L. 287.  >
À Charles Spon,
le 28 mai 1652

Monsieur, [a][1]

Ce 18e de mai. Je vous écrivis ma dernière le vendredi 10e de mai qui fut le même jour que Messieurs les Gens du roi avaient été envoyés à Saint-Germain [2] vers le roi [3] pour le prier de donner sa réponse, qu’il a promise, sur les remontrances qui lui avaient été faites de faire sortir du royaume le Mazarin. [4] Le lendemain, qui fut samedi, le prince de Condé, [5] accompagné du duc de Beaufort [6] et de 500 cavaliers, passa sur le Pont-Neuf, [7] et s’en alla à Saint-Cloud [8] pour en défendre le pont, où il avait laissé garnison, contre le maréchal de Turenne [9] qui s’en voulait rendre le maître. Aussitôt que cela fut su par Paris, tant de monde s’arma, qui y courut à la hâte, qu’il s’y trouva deux heures après plus de 10 000 hommes armés ; ce qui fut cause que les mazarins n’osèrent paraître ni avancer près de Saint-Cloud. Delà, le prince de Condé s’en vint au pont de Neuilly, [10] y voir sa garnison qu’il y avait laissée ; et se voyant si bien suivi, il prit résolution de s’en aller la nuit prochaine attaquer Saint-Denis, [11] où la reine [12] avait mis quelques Suisses [13] qui ne faisaient point de mal à personne. Il attaqua donc la ville sur le minuit et la prit, mais il y eut environ 30 Suisses de tués et 80 prisonniers qu’il envoya le lendemain à Paris ; il n’y perdit que douze hommes. Dès que la reine sut cette nouvelle, elle en pensa crever de douleur. Aussitôt, le régiment des gardes fut commandé d’aller attaquer et reprendre Saint-Denis, ce qu’ils firent sans grande peine à cause du peu de soldats que le prince y avait laissés ; lesquels voyant l’attaque, se retirèrent dans l’abbaye où ils s’enfermèrent avec les moines et se défendirent vigoureusement en tirant sur les mazarins, dont six officiers furent tués, et plusieurs soldats. Enfin, l’accord fut fait entre les princes et la reine que tout le régiment des gardes se retirerait de Saint-Denis, et les soldats du prince pareillement ; et que Saint-Denis demeurerait en la garde de ses bourgeois ; et tout cela a été exécuté. [1] Depuis ce temps-là, Messieurs les Gens du roi sont revenus et ont rapporté que dans le séjour qu’ils ont fait de plusieurs jours à Saint-Germain, ils ont reconnu une grande disposition à la paix et que le roi désirait expliquer sa volonté aux députés de la Cour qu’il désirait revoir un de ces jours ; sur quoi le Parlement assemblé a ordonné que les mêmes députés y retourneraient, mais le nombre d’iceux augmenté d’autant d’autres conseillers pris de chaque Chambre ; mais ils ne sont point encore partis, ils attendent l’ordre d’aller du roi qui les mandera quand il voudra ; attendant quoi, par une conférence qui a été tenue à Saint-Germain en présence de M. le maréchal de L’Hospital, [14] gouverneur de Paris, et M. le comte de Béthune [15] qui y était envoyé comme député par le duc d’Orléans, [16] il a été accordé de faire reculer toutes les troupes à dix lieues près de Paris, ce qui s’est exécuté ; [2] de sorte qu’il n’y a plus de troupes à Saint-Denis, Saint-Cloud, ni < au > Pont de Neuilly. Les unes sont allées par delà Pontoise [17] vers notre Beauvais ; [18] d’autres devers Étampes. [19] S’ils ne se fussent retirés, ils s’en allaient mourir de faim car ils avaient tout mangé ; et je pense que c’est plutôt la nécessité qu’aucune bonne volonté que la reine ait pour Paris ; ut ut sit[3] il n’y a plus de soldats et ne savons quand ils reviendront. On dit qu’il y a un accord secret entre la reine et les princes, et que l’on ne cherche plus qu’à envoyer pour quelque temps le Mazarin en quelque honnête retraite. Le désordre vient de la mésintelligence qui est entre les deux princes, d’autant que le duc d’Orléans ne veut point quitter ni abandonner le coadjuteur [20] qu’il prétend faire chef du Conseil, advenant [4] faute du Mazarin ; et le prince de Condé veut tout le contraire, en tant qu’il hait ce coadjuteur, nouveau cardinal de Retz, disant qu’il aime mieux voir le Mazarin dans les affaires que ce coadjuteur ; que l’autre est sot et ignorant, mais celui-ci fourbe et méchant, comme si le Mazarin ne l’était point aussi. Quoi qu’il en soit, on dit qu’il y a un accord et < je > crois qu’il en est quelque chose, mais on ne sait encore ce que ce sera. Il en est de même que de la quadrature du cercle : [21] est aliquid scibile, dit Aristote, [22] quod nondum scitur[5] Le roi, la reine et le Mazarin sont toujours à Saint-Germain, on ne parle plus qu’ils aillent nulle part.

Ce 20e de mai. Nous avons perdu depuis douze jours deux de nos compagnons, dont l’un était M. Gamare [23] le jeune, âgé de 30 ans (l’aîné [24] mourut l’an passé) ; [6] l’autre était un vieux bonhomme nommé M. Pierre Le Conte, [25] âgé de 77 ans, que la mort cherchait il y avait fort longtemps ; ce dernier n’avait guère de pratique, non plus que de biens ni d’esprit. [7]

Un docteur en théologie nommé M. de L’Isle-Marivault, [26] issu de fort bon lieu et de race bien noble, mû d’un bon dessein d’aller en l’Amérique [27] y travailler à la conversion des sauvages, ayant fait depuis trois ans un grand amas de tout ce qui était nécessaire à son dessein, et entre autres de 700 personnes, s’embarqua avec ceux-ci le samedi veille de Pentecôte [28] à sept heures du soir pour s’en aller d’ici à Rouen, au Havre, [29] à Nantes, [30] d’où l’on devait démarrer : [8] comme il fut à deux lieues de Paris, il fut obligé de mettre pied à terre pour montrer à quelqu’un ses passeports ; quoi fait, en revenant dans un petit bateau pour rentrer dans le grand, il fut noyé : [31] un batelier qui se jeta en l’eau pour le sauver se noya pareillement, et ont été repêchés tous deux qui se tenaient ensemble comme embrassés. Voilà son voyage fait et sa navigation achevée. [32]

Nullo fata loco possis excludere : quum mors
Venerit, in medio Tibure Sardinia est
[9]

Il s’en allait à la Guyane [33] près du Cap de Nord, [34] quatre degrés par delà la ligne équinoxiale, entre le Brésil et le Pérou, [35] du côté d’Espagne. Leur trafic devait être de tabac [36] et de coton ; je ne sais si le marché tiendra maintenant après sa mort, mais au moins, il était bien capable de le faire subsister. [10] Il était fort honnête homme et en cette qualité, fort regretté de tous les honnêtes gens qui l’ont connu ; mais voilà une étrange mort : miserum est mori in aquis ; imo miserum est mori, et quomodocumque mori ; etiam miserum est non mori, et vivere, præsertim in Gallia, inter tot motus et fluctus agitatæ Reipublicæ, res nostras tam misere turbante cæca illa mortalium Dea, Fortuna, Fato, Regina, Mazarino, et aliis dæmonibus[11][37]

La reine a ôté tous les soldats qui étaient ici alentour et leur a fait commandement d’aller vers Étampes, où sont les troupes des princes. On dit qu’ils se battront là et qu’ils assiégeront cette place. D’autres disent que les troupes mazarines s’en vont à Chartres [38] y mettre le siège : les habitants avaient refusé le gouverneur que le duc d’Orléans y avait voulu envoyer, ils en ont fait autant à celui de la reine ; de sorte que tous deux sont irrités contre cette ville-là, qui est la capitale des anciens druides. [12][39] On a contremandé les députés de la Cour qui devaient aller le lendemain de la Pentecôte à Saint-Germain y recevoir la dernière réponse et volonté du roi à leurs remontrances. Le roi leur a mandé qu’ils auront leur audience samedi prochain à Melun [40] où il s’en va. Les princes ont signé leur accord avec le duc de Lorraine [41] pour le faire venir avec ses troupes qui sont alentour de Soissons [42] et de Reims [43] pour le présent ; mais ce n’a été qu’après avoir bien prié et conjuré la reine d’empêcher cette approche du duc de Lorraine par l’éloignement du Mazarin, ce qu’elle a dit absolument qu’elle ne ferait jamais.

Néanmoins, sur le bruit de l’approche de ce duc, le roi, la reine et toute la cour sont délogés de Saint-Germain mercredi 22e < de > mai, le matin ; ils prennent le chemin de Corbeil [44] pour delà aller à Melun ; on dit que delà ils iront à Dijon, [45] mais personne n’en peut assurer, vu qu’ils ne le savent pas eux-mêmes : consilium capient in arena[13][46][47] selon leur propre faiblesse ou la force de leurs ennemis.

