans ont faite contre lui. M. le Prince porte maintenant M. d’Émery, lequel se fait fort de faire trouver 1 200 000 livres dans les coffres de l’Épargne aussitôt qu’on l’aura reçu dans cette charge. M. le duc d’Orléans n’y veut pas consentir afin que le peuple n’ait pas sujet d’en murmurer, comme il est à craindre à cause des billets qu’on continue de semer et des libelles qu’on a imprimés contre lui. Néanmoins, on croit que cela n’empêchera pas qu’il n’ait cette charge et il est arrivé en cette ville incognito, croyant son affaire plus avancée qu’elle n’est. »

Michel i Particelli, sieur d’Émery (v. note [6], lettre 46), surintendant des finances de juillet 1647 à juillet 1648 (v. note [7], lettre 157), allait de nouveau être choisi pour cette charge le 6 novembre 1649 en la partageant avec Claude de Mesmes, comte d’Avaux. Il l’exerça jusqu’à sa mort (23 mai 1650).

Charles, marquis puis duc de La Vieuville (Paris 1582-ibid. 2 janvier 1653), grand fauconnier en 1610 sur la démission de son père, avait ensuite été fait lieutenant général en Champagne et Réthelois, premier capitaine des gardes du corps du roi (de 1616 à 1623). Surintendant des finances en 1623, les réformes qu’il introduisit lui avaient valu la haine tenace des courtisans et des partisans. Il avait été enfermé pendant 13 mois au château d’Amboise (1624) et après s’être évadé, il avait pu revenir en France en 1628. S’étant mêlé à des intrigues contre Richelieu, La Vieuville avait dû s’expatrier de nouveau, avant de revenir en France en 1643. Sa baronnie de Nogent fut érigée en duché-pairie sous le nom de La Vieuville par lettres de décembre 1651 (jamais enregistrées par le Parlement, qui avait décidé après l’affaire Rohan et La Meilleraye en Bretagne de ne plus recevoir de duc et pair) (Jestaz et G.D.U. xixe s.).

6.

V. note [12], lettre 113, pour les Heteroclita spiritualia… (Grenoble, 1646) du P. Théophile Raynaud (v. note [8], lettre 71).

7.

Jean de Médicis, né à Florence en 1475, fils de Laurent le Magnifique, fut élu pape en 1513 sous le nom de Léon x et mourut en 1521. Sous son pontificat, en 1517, éclata l’hérésie de Luther déclenchée par l’abus des indulgences que distribuait Rome et par la munificence dans laquelle vivaient le souverain pontife et sa cour : v. notes [26] et [27] du Borboniana 7 manuscrit pour la manière dont son successeur, Adrien vi, aborda la question. Léon x fut un éminent protecteur des arts et des sciences : il a fondé l’Université Sapienza de Rome, embelli la ville, et contribué au renom de Raphaël ou au rayonnement posthume des œuvres de Dante Alighieri.

Après la censure romaine {a} de son livre De Martyrio per pestem [Le Martyre par la peste], {b} le R.P. Théophile Raynaud avait promis ses :

Erotemata de malis ac bonis libris, deque iusta aut iniusta eorumdem confixione. Cum indicibus necessariis.

[Interrogations sur les bons et les mauvais livres, et sur leur juste ou injuste condamnation. Avec des index utiles]. {c}


  1. V. notule {c}, note [30] du Naudæana 2, pour la congrégation pontificale de l’Index.

  2. Lyon, Jacques Cardon, 1630, in‑8o de 633 pages, avec ce sous-titre :

    Ad martyrium improprium ; et proprium vulgare comparato, Disquisitio Theologica, Theophili Raynaudi, Societatis Iesu Theologi. Qua monstratur, eos qui proximis pestæ contactis, ex Christiana charitate sublevandis, immoriuntur, esse non late duntaxat, sed presse ac vere Christi Martyres ; iis non dissimiles qui in fidei causa mortem oppetunt : duplicisque illius proprie dicti Martyrii decorum comparatio, ex Patrum oraculis, et doctrina Theologica instituitur.

