L. 291.  >
À Charles Spon,
le 5 juillet 1652

Monsieur, [a][1]

Je vous écrivis ma dernière du 18e de juin, laquelle je délivrai à M. Caze [2] qui me promit de la vous faire rendre en main propre ; elle était de deux pages et demie, je crois que l’avez reçue. Depuis ce temps-là, je vous dirai que la reine, [3] qui est encore à Melun, [4] a pris grande réjouissance de l’accord qu’elle a fait avec le duc de Lorraine, [5] qui lui a réussi, et qu’elle a renvoyé au même lieu d’où il était venu, unde malum pedem attulerat[1][6] avec de bons passeports du roi. [7] On dit qu’elle en est si fort aise qu’elle en a dansé de réjouissance et qu’elle a appelé ou fait venir de Paris à la cour des maîtres à danser tout exprès, afin de répéter avec eux ses vieilles leçons. Elle a raison de tirer de deçà les violons et danseurs vu qu’ils n’ont plus que faire ici, s’ils n’y veulent mourir de faim. Il y a déjà dans Paris 80 000 pauvres, [8] sans ceux qui s’y feront ou y viendront des provinces voisines qui sont ruinées, Dieu merci, ladite dame et le Mazarin. [9] Elle a trois hommes près de soi pires que le diable, savoir le vieux Senneterre, [10] le duc de Bouillon [11] et notre premier président[12] qui lui apprennent encore plus de mal que n’a jamais fait ce fourbe italien. Enfin, si vous voulez que je vous le dise en peu de mots, la bonne dame superat et crescit malis, iraque nostra fruitur[2] comme il est quelque part dans Sénèque, [13] in Hercule furente. Les princes, après avoir été trompés par le duc de Lorraine, se trouvent bien étonnés et ne sais point à quel saint ils se voueront ; vu que je pense qu’en ce cas, les saints et Dieu même sont neutres, ne se mêlant pas plus de favoriser un parti que l’autre, qui ne valent rien tous deux et au moins, où les chefs sont si horriblement méchants et dépravés. On dit qu’ils attendent encore 3 500 hommes d’un autre secours, ex quo adiuncto [3] ils seraient plus forts que les mazarins. Fiat, fiat[4] mais peut-être que cela n’arrivera point. Le vendredi 21e de juin, le Parlement étant assemblé, il y eut grand bruit au Palais ; quelques conseillers pensèrent y être assommés, entre autres le jeune de Barillon, [5][14] accusé d’être du parti du coadjuteur, [15] le président de Thoré, [16] comme fils de M. d’Émery ; [17] et même M. le président de Bailleul, [18] qui fait la fonction de premier président, pensa être étouffé par d’autres coquins et l’eût été infailliblement si M. le duc de Beaufort [19] ne fût venu à son secours. [6] Cela est cause que le lendemain, samedi, Messieurs de la Cour n’ont point voulu s’assembler de peur de sédition. Plusieurs conseillers y vinrent bien, mais le nombre n’étant point suffisant, ils ne s’assemblèrent point. La plupart des autres n’y étaient point venus sur l’avis qu’ils reçurent de n’y point aller, de la part des présidents au mortier qui s’y étaient exprès assemblés pour cela, sur la peur qu’ils avaient d’y être assommés le lendemain comme des mazarins s’ils y fussent retournés. [7] Ce même jour, on fit courir le bruit que la paix était faite, ce fut une invention des mazarins pour attiédir l’esprit des peuples qui étaient fort échauffés et qui semblaient tendre à sédition.