Ce même jour, 22e de mai, sont morts à Paris un maître des requêtes nommé M. Mangot [48] l’aîné, M. Le Fèvre d’Eaubonne, [49] conseiller des Enquêtes, qui était fort homme de bien, et M. Ferrand, [50] conseiller de la Grand’Chambre, qui était un grand mazarin et un très dangereux juge, mais homme fort intelligent. [14] Ce même jour est morte aussi la femme de M. Seguin, [15][51][52][53] premier médecin de la reine, nonobstant les deux prises de l’antimoine [54] que Vautier [55] lui a fait prendre.

M. Bochart, [56] ministre de Caen, [57] neveu de M. Du Moulin, [58] ministre de Sedan, [59] qui est l’auteur d’un certain livre in‑fo imprimé à Caen il y a six ans intitulé Geographia sacra, a tant de fois été invité par la reine de Suède [60] de l’aller voir à Stockholm [61] qu’enfin, après avoir bien marchandé, il est parti. Il est allé premièrement en Hollande y voir M. de Saumaise, [62] chez lequel il a demeuré quatre jours, et est parti pour Suède. Ledit M. de Saumaise a ici mandé que s’il n’eût été alors affligé de la goutte, [63] qu’il fût parti quant et lui pour y retourner, y ayant été remandé par la reine de Suède, laquelle veut de nouveau le voir et l’entretenir. Ce M. Bochart travaille par le commandement de ladite reine à un bel ouvrage de Animantibus sacræ Scripturæ qui n’est pas loin d’être prêt à être imprimé. [16][64] J’ai mainte fois ici vu et entretenu ledit Brochart, c’est un homme de 60 ans qui est fort honnête et fort civil, très savant et d’un excellent entretien. Je ne sais pourtant pas si les libéralités de cette reine pourront durer longtemps envers ces Messieurs les savants et autres, vu qu’on parle ici de ses dettes et que l’on a peur qu’elle ne fasse banqueroute, i. ne manque à payer, comme le fit le roi Jacques [65][66][67] autrefois, il y a environ 30 ans ; [17] et comme fait le roi d’aujourd’hui en France par les désordres de son Conseil, et la rapacité et infidélité de ses ministres, qui ne lui permettent pas de pouvoir rendre et satisfaire à tant de particuliers qui lui ont par ci-devant prêté leur bien, et celui de la plupart de leurs amis, de bonne foi.

Ce 23e de mai. Le roi est à Corbeil où on traite de la paix ; on dit qu’il ira à Melun, et delà à Dijon, y faire déclarer le Mazarin plus blanc que neige et tout innocent (voyez un peu le bel oiseau), tant pour les services qu’il a rendus à la Couronne que pour ce qu’il plaît ainsi à sa chère mère. O raram temporum nostrorum felicitatem ! ad hoc scamma Deus non produxit[18][68] Le prophète Isaïe a dit quelque part Si fuerint peccata vestra rubra tamquam coccinum, dealbabuntur tamquam nix ; [19][69] sur lequel passage un des réformés (il me semble que c’est Wolfg. Musculus) [70] a dit gentiment Si peccata vestra fuerint rubra tamquam peccata Cardinalium, tamquam nix, etc. ; [20] sans doute que les cardinaux de ce temps-là étaient bien plus méchants que ceux-ci, puisque le Mazarin peut passer pour innocent dans l’esprit des hommes.

Les députés du Parlement ont été contremandés et remis à mardi prochain, à Melun, 28e de mai ; mais le président de Nesmond [71] qui les y doit conduire, Dux regit examen[21][72] a dit ce matin au Palais qu’il espérait n’avoir point cette peine d’aller là et que la paix serait faite dans ce temps-là. Amen.

On nous apprend ici que M. le maréchal de La Force [73] est mort en Guyenne, âgé de 93 ans puisqu’il était né l’an 1559, eodem quo obiit anno Henricus 2[22][74]

Quand vous me ferez la faveur de m’écrire, n’oubliez point s’il vous plaît, de nous mander si le volume de Vittorio Siri [75] sera bientôt achevé ; et de plus, si M. Rigaud [76] le libraire ne se dispose point à imprimer le manuscrit de notre bon et cher ami feu M. Hofmann, [77] il devrait être plus d’à moitié fait depuis le temps qu’il me l’a promis. Je vous supplie aussi de ne pas oublier d’effacer de la copie manuscrite les injures qu’il a dites là-dedans contre Fernel ; [78] je pense que c’est au traité de Spiritibus et calido innato, en un chapitre qui est tout exprès contre lui. Cette érasion servira à l’un et à l’autre, [23] et ne nuira à personne ; toutes ces injures ne témoignent que l’humeur fougueuse et colérique de ce bonhomme, et ne peuvent servir que de mauvais exemple et donner du scandale à ceux qui sont même éloignés de telles passions.

La paix avait été faite et accordée des princes avec la reine, à la charge que le Mazarin sortirait du royaume et n’y pourrait revenir qu’après la paix générale faite ; mais trois heures après, la reine a changé d’avis et s’en est dédite, par le mauvais conseil que le garde des sceaux [79] lui a suggéré. [24] C’est sans doute quelque intérêt qu’il y prétend car il se montre fort intéressé en tout pour faire la fortune de sa Maison et laisser du bien à ses enfants. Ainsi les gens de bien pâtissent. [25]

On ne sait que dire des troupes du duc de Lorraine, elles n’avancent point, elles sont encore alentour de Reims et de Soissons ; on croit que c’est par ordre qu’ils ont reçu de deçà qu’ils ne viennent point plus vite. [26]

Il y a ici des lettres d’Angleterre qui disent que le roi d’Espagne [80] est mort et que la grossesse de sa femme [81][82][83] est évanouie. Il a une fille de cette seconde femme, mais la première [84] en a laissé une autre grande [85][86][87] qui sera une riche héritière si le père meurt sans laisser un fils : force royaumes et force seigneuries, c’est celle-là de laquelle on peut dire educata in spem multorum regnorum[27]

J’apprends aussi que le plus grand charlatan de toute l’Europe est mort à Londres, savoir le sieur de Mayerne-Turquet, [88] âgé d’environ 80 ans, aussi gros et ventru qu’était Nicomachus Smyrnæus, apud Galenum[28][89][90] Le sieur Vautier peut dorénavant se vanter d’être le premier, aussi bien qu’il est le dernier médecin de France et le premier du roi ; qui est une place qu’il mérite aussi bien que le Mazarin, qui l’a mis là, est le plus digne sujet de France pour être premier ministre, et de l’incapacité duquel sont provenues toutes nos calamités et afflictions publiques. Après Vautier, il y a trois hommes à Paris qui pourront à bon droit contester la préséance en cette place, savoir Vallot, [91] des Fougerais [92] et Guénault, [93] quo non præstantior alter in necandis hominibus stibio et aliis venenis chymicis[29][94] Les troupes mazarines, par ordre du maréchal d’Estrées, [95] avaient assiégé Coucy [96] et l’avaient pris ; [26] le gouverneur avec les siens résistait encore dans le château, mais de peur qu’il n’y fût forcé, il appela du secours des troupes du duc de Lorraine qui en ont chassé les mazarins et poursuivi les fuyards jusque dans le faubourg de Chauny. [97] Toutes les troupes mazarines qui étaient à cinq et six lieues d’ici, devers Longjumeau [98] et Palaiseau, [99] se sont toutes ramassées et retirées devers Étampes qu’ils vont, ce dit-on, assiéger. [100] Les gens du prince y sont dedans bien retranchés, et qui se défendront bien si on les attaque ; [30] et même, le prince de Condé leur a promis qu’il ira les secourir avec 3 000 hommes qu’il a de deçà ; dans Paris même, il y a plus de mille cavaliers. La paix avait été accordée à la charge que le Mazarin sortirait du royaume et qu’il n’y pourrait revenir ni être révoqué que la paix générale ne fût faite. [31] Cela subsista trois heures, au bout desquelles la reine a tout rompu : elle consent qu’il sorte, mais elle veut qu’il soit permis de le faire revenir 15 jours après si le roi le désire. C’est que la bonne dame s’imagine qu’elle en aura besoin in proprios usus[32] et cependant, le tiers de la France pâtit pour cette obstination :

Heu morimur vincti, nudi, rapti, spoliati,
Mentula Legati nos facit ista pati
[33]

C’est un nouveau Protade, [101] avec sa Brunehaut, [102] pour la perte de la France. [34]

J’ai ce matin été appelé en consultation [103][104] dans le monastère de Sainte-Geneviève-du-Mont [105][106] pour un vieux prieur d’auprès de Senlis [107] que j’ai traité malade depuis 20 ans par plusieurs fois. [35] Il est âgé de 82 ans et a peur de la mort merveilleusement. Tous les prêtres et les moines [108] en sont ainsi, ils vivent ici si grassement et y sont si fort à leur aise qu’ils seraient contents de n’en jamais bouger. Au sortir de ce moine, je suis allé voir notre bon ami M. Naudé, [109] auquel j’ai fait vos recommandations (qui étaient dans mon billet pour lui), [36] selon l’ordre que m’en aviez donné en quelqu’une de vos lettres. Il vous en remercie et m’a promis de vous faire un petit paquet qu’il m’enverra dans un couple de jours pour vous faire tenir. Je le mettrai dans le paquet qui est tout prêt d’être fait pour vous être envoyé et qui partira d’ici dès qu’il y aura quelque liberté par les chemins. Vous y trouverez quelques exemplaires du livre de notre bon ami M. Riolan [110] pour nos amis MM. Gras, Falconet et Garnier, aux bonnes grâces desquels vous me recommanderez s’il vous plaît.

