L. 257.  >
À Claude II Belin,
le 31 janvier 1651

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre, de laquelle je vous remercie et tous Messieurs vos collègues pareillement, je vous dirai que vous ne sauriez manquer de poursuivre votre barbier [2] donneur de grains et qu’enfin vous aurez un arrêt qui le condamnera. [1] Les attestations dont il se vante ne sont nullement recevables : si elles sont de malades qui se disent en avoir été soulagés, elles peuvent être fausses ou mendiées ; si elles sont de médecins, ils n’ont point de pouvoir sur vous, par in pare non habet imperium[2] s’ils ne sont délégués par juges supérieurs et nommés d’office ; comme par exemple, quand vous le tiendrez au Parlement s’il fait le méchant et l’impudent en se défendant, comme font la plupart des charlatans, [3] Messieurs de la Cour pourraient ordonner que quelques délégués ou députés de notre Faculté l’interrogeraient et connaîtraient de sa capacité, afin de prononcer sur leur rapport. Je me souviens qu’il y a environ douze ans, qu’un impudent charlatan nommé Madelain [4] avait dit à M. le lieutenant civil qu’il prêterait le collet à tous les médecins de Paris et qu’il s’offrait de disputer contre eux en sa présence. [3] M. le lieutenant civil le prit au mot et ordonna, pensant bien faire, jour et lieu (c’était chez lui) auquel il serait examiné par trois de nos docteurs, qui en seraient avertis, en présence du dit lieutenant civil. J’étais un de ces trois examinateurs, qui tous trois étions absents quand il nous nomma. Le charlatan me fit tâter le pouls et me fit offrir de l’argent pour me gagner. N’ayant pu en venir à bout par autrui, il crut qu’il y aurait plus de crédit lui-même ; il me vint voir, mais après m’avoir trouvé bien constant, deseruit vadimonium [4] et n’alla plus chez le lieutenant civil. Je ne vis jamais homme si ignorant ; je lui fis quatre questions afin de le faire parler : quid differt vera pleuritis a notha ? quid differat putredo pestilens a putredine quartanæ ? quot sunt signa veræ dysenteriæ ? quomodo portulaca necet lumbricos ? [5][5][6][7][8] Le pauvre diable, qui nequidem latine sciebat[6] ne s’était jamais trouvé à telle fête et ne savait ce que je lui voulais dire. Ne doutez point que vous n’ayez notre intervention toutes et quantes fois qu’il vous plaira, je vous en assure en cas qu’en ayez besoin, c’est moi qui vous la promets et vous la tiendrai, j’en ai la clef et les bulles en main. [9] Vous ne lairriez point de gagner sans icelle et néanmoins, je vous l’offre si vous la désirez. Si le compagnon fait mine de se défendre, il ne manquera point d’être renvoyé devant nous ; et ainsi, peut-être qu’il vaudrait mieux que nous ne nous déclarassions pas ses parties afin de pouvoir devenir ses juges. Pensez-y donc, mais quelque chemin que vous preniez, il perdra son procès. Si vous voulez obtenir notre intervention, que vous aurez facilement, il faudra que vous nous présentiez requête, de laquelle je serai porteur et la ferai entériner. Tout cela servira à contenir les autres en leur devoir, tant apothicaires [10] que chirurgiens. [11] Le Parlement se remue ici pour tâcher de procurer la liberté des princes. [12][13][14] La reine [15] et le Mazarin [16] éludent ces bons desseins tant qu’ils peuvent ; M. le duc d’Orléans [17] est du côté du Parlement, sed frigide[7] On a fait ici des vers contre l’antimoine [18] dont les chimistes [19] abusent fort : M. d’Avaux [20] en mourut ici le mois de novembre passé et peu de temps après, Mme la Princesse la douairière [21] et plusieurs autres ; je vous en envoie une copie que vous garderez, s’il vous plaît, sans nommer de qui vous les avez. Mon fils [22] a présidé, Dieu merci, et est aujourd’hui aussi grand docteur que moi, hormis qu’il n’est pas encore doyen, peut-être qu’il le sera quelque jour. [8] Je vous baise les mains, à madame votre femme, à monsieur votre fils, à Messieurs vos frères, à tous Messieurs vos collègues et particulièrement, s’il vous plaît, à MM. de Blampignon et Sorel, que j’ai l’honneur de connaître, comme à MM. Camusat et Allen ; et suis de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 31e de janvier 1651.


a.

Ms BnF no 9358, fo 134 , « À Monsieur/ Monsieur Belin le Père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cviii (tome i, pages 175‑177).

1.

Guy Patin a parlé de ce Nicolas Bailly, chirurgien barbier de Troyes, dans ses Commentaires de la Faculté de médecine de Paris (v. note [3] des Actes de 1651‑1652) en date du samedi 4 novembre 1651, jour où il fut prolongé dans le décanat pour une seconde année.

