L. 214.  >
À Charles Spon,
le 11 janvier 1650

Monsieur, [a][1]

Outre ma grande lettre de quatre pages[1] je vous dirai encore que l’on nous assure ici que la paix de Bordeaux [2] est faite ; que les Bordelais ont accepté la déclaration que la reine [3] leur a envoyée ; qu’ils ont publié la paix et ont donné arrêt pour faire poser les armes bas ; que M. d’Épernon [4] viendra ici et que l’on l’enverra ambassadeur à Rome. Je ne doute point que touchant les conditions de ladite paix, on n’en dise plus qu’il n’en est. [2] J’apprends que depuis peu on a imprimé à Toulouse en petit volume Rerum Gallicarum liber quintus ; [3][5] que l’auteur en est un archidiacre nommé Samblançat, [6] lequel par ci-devant a voulu défendre saint Denis l’Aréopagite [7] contre le P. Sirmond ; [4][8] qu’en ce dernier œuvre, il n’a pas mis son nom ; qu’en l’année 1632, il a décrit l’histoire du procès et de la mort de M. le maréchal de Marillac, [9] où il a rudement sanglé le cardinal de Richelieu [10] et les commissaires qui le condamnèrent à mort. Je viens d’apprendre que ce livre ne se vend qu’en cachette. Je ne sais comment je ferai pour en faire venir un, je vous prie d’y penser et si vous n’y avez pas quelque expédient. Un libraire d’ici m’a promis d’en écrire ; mais il vaut mieux que j’en donne avis à M. de Marillac, [11] maître des requêtes duquel je suis le médecin et le bon ami, afin qu’il en fasse venir. [5] On m’écrit de Flandres que l’Anthropographie de M. Riolan [12] a été vue à Anvers [13] et à Bruxelles, [14] in‑4o, d’une nouvelle impression de Londres. [6][15] Si les libraires continuent de faire ainsi, à la fin ils se mangeront les uns les autres comme font les loups durant la famine ; et néanmoins, à quelque chose malheur est bon, nous en aurons les livres à meilleur marché, aussi bien que le blé pourra ici ramender si la paix de Bordeaux est bien faite. J’apprends qu’on imprime à Lyon l’Histoire de Bresse in‑fo par un nommé Guichenon [16] qui a fait par ci-devant, in‑4o, un livret des évêques de Belley, [17] et que cette histoire sera une belle chose. [7] Nouvelles sont arrivées ici qui réjouissent tous les gens de bien, savoir que ceux de Bordeaux ont accepté et publié la paix, le 5e de ce mois, que la reine leur avait envoyée ; que M. d’Épernon ne rentrera point dans Bordeaux ; que la citadelle de Libourne [18] sera rasée ; que les bourgeois seront les maîtres du château Trompette ; [19] que le roi leur donne quelque somme d’argent à reprendre sur le pays pour quelque dédommagement ; que nombre de députés viendront ici en cour remercier la reine de leur avoir donné la paix, etc.

M. Joly,  conseiller au Châtelet, ayant demandé justice au Parlement qui s’est assemblé pour cela, a aussitôt présenté requête de récusation contre le premier président[20] en tant qu’il est le père de celui qui est soupçonné avoir fait faire cet assassinat. [8][21] Les princes venus au Parlement tous les jours, on a délibéré là-dessus et après plusieurs assemblées, plusieurs brigues et plusieurs fêtes, [9] le premier président l’a gagné et n’a pas été refusé comme en bonne raison il devait être ; ce qui s’est fait par la brigue des princes, du Mazarin [22] et de la reine même, qui ont gagné les uns, intimidé les autres, de peur que si le premier président eût été absent, les frondeurs, qui se sont trouvés au nombre de 70, n’entreprissent quelque chose qui aurait déplu à la cour et au cabinet ; la lâcheté de la plupart des conseillers étant cause de cela, en tant qu’ils ont mieux aimé ne point venir au Palais que de défendre une cause fort raisonnable. Les fêtes étant passées, les assemblées se recommencent. Les deux princes y viennent aussi, mais Gaston [23] en sortit hier de bonne heure sous ombre d’indisposition ; M. le Prince [24] y demeura. Dans les informations qui en ont été faites, MM. le coadjuteur, [25] de Beaufort [26] et de Broussel, [27] conseiller de la Grand’Chambre, y sont en quelque façon chargés ; mais on croit que c’est à tort et que les témoins sont de mauvaise foi, et que ces trois hommes se laveront bien aisément de ces accusations frivoles. [10]