Le nombre des pauvres est ici si grand que l’on croit qu’il passe 80 000. Le Parlement, la Chambre des comptes, la Cour des aides[20] les curés et autres bénéficiers, les dames des paroisses, les six corps des marchands, [21] l’Hôtel de Ville et autres communautés ont été assemblés pour y pourvoir. Cela a fait trouver grande somme d’argent pour les sustenter et leur aider à vivre. Il y en a près de la moitié qui s’en retourneraient dès demain en leurs maisons, d’où la guerre les a chassés, si la paix se faisait ; sed nobis non licet esse tam beatis[8][22] nos princes vont trop lentement en besogne, et la reine trop passionnée et trop enragée pour son rouge pendard. Le maréchal de Turenne [23] a changé de poste et a fait passer son armée à Lagny [24] en Brie, ce qui fait croire qu’ils s’en vont devers Meaux. [9][25] Leur changement ne fait bien à personne, ils ne quittent un pays que lorsqu’il est tout ruiné et ne vont en un autre que dans le dessein d’en faire de même. On croit pourtant que le roi sortira bientôt de Melun où ils sont fort incommodés, avec une cherté effroyable de toutes les denrées (la livre de beurre [26] y valant un écu), et qu’ils s’en iront à Compiègne [27] en continuant de tout ruiner partout, comme ils ont fait jusqu’à présent depuis le temps qu’ils sont sortis de Paris. [10]

Le mardi matin 25e de juin, toutes les compagnies ont été en armes par ordre du prévôt des marchands[28] les chaînes tendues et le Palais gardé de tous côtés, tandis que les pères conscrits [11] délibéraient en la Grand’Chambre où ils ont ordonné que les mêmes députés retourneront vers le roi lui dire de la part de la Cour et des princes que, pourvu que le Mazarin soit envoyé hors du royaume, lesdits princes sont prêts de mettre bas les armes, d’exécuter très fidèlement et de point en point tous les articles qui sont dans la dernière réponse du roi ; bref, de signer tout ce qui plaira à Sa Majesté à la charge que lesdits députés partiront au plus tôt pour aller à Melun où est encore le roi. [12] Tandis que tout Paris était ainsi en armes, il y eut diverses querelles en plusieurs endroits de Paris où quelques-uns furent tués, les autres blessés ; [13] et cela ne se peut guère faire autrement tandis que les fous ont les armes en main. En ce cas-là, il faut que les sages soient cachés, si omnes fatui ad arma properabunt, vix habebit sapientia defensores[14][29]

Je vous prie de dire à M. Ravaud [30] que je me recommande à ses bonnes grâces, que j’ai reçu sa dernière du 18e de juin et que j’exécuterai très volontiers tout ce qu’il y désire de moi. J’attendrai pareillement que le Lexicon etymologicum Martinii soit achevé d’imprimer à Francfort pour la seconde fois [31] comme il me l’a mandé. [15]

Mais à propos de libraires, M. Rigaud [32] ne commencera-t-il pas bientôt l’édition du manuscrit de feu notre bon ami M. Hofmann ? [33] Avez-vous pris la peine de retrancher les injures que ce bonhomme avait mises contre Fernel, [34] dans son livre de Calido innato ? Puisque vous en avez le manuscrit entre vos mains, je vous prie de ne le point oublier et de m’envoyer une copie de l’article ou période de ces injures, [16] je pense que cela n’est pas si long ; au moins le bonhomme sanglait bien ses ennemis en peu de mots quand il était en sa mauvaise humeur. Faites-moi la faveur d’en dire un mot à M. Rigaud de ma part, et que je lui baise les mains. Quand le livre sera sur la presse, je serai bien aise pareillement d’en avoir la première feuille bien correcte afin de la montrer céans à tant de monde qui me rend visite, pour leur faire connaître cet ouvrage qui vient d’un maître ouvrier. Votre nouvelle édition de Sennertus [35] avance-t-elle, [17] dans quel temps espérez-vous qu’elle pourra être achevée ? Je vous prie aussi de demander à M. Rigaud s’il n’a point eu de nouvelles de l’Anatomie de M. Riolan, [36] in‑fo[18] que je lui commis l’an passé et qu’il me promit de faire tenir en assurance à M. Alcide Musnier, [37] médecin de Gênes [38] qui est fort votre serviteur comme il est mon ami. Ledit Musnier en est fort en peine, vu qu’il y a tantôt un an que ledit livre est sorti de Paris. Il est vrai que nous ne recevons rien de deçà, de Lyon ni d’ailleurs, à cause du commerce que la guerre empêche de toutes parts. J’attends tous les jours ce qu’avez délivré à MM. Ravaud et Rigaud, qui me doit être rendu par M. Jost ; [39] mais néanmoins, plût à Dieu que la guerre ne produisît point plus grand malheur que celui-là, il n’y aurait point tant de pauvres gens ruinés en France pour ce malheureux Mazarin. Les libraires n’impriment plus rien ici, tant pour la misère du temps que pour ce qu’ils manquent de papier, dont il y en a eu beaucoup de brûlé et de perdu devers Montargis [40] et Gien [41] tandis que les deux armées y étaient devers Pâques. [19] Je sais plusieurs livres qui sont sur la presse, qui ne peuvent être achevés pour cet empêchement.