Le Mémoire Coll. méd. Troyes (pages 11‑12) donne à réfléchir sur cette disgrâce de Bailly : prétendant donner de son chef des remèdes internes aux malades, le syndic des médecins de Troyes l’avait assigné devant le Parlement de Paris ; il s’était défendu en disant

« qu’ayant connu qu’aux grandes opérations, amputations de membres, contre-ouvertures , {a} cautérisations actuelles et potentielles, bien souvent les malades échappaient à son art faute de dormir, il s’était étudié dans les secrets de la Nature et enfin, avait trouvé un cordial ou essence merveilleuse qui endormait gracieusement les malades et apaisait la sensibilité de la douleur ».


  1. Incisions de décharge, destinées le plus souvent à réduire la tension qui s’exerce sur les berges d’une plaie qu’on a suturée.

Ce remède (anesthésique avant l’heure) fut reconnu pour n’être que des grains somnifères donnés sous différentes formes. M. Eustache Lenoble, lieutenant général, avait rendu sa sentence du 26 janvier 1651 :

« ordonnant l’exécution des statuts faits pour l’exercice et les fonctions des médecins, fait défenses audit Bailly de donner aux malades le remède dont est question, sauf à se pourvoir pour en faire approuver la composition ».

La correspondance de Guy Patin avec Claude ii Belin nous apprend que, par représailles contre Bailly, le Collège des médecins de Troyes allait bientôt refuser de recevoir son fils, pourtant détenteur de lettres d’accréditation émanant de l’Université de Montpellier.

2.

« un égal n’a pas de pouvoir sur son égal » (précepte du droit romain).

3.

Prêter le collet à quelqu’un se dit « tant au propre, pour dire qu’on se battra contre lui corps à corps, qu’au figuré, pour dire qu’on lui tiendra tête en toutes sortes de disputes et de contestations » (Furetière).

V. note [30] de L’ultime procès de Théophraste Renaudot…, pour Antoine Madelain.

4.

« il s’éclipsa ».

5.

« Qu’est-ce qui distingue la pleurésie vraie de la fausse ? Qu’est-ce qui distingue la putréfaction de la peste de cette de la fièvre quarte ? Combien y a-t-il de signes de dysenterie vraie ? De quelle manière le pourpier détruit-il les vers ? »

« La vraie pleurésie a son siège dans la plèvre, ou du moins aux muscles intercostaux qui lui sont adhérents ; la fausse pleurésie, ou la bâtarde, aux muscles qui sont au-dessous des côtes » (Furetière).

V. note [8], lettre 179, pour le pourpier.

6.

« qui n’entendait pas même le latin ».

7.

« mais froidement. »

Deux événements politiques marquèrent l’union des deux Frondes, celle du Parlement et celle des princes : le ralliement ouvert de Gaston d’Orléans aux frondeurs (30 janvier), et le vote du Parlement (4 février, par 140 voix contre 47) pour la libération des princes et l’éloignement de Mazarin.

Le cardinal quitta Paris dans la nuit du 6 au 7 février (La Rochefoucauld, Mémoires, pages 183‑184). :

« Il se représentait sans cesse qu’étant au milieu de Paris, il devait tout appréhender de la fureur d’un peuple qui avait osé prendre les armes pour empêcher la sortie du roi. […] Il sortit le soir de Paris à cheval sans trouver d’obstacle et suivi de quelques-uns des siens, il s’en alla à Saint-Germain. Cette retraite n’adoucit point les esprits des Parisiens ni du Parlement. On craignait même qu’il ne fût allé au Havre pour enlever les princes et que la reine n’eût dessein en même temps d’emmener le roi autour de Paris. Cette pensée fit prendre de nouvelles précautions. On redoubla toutes les gardes des portes et des rues proches du Palais-Royal, et il y eut encore toutes les nuits non seulement des partis de cavalerie pour s’opposer à la sortie du roi, mais un soir {a} que la reine avait effectivement dessein de l’emmener, un des principaux officiers de la Maison en donna avis à M. le duc d’Orléans qui envoya Des Ouches à l’heure même supplier la reine de ne persister pas davantage dans un dessein si périlleux et que tout le monde était résolu d’empêcher ; mais quelque protestation que la reine pût faire, on n’y voulut ajouter aucune foi. Il fallut que Des Ouches visitât le Palais-Royal pour voir si les choses paraissaient disposées à une sortie et qu’il entrât même dans la chambre du roi afin de pouvoir rapporter qu’il l’avait vu couché dans son lit. »


  1. 9 février.