Le duc de Richelieu, [28] âgé de 19 ans, pour faire dépit à Mme la duchesse d’Aiguillon, [29] qui est sa tutrice en tant que sa tante ou sa mère (on ne sait pas bien lequel c’est des deux, néanmoins ce dernier est fort soupçonné), [11] a enlevé une veuve de 32 ans qui le voulait bien, nommée Mme de Pons de Miossens, [12][30] et s’en est allé avec elle au Havre-de-Grâce [31] où il pensait se rendre le plus fort en s’y saisissant de celui qui y fait la charge de lieutenant pour Mme d’Aiguillon, laquelle en a le gouvernement[13] Ce lieutenant l’y a laissé entrer avec sa femme, son frère, l’abbé de Richelieu, [14][32][33] et peu d’autres, mais ils n’y sont pas les plus forts ; joint qu’ils n’y ont point trouvé les huit millions de Mme d’Aiguillon comme ils espéraient. M. le Prince et Mme de Longueville [34] avaient conseillé cette entreprise à ce jeune seigneur, le plus riche parti du royaume, espérant d’obtenir ou de lui escroquer par après ce gouvernement pour le joindre à celui de Normandie que tient M. de Longueville. [35] Cette veuve remariée est fille de Mme du Vigean, [36] laquelle est la meilleure amie de Mme d’Aiguillon. Après le coup fait et qu’ils ont été partis, le prince de Condé est allé voir la mère, lui raconter le fait et lui faire connaître l’obligation qu’elle lui avait d’avoir fait épouser à sa fille un jeune seigneur de 19 ans, le plus riche parti du royaume. Mme du Vigean, qui n’en savait rien, fut fort étonnée et voyant qu’il s’avouait auteur de ce mariage, elle lui chanta force injures, et de lui et de toute sa race. Mme d’Aiguillon en alla dire autant à Mme la Princesse la douairière[37] où ces deux femmes se chantèrent leur belle vie ; [15] et néanmoins le mariage demeure, duquel le prince de Condé s’est mêlé tant pour tâcher d’attraper le gouvernement du Havre-de-Grâce pour son beau-frère, M. de Longueville, que pour faire dépit au Mazarin et l’empêcher de marier sa nièce [38] avec ce jeune seigneur si riche. Ainsi, le prince de Condé entreprend beaucoup et veut faire le maître, voyant le faiblesse de ceux sur qui il entreprend.

La reine, le duc d’Orléans, le prince de Condé, le Mazarin ont conjoint toutes leurs forces et ont employé tout leur crédit afin d’empêcher que le premier président ne fût récusé, [16] d’autant que si cela fut arrivé, les frondeurs eussent remonté sur leur bête et eussent été les maîtres du Parlement ; ce qui eût fait que dès le même jour ils eussent donné arrêt touchant cette affaire dont le prince de Condé fait un capital ; [17] et ayant étouffé cette chicane, eussent donné arrêt d’union pour ceux de Bordeaux et envoyé ajournement personnel à M. Le Tellier, [39] secrétaire d’État, pour venir répondre à la Cour de certaines lettres de cachet [40] qu’il a expédiées depuis peu en faveur de trois hommes qui sont à la veille de se faire faire leur procès. Ce sont les trois témoins que M. le Prince produit et qui déposent en sa faveur contre quelques particuliers ; [18] et entre autres contre M. Des Coutures, trésorier des Bâtiments du roi, [19][41] qui est caché, M. Des Martineaux, [42] homme d’honneur qui est aussi caché ou en fuite, et le marquis de La Boulaye. [20][43] MM. le coadjuteur, de Beaufort et de Broussel y sont aussi enveloppés, mais ils en sortiront plus tôt que les trois autres. La reine a dit de sa propre bouche en soupant (et je le sais d’homme qui lui a entendu dire) que l’on avait fait ce qu’on avait pu vers elle pour la tirer encore un coup de Paris avec le roi [44] et M. le duc d’Anjou, [45] son frère, comme l’on fit l’an passé ; mais qu’elle s’en gardera bien, qu’on ne l’y tient plus, qu’elle sait bien que la faute que l’on lui fit faire l’an passé a coûté au roi son fils plus de cent millions. M. le duc d’Orléans en a dit autant à de ses amis : ils n’ont point d’argent plus clair ni de plus beau revenu que celui que leur fournit Paris par ses entrées depuis un an, [46] et ont mis la campagne en un état de ne leur en guère fournir davantage que l’année qui vient. [21] L’Assemblée du Clergé [47][48] doit ici commencer le 25e de mai prochain. [22] On ne parle plus du Mazarin, il ne fait plus rien qu’à tâcher de se conserver, latet abditus agro Regina[23][49] c’est-à-dire dans le cabinet de la reine. On ne parle plus de la paix d’Espagne, ils sont résolus dorénavant d’attendre la majorité du roi qui sera dans 20 mois, à 13 ans et un jour, selon l’ordonnance de Charles v[50][51] roi de France. [24] Je suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce 11e de janvier 1650.