Le roi est sorti de Corbeil ce matin, et est allé devers Étampes. On croit que ce n’est que pour se divertir et voir l’armée, pour retourner demain à Corbeil où il a laissé sa mère. On dit qu’ils en sortiront dans trois jours à cause de la nécessité qui y est, et qu’ils s’en iront à Fontainebleau, [111] ou ailleurs où il y aura de quoi vivre. En attendant, conservez-moi dans vos bonnes grâces et croyez que je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. [37]

Ce mardi 28e de mai 1652.

Monsieur,

Depuis ma grande lettre écrite, j’apprends que l’on a remis sus le traité de la paix et qu’il y a deux députés des princes à la cour pour cet effet. Les officiers, et des plus qualifiés, qui sont avec le roi à Corbeil mandent ici que le roi sortira bientôt de là, qu’il n’y a plus de quoi vivre, que tout y est sec. On dit qu’ils ont envie d’aller à Chartres, d’autres, qu’ils reviendront à Saint-Germain. [112] Leur cause est si bonne qu’ils portent malheur partout. Aujourd’hui à cinq heures du matin, le roi est sorti de Corbeil et s’est allé promener vers Étampes, mais il doit y retourner coucher à ce soir ; la reine n’a point sorti de Corbeil. On ne parle point ici du progrès des troupes du duc de Lorraine, nous n’en savons pas la cause, c’est un mystère. Voilà ce que je sais de nos affaires. Ne vous étonnez point si je vous écris plus souvent que vous, je sais bien que vous n’avez guère de choses à me mander ; et moi, tout au contraire, je voudrais bien vous en écrire de bonnes, je ne recommence des lettres qu’à dessein d’y coucher bientôt la paix, et de vous en donner le bon et agréable avis. Je sais bien que gens de bien comme vous aiment la paix et que vous en recevriez de bon cœur ma lettre : speciosi pedes evangelizantium pacem[38] Ne vous ennuyez pas des miennes, j’attends les vôtres sans impatience, sachant bien que la matière vous manque. Je vous baise les mains, et à mademoiselle votre femme, à laquelle je présente aussi les baisemains de ma femme, [113] laquelle s’en va dans trois jours à notre maison des champs [114] donner ordre pour les fruits que la bonté de la saison nous promet : cerises, pois, fèves, [115] abricots [116] et pêches. Le blé et la vigne nous promettent beaucoup, mais le Mazarin gâte tout ; si bien qu’à cause de lui, et Mazarinus erit, nec bonus annus erit[39] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble, etc. Nosti manum et mentem[40]

De Paris, ce mardi 28e de mai 1652, à dix heures du soir.

Si l’armée mazarine assiège Étampes, le troisième jour du siège, le prince de Condé leur a promis de sortir de Paris et d’aller les secourir avec 3 000 hommes qu’il tirera d’ici, dont la moitié seront des cavaliers qu’il a ici alentour de soi. Si cela vient aux mains, bella, horrida bella[41][117]


a.

Ms BnF Baluze no 148, fos 32‑34 « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon. » ; Jestaz nos 69‑70 (tome ii, pages 890‑902). Note de Charles Spon au revers : « 1652/ Paris, 28 mai/ Lyon 3 juin Risp./ Adi 25 dud. » On peut raisonnablement considérer la seconde lettre comme un post‑scriptum de la première.

1.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 77 ro et vo, 14 mai 1652) :

« La nuit du 10 au 11, 2 000 hommes de l’armée de la cour vinrent s’emparer de Saint-Cloud avec deux pièces de canon, d’où ils tirèrent quelques coups sur les troupes de M. le Prince qui gardent le pont, la première arche duquel est rompue du côté du bourg ; dont M. le Prince ayant eu avis, commanda 500 chevaux pour y aller ; et entra au Parlement où, ayant donné part de cette nouvelle et témoigné vouloir prendre l’avis de la Compagnie sur ce qu’il aurait à faire là-dessus, on lui répondit sans délibérer qu’il pourrait y faire tout ce qu’il jugerait à propos ; ensuite de quoi, il s’alla préparer pour partir et grand nombre de volontaires voulurent l’y suivre sous la conduite de M. de Beaufort, et s’y rendirent au nombre de plus de 6 000 hommes de pied et 300 chevaux, outre les 500 de M. le Prince ; lequel, après avoir visité le pont de Neuilly, les alla trouver au bois de Boulogne, proche le château de Madrid, où il leur donna des chefs qui employèrent l’après-dînée à leur faire faire l’exercice, et les posta pour la plupart aux environs de ce château où ils voulurent passer cette nuit-là. Son A. {a} leur fit porter des vivres en abondance et leur dit, après les avoir fort caressés, qu’elle voulait coucher sur l’herbe avec eux ; cependant, ses troupes tiennent toujours le bourg de Saint-Cloud où celles de la cour ne firent autre attaque que de quelques volées de canon qui blessèrent un bourgeois. Sur les dix heures du soir, M. le Prince fit marcher tous ces volontaires vers Neully, feignant d’y vouloir passer la rivière pour aller attaquer les ennemis dans Saint-Cloud ; mais il les fit aller droit à Saint-Denis {b} qu’il attaqua si vertement qu’il le prit par force après une résistance de deux heures que firent les bourgeois et les Suisses ; en sorte que pendant que les premiers se défendaient fort bien, les Suisses se jetèrent dans l’abbaye, en résolution de s’y défendre encore mieux. Il y eut environ 25 de ces bourgeois de Saint-Denis tués et 12 ou 15 de ceux de M. le Prince, lequel ayant attaqué ensuite l’abbaye et menacé de faire pendre les chefs qui s’y étaient jetés s’ils ne se rendaient promptement, ils se rendirent prisonniers de guerre au nombre de 120 Suisses qui furent conduits ici le 12 au matin ; et parce que la ville avait été prise par force, les soldats commencèrent d’abord à piller 8 ou 10 maisons ; mais M. le Prince empêcha qu’on en pillât davantage et dit aux bourgeois qu’ils en seraient quittes pour donner du pain et du vin aux soldats ; après quoi, M. le Prince y ayant laissé les régiments de Conti et de Bourgogne en garnison, s’en vint rendre compte à S.A.R. {c} de ce qui s’y était passé ; mais l’après-dînée du même jour, MM. de Miossens et de Saint-Maigrin s’étant présentés devant Saint-Denis avec les gendarmes et chevau-légers du roi et de la reine, faisant en tout 1 000 chevaux et 500 fantassins, s’emparèrent facilement de la ville par l’intelligence des bourgeois ; mais la garnison se jeta d’abord dans l’abbaye, où elle se défend encore fort bien sous la conduite du sieur La Lande qui est un fort bon capitaine ; et parce que les bourgeois de Paris qui avaient assisté à cette entreprise s’en étaient tous revenus, étant déjà tous fatigués, M. le Prince ni M. de Beaufort n’y purent mener aucun secours capable de reprendre cette ville-là ; d’où cependant, hier au matin une compagnie de Croates étant sortie, et ayant rencontré 40 ou 50 bourgeois de Paris sans ordre et sans aucun chef, suivis de quelques autres qui étaient allés par curiosité, les tua jusqu’à des enfants de huit ans qui avaient suivi ; ce qui irrita si fort tout Paris que quelques autres bourgeois ayant pris sur ce chemin-là un trompette vêtu des couleurs du roi, le maltraitèrent fort et le menèrent à S.A.R. qui, pour le sauver de leurs mains, fut obligée de leur promettre qu’elle le ferait pendre. En même temps il y eut environ trois mille bourgeois qui furent prier M. de Beaufort de les conduire à Saint-Denis pour faire une tentative. Aussitôt, il monta à cheval et les conduisit jusqu’au village de La Chapelle {d} seulement à cause qu’il n’avait point de chef à leur donner, et leur dit qu’il était impossible qu’avec si peu de monde et sans officiers on pût venir à bout de cette entreprise, mais qu’il fallait dresser une embuscade aux Croates qui avaient fait le carnage. Pour cet effet, il les posta derrière les murailles qu’il leur fit percer en divers endroits et s’en alla avec 200 chevaux jusqu’aux portes de Saint-Denis ; où ayant fait le coup de pistolet, il s’en retourna promptement et fut suivi par 300 chevaux, dont il prit quatre chevau-légers de la reine, desquels il apprit l’état de la place ; mais ils ne voulurent point donner dans l’embuscade, ayant passé derrière le village où il y eut une petite escarmouche dans laquelle il y eut sept ou huit de tués de chaque côté ; après quoi, la nuit obligea M. de Beaufort de faire revenir ces bourgeois ; et étant demeuré derrière pour voir la fin de cette escarmouche, le corps de garde qui est hors du faubourg Saint-Denis tira sur ces cavaliers, les croyant ennemis à cause que c’était la nuit, et lui en tua sept ou huit et autant de chevaux. »


  1. Son Altesse, le prince de Condé.

  2. V. note [27], lettre 166.

  3. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  4. V. note [56] du Borboniana 10 manuscrit, notule {f}.