    [Par comparaison avec le martyre dit impropre et avec celui communément dit propre, Enquête théologique de Théophile Raynaud, théologien de la Compagnie de Jésus. Il y est démontré que ceux qui, par charité chrétienne, meurent en venant au secours des pestiférés ne sont pas seulement des martyrs du Christ au sens large, mais au sens précis et véritable ; qu’il en va de même pour ceux qui vont au devant de la mort en raison de leur foi ; que dans les deux cas, la comparaison, tirée des enseignements des Pères et de la doctrine théologique, établit qu’ils partagent à proprement parler la gloire du martyre].

  3. Lyon, Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1653, in‑4o de 378 pages.

Les Erotemata fut pareillement mis à l’index le 10 juin 1659, puis en fut retiré après corrections la même année. Il y est question de Pomponace et Cardan dans la Partitio i (pages 25‑26). {a} C’est l’occasion de fournir un échantillon du style du R.P. Raynaud, que son ami Guy Patin jugeait barbare (v. note [5], lettre 298) :

Spectare ad classem secundam nonnullis sunt visi, Pomponatius atque Cardanus, iis scriptis, quibus animæ immortalitatem sustulerunt. Quanquam prior non absolute ac simpliciter, mortalem animam censuisse videtur, sed duntaxat si ratio nuda consuleretur, ut liquet ex opere Contareni cardinalis, de Immortalitate, conscripto adversus Pomponatium, ipsius quondam Contareni in Philosophicis Magistrum. Nec aliud censuerim voluisse illos eiusdem ævi Philosophastros, damnatos a Lateranensi Concilio sub Leone x et alios longe ante a Stephano Parisiensi Episcopo, anno 1277, vel potius 1227 in rescripto quod extat tomo 5 Bibl. Margarini pag. 1319 æque damnatos, quod afferent, animam rationalem, secundum fidem esse immortalem ; at secundum Philosophiam, esse mortalem. Næ, hi non Philosophi, sed ut alia occasione dixit Valdensis, friuophili habendi fuissent, si animam simul mortalem ex Philosophia, et immortalem ex fide, pronunciassent. Quomodo enim esse, et non esse, de eodem subiecto affirmari possit, absolute, et simpliciter, etiamsi penes diversa capita ? Animam ergo absolute videntur agnouisse immortalem, quod ita aperte ferant fidei scita ; quamuis nisi de animæ rationalis perpetuatione fide doceremur, solaque naturali ratione consulta, negaturi fuissent immortalitatem.

Quod tamen, ingeniis effrænibus, ea negatio immortalitatis animæ, spectatis naturalibus principiis, aditus esse videatur ad negandam funditus immortalitatem, iure libri eo doctrinæ reprobæ fermento vitiati, suffixione digni sunt habiti : ipseque Pomponatius, mutata mente, opus suum de eo argumento improbasse dicitur, variantibus sententiis, an id amicorum precibus dederit, an famæ suæ ac nomini cauerit, an ex animo audierit Ecclesiam, et palinodiam cecinerit, ut conscientiæ faceret satis. Venetos illud opus addixisse ignibus, nec de immortalitate, sed de mortalitate animæ fuisse inscribendum, tradit Sylvester lib. 5 de Strigimagis cap. 5 expostulans quod a se approbatum eum librum dixisset Pomponatius, quod negat se unquam cogitasse. Idem Pomponatius, iudice Mirandulano lib. 6 euers. singul. certam. in opere de Incantationibus, nec Philosophum se bonum, nec Christianum bonum exhibuit, cum effectus omnes mirificos, cœlorum influxionibus adscribat, adeo ut velit, et religiones, et leges, earumque latores, ab iis dependere. Quare opus illud in Tridentino indice postscriptum est, et dilatam tamdiu fuisse proscriptionem, miratur Delrio i. Mag. cap. 3 ante q. i. In opere de fato, idem Pomponatius multus est in evertenda cooperatione Dei nobiscum, qui est exploratus error, quæ omnia suspicionem illam aliquorum, de Pomponatii clanculario Atheismo, utcunque confirmant.