a.

Ms BnF no 9357, fos 73‑74, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Paris [sic] » ; Jestaz no 25 (tome i, pages 585‑589).

1.

Celle du 8 janvier 1650.

2.

La paix du 5 janvier (v. note [22], lettre 210) n’allait pas apaiser le gouverneur de Guyenne qui digéra fort mal son échec devant le parlement et la ville de Bordeaux.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, page 200, mercredi 12 janvier 1650) :

« Grand bruit de l’affaire de Bordeaux, comme le duc d’Épernon n’avait pas gardé de bonne foi la déclaration du roi ; et qu’en préjudice d’elle, il avait brûlé les maisons des Bordelais et fait insulte aux voisinages et environs de la ville, dont il aurait été repoussé avec perte grande de ses hommes ».

3.

Ce « cinquième livre des affaires françaises » avait été publié en 1635 (Toulouse, Iohannes Budæus, in‑8o) ; en 1649, les livres vi et vii avaient paru ibid. Petrus d’Estey, in‑8o. Les livres ii à iv n’ont pas été imprimés et les autres ont sombré dans le plus profond oubli (ils ne sont pas même recensés dans le CCFr).

J’ai trouvé fort peu de renseignements sur leur auteur, Jean de Samblançat (Joannes Samblancatus), natif de Toulouse, docteur en droit, poète latin et archidiacre de Tarbes. Une note des Œuvres de Pierre Goudelin, éditées par le Dr J.‑B. Noulet (Toulouse, Édouard Privat, 1887, page 354) dit que Samblançat a été un des fondateurs de la société littéraire des Lanternistes, nom familier de l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, établie en 1640 (et dont chaque membre se rendait alors aux séances en s’éclairant d’une petite lanterne).

4.

Le P. Jacques Sirmond avait publié une Dissertatio in qua Dionysii Parisiensis et Dionysii Areopagitæ discrimen ostenditur [Dissertation où est montrée la distinction à établir entre Denis de Paris et Denis l’Aréopagite] (Paris, Sébastien Cramoisy, 1641, in‑8o de 75 pages).

Parmi nombre d’autres, Jean de Samblançat y avait répondu (de manière non anonyme) par son Galliæ palladium… [Palladium de Gaule…] (Toulouse, 1641, v. seconde notule {d}, note [20], lettre 207). Jean de Launoy se mêla de la querelle (v. la même note [20]).

Trois des titres les plus explicites de cette controverse sur les deux saints Denis ont été :

5.

Michel ii de Marillac, {a} maître des requêtes, était le petit-neveu du maréchal Louis de Marillac. Le livre anonyme s’intitulait :

Relation véritable de ce qui s’est passé au jugement du procès du maréchal de Marillac, prononciation, et exécution de l’arrêt contre lui donné par les commissaires de la Chambre établie à Rueil, et de ses dernières paroles et actions, devant et sur le point de sa mort. {a}


  1. V. note [56], lettre 156.

  2. Sans lieu, ni nom, ni date [1632], in‑4o ; réimprimée dans les Pièces curieuses (sans lieu, 1643, v. note [16], lettre 97, pages 3‑50).

6.

Après son Encheiridium, c’étaient les Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan (v. note [25], lettre 146) qu’on contrefaisait à Londres pour les débiter depuis les Pays-Bas.

7.

Samuel Guichenon (Mâcon 1607-1664) était fils d’un chirurgien protestant. Pendant un voyage en Italie en 1630, il s’était converti au catholicisme. De retour en France, il avait fait ses études de droit et exercé la profession d’avocat à Bourg-en-Bresse ; mais ayant épousé une riche veuve, il avait abandonné bientôt le barreau pour s’adonner uniquement à des travaux historiques, ce qui lui valut les titres d’historiographe de France, de Savoie et de Dombes, des lettres de noblesse de Louis xiv et la dignité de comte palatin que lui conféra l’empereur Ferdinand iii (G.D.U. xixe s.). Guy Patin mentionnait ici deux de ses nombreux livres :

V. note [26], lettre de Charles Spon, datée du 28 août 1657, pour sa monumentale Histoire de Savoie (Lyon, 1660).

8.