Ce 28e de juin. Enfin le roi a quitté Melun et est allé à Lagny. [20] Son armée, conduite par le maréchal de Turenne, est devers Dammartin, [42] Senlis [43] et Roissy jusqu’à Gonesse. [44] On dit que le roi viendra à Saint-Denis, [45] où après y avoir séjourné quelques jours (c’est-à-dire fait manger tout le pays comme ils ont fait jusqu’ici partout ailleurs où ils ont été), ils s’en iront à Pontoise ; [46] et je crois que delà ils s’en iront rendre, circulo facto[21] à Saint-Germain. [47] On dit qu’ils veulent aller attaquer les troupes des princes qui sont à Poissy, [48] mais ils ne les y attendront point puisqu’ils sont les plus faibles. [22] Sans doute que les troupes des princes reculeront pour éviter ce fâcheux rencontre, ou devers Étampes, [49] ou devers Chartres, [50] ou dans le Perche ; voire même plutôt, elles se dissiperont entièrement, principalement s’il est vrai ce que l’on dit, que la paix soit faite, ou au moins qu’elle ne tienne plus qu’à un filet ; savoir que M. le Prince [51] voyant ses forces trop petites, a fait sa paix, qu’il a signée et que depuis, tous les présidents au mortier ont signée pareillement. Il n’y a que le duc d’Orléans [52] qui ne la veut point signer à cause que le Mazarin demeure ; et dit qu’il demeurera plutôt en sa maison toute l’année que d’en sortir pour aller à la cour, afin de ne point voir ce cardinal rappelé. [23]

Ce 1erde juillet. Enfin, voilà que je reçois votre lettre du 25e de juin par laquelle j’apprends qu’avez reçu toutes les miennes et que vous êtes en bonne santé, dont Dieu soit loué. Je suis bien marri de l’infortune du pauvre Barbier, [53] hæc est civilium bellorum calamitas[24] beaucoup de gens s’y trouvent malheureusement enveloppés. Les imprimeurs, [54] qui en peu d’heures en font et distribuent plusieurs exemplaires, sont plus à craindre que tous ; néanmoins, je tâcherai d’observer à l’avenir, touchant cette affaire, ce qu’en désirerez de moi.