2.

Journal de la Fronde (volume ii, fos 78 ro et 79 ro, mai 1652) :

« Le même jour, 11, les Gens du roi ayant eu audience à Saint-Germain, on leur dit qu’il fallait, devant que leur faire réponse, attendre le comte de Béthune, ou autre que S.A.R. {a} y voudrait envoyer, pour demeurer d’accord de l’éloignement de toutes les troupes à dix lieues de Paris, suivant la résolution qui avait été prise le jour précédent ; et ainsi on les y a retenus depuis parce que S.A.R., n’étant pas d’accord de la manière dont la cour voulait traiter cette affaire, n’y envoya ce comte qu’hier au matin, qui partit d’ici avec le maréchal de l’Hospital, lequel y alla pour le même sujet et pour d’autres. […]

Le maréchal de l’Hospital, le comte de Béthune et le procureur général revinrent de Saint-Germain le soir du 14 et portèrent nouvelles que la cour avait consenti que toutes les troupes, tant d’un parti que d’autre, fussent éloignées de dix lieues de Paris et que le roi demandait une conférence sur les affaires présentes avec deux députés de chaque Chambre du Parlement et deux présidents au mortier. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

Hippolyte de Béthune (Rome 1603-1665), comte de Selles, marquis de Chabris, dit le comte de Béthune, était le fils aîné de Philippe de Béthune (v. note [13], lettre 128). Filleul de Clément viii, il avait été l’ambassadeur du roi auprès du pape pour le remercier d’avoir accordé la dispense nécessaire au mariage (1625) de Henriette-Marie de France, catholique, avec le roi d’Angleterre, Charles ier, protestant. Il avait suivi Louis xiii dans ses plus importantes expéditions et servi avec distinction aux sièges de Montauban (v. note [6], lettre 173), La Rochelle, Corbie, etc. Il était alors gouverneur des villes et châteaux de Romorantin et de Millançay.

Par la suite, il devint conseiller d’État (1657) et fut nommé chevalier des Ordres du roi et chevalier d’honneur de la reine Marie-Thérèse. Il légua à Louis xiv de nombreuses œuvres d’art venues d’Italie et 2 500 volumes manuscrits, dont plus de 1 200 regardent l’histoire de France, rassemblés par ses soins et ceux de son père (Michaud et Jestaz).

3.

« quoi qu’il en soit ».

4.

Y parvenant.

5.

« c’est quelque chose qui peut être compréhensible, […] et qui ne l’est pas encore. »

Quadrature (Furetière) :

« réduction géométrique {a} d’une figure au carré, < soit > une figure carrée qui contient au juste autant de superficie, comme un cercle, un triangle ou une autre figure. Archimède {b} a donné une quadrature du cercle et c’est celui qui en a approché le plus près. Tous les autres auteurs qui ont écrit de la quadrature du cercle ont fait des paralogismes. » {c}


  1. Avec une règle et un compas.

  2. Archimède (v. note [30] du Faux Patiniana II‑2) n’a résolu la question que mécaniquement, par la méthode de la pesée des aires circonscrites sur un support.

  3. Erreurs de raisonnement ; « c’est la quadrature du cercle » se dit toujours d’une chose impossible à trouver.

6.

Thomas Gamare, frère aîné de Jacques (v. note [36], lettre 286), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1624, était mort le 17 avril 1651 (Baron).

7.

Pierre Le Conte, natif de Cambrai, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1616 (Baron). Il était mort le 13 mai.

8.

Nantes (Loire-Atlantique), grand port de la Loire, à 50 kilomètres de son embouchure dans l’Océan, faisait partie du duché de Bretagne, lui-même rattaché à la Couronne de France. Rivale administrative de Rennes, Nantes était le siège d’un présidial, d’une généralité, d’une cour des comptes, d’un évêché suffragant de Tours et de l’Université de Bretagne (arts, théologie, droit, médecine) fondée en 1460.

Démarrer : « terme de marine opposé à amarrer. Lever les ancres, ou couper les amarres pour partir d’un port ou d’une rade. […] Ce mot vient des amarres ou cordes qui tiennent le vaisseau attaché, qu’on ôte quand on veut partir. Ménage le dérive de la particule de et de mare, comme qui dirait partir de l’endroit de la mer où on est ancré » (Furetière).

Voyage de la France équinoxiale en l’île de Cayenne, {a} entrepris par les Français en l’année m. dc. lii. Divisé en trois livres… Par Me Antoine Biet, prêtre, curé de Sainte-Geneviève de Senlis, supérieur des prêtres qui ont passé dans le pays (Paris, François Clouzier, 1664, in‑4o), livre premier, pages 9‑13, chapitre v, Départ de Paris, et la mort de M. l’abbé de L’Isle de Marivault :

« Le jour du départ étant arrivé, qui fut […] le 18e de mai 1652, veille de la Pentecôte, ainsi qu’il avait été arrêté par la Compagnie, M. le général, {b} qui avait assez d’expérience dans les choses de la guerre, craignant que les troubles qui étaient alors très grands dans Paris, n’apportassent de l’obstacle à l’embarquement, et que quelques factieux qui ne demandaient en ce temps-là que de pêcher en eau trouble, et que sous ombre qu’on embarquait du bagage, ils ne prissent occasion de dire que l’on fuyait de Paris, et que l’on portait des rafraîchissements à ceux qu’ils appelaient ennemis, donna ordre à tous les officiers de la Colonie de se trouver sur le bord pour y faire garder l’ordre et empêcher la confusion. Outre cela, il fit venir quelques Suisses de Son Altesse Royale {c} qui s’y étant trouvés, le tout alla le mieux du monde. Chacun portait son bagage dans les bateaux destinés pour aller jusqu’à Rouen, avec une joie qui ne se peut exprimer ; ce qui donnait de l’étonnement à tout le monde qui accourait de toutes parts pour voir cet embarquement. Il arriva pourtant un incident qui y pensa donner quelque retardement : c’est que l’on fit sortir de l’Arsenal un chariot chargé de munitions de guerre, qui étaient nécessaires à la Colonie. Quelques bateliers et semblables gens s’en étant aperçus, croyant rendre un grand service, s’en saisirent, disant qu’on les portait aux mazarins. Ils le conduisirent au palais d’Orléans, {d} faisant grand triomphe de leur prise imaginaire. M. le général en étant averti, s’y transporta aussitôt avec quelques-uns des seigneurs associés, où ils saluèrent Son Altesse Royale. Ils prirent sujet de l’entretenir touchant cette entreprise ; son Altesse en fut grandement satisfaite, elle les encouragea de continuer dans leur généreuse résolution, leur promettant sa protection, et leur fit en même temps rendre le chariot qui fut conduit aux bateaux. […]

Tout le monde étant embarqué, l’on passa le Pont Rouge sur les huit heures du soir, du côté du Pré-aux-Clercs ; {e} l’on mouilla l’ancre au milieu de la rivière, entre la porte de la Conférence et le même pont, où M. le général et ses associés s’embarquèrent les derniers. M. l’abbé de L’Isle de Marivault {f} fit paraître en ce jour, aussi bien que pendant tout le temps qui a été employé pour former cette Compagnie, son zèle et son ardeur. On demeura à l’ancre jusqu’à une heure après minuit ; mais comme ce bon seigneur entre les autres avait un ardent désir de partir, s’imaginant qu’il ne serait jamais assez tôt dans le pays, il dona ordre à quelques officiers d’aller quérir les mariniers pour lever l’ancre.

Ce fut une heure fatale pour lui et pour toute la Colonie, qui mettait une partie de son heureux succès sous sa sage conduite. {g} Ma plume, l’oserais-tu bien écrire ? Je tremble et je frémis quand j’y pense ; non, je ne le puis faire sans fondre en larmes, et que mon cœur ne soit entièrement saisi ; ce brave seigneur avait gagné mon affection, sous la conduite duquel j’avais consacré ma vie à Dieu pour l’aller exposer avec lui dans ces pays si éloignés, et dans le dessein qu’il avait de la conversion de ces pauvres infidèles.