Jean-Édouard Molé (mort en 1682), seigneur de Champlâtreux (près de Luzarches, dans le Val-d’Oise), était le fils aîné du premier président Mathieu i Molé et de Renée de Nicolaï (v. note [52], lettre 101). En 1637, Champlâtreux avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en la première Chambre des enquêtes, puis maître des requêtes en 1643, intendant de l’armée sous le prince de Condé en 1645, en Champagne et en Allemagne. Il était alors, depuis 1646, conseiller d’État et conseiller d’honneur au Parlement (Popoff, no 123). On l’accusait d’avoir ourdi le complot contre Guy Joly (v. note [21], lettre 210) le 11 décembre précédent. En avril 1653, Champlâtreux prit la charge de président à mortier laissée libre par Bellièvre.

9.

Interruptions dues aux fêtes qu’on célébrait en décembre et au début de l’année.

10.

V. note [10], lettre 212, pour la relation que Dubuisson-Aubenay a donnée de cet imbroglio mêlant Gaston d’Orléans, le prince de Condé, Pierre Broussel, le coadjuteur et le duc de Beaufort devant le Parlement, au sujet des deux attentats simulés du 11 décembre précédent, contre Guy Joly et contre M. le Prince.

Guy Patin prenait nettement ici le parti des frondeurs, ou plutôt celui des rentiers de l’Hôtel de Ville qui faisaient alors cause commune avec eux.

11.

Guy Patin persistait ici dans ses médisances contre la duchesse d’Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, qu’il accusait d’avoir été sa maîtresse (v. note [14], lettre 205), et même ici d’en avoir eu pour enfant le duc de Richelieu, Armand-Jean de Vignerod du Plessis, qui n’était officiellement que son neveu (le fils du frère de la duchesse, v. note [38], lettre 176). Mme d’Aiguillon avait arrangé le mariage de ce duc avec Mlle de Chevreuse, Charlotte-Marie de Lorraine (v. note [6], lettre 297), pour ses biens et pour l’appui des trois puissantes Maisons de Lorraine, de Rohan et de Luynes ; mais à sa grande fureur, ses espoirs allaient être déçus.

12.

Anne de Pons de Miossens (vers 1618-1684), née Poussart, était la fille de François Poussart, marquis de Fors et baron du Vigean, et d’Anne de Neufbourg, intendante et confidente de la duchesse d’Aiguillon. Anne était devenue duchesse de Richelieu le 26 décembre 1649 en épousant le duc de Richelieu au château de Trie, près de Gisors. L’affaire s’était conclue au grand dam de toute la cour sous l’influence de M. le Prince. Marthe du Vigean, la sœur cadette d’Anne, avait été la première passion amoureuse de Condé, contrariée par son mariage forcé avec la nièce de Richelieu, Claire-Clémence de Maillé-Brézé en 1641. Marthe était en outre l’intime amie de Mme de Longueville, sœur aînée du prince (dont elle dominait alors l’esprit). Par cette union, Condé désirait faire entrer dans son camp la place du Havre gouvernée par le jeune duc de Richelieu et fort convoitée par Mazarin. Anne avait précédemment été mariée à François-Alexandre d’Albret, sire de Pons et comte de Marennes, mort en 1648, dont elle avait eu un fils. Amie de Mme de Maintenon qu’elle avait aidée dans la période de son dénûment, la duchesse de Richelieu devint dame d’honneur de la reine en 1671, puis de Mme la dauphine en 1680. Après sa mort, le duc se remaria avec Anne-Marguerite d’Acigné (B. Pujo et Y. Coirault).

