L. 243.  >
À Charles Spon,
le 16 septembre 1650

Monsieur, [a][1]

Depuis ma grande lettre écrite, je me remets encore à celle-ci pour deux choses, dont la première est que je vous prie d’avertir M. Huguetan [2] que ses trois balles du Sennertus [3] sont arrivées à la douane et que dès que j’en ai eu l’avis, j’ai envoyé quérir le tillet du syndic des libraires, [1] que M. Soly [4] même, qui est un des intéressés au procès, m’a apporté. Nous sommes aussitôt allés ensemble avec M. Huguetan l’avocat [5] à la douane, où on nous a dit que les trois balles ne nous pouvaient être délivrées que demain entre neuf et dix du matin, qui est l’heure que le maître de la douane s’y rendra. On a fait la même réponse en notre présence à d’autres qui demandaient d’autres marchandises. M. Soly m’a promis de revenir me trouver demain à neuf heures pour cet effet. Je l’y attends à déjeuner avec M. Huguetan l’avocat, qui me l’a promis aussi. Je tiens que c’est une affaire parfaite et achevée, qu’il ne s’en mette plus en peine. Je prendrai une bonne quittance en leur délivrant leur fait. [2]

L’autre point est que M. Mousnier, [6] ami de M. Du Prat, [7] me vient de donner avis qu’un sien ami, chirurgien à Lyon, nommé M. Hebet, [8] l’a averti qu’on imprime à Lyon un livre contre moi intitulé Patinus fustigatus[3] dont l’auteur est un nommé Arnaud, [9] médecin de Montpellier. [10] Cette nouvelle ne m’étonne ni me surprend pas, novi contentiosum ingenium infelicis sæculi ad quod me Deus reservavit ; [4] mais en attendant que je puisse voir ce chef-d’œuvre, je vous prie de m’enseigner qui est cet Arnaud, de quelle ville et de quel âge, quel est son dessein, si le pouvez savoir, pourquoi il écrit contre moi ; si c’est en faveur des chimistes [11] ou des apothicaires, [12] ou si c’est qu’il entreprenne de réfuter toutes les vérités que j’ai mises en mes deux thèses, [5][13][14] ou bien si c’est contre mes mœurs et ma personne. S’il me dit des injures, je les lui laisse et lui pardonne ; s’il me dit des vérités et des raisons, de sorte que j’y puisse apprendre quelque chose, je lui en saurai gré ; s’il mérite réponse, je la lui promets, pourvu que j’en aie le loisir. Voilà un rencontre inespéré, duquel néanmoins je ne m’étonne point. J’en attends votre avis, que je suivrai en tout ce que je pourrai ; souvenez-vous, s’il vous plaît, de m’en écrire par ci-après. En attendant votre commodité, je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi 16e de septembre 1650, à neuf heures du soir.


a.

Ms BnF no 9357, fo 101, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 42 (tome i, pages 730‑731). Cette courte lettre, complément de la précédente, n’est pas dans l’édition Reveillé-Parise, où toutefois on en trouve le deuxième paragraphe (« L’autre point est que… ») ajouté dans sa transcription de la lettre à Charles Spon datée du 17 septembre 1649 (Reveillé-Parise, no ccxii, i, pages 475‑480).

1.

Tillet : « terme de libraire de Paris, c’est un billet signé et daté qu’un libraire envoie à un autre libraire pour avoir de la marchandise » (Richelet).

2.

« On dit proverbialement donner le fait à quelqu’un, pour dire se venger de quelque injure, soit par la voie de raillerie, soit par des coups de main » (Furetière).

C’était la fin de la querelle qui avait entouré l’édition lyonnaise (1650) des Opera de Daniel Sennert (v. note [6], lettre 238) ; l’ouvrage allait pouvoir être mis en vente ; Guy Patin y avait mis beaucoup du sien.

3.

« Patin fustigé » : titre d’un ouvrage que le médecin chimiste provençal E.R. Arnaud, « conseiller médecin du roi », projetait de publier contre la virulente thèse de Guy Patin sur la Sobriété (v. note [6], lettre 143). Je n’ai rien trouvé d’autre sur cet Arnaud (absent du catalogue des docteurs de Montpellier établi par Dulieu) que son Introduction à la chimie… parue en 1655 (v. note [8], lettre 251) et ce qu’en a dit Patin dans ses lettres. Ses amis lyonnais parvinrent à faire avorter le dessein malveillant d’Arnaud. Bien qu’il se fût officiellement réconcilié avec lui, Patin garda longtemps une vive rancœur contre le chimiste : dans ses lettres à André Falconet et Charles Spon, il s’est enquis de son sort jusqu’en 1666, se délectant d’avoir ouï dire qu’il aurait été emprisonné par l’Inquisition à Turin, puis pendu pour fausse monnaie.

Je n’ai rien trouvé sur Mousnier ou Mosnier, ami du médecin lyonnais Abraham Du Prat, ni sur Hebet, chirurgien de Lyon ; Patin a encore parlé deux fois d’eux dans ses lettres ultérieures.

4.

« je connais bien l’esprit querelleur de ce malheureux siècle auquel Dieu m’a destiné ».

5.

Estne totus homo a natura morbus ? [Par nature, l’homme n’est-il pas tout entier maladie ?] (17 décembre 1643 ; v. note [4], lettre 98), et Estne longæ ac iucundæ vitæ tuta certaque parens sobrietas ? [Une sobriété prudente et déterminée n’est-elle pas la mère d’une longue et agréable vie ?] (14 mars 1647 ; v. note [6], lettre 143).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 16 septembre 1650

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0243

(Consulté le 25/04/2024)

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