L’ancre étant levée selon son désir, les bateaux commencèrent déjà à prendre leur route, avec un témoignage de joie extraordinaire de tout le monde ; mais nous fûmes arrêtés tout court par un malheur qui ne se peut exprimer, pour lui et pour toute la Compagnie. La garde qui était à la porte de la Conférence {h} se vint ranger sur le bord de l’eau, qui, quoiqu’elle sût bien quel était cet embarquement, et le dessein pour lequel il était entrepris, ne laissa pas de faire arrêter pour satisfaire à leur charge. Quelques officiers de la Colonie se présentèrent par ordre de M. le général pour leur en rendre compte ; mais M. l’abbé ne se contenta pas de cela, voulant faire paraître son soin et sa vigilance pour faire exécuter les mêmes ordres du général, ayant ouï le bruit qu’on faisait, demande ce que c’était ; on lui en dit la raison, il veut lui-même aller parler à eux, et comme sa vue n’était pas des meilleures, voulant passer d’un bateau à l’autre sans s’aider de l’appui de quelqu’un, et comme il y avait un grand espace entre les deux bateaux, le pied lui manqua, et tomba dans cet espace. Il ne fut pas plutôt tombé que les bateaux se rejoignirent ensemble, ôtant tous les moyens de le pouvoir secourir. Quelqu’un des mariniers, plus expert et bon nageur, exposa sa vie en se jetant en l’eau dans ce même espace, pour tâcher de sauver celle d’un si grand personnage, mais ce fut en vain. […]

Voilà le premier préjugé de tous les malheurs et de tous les désastres arrivés à cette infortunée Colonie. Les intentions de tous ceux qui ont passé dans le pays n’ont pas eu sans doute la pureté requise ; aussi Dieu n’a pas permis que ce grand homme, que l’on ne méritait pas, vît et fût témoin oculaire de tant de malheurs qui l’ont traversée ; les péchés sans nombre ayant irrité la justice vengeresse de Dieu, < ce > que toute la Colonie a justement ressenti. » {i}


  1. Cayenne ou Caïenne (Trévoux) :

    « Fleuve de l’Amérique qui prend sa source dans les montagnes de la Guyane, traverse toute la Caribane du midi au septentrion, et se décharge dans la mer du Nord. {i}

    Île qui est à l’embouchure du fleuve dont on vient de parler, et qui pour cela porte le même nom. {ii} La Cayenne a dix-huit lieues à peu près de circuit. »

    1. Aujourd’hui dénommé Mahury, ce fleuve est long de 170 kilomètres et se jette dans l’océan Atlantique en formant un vaste estuaire. V. infra note [10] pour la Guyane (Caribane) au xviie s.

    2. L’île de Cayenne, dans l’estuaire du Mahury, est délimitée par ce fleuve, deux autres rivières (celle du Tour de l’île qui unit celle de Cayenne au Mahury) et l’océan. La ville de Cayenne (alors dénommée Fort-Louis) y est implantée.

  2. La Compagnie avait choisi Étienne Le Roux, chevalier de Royville, gentilhomme de Normandie, pour être son premier général, « espérant tous de sa valeur, prudence et conduite, qu’il a témoignées dans les différents emplois et commandements qu’il a eus, tant sur mer que sur terre dans les armées du roi, qu’il surmontera toutes les difficultés qui se rencontrent d’ordinaire dans les commencements des entreprises de cette nature » (page 3).

  3. Le duc d’Orléans.

  4. Au palais du Luxembourg.

  5. Une centaine de mètres en amont de l’actuel pont Royal ; le Pré-aux-Clercs (v. note [1] des Affaires de l’Université en 1650-1651, dans les Commentaires de la Faculté) longeait la rive gauche de la Seine, entre les actuels ponts du Carrousel et de la Concorde.

  6. Docteur de Sorbonne, prénommé Louis, « M. l’abbé de L’Isle de Marivault, quoiqu’ecclésiastique, et de qui le principal dessein était le salut des âmes des pauvres Indiens, ne laissa pas d’être choisi pour être premier directeur dans le pays. […] Le sieur abbé de L’Isle de Marivault fut prié par la Compagnie de prendre entièrement le soin du spirituel de la Colonie, et pour ce sujet qu’il choisît tel nombre d’ecclésiastiques qui lui serait nécessaire pour ce premier embarquement, dans l’espérance que le séminaire étant établi, on en tirerait de telps en temps des ouvriers évangéliques, qui passeraient pour le soulagement des premiers. Il en associa six avec lui, deux desquels manquèrent de courage après la mort de feu M. l’abbé de L’Isle de Marivault » (page 4).

  7. Alors tout-puissant sur l’évangélisation et les œuvres charitables du royaume, Vincent de Paul ne voyait pas d’un bon œil cette mission qui était concurrente des siennes et où le zèle religieux se mâtinait de cupidité coloniale (Correspondance, tome iv, lettre 1436, pages 295‑296, à Achille Le Vazeux, prêtre de la Mission à Rome, le 21 décembre 1651) :

    « Comme il a plu à Dieu de donner quelque bénédiction à la nôtre, {i} les nouvelles sociétés qui veulent faire ce que nous faisons, sont bien aises d’en prendre aussi le nom ; et ainsi les défauts des autres tomberont sur nous et les nôtres leur seront imputés. Et n’importe de dire que cette compagnie sera appelée la Mission des Indes, parce que la nôtre est aussi pour les Indes, comme pour ailleurs. Les jésuites n’y envoient-ils pas aussi, et encore d’autres communautés religieuses ? Mais on les distingue par leurs noms propres et non par celui de la Mission.

    Je savais donc, comme je vous ai dit, que l’on se remuait ici pour entreprendre cette œuvre, mais je ne savais pas qu’on en fît la poursuite à Rome, et encore moins que l’on eût espérance de la faire ériger en congrégation.

    J’ai appris aussi qu’un certain abbé, qui ne l’est que de nom, en est le directeur, et qu’il élèvera ici les ecclésiastiques de ce séminaire en la cure de Gentilly, qu’il a prise à cet effet, et que M. de Ventadour sera le préfet général de ces missions et comme le patriarche de l’Amérique, qui aura tout pouvoir du pape et sans la permission duquel personne n’y pourra aller faire les fonctions ecclésiastiques. Si cela était, il serait fort à craindre qu’il n’y arrivât désordre, et déjà il y a un sujet de division tout formé.

    L’on fait ici un armement considérable pour ce pays-là. Un docteur de Sorbonne y passe avec quantité de bons prêtres qu’il y mène, résolu de ne dépendre ni peu ni prou de qui que ce soit que du Saint-Siège. Ce dessein est pris longtemps y a, et sera plus tôt exécuté que l’autre, pource que l’argent et les vaisseaux sont quasi prêts.

    Vous pourrez informer de tout cela le secrétaire de la Sacrée Congrégation R<omaine > et lui dire comme de vous-même qu’avant de rien accorder au sujet de cette prétendue érection, il est tout à fait à propos d’écrire ici à Mgr le nonce qu’il s’informe exactement des qualités de cet abbé, qui doit diriger ce séminaire. »

    1. À notre congrégation de missionnaires.

  8. Au niveau de l’actuelle place de la Concorde.

  9. La suite de l’expédition sombra dans le malheur (v. infra, note [10]) et Biet regagna à grand-peine la France en août 1654.

9.

« Il n’y a pas de lieu sur terre où tu puisses échapper à ton destin : quand la mort vient, la Sardaigne se trouve au beau milieu de Tibur » (Martial, v. note [17], lettre 75).

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome ii, pages 226‑227, samedi 18 mai 1652) :

« Ce jour, de relevée {a} jusqu’à six heures, il y eut au-dessous du Pont-Neuf et porte de l’École grande fréquence {b} et bien du bruit et happement {c} de bateliers et officiers s’exhortant à donner ordres et dépêche à l’embarquement de 300 personnes destinées pour le Cap Nord en la terre ferme de la côte orientale de l’Amérique, à deux degrés boréaux de l’équinoxial, {d} dont le chef et capitaine général et vice-roi désigné est N. Le Roux, seigneur de Royville, {e} gentilhomme du pays de Caux, et l’évêque et patriarche désigné de cette mission était l’abbé de Marivault, N. de L’Isle, {f} frère du sieur de Marivault dont le père était lieutenant du roi au gouvernement d’Amiens, et l’un des oncles, le brave Marivault qui fit ce mémorable coup de lance par défi avec M. de Marolles, père de l’abbé de Villeloin, {g} encore plus brave et heureux que lui. L’autre des oncles, et l’aîné de la maison, M. de Marivault, chevalier des Ordres du roi et lieutenant du roi au gouvernement de l’île de France, {h} tué au siège de Laon en 1594, et dont la fille, mariée au sieur de Bournonville-Lameth, fut mère de la dame d’Auteuil-Combault.

Cet abbé, savant en géographie et en astronomie, même en astrologie judiciaire, et portant avec lui ses livres et instruments propres à telles sciences et pour faire belles observations qu’il nous avait promises en Europe, voulant le lendemain, 19 mai, jour de Pentecôte à trois heures du matin, passer en bateau, où il était, en un autre voisin, soit le pied, soit la vue qu’il avait basse, qui lui manqua, tomba en l’eau et ne put jamais être garanti d’être noyé. Autres disent que ce fut le soir même du 18 sur les cinq ou neuf heures, et que ce fut le lendemain 19 qu’il fut pêché. La nouvelle en fut sue à Paris sur les sept à huit heures de ce matin. Cela arriva vis-à-vis de la porte de la Conférence {i} où ceux de la garde arrêtèrent lesdits bateaux pour savoir ce que c’était et l’abbé se présenta pour parler à eux ; aucuns disent qu’il avait des mules de chambre qui lui tournèrent au pied et le firent tomber ; autres qu’il avait un pied sur le bord d’un autre bateau joignant et contigu, mais qui, venant à branler et s’éloigner, le fit choir entre les deux bateaux. »


  1. Midi.

  2. Fréquentation.

  3. Remue-ménage.

  4. Au nord de l’équateur ; zone géographique qui correspond au Cabo Norte, situé sur la rive nord du delta de l’Amazone, dans l’actuelle province brésilienne d’Amapá.

