L. 208.  >
À Claude II Belin,
le 27 novembre 1649

Monsieur, [a][1]

Le présent porteur s’en retournant en votre bonne ville de Troyes, [2] d’où il est natif, et m’ayant fait l’honneur de me venir dire adieu, m’a donné occasion de vous écrire la présente qui n’est à autre fin que de m’entretenir toujours en vos bonnes grâces et vous assurer de la santé de toute ma famille. Le 9e du mois prochain, mon fils aîné [3] répondra de son troisième acte, pour être licencié [4] à la Saint-Jean prochaine et pour passer docteur par après quand il plaira à Dieu. [1] Je reçus hier de Lyon, en quatre tomes in‑fo, Io. Henrici Alstedii Encyclopediam universam [5] qui est un livre merveilleusement bien étoffé et enrichi de beaucoup de belles choses. [2] On imprime quelque part en France, mais en cachette, les Mémoires et Instructions politiques du feu P. Joseph, [6] capucin [7] qui était un des secrétaires du cardinal de Richelieu, ce sera un in‑fo[3] Nous aurons ici bientôt de Rouen, en deux volumes in‑fo, les Mémoires de feu M. de Sully [8] qu’il avait fait imprimer de son vivant en sa maison et qui n’ont jamais été vus que très peu. [4] On achève le Sennertus [9] à Lyon en trois volumes in‑fo, qui sera augmenté de trois traités nouveaux. L’impression en sera belle et bonne. [5] M. Walæus, [10] professor Anatomicus Lugduni Batavorum[6] y est mort depuis quelques mois, comme aussi a fait M. Veslingius [11] à Padoue [12] où il était professeur anatomique : il y est mort le dernier jour d’août ex febre continua maligna[7][13] pour laquelle il n’a été saigné [14] que deux fois en neuf jours ; et ainsi, est mort rôti. M. Riolan [15] avait donné une touche à ces deux hommes pour les obliger d’écrire contre son dernier livre qui est in‑fo[8] mais la mort qui les a pris les en a sauvés de la peine. Il est ici mort un fameux avocat huguenot [16] nommé M. Hérauld [17] (Desid. Heraldus, ille est qui scripsit olim in Tertullianum et Arnobium) ; [9] il avait querelle contre M. de Saumaise, [18] et faisait imprimer contre lui un volume in‑fo que l’on ne lairra pas d’achever, d’autant qu’il était fort près de sa fin. M. de Saumaise fait imprimer à Leyde [19] une apologie pour le feu roi d’Angleterre [20] et contre les Anglais qui lui ont tranché la tête. [10] Libertus Fromondus, [21] théologien de Louvain, [22] y a fait imprimer depuis peu Philosophiam Christianam de Anima, qui est un très bon livre. [11] Le roi, [23] la reine, [24] le Mazarin [25] et toute la cour sont ici. Le Mazarin demeure toujours caché et comme enfoui dans le Palais-Cardinal. [26] La reine chassa mardi au soir Mme de Beauvais, [27] laquelle était sa première femme de chambre, et qui avait été par ci-devant dans le grand secret de la cour et en grand crédit. Tous les courtisans en ont été fort étonnés. [12] M. d’Émery, [28] le surintendant rétabli, est malade d’une fièvre quarte [29] de laquelle M. Vautier [30] se fait fort de le guérir. Ceux de Bordeaux [31] sont bien les maîtres, et par delà. On dit ici que le Mazarin s’en va envoyer 6 000 hommes de renfort contre eux à M. d’Épernon. [32] Les Périgourdins se remuent pour leurs voisins. [13] Je vous baise les mains, et à tous nos amis, et suis, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce samedi 27e de novembre.

M. Riolan est aujourd’hui l’ancien [33] de notre École par la mort de M. Toutain. [34] M. le maréchal de La Meilleraye [35] n’est pas mort, comme l’on avait dit. On imprime ici un livre in‑fo latin de votre compatriote le P. Caussin [36] intitulé de Regno et Domo Dei[14] Le Mazarin a donné pour confesseur au roi un jésuite nommé le P. Paulin, [37] de Blois. [38] Famianus Strada [39] author libri de bello Belgico[15] en deux tomes, est mort à Rome le 6e de septembre.

Adieu Monsieur.


a.