La jeune veuve n’était pas une inconnue à la cour (Mme de Motteville, Mémoires, page 303) :

« Mme de Longueville avait mis au rang d’une de ses meilleures amies Mme de Pons, fille de Du Vigean et veuve de M. de Pons, qui prétendait être de l’illustre Maison d’Albret. Cette dame était assez aimable, civile et honnête en son procédé. Ce qu’elle avait d’esprit était tourné du côté de la flatterie. Elle n’était nullement belle ; {a} mais elle avait la taille fort jolie et la gorge belle. Elle plaisait enfin par ses louanges réitérées qui lui donnaient des amis ou de faux approbateurs ; et l’amitié que Mme de Longueville avait pour elle lui donnait alors du crédit. L’abbé de La Rivière, depuis quelque temps, s’était attaché à elle par les liens de l’inclination et de la politique ; car, regardant Mme de Longueville comme une personne qui faisait une grande figure à la cour, il crut que Mme de Pons lui pourrait être nécessaire pour sa prétention au chapeau de cardinal. Il trouva donc fort à propos de se faire une amie auprès de cette princesse, qui pût y soutenir ses intérêts et lui servir de liaison pour traiter par elle les affaires qui pourraient arriver. Mme de Pons était fine et ambitieuse autant qu’elle était adulatrice. Elle n’était, non plus que le prince de Marcillac, {b} ni duchesse, ni princesse ; mais feu son mari était aimé de ceux qui se disent de la véritable Maison d’Albret et il lui avait laissé assez de qualité, ou du moins assez de chimère pour aspirer à cette prérogative. Elle demanda au ministre {c} que la reine lui donnât le tabouret ; et l’amitié de Mme de Longueville qui la protégeait, jointe à celle de l’abbé de La Rivière qui fut le négociateur de cette affaire, furent des raisons assez fortes pour lui faire obtenir ce qu’elle souhaitait. »


  1. On la surnommait « la laide Hélène ». V. note [4], notule {a}, du Mémorandum 5 pour « la belle Hélène ».

  2. La Rochefoucauld, v. note [7], lettre 219.

  3. Mazarin.

Les noces clandestines du 26 décembre eurent de formidables effets (ibid., page 320) :

« Ce mariage fut fatal à M. le Prince, peu heureux à ceux qui s’épousèrent, douloureux à Mme d’Aiguillon, et nullement utile à Mme de Longueville qui, dans la suite des temps, elle qui l’avait fait, ne trouva pas dans Le Havre le secours qu’elle avait espéré, et il s’en fallut peu enfin qu’il ne causât autant de maux aux Français que celui de Pâris et de la belle princesse de Grèce {a} en fit aux Troyens. Il se célébra à la campagne, en présence de M. le Prince qui voulut y être, et fit ce que les pères et les mères ont accoutumé de faire en ces occasions. La reine fut donc surprise quand elle apprit que ces noces s’étaient célébrées de cette manière. Elle connut aussitôt avec quel dessein M. le Prince en faisait son affaire, et cet événement servit beaucoup à le ruiner entièrement dans son esprit par le conseil du cardinal. Sa perte fut alors résolue, comme d’un prince en qui on voyait de continuelles marques d’un esprit gâté ; mais la reine ne laissa pas de lui faire bonne mine, et le ministre aussi. »


  1. Hélène ; v. note [19], notule {d}, du Grotiana 1 pour son amant Pâris.

13.

Le Havre (Seine-Maritime), grand port situé sur l’estuaire de la Seine, a été fondé en 1517 sur ordre du roi François ier, ce qui lui valut d’être d’abord nommé Franciscopolis. La ville fut ensuite appelée Le Havre-de-Grâce à cause de la chapelle Notre-Dame-de-Grâce qui s’y trouvait avant sa fondation. Richelieu l’avait solidement fortifié et pourvue d’un arsenal, et en avait attribué le gouvernement à sa nièce, la duchesse d’Aiguillon. La Compagnie des Indes Occidentales s’y était installée en 1642.

14.

Emmanuel-Joseph, comte de Richelieu (1639-9 janvier 1665), abbé de Marmoutier et de Saint-Ouen-de-Rouen, était le troisième et plus jeune fils de François de Pont-Courlay (neveu du cardinal ministre par sa mère, née Françoise du Plessis de Richelieu) et de Marie-Françoise de Guémadeuc. Il était le frère d’Armand-Jean, duc de Richelieu, et de Jean-Baptiste Amador, marquis de Richelieu (qui lui transmit ses bénéfices ecclésiastiques quand il se maria, en 1652, v. note [40], lettre 297). Les trois frères avaient deux sœurs (Marie-Marthe et Marie-Thérèse) et étaient neveux de la duchesse d’Aiguillon.

15.

Charlotte-Marguerite de Condé, mère de M. le Prince, était la princesse douairière (v. note [6], lettre 193).