  5. Prénommé Étienne, v. supra notule {a}, note [8].

  6. Prénommé Louis, v. supra notule {e}, note [8].

  7. Michel de Marolles, abbé de Villeloin (v. note [72], lettre 183) était fils du ligueur Claude de Marolles, qui tua en duel Jean de L’Isle-Marivault, attaché au parti royal.

  8. L’île Maurice, devenue colonie hollandaise de 1606 à 1610 (précision fournie par Frédéric Blanchard, v. notule {f}, note [53] de la Leçon sur le laudanum et l’opium).

  9. Actuelle place de la Concorde.

10.

Il ne s’agissait ici que de l’un des épisodes de la tumultueuse histoire de la Guyane au xviie s.

Le premier établissement français y remontait à 1604, mais la colonie périclita. Toutefois, avec cette heureuse ténacité qui caractérise la race normande, des Rouennais revinrent à la charge, et en 1643, formèrent une société nouvelle sous cette dénomination : Compagnie du Cap Nord. Elle obtint, comme la précédente, la concession de tout le pays compris entre l’Orénoque et l’Amazone à la condition expresse qu’elle y ferait des établissements et les peuplerait. La France était alors la seule nation européenne qui eût planté son pavillon sur ces côtes. L’expédition, composée de 300 hommes, était partie de Dieppe le 1er septembre 1643 sur deux navires. Elle était arrivée à sa destination le 25 novembre. Le pays où elle débarqua était encore peuplé de quelques Français, débris malheureux des premiers établissements. Ces exilés avaient presque oublié leur langue natale pour le galibi et avaient pris les habitudes des naturels de la contrée. Les 300 colons s’établirent dans l’île de Cayenne (v. supra note [8]) et fortifièrent le mont Cépéron pour se mettre à l’abri des attaques des indigènes ; mais Poncet de Bretigny qui était leur chef, se conduisit à l’égard de ses compatriotes avec tant de barbarie, ses extravagances furent telles qu’une partie des colons s’enfuit dans les bois et que les indigènes, poussés à bout par sa cruauté, le massacrèrent.

En 1645, un renfort de 40 hommes envoyé par les Rouennais avait également été massacré. Cette société anéantie, une nouvelle compagnie s’était réorganisée tout aussitôt. Elle se composait de 12 associés appelés les douze seigneurs et portait la dénomination de Compagnie de la France équinoxiale. Elle réunit un capital de 8 000 écus, un personnel de 700 ou 800 hommes et, en 1652, elle obtint des lettres patentes révoquant celles qui auraient été précédemment octroyées.

Toute la troupe s’embarqua au Havre le 2 juillet 1652 sous les ordres M. de Royville (v. supra notule {a}, note [8]) ; mais pendant la traversée les associés conspirèrent contre leur chef, le poignardèrent et jetèrent son corps à la mer. Arrivés le 30 septembre à Cayenne, les associés sommèrent de Navare, commandant le fort de Cépéron pour les Rouennais, de le leur remettre. De Navare n’opposa pas de résistance. Aussitôt débarqués, les colons se groupèrent autour du fort dont ils accrurent les défenses et confièrent l’administration de la colonie à trois des principaux associés qui prirent le titre de directeurs pour la Compagnie. La guerre ne tarda pas à éclater avec les Galibis. La famine se déclara et les restes de cette expédition durent se réfugier à Surinam, d’où ils gagnèrent les Antilles. Quelques Hollandais, sous la conduite de Spranger, vinrent à cette époque s’établir à Cayenne, abandonnée par ses possesseurs. En 1663, le maître des requêtes de La Barre, appuyé par le gouvernement français, expulsa les Hollandais et créa une nouvelle Compagnie équinoxiale qui fut incorporée l’année suivante à la Compagnie des Indes Occidentales, nouvellement créée (G.D.U. xixe s.).

11.

« il est malheureux de mourir dans les eaux ; à vrai dire, il est malheureux de mourir, quelle qu’en soit la manière. Il est encore plus malheureux de ne pas mourir et de vivre, particulièrement en France, parmi tous les mouvements et tout le tumulte d’un État agité, quand la Fortune, cette déesse aveugle des mortels, sème si misérablement le désordre dans nos affaires, avec le Destin, la reine, le Mazarin et tous les autres démons. »

12.

Chartres (Trévoux) :

« Quelques auteurs prétendent qu’elle fut bâtie par les Gomérites, ou enfants de Gomer, peu de temps après Noé. D’autres disent que ce furent les Saronides et les druides, {a} qui y jetèrent les fondements d’une ville, qu’ils y érigèrent un autel à la Vierge qui devait enfanter, Virgini Parituræ. D’autres soutiennent seulement qu’un certain Priscus, ayant appris de la doctrine des druides, qu’il y aurait une Vierge qui enfanterait, ce seigneur ou gouverneur lui fit ériger un autel et bâtir un temple. »


  1. V. notule {c}, note [14] des triades du Borboniana manuscrit.

13.

« ils se décideront dans l’arène [au vu des circonstances] » : Gladiator in arena consilium capit [Le gladiateur prend sa décision dans l’arène] est un adage qu’Érasme a commenté (no 547) en citant Sénèque le Jeune (Lettres à Lucilius, épître xxii) :

Quædam non nisi a præsente monstrantur. Non potest Medicus per epistulas, cibi, aut balnei tempus eligere. Vena tangenda est. Vetus proverbium est Gladiatorem in arena capere consilium. Aliquid adversarii vultus, aliquid manus mota, aliquid ipsa inclinatio corporis intuentem monet. Quid fieri soleat, quid oporteat, in universum et mandari datur. Illud autem quando fieri debeat, aut quemadmodum, ex longinquo nemo suadebit, cum rebus ipsis deliberandum est.

[Certains avis ne se donnent qu’en tête à tête. Le médecin ne prescrit pas par lettres l’heure du repas ou du bain : il tâte le pouls du malade. C’est dans l’arène, dit un vieux proverbe, que le gladiateur prend ses décisions, il scrute l’adversaire : sa mimique, un mouvement de sa main, l’inclinaison même de son corps le mettent en garde. En général, ce qu’on doit faire par coutume ou par obligation s’énonce oralement ou par écrit ; mais quand, sur-le-champ, il faut décider d’agir et savoir comment s’y prendre, personne n’attendra un avis venu de loin].

La cour séjourna à Corbeil du 22 mai au 2 juin, puis ensuite à Melun jusqu’au 27 juin. Il n’y eut pas de voyage à Dijon en 1652 (Levantal).

14.

Claude ii Mangot, seigneur de Villeran, fils aîné de Claude i Mangot (v. note [5], lettre 405), avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1618 puis maître des requêtes en 1628 (Popoff, no 1657).

André Le Fèvre, seigneur d’Eaubonne et de Boisbouzon, cousin germain d’Olivier Le Fèvre d’Ormesson, avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1633 (Popoff, no 1183).

Michel Ferrand, sieur de Janvry, de Vaucelle et de Beaufort, reçu conseiller au Parlement de Paris en 1607, en la quatrième Chambre des enquêtes, était monté à la Grand’Chambre en 1636. Fait conseiller d’État en 1642, il mourut doyen du Parlement le 12 avril 1666 (v. note [11], lettre 820, pour une autre annonce anticipée de sa mort par Guy Patin) (Popoff, no 1173).

15.

Claude Seguin avait épousé la sœur de son collègue Jacques ii Cousinot.

16.

Le bel ouvrage de Samuel Bochart « sur les animaux de la Sainte Écriture » ne parut qu’en 1663 sous le titre de Hierozoïcon… (v. note [14], lettre 585) ; v. note [34], lettre 237, pour sa Geographia sacra (ou Phaleg).