Ms BnF no 9358, fo 126, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no cii (tome i, pages 162‑163). D’après les lettres qui nous sont parvenues, Guy Patin n’avait pas écrit à Claude ii Belin, le père, depuis le 28 octobre 1648 (lettre 162) : il avait été frappé d’hémiplégie, et Patin avait depuis régulièrement correspondu avec son fils, Nicolas.

1.

Remis de ses ennuis de santé, Robert Patin se préparait à la dispute de sa seconde quodlibétaire le 3 décembre, dernier de ses trois actes de bachelier en médecine (v. note [53], lettre 209). Sa licence et son doctorat devaient suivre six mois et un an plus tard.

2.

V. note [11], lettre 203, pour « l’Encyclopédie universelle de Johann Heinrich Alsted » (Lyon, 1649).

3.

Dans les premiers jours de mars 1650, Guy Patin allait découvrir que cette relation sur le ministère du cardinal de Richelieu attribuée au P. Joseph était l’œuvre de Charles Vialart, en religion le P. Charles de Saint-Paul, feuillant, évêque d’Avranches (v. note [24], lettre 220).

4.

Maximilien i de Béthune (Rosny-sur-Seine 1559-Villebon 22 décembre 1641), baron de Rosny, duc et pair de Sully en 1606, principal ministre de Henri iv (surintendant des finances en 1598), avait été congédié par Marie de Médicis en 1611.

Guy Patin annonçait avec gourmandise la parution des :

Mémoires des sages et royales économies d’État, domestiques, politiques et militaires, de Henri le Grand, l’exemplaire des rois, le prince des vertus, des armes et des lois, et le père en effet de ses peuples français ; et des servitudes utiles, obéissances convenables et administrations loyales de Maximilien de Béthune, l’un des plus confidents, familiers, et utiles soldats et serviteurs du grand Mars des Français. {a}


  1. Amstelredam [Rouen], chez Aletinosgraphe de Clearetimelee et Graphexechon de Pistariste [Jacques Bouquet], 1649 (2 tomes en un volume in‑fo. La précédente avait paru en 1640, ibid. et id., en 2 volumes in‑fo. Il y en eut de nombreuses autres depuis.

5.

V. note [20], lettre 150, pour les Opera de Daniel Sennert (édition de Lyon, 1650).

6.

Jan de Wale « professeur anatomique à Leyde », mort le 5 juin 1649 (v. note [6], lettre 191).

7.

« d’une fièvre continue maligne ».

8.

V. note [25], lettre 146, pour les Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan.

touche : « action de frapper, de faire impression violente sur quelque chose. Les gens craintifs craignent la touche. Un cheval avance quand il entend claquer le fouet car il craint la touche » (Furetière).

9.

« Didier Hérauld, c’est celui qui écrivit jadis sur Tertullien et Arnobe » : v. notes [2], lettre 126, et [2], lettre 205, pour sa querelle juridique avec Claude i Saumaise, et pour son Quæstionum quotidianarum tractatus qui allait être bientôt publié.

10.

V. note [52], lettre 176, pour la Defensio regia… de Claude i Saumaise.

11.

V. note [6], lettre 198, pour la « Philosophie chrétienne sur l’âme » de Libert Froidmont.

12.

Catherine-Henriette Bellier, dame de Beauvais (vers 1615-1690), dite la Catau, était fille de Michel Bellier, huissier du cabinet de la reine anobli en 1638 pour prendre les titres de sieur de Filandre et de Platbuisson. On la disait petite-fille d’un fripier ou d’un crocheteur aux Halles. Elle avait épousé en 1634 Pierre de Beauvais, qui devint lieutenant général de la prévôté de l’Hôtel en 1651. Première femme de chambre d’Anne d’Autriche, elle était exécrée de toute la cour où on la surnommait Catherine la borgnesse en raison de son œil de verre. La Catau aurait initié le jeune Louis xiv aux plaisirs de l’amour en 1654 (v. note [8], lettre 812). Ses intrigues lui permirent de marier sa fille, Anne-Jeanne-Baptiste, au marquis de Richelieu, Jean-Baptiste-Amador de Vignerot, neveu du cardinal-duc, mésalliance qui causa un grand esclandre (Adam).