J’apprends que M. Naudé [55] a été derechef appelé en Suède par cette grande reine, [56] qu’elle lui a écrit elle-même, qu’elle l’a invité d’y aller par toute sorte de belles offres, qu’elle le fait son suprême bibliothécaire avec de bons appointements, et qu’il est résolu d’y aller avec tant de belles et bonnes conditions que cette reine lui présente. [25] Il est venu céans depuis deux jours pour me voir, mais de malheur, j’étais en ville ; il m’en eût sans doute révélé le secret car je suis un de ses plus intimes. M. de Saumaise [57] est pareillement tout prêt de s’en retourner en Suède, y retourner voir derechef cette savante reine qui l’a de nouveau invité à ce grand voyage. [26] Elle a aussi disgracié M. Vossius, [58] qui avait eu par ci-devant grand crédit envers elle, sur quelque plainte que M. de Saumaise a faite contre lui à cause de quelques paroles que ledit Vossius avait lâchées adversus Salmasium[27] Pour moi, je ne bougerai, Dieu aidant, de Paris. Je ne me saurais résoudre à un si grand, si pénible et si dangereux voyage ; [59] j’aime mieux gagner moins et avoir moins de peine. Je n’ai souhaité de l’argent, depuis que je suis né, qu’à mesure que j’en ai eu besoin ; pour de l’ambition, c’est une herbe qui n’a point encore pris aucun fil de racine en mon jardin. L’air froid de cette région septentrionale n’a garde de m’attraper. Tant s’en faut qu’il puisse m’attirer à soi, il me fait peur et me fait reculer. Je me résoudrais plutôt à une région chaude, combien qu’il y ait grande apparence que tous mes voyages sont faits ; au moins n’en ai-je aucune envie ni veine qui y tende. Je me contenterai de ma petite fortune et de vos bonnes grâces s’il vous plaît de me les conserver, et comme disait le Crémonin [60] à Padoue, [61] sic contentus vivam usque ad extremam dissolutionem[28][62]

Le lundi 1er de juillet, le roi étant dans Saint-Denis, entouré son armée, fit faire un pont de bateaux sur la Seine pour y faire passer une partie de ses gens, qui iraient attaquer ceux des princes qui étaient logés devers Saint-Cloud [63] et Suresnes ; [64] mais ceux-ci décampèrent et n’attendirent point les mazarins, se retirèrent dans le faubourg de Saint-Germain [65] et de grand matin, passant par escouades au travers de Paris par divers endroits, gagnèrent la porte de Saint-Antoine [66] et prirent le chemin de Charenton, [67] traînant quant et eux du canon. Les mazarins ayant découvert le dessein de leurs ennemis, vinrent aussitôt pour s’y opposer et se campèrent à Belleville, [68] à Charonne, [69] jusqu’à Charenton. [29] De sorte que ces troupes ennemies s’étant rencontrées, l’escarmouche fut rude jusque dans le faubourg de Saint-Antoine. [30][70] Il y eut du côté des princes plus de 200 hommes de tués, et plus de 800 des mazarins. [31] Le roi même vint en personne jusqu’à Charonne et la plus grande tuerie fut sur le régiment des gardes. [32] On dit aussi que le comte de Palluau, [71] les marquis de Nantouillet [72] et de Saint-Mesgrin [73] y ont été tués ; le jeune de La Meilleraye [74][75][76] et Mancini, [77] neveu du Mazarin, blessés. [33] M. le Prince y a eu deux chevaux de tués entre ses jambes, M. de Nemours [78] blessé en trois endroits, le duc de La Rochefoucauld [79] et Clinchant [80] tous deux fort blessés. [34] Dès le matin, le duc d’Orléans voulut aller au Parlement, mais comme il fut prêt d’y entrer, les présidents au mortier se levèrent et rien n’y fut fait. Il envoya Mademoiselle, sa fille, [81] à l’Hôtel de Ville où, tant par prières que par menaces qu’elle fit au prévôt des marchands et au maréchal de L’Hospital, [82] gouverneur de Paris, elle obtint que toutes ces troupes qui étaient entre Paris et Charenton auraient pouvoir de rentrer dans Paris selon leur besoin ; [35] ce qui fut exécuté, vu qu’il en revint plus de 5 000 sur les cinq et six heures du soir ; et entre autres je vis revenir le prince même, fort bien accompagné. [36]