[Quelques-uns considèrent que Pomponace et Cardan appartiennent à la seconde classe parce qu’ils ont nié l’immortalité de l’âme. Pourtant, le premier ne semble pas avoir absolument et nettement jugé que l’âme est mortelle, mais seulement si l’on s’en tient à la raison pure, comme le montre clairement l’ouvrage du cardinal Contarini de Immortalitate, écrit contre Pomponace qui avait jadis été son propre maître en philosophie. {b} Et je n’aurais pas jugé qu’en eussent voulu autrement ces prétendus philosophes que le concile du Latran a condamnés sous Léon x, {c} et d’autres, qu’Étienne, évêque de Paris, a également condamnés l’an 1277 ou plutôt 1227 dans la réponse qui se trouve au tome 5 de la Bibl. Margarini, page 1319, {d} parce qu’ils rapportaient que l’âme raisonnable est immortelle selon la foi, mais mortelle selon la philosophie. Ceux-là n’auraient certes pas dû être tenus pour philosophes, mais, comme a dit Valdensis à un autre propos, {e} pour frivophiles s’ils avaient proclamé que l’âme est à la fois mortelle pour la philosophie et immortelle pour la foi. Comment en effet pourrait-on affirmer du même sujet qu’il est et qu’il n’est pas, absolument et simplement, même si divers hommes l’ont cru ? Ils semblent donc avoir absolument reconnu que l’âme est immortelle parce qu’ainsi ils s’en rapportent à une foi reconnue ; bien qu’ils eussent dû nier l’immortalité en ne se fiant qu’à la raison naturelle, si la foi ne nous avait pas instruits sur la perpétuité de l’âme rationnelle.

Puisque cependant, pour les esprits débridés, cette négation de l’immortalité de l’âme paraît mener, après avoir considéré les principes naturels, à nier radicalement l’immortalité, on est en droit de tenir pour dignes de crucifixion les livres que ce ferment de doctrine malsaine a corrompus ; et dit-on, Pomponace a changé d’avis et a lui-même désapprouvé son ouvrage sur ce point en y changeant des phrases, parce qu’il aura cédé là-dessus aux prières d’amis, ou qu’il aura craint pour sa bonne réputation et son renom, ou qu’il aura écouté l’Église de bon gré et chanté la palinodie pour satisfaire sa conscience. {f} Sylvestre, au chapitre 5, livre 5, de Strigimagis, {g} rapporte que les Vénitiens ont condamné cet ouvrage aux flammes et déclaré qu’il n’avait pas été écrit sur l’immortalité, mais sur la mortalité de l’âme ; le même se plaint que Pomponace ait dit qu’il avait approuvé son livre, ce dont il nie avoir jamais eu l’idée. Au jugement de Mirandulanus, {h} le même Pomponace, dans son traité de Incantationibus, {i} ne s’est montré ni bon philosophe ni bon chrétien, parce qu’il attribue tous les effets prodigieux aux influx célestes, au point de vouloir que tant les religions et les lois que ceux qui les proposent en dépendent aussi. Delrio s’étonne que cet ouvrage ait été inscrit à l’index tridentin et si longtemps proscrit. {j} Dans son livre de Fato, {k} le même Pomponace s’acharne à renverser l’idée que Dieu coopère avec nous, ce qui est une erreur certaine, et le tout confirme en tout cas le soupçon de quelques-uns sur l’athéisme larvé de Pomponace].


  1. Ce passage appartient à la De Obiecto, seu de libris configendis quadruplici serie comprehensis ; Series i, Libri mali et nocivi ; Erotema iv, Athei et nullius, vel cuiusvis fidei, ac Religionis libri an improbandi ? [Première partie, De l’Objet, ou des livres qu’il faut clouer, compris en quatre séries ; Série i, Livres mauvais et nuisibles ; Interrogation iv, Doit-on condamner les livres athées ou de n’importe quelle autre confession ou religion (que catholique) ?]), chapitre intitulé Proscribendi item libri Atheorum clanculariorum secundi Ordinis ; cuiusmodi plerisque visus Pomponatius [Livres des athées cachés du second ordre qu’il faut pareillement proscrire ; où beaucoup rangent Pomponace].

