L. 256.  >
À Charles Spon,
le 24 janvier 1651

< Monsieur, > [a][1]

Je vous souhaite toute sorte de contentement et de prospérité pour l’année présente en laquelle nous entrons, à vous et à toute votre famille, avec très humble supplication de me continuer vos bonnes grâces, non pas seulement cette année, mais toutes celles qui suivront, à la charge que je ferai de mon côté tout ce qui me sera possible pour les mériter. Je viens de recevoir votre lettre qui m’apporte beaucoup de consolation dans le tracas où je suis à déménager. [2] Tous mes volumes in‑fo sont portés et rangés en leur place, il y en a déjà plus de 1 600 en ordre ; nous commençons à porter les in‑4o, auxquels succéderont les in‑8o, et ainsi de suite jusqu’à la fin de la procession qui durera encore un mois. [3][4] Je ne sais si quelque ancien a touché cette controverse dont vous me parlez, que les enfants qui naissent au défaut de la lune deviennent épileptiques. [5][6] Si cela était vrai, le nombre en serait plus grand. Ce sont les Arabes [7] qui ont fourré dans la médecine ces scrupuleuses et superstitieuses observations, tant lunaires et sidérales que d’autre nature. [8] Ainsi, je ne vous conseille pas de rien craindre pour le petit garçon [9] qui vous est né en un tel temps. [1] Je vous prie de saluer de ma part M. Sarrasin [10] et de lui dire que je suis bien fâché qu’il m’ait pris pour un prêtre, [2] vu que je ne le suis pas et que je ne le serai jamais, et même que je n’ai pas voulu l’être, quelque effort qu’en ait fait ma mère, [11][12] et que j’ai souvent loué Dieu de ne m’avoir fait ni femme, ni prêtre, ni turc, ni juif[13]

Mon fils aîné Robert [14] a fait sa première présidence dans nos Écoles le jeudi 19e de janvier : [3] le voilà aussi grand docteur que moi en ce pays-là ; Dieu le fasse plus savant, meilleur et plus sage, il a 21 ans et six mois. La reine [15] a écouté fort patiemment M. le premier président [16] qui lui a parlé fort hardiment de la liberté des princes [17][18][19] et des mauvais conseils qu’on lui donne. Elle lui a répondu qu’elle en aviserait avec son Conseil et qu’elle en enverrait la réponse. Quand ils ont été sortis, elle a dit du premier président Voilà un homme qui a parlé bien insolemment, j’ai pensé le faire taire ; et néanmoins, elle ne l’a point fait, c’est qu’elle n’a pas osé. [4] Je finis étant toujours votre, etc.

De Paris, le 24e de janvier 1651.


a.

Bulderen, no liii (tome i, pages 154‑155) ; Reveillé-Parise, no ccxliii (tome ii, pages 67‑68) ; Jestaz no 49 (tome ii, pages 765‑766) d’après Reveillé-Parise

1.

Jean-Jacques Spon, qui venait de naître, le 23 décembre 1650, était le sixième enfant de Charles et Marie Spon, dont cinq étaient alors vivants. Il n’allait pas passer l’âge d’un an (Mollière).

2.

V. note [3], lettre 253, pour la visite que Jacques Sarrasin avait faite à Guy Patin.

3.

V. note [24], lettre 255.

4.

Journal de la Fronde (volume i, fo 357 ro, 20 janvier 1650) :

« La harangue que le premier président {a} fit au Palais-Royal a fait grand bruit ; aussi fut-elle en des termes si hardis que toute la cour en fut surprise ; et depuis, on a cru que le premier président est entièrement dans les intérêts de Messieurs les princes. L’on remarque qu’après que les députés furent sortis de la chambre de la reine, Sa Majesté dit à M. le garde des sceaux {b} que cette harangue était bien impertinente et qu’elle avait été deux ou trois fois prête de l’interrompre, en ce qu’il s’était servi des mots de “ politique étrangère ” et de “ conseils pernicieux ”, et de “ fatale journée ”, parlant du jour que les princes furent arrêtés, et avait représenté que leur innocence paraissait dans la lettre de cachet envoyée au Parlement sur leur détention puisqu’on n’y remarquait que des soupçons qui devaient être ombragés par tant de batailles gagnées par M. le Prince et par les services qu’il a rendus à l’État ; que toute la France s’en sentait touchée et en demandait justice ; que tous les désordres qu’on a depuis vus dans l’État ne procédaient que de cette détention ; que les ennemis étaient venus au milieu de la France ; que le feu était encore pour ce sujet allumé dans l’État ; que tous les parlements étaient sur le point de s’unir et que les pierres mêmes s’élèveraient contre tous ceux qui voudraient s’opposer à la liberté de Messieurs les princes. »


  1. Mathieu i Molé.

  2. Châteauneuf.

Mme de Motteville (Mémoires, page 368) :

« Le 20, cette princesse, {a} encore malade, reçut dans son lit cette célèbre députation du Parlement qui avait déjà fait du bruit par le consentement que le duc d’Orléans avait paru y donner et qui en effet, fut suivie de grands et fâcheux événements. […]
La reine en eut dépit et le ministre, {b} malgré sa dissimulation ordinaire, en parut altéré. {c} Le duc d’Orléans, après avoir écouté ce discours, le désapprouva et Mademoiselle, {d} qui ne savait pas encore tout ce qui se passait, après la harangue finie, me dit qu’elle avait rougi deux fois de colère et que la reine eût bien fait de jeter le premier président par les fenêtres. »


  1. Anne d’Autriche.

  2. Mazarin.

  3. Contrarié.

  4. Mlle de Montpensier, fille aînée de Gaston d’Orléans.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 janvier 1651

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0256

(Consulté le 25/04/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.