Le jeudi 4e de juillet est ici mort dans son lit, d’une fièvre continue [83] maligne, le sieur Vautier [84] qui était le premier médecin du roi, et le dernier du royaume ; et afin que sachiez qu’il n’est pas mort sans raison, il a pris de l’antimoine [85] par trois fois afin de mourir dans sa méthode, par le consentement et le conseil de Guénault. [86] Si cet homme fût mort il y a sept ans, il aurait épargné la vie à plusieurs honnêtes gens qui sont morts par son antimoine. Enfin il est mort lui-même, âgé d’environ 63 ans, et a accompli en sa personne le dire du poète : Neque enim lex iustior ulla est, Quam necis artifices arte perire sua[37][87] Comme il était réputé fort ignorant de tout le monde, et même à la cour, il voulait avoir la réputation d’avoir des secrets de chimie [88] et d’exceller dans la préparation de l’antimoine. Quelques courtisans lui applaudissaient ou en faisaient semblant, l’autorité de sa charge l’entretenait en ce crédit. Il disait entre autres que les médecins de Paris avaient raison de dire que l’antimoine [89] était un poison, mais qu’après sa préparation, il ne l’était plus ; mais néanmoins, cette bonne préparation lui a manqué. Voilà une place vacante pour laquelle le cardinal Mazarin cherche 3 000 pistoles. Voilà un de mes compagnons qui dit qu’on l’a offerte à Guénault à ce prix-là, qui l’a refusée, et qu’il croit que Vallot [90] les donnera ; ainsi tout est à vendre, jusqu’à la santé du roi : Romæ venalia cuncta, Templa, Sacerdotes, etc. [38][91][92]

Hier après-midi, il y eut une grande assemblée à l’Hôtel de Ville de quantité d’honnêtes gens en qualité de bourgeois[39] Comme ils étaient pris ex omni tribu[40] douze de chaque quartier, sans les ecclésiastiques qui ont fonds, les curés de Paris, les compagnies souveraines [93] et six corps de marchands, [94] cela faisait près de 500 députés. J’y avais été nommé, mais à cause de diverses occupations que j’ai, de très grand bonheur, je m’en excusai chez le quartenier ; [95] mais de très grand malheur, des coquins armés et supportés de la canaille assiégèrent l’Hôtel de Ville en divers endroits, mirent le feu à toutes ses portes, demandèrent qu’on leur livrât le maréchal de L’Hospital, gouverneur de Paris, et le prévôt des marchands. On leur fit des remontrances, on leur promit et argent comptant, et union avec les princes contre le Mazarin. Ils ne laissèrent point de tirer aux fenêtres et en blessèrent. Par le moyen du feu, ils entrèrent dedans, pillèrent, battirent, tuèrent, blessèrent ; [41] de sorte que plusieurs en sont au lit, sans ceux qui sont morts, entre lesquels est mon cher ami, bon voisin et cousin de ma femme, M. Miron, [96] le maître des comptes, âgé de 47 ans, lequel méritait pour sa vertu une immortalité. J’en suis inconsolable, je n’ai jamais connu un plus honnête homme et plus parfait en sa sorte. Il est mort cette nuit entre mes bras, accablé de ses plaies et de ses coups. Jamais homme ne fut si fort antimazarin, mais dans ces tumultes, les bons pâtissent pour les mauvais. M. Ferrand le jeune, [97] conseiller de la Cour, M. Yon, qui a été échevin, [98] frère de nos deux confrères, [99][100] qui moururent l’an passé, un autre, marchand de fer, nommé Fressant [101] sont morts aussi ; [42] sans ceux qui sont fort blessés et que l’on dit qui en mourront, comme M. Le Gras, [102] maître des requêtes, et autres. [43] Le prince de Condé, le duc de Beaufort, Mademoiselle et autres y vinrent et amenèrent des forces qui éloignèrent cette canaille armée, mais il était trop tard pour nous ; assez tôt pour beaucoup d’autres qui se sont heureusement sauvés. Tous ces coquins de bateliers et autres sont dissipés, on parle d’en faire recherche et justice. Interea patitur iustus[44] je tremble de regret en vous écrivant et n’en puis plus. Plura scribere me vetat dolor et triste amicissimi viri infortunium[45] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 5e de juillet, à six heures du soir, 1652.