Dans ses Mémoires, traduits du latin en français par Charles Nisard (Paris, L. Hachette, 1853), Pierre-Daniel Huet {a} a relaté son voyage à Stockholm avec Samuel Bochart. On y lit ce récit désenchanté de leur premier contact avec la cour savante de la souveraine (livre ii, pages 65‑68) :

« Arrivés à Stockholm, notre premier soin fut de saluer la reine. Son favori était alors Bourdelot, médecin français né en Bourgogne […]. {b} La reine, à la recommandation de Saumaise, {c} aussi Bourguignon, lui avait confié le soin de sa santé délicate et chancelante, et Michon, {b} quoiqu’il ne manquât pas de connaissance en son art, en avait plus encore dans l’art du courtisan, qu’il avait pratiqué longtemps avec la médecine auprès de femmes de qualité. Il était dépourvu d’ailleurs de toute espèce d’érudition. Les excès de l’étude ayant fait tomber la reine dans un état de langueur accompagné d’une fièvre intermittente, Bourdelot commença par lui ôter tous ses livres ; en quoi il montrait bien le souci qu’il avait de sa place et de sa réputation ; il lui déclara ensuite qu’il y allait de sa vie, si elle persistait à étudier. Dans les conversations qu’il avait avec elle, il affectait de lui rappeler le ridicule dont les belles dames de la cour de France frappaient les personnes du sexe qui se piquaient de science ; il l’égayait de plus par des plaisanteries et des bons mots. Par là, il prit peu à peu un tel ascendant sur l’esprit de la jeune reine qu’il la dégoûta presque de ses doctes études. Christine était d’un caractère faible et inconstant. Elle adoptait sans examen les jugements d’autrui, de ceux surtout qui avaient su gagner son estime par la seule apparence du mérite. Pendant que, emportée par sa passion pour les lettres, elle étudiait avec Saumaise ou Vossius, {d} elle acceptait si docilement leurs opinions qu’elle invitait à veni à sa cour tous ceux dont ils lui avaient dit du bien. C’est ce qui eut lieu pour Bochart, le très ancien ami de Vossius. Ayant donc sur l’avis de Bourdelot, secoué le joug de l’étude, et cherché le repos et la distraction, elle commença de se mieux porter, et dit à tout le monde qu’elle devait à son médecin non seulement la santé, mais la vie. Tout cela troubla un peu l’agrément de notre voyage et fut cause que Bochart, appelé d’abord avec autant d’insistance que s’il eût été un homme de l’autre monde, ne fut pas reçu avec les égards qu’il méritait. Nous ne doutions pas qu’il ne fallût en imputer la honte à Bourdelot, auquel il importait, selon lui d’éloigner les savants, de peur que l’ignorance dont il se savait atteint ne devînt plus sensible par la comparaison. Ce fut là probablement le seul motif du renvoi sauvage de Vossius. […]

Nonobstant ce désolant abandon des lettres de la part de la reine, sa bibliothèque ne laissait pas de s’augmenter d’un nombre considérable d’excellents livres qui y affluaient de toutes parts ; car à ceux que Gustave Adolphe {e} avait apportés en Suède, parmi les dépouilles enlevées à l’Allemagne, étaient venus se joindre ceux achetés à la vente de la Bibliothèque mazarine, {f} ainsi que la bibliothèque même de Jean-Gérard Vossius, {d} payée fort cher à son fils Isaac. Il y avait de plus la bibliothèque de Petau, formée tout entière de manuscrits grecs et latins ; celle de Gaulmin, {g} toute composée de livres hébreux, arabes et d’autres langues de ce genre, laquelle fut pourtant renvoyée depuis à Gaulmin, qui en voulait un prix fou. Isaac Vossius y avait apporté aussi plusieurs bons manuscrits qu’il avait recueillis dans divers pays de l’Europe avec le plus grand soin. » {h}


  1. Pierre-Daniel Huet (Caen 1630-Paris 1721) avait appris la philosophie et la théologie auprès des jésuites et de Bochart. Connu pour son érudition philologique et pour sson opposition au cartésianisme, il fut évêque d’Avranches en 1692.

  2. Pierre Michon, dit l’abbé Bourdelot, était arrivé en Suède au début de 1652.

  3. Claude i Saumaise a séjourné à Stockholm de 1650 à 1653.

  4. Isaac Vossius (v. note [19], lettre 220), fils de Geradus Johannes (v. note [3], lettre 53), était bibliothécaire de la reine Christine depuis 1649, mais fut disgracié en 1652.

  5. Gustave ii Adolphe, roi de Suède et père de Christine, mort en 1632 (v. note [23], lettre 209).

  6. Vendue en janvier 1652 par les frondeurs (v. note [22], lettre 279).

  7. Gilbert Gaulmin, mort en 1665, v. note [15], lettre 282.

  8. Samuel Bochart revint en France en juin 1653 avec Gabriel Naudé ; v. note [13], lettre 432, pour un point de vue complémentaire sur son séjour en Suède.

17.

Jacques ier (1566-1625) était le fils unique de la reine Marie Stuart et de lord Darnley (Henry Stuart, v. première notule {a}, note [39] du Naudæana 3). Il cumula les titres de roi d’Écosse (sous le nom de Jacques vi, à partir de 1567), puis de roi d’Angleterre et d’Irlande, devenant en 1603 le premier souverain de la dynastie des Stuarts, en succédant à la reine Élisabeth ire, dernière représentante des Tudor. À court d’argent à partir de 1621, il avait régné sans recourir au parlement, levant des taxes et vendant des titres de noblesse créés pour l’occasion, tel celui de baronet. Son fils Charles ier lui succéda sur le trône d’Angleterre.

18.

« Ô rare félicité de notre temps ! Dieu ne l’a pas fait entrer dans cette arène » ; Tertullien, Ad Martyras [Aux Proclamateurs de la foi] (chapitre iii, § 4) :

Itaque epistates vester Christus Iesus, qui vos Spiritu unxit, et ad hoc scamma produxit, voluit vos ante diem agonis ad duriorem tractationem a liberiore condicione seponere, ut vires corroborarentur in vobis.

[Voilà pourquoi le Christ, votre divin maître, qui vous a fait entrer dans cette arène après vous avoir marqués des onctions de son Esprit Saint, a voulu vous séparer du monde avant le jour du combat et vous soumettre à ces laborieux exercices, afin de fortifier votre courage].

19.

Isaïe (1:18, dans le latin de la Vulgate) :

Si fuerint peccata vestra ut coccinum quasi nix dealbabuntur et si fuerint rubra quasi vermiculus velut lana erunt.

[Quand vos péchés seraient comme l’écarlate, comme neige ils blanchiront ; et quand ils seraient rouges comme la pourpre, comme laine ils deviendront].

20.

« Quand vos péchés seraient aussi rouges que les péchés des cardinaux, comme neige etc. »

Wolfgang Müssli (Musculus en latin, Dieuze, Lorraine 1497-Berne 1563), d’abord prêtre et novice chez les bénédictins, devint un des plus zélés partisans de la doctrine de Luther. Le « moine luthérien » mena dès lors une vie pleine d’aventures, toujours au service de sa foi, qui finit par le mener à Berne où il enseigna la théologie de 1549 à sa mort. Il a laissé de nombreux commentaires sur les Saintes Écritures.

21.

« Le chef qui mène la troupe » ; Horace (Epîtres, livre i, lettre 19, vers 23) :

Qui sibi fidet, dux regit examen.

[Qui se fie à lui-même devient le chef qui mène la troupe].

22.

« la même année que mourut Henri ii [v. note [26], lettre 86]. »

Jacques-Nompar de Caumont, marquis puis duc de La Force (30 décembre 1558-Bergerac 10 mai 1652) avait, contrairement au reste de sa famille, échappé au massacre de la Saint-Barthélemy (1572, v. note [30], lettre 211) pour mener une brillante carrière militaire qui lui valut d’être nommé maréchal de France en 1622, puis duc et pair en 1637 (v. note [45], lettre 226, pour sa descendance).

Ses mémoires ont été publiés avec ceux de deux de ses fils : Mémoires authentiques de Jacques-Nompar de Caumont, duc de La Force, maréchal de France, et de ses deux fils, les marquis de Montpouillan et de Castelnau (Paris, 1843, 4 volumes in‑8o).

23.

Érasion est un latinisme dérivé du verbe eradere (participe passé erasus), retrancher. V. notes [38], lettre 286, pour le Mercurio de Vittorio Siri, et [26], lettre 277, pour le traité manuscrit de Caspar Hofmann « des Esprits et de la chaleur innée » contenant des méchancetés contre Jean Fernel.

24.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome ii, page 230, 24 mai 1652) :

« Assez de gens tiennent que M. le Prince veut l’accommodement et la demeure du cardinal Mazarin, à laquelle M. d’Orléans et les parlementaires ne consentent point, et Mme d’Orléans l’empêche tant qu’elle peut. Elle est de correspondance avec le cardinal de Retz, et puis elle est sœur du duc Charles. » {a}


  1. Charles iv de Lorraine ; sans allusion à une intervention du garde des sceaux, Mathieu i Molé, en défaveur de la paix

25.

Adaptation française de l’interea patitur iustus et innocens, plainte bien aimée de Guy Patin (v. note [44], lettre 176).

26.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 84 ro, 28 mai 1652) :

« L’avant-garde de l’armée du duc de Lorraine ne s’est point avancée à Nanteuil {a} comme il a été dit. Ce n’était qu’un parti {b} de sa cavalerie qui est venu courir jusque-là. Il est encore à Cormuzy, {c} deux lieues au delà de Fismes, {d} d’où il a envoyé mille chevaux à Coucy {e} qui en ont fait lever le siège après avoir bien battu les troupes du maréchal d’Estrées et du sieur de Manicamp {f} qui l’assiégeaient, desquels ils ont tué 60 hommes et leur ont pris deux pièces de canon qu’elles avaient. S.A.R. {g} fit partir d’ici le 24 un de ses gentilshommes nommé Saint-Sernain avec deux gardes pour aller faire cuire du pain de munition à Dammartin pour l’armée de ce duc ; et néanmoins, Messieurs les princes n’ayant point encore de nouvelles qu’il ait accepté le traité qui lui a été envoyé par le sieur Le Grand pour la cession que lui fait M. le Prince de la place de Clermont, S.A.R. lui renvoya hier au matin M. de Langeron pour le presser de l’accepter ou de le refuser ; et les avis qui vinrent hier de la cour portent que le sieur Rolin, son secrétaire, y a fait son traité, par lequel, suivant les premières propositions, la cour lui remet présentement entre les mains les places de Vic, Moyenvic, et Nancy, et dépôt entre les mains des Suisses jusqu’à la paix avec les Espagnols, sans l’obliger à se désunir d’avec ceux-ci, ni à autre chose qu’à n’assister point Messieurs les princes directement ou indirectement ; mais le bruit de son traité a couru si souvent qu’on n’ajoute plus de foi à celui-ci qu’aux précédents. »


  1. Nanteuil-le-Haudouin, Oise.

  2. Détachement.

  3. Chaumuzy, dans la Montagne de Reims ?

  4. V. note [14], lettre 539.

  5. Aujourd’hui Coucy-le-Château-Auffrique (Aisne).

  6. Gouverneur de Coucy.

  7. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

27.