S’engagèrent ensuite les démarches qui menèrent à la libération des princes (ibid. pages 184‑186) :

« Les affaires étant en ces termes, le Parlement de son côté donnait tous les jours des arrêts et faisait de nouvelles instances à la reine pour la liberté des princes ; mais les réponses qu’elle faisait étaient toujours ambiguës et aigrissaient les esprits au lieu de les apaiser. Elle avait cru éblouir le monde en envoyant le maréchal de Gramont au Havre amuser Messieurs les princes d’une fausse négociation, et lui-même l’avait été des belles apparences de ce voyage ; mais comme il ne devait rien produire pour leur liberté, on connut bientôt que tout ce que la reine avait fait jusqu’alors n’était que pour gagner du temps. Enfin, se voyant pressée de toutes parts et ne sachant pas encore certainement si le cardinal prendrait le parti de délivrer les princes ou de les emmener avec lui, elle résolut de promettre solennellement au Parlement la liberté des princes sans plus différer ; et le duc de La Rochefoucauld fut choisi pour aller porter au Havre au sieur de Bar, qui les gardait, cet ordre si positif et qui détruisait tous ceux qu’il aurait pu recevoir au contraire. MM. de La Vrillière, secrétaire d’État, et Comminges, capitaine des gardes de la reine, eurent charge de l’accompagner pour rendre la chose plus solennelle et laisser moins de lieu de douter de la sincérité de la reine. Mais tant de belles apparences n’éblouirent pas le duc de La Rochefoucauld : il dit en partant à M. le duc d’Orléans que la sûreté de tant d’écrits et de tant de paroles si solennellement données dépendait du soin qu’on apporterait à garder le Palais-Royal, et que la reine se croirait dégagée de tout du moment qu’elle serait hors de Paris. En effet, on a su depuis qu’elle envoya en diligence donner avis de ce voyage au cardinal qui était près d’arriver au Havre, et lui dire que, sans avoir égard à ses promesses et à l’écrit signé du roi, d’elle et des secrétaires d’État, dont le duc de La Rochefoucauld et M. de La Vrillière étaient chargés, il pouvait disposer à son gré de la destinée des princes pendant qu’elle chercherait toutes sortes de voies pour tirer le roi hors de Paris. Cet avis ne fit pas changer de dessein au cardinal, il résolut au contraire de voir lui-même M. le Prince et de lui parler en présence de M. le prince de Conti, du duc de Longueville et du maréchal de Gramont. Il commença d’abord à justifier sa conduite sur les choses générales. Il lui dit ensuite, sans paraître embarrassé et avec assez de fierté, les divers sujets qu’il avait eus de se plaindre de lui et les raisons qui l’avaient porté à le faire arrêter. Il lui demanda néanmoins son amitié, mais il l’assura en même temps qu’il était libre de la lui accorder ou de la lui refuser, et que le parti qu’il prendrait n’empêcherait pas qu’il ne pût sortir du Havre à l’heure même pour aller où il lui plairait. Apparemment, M. le Prince fut facile à promettre ce qu’on désirait de lui. Ils dînèrent ensemble avec toutes les démonstrations d’une grande réconciliation et incontinent après, le cardinal prit congé de lui et le vit monter en carrosse avec M. le prince de Conti, le duc de Longueville et le maréchal de Gramont. Ils vinrent coucher à trois lieues du Havre, dans une maison nommée Grosmesnil, sur le chemin de Rouen, où le duc de La Rochefoucauld, M. de La Vrillière, Comminges et le président Viole arrivèrent presque en même temps et furent témoins des premiers moments de leur joie. Ils recouvrèrent ainsi leur liberté 13 mois après l’avoir perdue. M. le Prince supporta cette disgrâce avec beaucoup de résolution et de constance, et ne perdit aucune occasion de faire cesser son malheur. Il fut abandonné de plusieurs de ses amis, mais on peut dire avec vérité que nul autre n’en a jamais trouvé de plus fermes et de plus fidèles que ceux qui lui restèrent. Jamais personne de sa qualité n’a été accusée de moindres crimes, ni arrêtée avec moins de sujet ; mais sa naissance, son mérite et son innocence même, qui devaient avec justice empêcher sa prison, étaient de grands sujets de la faire durer si la crainte et l’irrésolution du cardinal, et tout ce qui s’éleva en même temps contre lui ne lui eussent fait prendre de fausses mesures dans le commencement et dans la fin de cette affaire. »

Le 16 février les princes rentraient triomphalement à Paris tandis que Mazarin s’enfuyait à Brühl, pour un exil d’une année.

8.

Robert Patin, le fils aîné de Guy, mourut en 1670 sans avoir été doyen de la Faculté de médecine de Paris.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 31 janvier 1651

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(Consulté le 24/04/2024)

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