Mme de Motteville (Mémoires, pages 320‑321) :

« La duchesse d’Aiguillon, apprenant cette nouvelle, fut au désespoir ; ceux qui ont des enfants ou des neveux qui leur tiennent lieu d’enfants, qui ont de l’ambition et de grands biens, le peuvent aisément juger. Cette dame, qui avait du mérite et du courage, soutenant son malheur par la force de son âme, dépêcha aussitôt un courrier au Havre, où elle commandait, par ordre du feu cardinal de Richelieu, jusqu’à la majorité de son neveu, pour empêcher qu’il n’y fût reçu d’abord. M. le Prince, le lendemain des noces, l’avait fait partir pour y aller et lui avait dit qu’en toutes façons il fallait qu’il s’en rendît le maître. La reine, de son côté, envoya de Bar pour se saisir de cette place et pour empêcher, s’il le pouvait, que M. le Prince par cette voie ne donnât au duc de Longueville, son beau-frère, la possession entière de la Normandie. Quand M. le Prince fut de retour de cette expédition, il vint chez la reine avec le même visage qu’à l’ordinaire ; et quoiqu’il sût qu’elle avait désapprouvé cette action et qu’il sût aussi que Bar était parti pour aller s’opposer à ses desseins, il ne laissa pas de l’entretenir des aventures de la noce, et en fit devant elle des contes avec beaucoup de gaieté et de hauteur. La reine lui dit que Mme d’Aiguillon prétendait faire rompre le mariage à cause que son neveu n’était pas en âge. Il lui répondit fièrement qu’une chose de cette nature, faite devant des témoins comme lui, ne se rompait jamais. Enfin ce prince, qui avait trouvé mauvais que la reine eût gourmandé Jarzé {a} sans lui en parler, ne put trouver juste qu’elle sentît comme une rébellion qu’il eût marié un duc et pair de France sans la permission du roi et avec desseins visiblement mauvais. Il est du devoir des personnes de cette qualité de ne le point faire sans l’agrément du roi, vu le rang qu’ils tiennent dans son royaume ; mais alors, il fallut feindre et la reine le fit si bien que M. le Prince y fut trompé à son tour. »


  1. V. note [16], lettre 209.

16.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, pages 196‑197, janvier 1650) :

« Ce jour, mardi 4, à cause qu’il s’agissait de la récusation du premier président sur la requête des duc de Beaufort, coadjuteur et conseiller Broussel, il {a} se retira, comme eux aussi ; < ils > furent eux trois en la quatrième Chambre des enquêtes, où le coadjuteur lisait la comédie de Cinna qui conspira contre l’empereur Auguste, de la façon de Corneille. {b}

Il y eut plusieurs opinions : l’une que le premier président serait récusé, et < aussi > son fils, M. de Champlâtreux, conseiller honoraire, et ce qu’ils ont de parents dans le Parlement ; l’autre qu’il n’y aurait que le premier président et le fils, et non pas les autres ses parents ; la troisième, qu’il n’y aurait pour tout que le fils, suspecté d’avoir fait l’outrage à Joly, conseiller au Châtelet ; et la quatrième, qu’il n’y aurait que le premier président seul, et non point son fils ni aucun de leurs parents.

Après que, de toutes les opinions, les plus faibles en voix furent réduites à deux, savoir celle que le premier président seul serait récusé et l’autre qu’il ne le serait pas, de celle-ci, défensive, il se trouva 98 voix, et de l’autre, affirmative de la récusation, il s’en trouva seulement 62, entre lesquelles étaient celles du président de Bellièvre, du duc de Luynes et du conseiller Coulon, etc. ; tellement que {c} le premier président l’emporta de 36 voix, entre lesquelles celles du président de Novion et du maréchal de La Mothe, jadis frondeurs, ont été remarquées, comme celle du conseiller Godart, sieur du Petit-Marais, qui dit d’une belle sorte qu’autrefois les assemblées du Parlement ne se faisaient point que les ennemis n’en reçussent atteinte et n’en tremblassent, et que c’était à présent chose étrange et déplorable qu’en telles assemblées nos ennemis fondassent toute leur espérance. Par ces mots de nos ennemis les frondeurs ont cru être désignés et en ont fort murmuré, particulièrement le conseiller de Quatresols. {d} Cela se doit néanmoins entendre des ennemis étrangers, qui sont les Espagnols et qui, avertis par les traîtres et espions qu’ils ont ici, refusent d’entendre à la paix avec nous, s’imaginant que ces assemblées produiront séditions dans Paris et guerre civile au royaume, et que par ce moyen ils regagneront le dessus de nous.