Il s’agissait ici d’un autre scandale (Dubuisson-Aubenay, Journal des guerres civiles, tome i, pages 190‑191) :

« Le mercredi 24 novembre, les meubles de l’appartement de la dame de Beauvais, première femme de chambre de la reine, ont été enlevés du Palais-Royal et menés dans la maison qu’elle a à Gentilly, et où elle s’en alla dès le jour précédent avec toute sa famille, la reine lui ayant fait dire par Largentier, surnommé le Gras, secrétaire de la reine, qu’elle eût à se retirer sur le midi, comme Sa Majesté entrait en son carrosse pour aller ouïr la messe aux Filles-Sainte-Marie près de la Bastille. Elle avait encore ce matin été coiffée par ladite dame de Beauvais.

La plus véritable opinion est qu’elle a été chassée pour une lettre qui fut trouvée sur la toilette de la reine, pleine de transports et emportements d’amour, laquelle on dit être du marquis de Jarzé ; et que c’était la dame de Beauvais, bonne amie dudit marquis, qui l’y avait mise. Cette lettre était datée de Fresne-sur-Marne {a} où Jarzé fut le dernier mois avec M. du Plessis-Guénégaud.

Le vendredi, {b} la reine retournant à la galerie et chapelle du roi où elle avait ouï la messe, le marquis de Jarzé, peigné, poudré et vêtu à l’avantage, se trouve à son passage sur la terrasse qui fait clôture à la cour intérieure et regarde sur le jardin du Palais-Royal, où il marche devant la reine, se tourne vers elle à certaines distances et pauses, en l’attendant ; et entré dans le grand cabinet, se met en haie pour être vu de plus près d’elle à son passage ; puis entre avec Sa Majesté dans la chambre du lit et puis outre, dans la chambre du miroir où la reine se coiffe ordinairement ; et se présente devant Sa Majesté qui lui fait signe de s’approcher et marche deux pas, puis s’arrêtant lui dit out haut : “ C’est une plaisante chose que l’on dise par la ville que vous, Jarzé, soyez mon galant. Vous en êtes bien aise, je m’assure, et vous avez cette folie-là qui vous vient de votre grand-père ; {c} mais vous ne prenez pas garde que cela vous fait passer pour impertinent et ridicule. ” »


  1. En Seine-et-Marne.

  2. 26 novembre.

  3. Le grand-père de Jarzé, René du Plessis (mort en 1607), avait été un furieux ligueur qui, malgré sa religion, n’avait pas reculé à profaner des églises pendant les guerres.

Le Journal de la Fronde (volume i, fos 135 vo et 136 ro, 23 novembre) donne une interprétation moins galante :

« Le même jour Mme de Beauvais, première femme de la reine, reçut ordre de se retirer de la cour sur-le-champ. On parle diversement du sujet de sa disgrâce, mais la plupart assurent que c’est pour avoir dit à quelques personnes, qui l’ont rapporté, qu’il était bien étrange que la reine préférât la conservation de M. le cardinal à celle de l’État. On l’accuse d’avoir encore pratiqué d’autres intrigues secrètes avec le marquis de Jarzé qui est mécontent de Son Éminence. L’on dit qu’elle rendait de fort mauvais offices à Son Éminence auprès de la reine. L’on estime que la disgrâce de ce marquis aurait déjà suivi celle de Mme de Beauvais si on le pouvait obliger à sortir de Paris et si nous étions en un temps auquel on peut facilement exiler les grands. »

V. note [16], lettre 209, pour le récit de Mme de Motteville.

13.

Journal de la Fronde (volume i, fo 127 vo, de Bordeaux, le 11 novembre 1649) :

« Le Périgord s’est soulevé avec une partie du Limousin. Quelques gentilshommes ayant fait des levées dans ces deux provinces pour amener au parlement, M. d’Épernon avait chargé M. de Biron de s’opposer à leur passage. Celui-ci a ramassé pour cet effet des troupes avec lesquelles il a voulu entrer dans le Périgord, tant pour y châtier les soulevés que pour empêcher ledit secours qui devait venir ici ; mais le comte de Grinolet l’a si bien repoussé qu’il lui a défait toutes ses troupes, en sorte que ledit sieur de Biron s’est retiré blessé à l’épaule et à la cuisse. »

14.

V. notes [12], lettre 202, pour la mort de Michel Toutain, et [50], lettre 176, pour les traités Regnum Dei et Domus Dei du P. Nicolas Caussin.

15.

V. notes [3], lettre 204, pour le P. Charles Paulin, et [11], lettre 152, pour Famiano Strada « auteur du livre sur la guerre de Flandre ».


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 27 novembre 1649

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(Consulté le 24/04/2024)

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