  2. V. note [10], lettre 20, pour Pomponace et son Tractatus de Immortalitate animæ [Traité de l’Immortalité de l’âme] (Bologne 1516). Le cardinal Gasparo Contarini (1483-1542) avait publié en 1525 un traité De Immortalitate animæ adversus Petrum Pomponatium [De l’Immortalité de l’âme contre Pierre Pomponace].

    La note [67] du Naudæana 1 détaille le point de vue de Pomponace sur l’immortalité de l’âme et sa condamnation par l’Inquisition.

  3. Cinquième concile du Latran (1512-1517, v. note [9], lettre 399).

  4. Margarinus de la Bigne : Bibliotheca veterum Patrum et auctorum ecclesiasticorum [Bibliothèque des anciens Pères et des auteurs ecclésiastiques] (Cologne, Hieratus, 1622, 15 volumes in‑fo).

  5. Thomas Netter dit Valdensis (natif de Saffron Walden, Essex), théologien anglais (vers 1375-1430).

  6. Se sera rétracté.

  7. Silvestro Mazzolini da Prierio, (1456-1523) : De strigimagarum dæmonumque Mirandis libri tres [Trois livres sur les Prodiges des vampires et des démons] (1521).

  8. Pic de la Mirandole (v. note [53] du Naudæana 2).

  9. Pomponace : De naturalium effectuum Causis, sive de incantationibus… [Les Causes des effets naturels, ou des enchantements…] (1556).

  10. V. notes [54], lettre 97, pour Martin Anton Delrio, et [30], notule {c}, du Naudæana 2, pour la Congrégation de l’index instituée par le concile de Trente (tridentin).

  11. Pomponace : De Fato arbitrio et prædestinatione libri v [Cinq livres de la Décision prédéterminée et de la prédestination] (1556).

8.

Loyolites : censure transparente des précédents éditeurs.

9.

V. note [52], lettre 176, pour la Defensio regia…, en faveur du roi Charles ier d’Angleterre, de Claude i Saumaise. En dépit de ce qu’il aurait pu avoir à craindre des républicains anglais, Saumaise se rendit deux fois à Stockholm auprès de la reine Christine : en juillet 1650, pour une année entière, et plus brièvement en 1653.

10.

De Vita et rebus gestis eminentissimi ac reverendissimi D. Petri Berulli S.R.E. cardinalis, Congregationis Oratorii Domini nostri I.C. in Gallia fundatoris, libri duo. Auctore Reverendissimi in Christo Patre ac Domine Ludovico Donio d’Attichy, Episcopo Regiensi in secunda Narbonensi.

[Deux livres sur la Vie et les actes de l’éminentissime et révérendissime Mgr Pierre de Bérulle, {a} cardinal de la sainte Église romaine, fondateur de la congrégation de l’Oratoire de notre Seigneur Jésus-Christ en France. Par Louis Dony d’Attichty, {b} très vénérable père et seigneur dans le Crist, évêque de Riez, diocèse suffragant de Narbonne]. {c}


  1. Pierre de Bérulle (château de Serilly près de Troyes 1575-Paris 1629), cardinal en 1627, fonda en 1611 la congrégation de l’Oratoire de France (Société de l’Oratoire de Jésus), sur le modèle de celle que Philippe Néri (v. note [44] du Naudæana 3) avait créée à Rome en 1575 (v. note [1], lettre 29). Chef du cabinet de Marie de Médicis, il fut une des plus grandes figures du parti dévot et s’attira la très vive antipathie de Richelieu.

    V. note [43] du Borboniana 6 manuscrit pour la famille et les ouvrages de Bérulle.

  2. V. notule {a}, note [1], lettre 203, pour Louis Dony d’Attichy et son répertoire de l’ensemble des cardinaux (Paris, 1660).

  3. Paris, Sébastien et Gabriel Cramoisy, 1649, in‑8o de 198 pages.

11.