Mais surtout, le président de Mesme a fait un excellent discours, montrant la faiblesse et nullité de la requête et des moyens de ceux qui prétendent récuser le premier président, en l’absence duquel il a présidé ; et lui a, après qu’il a été rappelé et fait venir, prononcé l’arrêt qu’il demeurerait juge. »


  1. Mathieu i Molé, le premier président.

  2. Pierre Corneille.

  3. Si bien que.

  4. François de Quatresols, v. note [13], lettre 310.

17.

Capital : sa principale occupation.

Si le soutien du Parlement lui manquait dans le procès qu’il avait engagé contre les frondeurs, Condé se savait politiquement perdu. Il avait donc tout fait pour maintenir le premier président (Mme de Motteville, Mémoires, page 321) :

« Les créatures du prince de Condé avaient sollicité tout le Parlement avec une chaleur extraordinaire, n’épargnant ni les promesses, ni les menaces pour lui acquérir quelques voix, ce qui ne leur était pas impossible : car, malgré le pouvoir des frondeurs, le premier président était de ses amis, il pouvait avoir beaucoup de voix dans cette Compagnie. »

18.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome i, pages 197‑198, janvier 1650) :

« Vendredi 7, assemblée du Parlement où les princes et pairs assistèrent. Les duc de Beaufort et coadjuteur s’y montrèrent encore, et soudain se retirèrent ailleurs. Les informations furent relues, et particulièrement les dépositions des trois témoins ou délateurs à qui l’on {a} a donné des lettres de cachet du roi pour les sauver d’être recherchés de ce qui s’est passé dans les assemblées {b} où ils se sont trouvés et dont ils déposent. Ils se nomment Canto, béarnais, Sosciondo, bordelais, et Pichon, dit Charbonnier. Le reste est remis au lendemain.

Quand le duc de Beaufort est sorti du Palais, qui n’a été qu’après les autres princes, il s’est vu environné d’une populace, aucuns {c} desquels disaient, mais tout bellement aux endroits par où il passait, et bassement : “ Ôtez votre chapeau à M. de Beaufort ! ” »


  1. Le Tellier.

  2. De rentiers.

  3. Quelques-uns.

Les lettres de cachet adressées aux trois témoins les autorisaient (ibid., page 213, 25 janvier) à :

« pouvoir impunément être des assemblées {a} et y dire et agir ce que bon leur a semblé, attendu que ce sont délateurs, sycophantes, {b} introduisant un moyen de calomnie et d’inquisition jusqu’à présent inouï, et contre les franchises et libertés du peuple français, et l’ancienne coutume du gouvernement de l’État. »


  1. De rentiers.

  2. Fourbes dénonciateurs (v. note [7], lettre 57).

Le coadjuteur a conservé le souvenir de plus de trois faux témoins à charge contre lui (Retz, Mémoires, page 593) :

« L’on lut les informations, dans lesquelles on ne trouva pour témoins qu’un appelé Canto, qui avait été condamné d’être pendu à Pau ; Pichon, qui avait été mis sur la roue en effigie au Mans ; Sociando, contre lequel il y avait preuve de fausseté à la Tournelle ; La Comette, Marcassez, Gorgibus, filous fieffés. Je ne crois pas que vous ayez vu dans les Petites lettres de Port-Royal de noms plus saugrenus que ceux-là ; et Gorgibus vaut bien Tambourin. » {a}


  1. Les Petites lettres sont les Provinciales de Blaise Pascal, parues entre janvier 1656 et mars 1657 (v. note [23], lettre 446) : la cinquième énumère les noms, à consonance ridicule, de divers théologiens du temps dont les jésuites prétendaient, selon Pascal, substituer l’autorité à celle des Pères de l’Église. L’un d’eux était Thomas Tamburini, francisé en Tambourin (Bertière a).

19.

La précieuse table des noms de personnes et de lieux établie par Gustave Saige pour le Journal des guerres civiles de Dubuisson-Aubenay, identifie ce Parrain Des Coutures comme « capitaine de la garde bourgeoise, compromis dans le complot des frondeurs contre Condé ». Il pouvait être le père de l’écrivain et traducteur Jacques Parrain des Coutures (1645-1702).

20.