Le roi est à Saint-Denis avec l’armée de 10 000 hommes commandée par le maréchal de Turenne. On dit qu’une partie de cette armée s’en va devers notre pays de Beauvais, [103] où ils ruineront tout, pour aller au-devant des troupes que les princes font venir de Flandres, [104] que l’Archiduc [105] leur envoie. Voilà tout perdu, unius ob noxam et furias[46][106] Adieu, mon cher ami.

M. Caze m’a promis de vous faire rendre celle-ci sûrement.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fos 40‑41, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Jestaz no 74 (tome ii, pages 926‑937). Note de Charles Spon au revers : « 1652, Paris 5 juill./ Lyon, 10 dud./ Risp. 9 août ».

Du Four (édition princeps, 1683), no xli (pages 139‑141) et Bulderen, no lxx (i, pages 199‑201) ont beaucoup abrégé celle-ci.

1.

« là d’où il était malencontreusement venu » (v. note [104], lettre 166).

2.

« triomphe et grandit à chaque épreuve, et se réjouit de notre colère » (Sénèque le Jeune, Hercule furieux, vers 33‑34).

3.

« avec l’appui duquel ».

4.

« Advienne que pourra ».

5.

Jean-Paul de Barillon (mort en 1691) marquis d’Amoncourt et de Branges, seigneur de Mancy, de Morangis et de Châtillon-sur-Marne, était le fils de Jean-Jacques, président au Parlement qui s’était rendu célèbre par son opposition systématique à Richelieu et qui était mort emprisonné à Pignerol en 1645 (v. note [24], lettre 39). Jean-Paul avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en la première Chambre des enquêtes le 18 février 1650. Maître des requêtes et 1657, il connut une brillante carrière dans les intendances et la diplomatie royales (Popoff, no 505). Il se lia d’une grande amitié avec la marquise de Sévigné qui a souvent parlé de lui dans ses lettres.

Guy Patin le dénommait le jeune pour le distinguer de son oncle, Antoine, seigneur de Morangis, alors directeur des finances, qui était aussi conseiller au Parlement (v. note [31], lettre 223).

6.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 98 vo et 99 ro, 21 juin 1652) :

« Il y a eu grande rumeur à la sortie dans la grande salle, {a} où environ 40 personnes ayant crié “ La paix, de quelque façon que ce soit ! ”, on les a voulu obliger de dire “ Sans Mazarin ” ; ce qu’ayant refusé, on a maltraité quelques-uns et l’on leur a fait avouer qu’ils avaient reçu chacun 20 sols pour faire ce cri. En même temps, ce peuple échauffé là-dessus a fort crié contre ceux du Parlement qui sont en prédicament {b} d’être mazarins ; et il y en a eu d’assez hardis pour pousser fort rudement les présidents de Bailleul et de Novion jusqu’à les traiter à coups de poing et les menacer de les poignarder ; mais peu après, le président de Thoré s’en allant par le quai des Orfèvres, on lui a jeté des pierres dans son carrosse qui l’ont obligé de se réfugier chez un orfèvre où ayant été assiégé, M. le Prince l’est allé dégager ; ensuite de quoi, il s’est tenu une assemblée de peuple toute l’après-dînée dans la place Royale {c} pour aviser aux moyens de chasser de Paris tous les mazarins, à l’exemple de l’Ormée de Bordeaux. »


  1. V. note [27], lettre 290, pour le début de cette séance du Parlement.

  2. Réputation.

  3. Aujourd’hui la place des Vosges.

7.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 100 ro, juin 1652) :