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 42‑43) a répandu la même médisance sur le cardinal Duperron :

« Il rapporta la vérole de Rome et en mourut. En mourant, il ne voulut jamais dire autre chose, quand il prit l’hostie, sinon qu’il la prenait comme les apôtres l’avaient prise.*

* Ce fut lui qui dit, quand la reine mère {a} au bac à Neuilly, prit par où vous savez M. de la Chastagneraye qui la sauva : “ Elle a raison, cette partie-là ne va jamais au fond. ” » {b}


  1. Marie de Médicis.

  2. « Il n’est pas malaisé de deviner que Patin, comme Tallemant, se borne à répéter ce qui se disait chez les frères Dupuy, dans un milieu parfaitement informé de tout ce qui concernait le cardinal Duperron » (note d’Antoine Adam).

12.

« était jadis déclaré saint celui qui s’abstenait de tout amour illicite. »

13.

La duchesse d’Aiguillon, dame de Combalet (v. note [62], lettre 101), était la fille aînée de Françoise du Plessis de Richelieu, sœur du cardinal-duc, et de René de Vignerod de Pont-de-Courlay.

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 233) :

« L’aînée fut mariée à un gentilhomme de Poitou, nommé Vignerod, qui était un homme dubiæ nobilitatis. {a} Il se poussait pourtant à la cour, et était toujours avec les grands seigneurs : il jouait avec M. de Créqui et M. de Bassompierre. » {b}


  1. « de douteuse noblesse. »

  2. Note d’Adam :

    « Tallemant ne fait que recueillir sur ce point la rumeur commune. Laffemas [v. note [12], lettre 447] écrit dans son Procès burlesque entre M. le Prince et Mme la duchesse d’Aiguillon [1649] :

    “ Soutenant que l’extraction
    Des Vignerod n’avait noblesse
    Pour tant porter notre duchesse ;
    Qu’elle tenait d’un châtelain
    Qui ne fut autre que vilain ;
    J’entends d’un juge de village
    Qui valait bien moins qu’un bailliage ;
    Aussi curé son oncle était,
    (Ainsi que l’avocat contait)
    Du village de Bressuire. ”

    C’était également l’opinion de Guy Patin. L’éditeur de la Confession de Sancy (v. note [38] du Faux Patiniana II‑6), appendice au Journal de Henri iii, 1746, in‑12, iv, page 32, met en note :

    “ René de Vignerod, sieur de Pont-de-Courlay, en Poitou, que Guy Patin dit avoir été l’un des espions du marquis d’Ancre à mille livres par an, avait eu pour père un notaire de la ville de Bressuire en Poitou [entre Poitiers et Cholet], et avoir épousé Françoise de Richelieu, l’une des sœurs du cardinal de Richelieu. ” »


14.

François Bluche (Richelieu, Perrin, 2003, pages 366‑367) :

« La vie intime du cardinal étant restée ultra-secrète, les folliculaires, ne pouvant conter, inventent. C’est le chapitre, absurde et répétitif, {a} des prétendues amours coupables de Richelieu et de sa nièce. On ne trouve vraiment ni vérité, ni inspiration, par exemple, en cette Visite à Mme Combalet :

“ Bonjour, Madame la concierge,
Vous êtes fort bonne commère,
Un mari vous a laissée vierge,
Et un oncle vous a fait mère. ”

Non plus qu’en ce quatrain écrit après la mort du cardinal-ministre :

“ Hélas ! Vous étonnez-vous,
Si la pauvre duchesse pleure,
Ne perd-elle pas à la même heure
Et le père, et l’oncle, et l’époux ? ” »


  1. Auquel adhéra constamment Guy Patin.

Dans la même veine, Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, page 306) ajoute :

« Dulot, {a} ce fou de poète royal et archiépiscopal […], fit l’anagramme que voici sur cette prétendue virginité : {b} Marie de Vignerot, vierge de ton mari »


  1. « Ce Dulot était un grotesque qui s’était fait une réputation en lançant la mode des bouts-rimés. Il y eut une première vogue en 1647, une seconde au début de 1654. Exaspéré, Sarasin écrivit un poème burlesque, Dulot vaincu ou la défaite des bouts-rimés; » (note d’Antoine Adam).