Dans son enthousiasme de rentier-frondeur, Guy Patin disait « homme d’honneur » celui que Dubuisson-Aubenay (qui semblait le fort bien connaître) a décrit comme un pitoyable commis des gabelles (Journal des guerres civiles, tome i, page 198, vendredi 7 janvier 1650) :

« Quelque bruit que Des Martineaux, parisien, n’est pas pris. Il était à Coutances en Basse-Normandie avec un emploi de commis aux traites foraines, homme de cinquante ans ayant quatre enfants et une femme originaire de Melun, sœur de la demoiselle Des Bouleaux. N’a point été capitaine de son quartier à Paris ; fut premièrement prévôt de Melun, puis revint à Paris et fut lieutenant en l’Amirauté, dont le cardinal de Richelieu le contraignit de se défaire. Depuis lors, il n’a rien été que commis des receveurs et partisans des traites, où il eut encore, il y a deux ans, une commission ; mais au lieu de la faire, il s’en alla s’embarquer pour les îles de l’Amérique avec le sieur Patrocle, où il ne fit rien et s’en revint ; puis prit une commission pour les gabelles en Languedoc, dont il ne sortit pas bien ; et à la fin, a pris cette dernière aux traites que le sieur Châtelain lui avait fait avoir, à la sollicitation et entremise du sieur de Bois-Hébert, employé auxdites traites et gabelles, et Angers, beau-frère de la demoiselle Des Martineaux. Il demeurait rue du Coq entre les rues de la Verrerie et de la Tisseranderie. »

V. note [2], lettre 166, pour le marquis de La Boulaye.

21.

Mme de Motteville (Mémoires, page 322), sans évoquer le dessein qu’aurait eu Anne d’Autriche de quitter à nouveau la capitale, a décrit son exaspération :

« D’autre côté, la reine et son ministre, lassés de la domination de M. le Prince, le regardaient comme l’usurpateur de l’autorité royale, et comme un prince qui était à craindre par sa hauteur et par son ambition. L’affaire de Jarzé, {a} le Pont-de-l’Arche, {b} le mariage du duc de Richelieu {c} et son aversion pour le mariage de la nièce du cardinal {d} avaient tellement comblé la mesure que la reine ni son ministre ne pouvaient plus souffrir cette grandeur si formidable qui, selon les apparences, pouvait devenir dangereuse à l’État. Elle était de mauvais augure, au moins pour le ministre en son particulier ; et par cette raison, le cardinal Mazarin entra volontiers dans toutes les propositions de ses ennemis. Il crut que ce qu’il devait au roi et ce qu’il se devait à lui-même l’obligeaient de mettre des bornes à la puissance de ce prince qui n’en voulait plus avoir sur aucun sujet. »


  1. V. note [16], lettre 209.

  2. V. note [44], lettre 197.

  3. Vsupra note [12].

  4. Projet que Guy Patin a évoqué plus haut dans sa lettre.

22.

L’Église catholique de France était placée sous la protection du roi très-chrétien et se trouvait ainsi en position de relative indépendance par rapport à Rome. Créée au milieu du xvie s., l’Assemblée du Clergé organisait cette soumission, dont la contrepartie était une contribution (don gratuit) à l’extinction de la dette publique qui allait contre le principe d’exonération fiscale de l’Église. Depuis 1625, l’Assemblée avait pris l’habitude de se réunir à Paris tous les cinq ans sous deux configurations alternantes.

Dans l’intervalle des sessions, le receveur général des décimes gérait les affaires financières du Clergé de France et ses relations avec le roi. Les deux agents généraux, tous futurs prélats, désignés pour cinq ans par deux provinces différentes, servaient de secrétaires permanents aux assemblées.

La durée des assemblées était variable et pouvait aller jusqu’à deux ans, comme celle de 1655 qui commença le 25 octobre pour s’achever le 23 mai 1657.

23.

« la reine le tient aux champs, caché » ; Horace (Épîtres, livre i, lettre 1, vers 4‑6) :

Veianius armis
Herculis ad postem fixis latet abditus agro,
ne populum extrema totiens exoret harena
.

[Véianus ayant suspendu ses armes à la porte d’Herculès, se cache aux champs, loin du peuple qu’il supplia tant de fois de l’extrémité de l’arène].

24.

Louis xiv était né le 5 septembre 1638. Sa majorité interviendrait donc le 6 septembre 1651 ; le lendemain, il allait être déclaré majeur par le Parlement de Paris.

Charles v, dit le Sage (1338-1380), régna de 1364 à sa mort.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 11 janvier 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0214

(Consulté le 20/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.