« qu’elle a été élevée dans l’espérance de nombreux royaumes. »

Une fois de plus (v. note [12], lettre 286), la nouvelle de la mort de Philippe iv, roi d’Espagne, était fausse. Devenu veuf à la mort d’Élisabeth de France le 6 octobre 1644, il s’était remarié en 1649 avec Marie-Anne d’Autriche (1634-1696), fille de l’empereur Ferdinand iii. Elle ne lui avait alors donné qu’une fille, Marguerite-Marie née en 1651, qui épousa en 1666 l’empereur Léopold ier.

La « riche héritière » dont parlait ici Guy Patin était l’infante Marie-Thérèse (Maria Teresa) d’Autriche (Madrid 1638-Versailles 1683), seule survivante des sept enfants nés du premier mariage de Philippe iv. Elle était nièce d’Anne d’Autriche par son père et de Louis xiii par sa mère, et donc doublement cousine germaine de Louis xiv, qu’elle allait épouser en 1660. Âgée de 13 ans en 1652, Marie-Thérèse était héritière du trône d’Espagne, ce qui faisait d’elle un parti fort convoité. Patin a relaté les méandres diplomatiques du mariage de Marie-Thérèse avec Louis xiv (comédie de Lyon), avec une dot de 500 000 écus d’or en échange d’un engagement à renoncer à la succession d’Espagne. La somme ne fut jamais entièrement versée car la naissance de Carlos (futur Charles ii) en 1661 écarta temporairement toute prétention de la France à la couronne de Madrid. Marie-Thérèse eut six enfants de Louis xiv, dont cinq moururent avant elle ; l’aîné seul, Louis de France (1661-1711), le grand dauphin, lui survécut.

28.

« Nicomaque de Smyrne, dans Galien » ; De morborum Differentiis liber [Livre sur les Différences des maladies] (Kühn, volume 6, page 869, traduit du grec) :

Nichomacho Smyrnæo adeo totum corpus supra modum incrementum cepit, utne deinceps movere se ipsum posset ; sed ipsum sanitati restituit Æsculapius.

[Un embonpoint extrême de tout le corps s’est à ce point saisi de Nicomaque de Smyrne qu’il ne peut désormais plus se mouvoir de lui-même ; mais Esculape {a} lui a rendu la santé].


  1. V. note [5], lettre 551.

La nouvelle du décès de Théodore Turquet de Mayerne était aussi fausse que celle de Philippe iv d’Espagne : il mourut à Chelsea le 15 mars 1655. Guy Patin a corrigé son erreur dans la lettre à Charles Spon du 21 novembre 1652 (v. note [27], lettre 297).

29.

« qui n’ont pas leur égal pour tuer les hommes avec antimoine et autres poisons chimiques. »

Des trois cités ici par Guy Patin, Antoine Vallot, déjà premier médecin d’Anne d’Autriche, fut celui qui devint premier médecin du roi à la mort de François Vautier, le 4 juillet 1652.

30.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 84 vo, 28 mai 1652) :

« L’armée de la cour, {a} dont l’avant-garde avait commencé de marcher dès le 24, décampa tout à fait de Palaiseau et des environs, et marcha vers Étampes au nombre de dix mille hommes seulement, avec 14 pièces de canon, dont il y en a quatre de 24 livres de balle, et le reste de 12, 8, et 6, avec deux mortiers, 106 bombes, et 600 boulets, tous les chevaux de bagage de la cour ayant été employés à traîner cet attirail jusqu’à Étréchy où cette armée arriva hier au soir, et n’est plus qu’à une lieue d’Étampes qu’elle doit attaquer aujourd’hui. Il y a dedans 7 000 hommes effectifs, bien retranchés, bien munis de toutes sortes de provision, hormis de fourrage pour leurs chevaux, n’en ayant pu amasser que pour 15 jours au plus. Ils sont si préparés à se défendre qu’ils ne peuvent croire qu’on ose les attaquer. Ils envoyèrent hier au matin un parti de cavalerie vers Étréchy, {b} qui enleva les gendarmes et chevau-légers du roi après une rude escarmouche où il y en eut plusieurs tués de part et d’autre. Le cardinal Mazarin avait résolu avant-hier d’y aller en personne, sans la cour ; mais depuis, il a fait résoudre Leurs Majestés d’y aller aussi, et pour cet effet elles ont envoyé préparer Le Mesnil {c} qui appartient à M. Coulon, {d} conseiller au Parlement, à une petite lieue d’Étampes, où elles vont aujourd’hui. »


  1. Commandée par Turenne.

  2. Dans le département de l’Essonne, à 8 kilomètres au nord d’Étampes.

  3. Le château du Mesnil à Bouray-sur-Juine (Essonne).

  4. V. note [39], lettre 294.

31.

Révoqué : rappelé.

32.

« pour ses propres commodités ».

33.

« Hélas nous mourons, enchaînés, nus, pillés, dépouillés ; c’est à la verge du légat que nous devons de souffir cela. »

Ces deux vers irrévérencieux coururent lors d’une révolte des étudiants parisiens en 1229, que la régente Blanche de Castille (veuve du roi de France Louis viii), assistée du cardinal de Saint-Ange (Romano Frangipani, légat du pape Honoré iii), mata très durement : Heu morimur strati, vincti, mersi, spoliati [Hélas nous mourons, abattus, enchaînés, noyés, dépouillés] est la tournure originelle du premier vers.

34.

Épouse de Sigebert ier, roi mérovingien d’Austrasie, Brunehaut (Brunhild, 534-613) devint régente en 575 après l’assassinat de son mari, suscitant la révolte des nobles austrasiens.

En 603, la reine nomma maire du Palais son favori Protade, assassiné en 605. Brunehaut fut exécutée sur l’ordre de Clotaire ii (roi de Neustrie, fils de son ennemie Frédégonde), attachée à la queue d’un cheval lancé au galop.

Guy Patin devait être inspiré par la mazarinade (attribuée à Claude Dubosc de Montandré, 1651 ou 1652) intitulée :

Apocalypse de l’État faisant voir le parallèle, 1. de l’attachement que la reine a pour le Mazarin avec l’attachement que Brunehaut avait pour Protade, et Catherine de Médicis pour un certain Gondi ; {a} 2. que l’attachement de la reine pour le Mazarin est criminel d’État ; 3. que ce même attachement donne fondement à toute sorte de soupçon ; 4. que par cet attachement la reine fait voir qu’elle aime Mazarin plus que son fils ; 5. que par cet attachement la reine dispose toutes choses à un changement d’État ou à l’établissement d’une tyrannie qui sera sans exemple.


  1. Albert de Gondi (v. note [4], lettre 196) fut un conseiller influent de Catherine de Médicis dans les années 1570.

35.

Détruite à la Révolution, l’abbaye de Sainte-Geneviève-du-Mont, ou Sainte-Geneviève tout court, se situait à Paris (ve arrondissement) sur la montagne du même nom. Elle occupait les emplacements actuels du Panthéon et du lycée Henri iv. Fondée en 502 par Clovis en l’honneur de sainte Geneviève, patronne de Paris, ses occupants n’étaient plus des moines à proprement parler, mais les chanoines réguliers de Saint-Augustin, ou génovéfains (v. note [42], lettre 324). L’abbaye possédait une riche bibliothèque et il s’y tenait une juridiction prévôtale.

36.

Il faut croire que Gabriel Naudé, très lié à Mazarin, ne devait alors pas recevoir quiconque frappait à sa porte ; le visiteur devait s’annoncer à l’aide d’un billet pour montrer patte blanche.

37.

La lettre n’est pas signée. La cour séjourna au Mesnil du 28 au 31 mai pour gagner Corbeil, puis Melun le 2 juin, sans aller à Fontainebleau cette année-là (Levantal).

38.

« les bons pieds de ceux qui annoncent la paix » (Isaïe 52:7).

39.

« tant que Mazarin sera, il n’y aura pas d’année bonne. »

40.

« Vous connaissez la main [l’écriture] et l’esprit » (v. note [54], lettre 286).

41.

« alors ce seront des guerres, d’horribles guerres » (Virgile, v. note [13], lettre 188).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 28 mai 1652

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(Consulté le 17/04/2024)

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