  2. De Mme de Combalet.

15.

Charles, marquis d’Albert, puis duc de Luynes (Pont-Saint-Esprit 1578-Longueville, Lot-et-Garonne 1621) avait gagné l’amitié de Louis xiii, tandis qu’il était son maître de fauconnerie. Instigateur du meurtre de Concini (1617), il lui succéda comme chef du gouvernement et obtint son marquisat d’Ancre qui prit dès lors le nom d’Albert. Duc et pair en 1619, Luynes devint connétable en 1621, en récompense des services rendus au roi tant dans les affaires intérieures qu’extérieures. Il avait épousé en 1617 Marie de Rohan-Montbazon qui devint plus tard Mme de Chevreuse.

Honoré d’Albert, sieur de Cadenet (1580-1649), puis duc et maréchal de Chaulnes, frère cadet du connétable de Luynes, avait épousé Claire-Charlotte d’Ailly de Picquigny, comtesse de Chaulnes (morte en 1681). Tallemant des Réaux (Historiettes, tome i, pages 306‑307) a commenté cette douteuse liaison de Richelieu :

« Le cardinal ne faisait pas trop grand cas de Mme de Chaulnes. Elle n’était plus dans une grande jeunesse, sa beauté déclinait et le reste n’était pas grand’chose. […] Elle avait pourtant quelque pouvoir sur son esprit, ou bien elle demandait si hardiment qu’il ne pouvait le refuser. […] Par vanité, elle voulait que tout le monde crût que le cardinal l’aimait […]. Comme le cardinal avait été plus d’une fois à Chaulnes, Bautru {a} dit un jour que M. le cardinal s’y plaisait ; mais le feu roi, {a} qui avait tourné tout son esprit du côté de la malignité et qui harpignait toujours {b} le cardinal, dit que Bautru avait dit que M. le cardinal se délassait chez Mme de Chaulnes. Bautru fit son apologie au cardinal qui lui dit en propres termes : “ Vous mériteriez des coups de bâton, si vous aviez dit cela. ” »


  1. Guillaume i de Beautru, v. note [15], lettre 198.

  2. Louis xiii.

  3. Médisait toujours sur.

16.

Marion Delorme ou de l’Orme (1613-30 juin 1650) était fille de Jean de Lon ou Delon, sieur de l’Orme, président des trésoriers de France de Champagne, et de Marie Chastelain. Initiée à la philosophie épicurienne et au scepticisme par Jacques iii Vallée, sieur Des Barreaux (v. note [13], lettre 868), elle le quitta pour Cinq-Mars qu’elle aurait secrètement épousé. On l’appelait alors Mme la Grande, le grand écuyer de France étant alors couramment nommé M. le Grand (v. note [29] des Deux Vies latines de Jean Héroard). Le salon de Marion devint l’un des lieux de rencontre de la société parisienne la plus élégante. Après l’exécution de Cinq-Mars, Marion aurait compté parmi ses amants Saint-Évremond, le second duc de Buckingham (v. note [2], lettre 993), le Grand Condé, le surintendant Particelli d’Émery, d’aucuns disaient même le cardinal de Richelieu… Au temps de la Fronde, son salon réunit les opposants de Mazarin. Sa vie de courtisane et sa mort à l’âge de 36 ans donnèrent lieu à différentes légendes. Elle a inspiré Victor Hugo et Alfred de Vigny (R. et S. Pillorget).

Dans tout ce passage, Guy Patin était en accord avec le maréchal de Bassompierre (cité par Adam) :

« Le cardinal de Richelieu, deux ans avant que de mourir, n’avait que trois maîtresses : sa nièce (c’est-à-dire Mme d’Aiguillon), la Picarde, femme de M. le maréchal de Chaulnes, et Marion Delorme, putain publique. »

17.

V. note [6], lettre 204, pour le Mercurio de Vittorio Siri.

18.

« ces cardinaux sont véritablement charnels. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 novembre 1649

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(Consulté le 19/04/2024)

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