« Le 21, le Parlement se devait assembler, mais les présidents et la plupart des conseillers n’osèrent aller au Palais, craignant les insultes du peuple qui était encore plus aigri que le jour précédent à cause qu’il vient fort peu du pain de Gonesse, {a} la plus grande partie ayant été prise par les troupes de Son Altesse Royale et de M. le Prince, lesquelles n’ayant point de pain, voulaient obliger les boulangers d’aller à Saint-Cloud. M. de Beaufort se trouva de bon matin au Palais et M. le Prince y étant arrivé peu après lui et voyant qu’il n’y avait que 26 conseillers, s’en alla chez le président Le Bailleul où l’on remarqua qu’il ne laissa pas d’entrer quoiqu’on lui eût dit qu’il n’y était pas. Il trouva tous les présidents assemblés sur ce sujet et leur offrit de les escorter au Palais ; mais ils ne voulurent pas s’y commettre. Ils parlaient de s’assembler l’après-dînée, mais ils trouvèrent le même inconvénient. Il en vint plusieurs au palais d’Orléans sur ce sujet, entre autres le président de Maisons, lequel étant arrivé au bas de la rue de Tournon en siège, {b} fut connu par une femme qui cria que c’était un mazarin. Aussitôt, la canaille se ramassa et l’obligea de se réfugier dans une maison de la même rue où ayant été assiégé, M. le Prince et M. de Beaufort, qui étaient dans le palais d’Orléans, furent aussitôt faire lever ce siège et conduisirent ce président dans ce palais où il demeura jusqu’à la nuit. »


  1. V. note [27], lettre 166.

  2. Chaise à porteurs.

8.

« mais il ne nous est pas permis d’être aussi heureux » (tournure empruntée à Martial, v. note [5], lettre 253).

9.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 100 vo, juin 1652) :

« La cour ayant résolu d’aller à Meaux et delà à Compiègne, le maréchal de Turenne fit partir son armée de Lagny le 23, y ayant seulement laissé deux régiments pour garder ces postes ; et fut camper à Thieux et à Compan, au-dessous de Melun, pour ce voyage. {a} […]

L’armée de Son Altesse Royale et de M. le Prince est encore à Saint-Cloud en attendant les troupes qui la doivent venir joindre de Flandres et de Liège, lesquelles sont encore bien éloignées et ne peuvent s’approcher tandis que le maréchal de Turenne sera de ce côté-là. Le duc de Lorraine est encore à La Ferté-Milon et ne se presse pas de s’en retourner. Le bruit est fort grand que les Espagnols ont assiégé La Bassée. » {b}


  1. La cour quitta Melun le 27 juin pour gagner Saint-Denis (v. note [27], lettre 166) où elle séjourna jusqu’au 17 juillet (Levantal).

  2. Dans le département du Nord, entre Béthune et Lille.

10.

La cour était sortie de Paris le 27 septembre 1651 pour aller à Poitiers ; elle allait séjourner à Compiègne du 21 août au 23 septembre 1652.

11.

Conscrit « se dit ordinairement au pluriel, et n’a lieu que dans cette phrase : Les pères conscrits, les sénateurs romains. Patres conscripti » (Féraud) ; métaphore pour Messieurs du Parlement.

12.

Journal de la Fronde (volume ii, fos 100 vo et 101 ro, 25 juin 1652) :

« Le Parlement se devant assembler ce matin, comme il a fait, les chaînes sont demeurées tendues dans toutes les rues voisines du Palais, dont toutes les avenues ont été gardées par des compagnies des bourgeois afin que les présidents et conseillers fussent en sûreté. Il s’est néanmoins fait divers cris sur les avenues pendant que les conseillers y passaient pour entrer : les uns criaient “ Point de Mazarin ! ” et menaçaient de tout tuer si on n’y allait de bon pied, et d’autres “ La paix sans condition ! ”, ayant été gagnés pour cela ; ce que S.A.R. {a} ayant reconnu en entrant avec M. le Prince, a envoyé ordre aux officiers qui commandaient la garde des bourgeois de ne laisser entrer personne pour quelque sujet que ce fût. Leurs Altesses étant dans l’assemblée, on a commencé à délibérer sur la réponse du roi faite aux députés ; et le président Le Coigneux ayant dit qu’il serait à propos de savoir ce qu’elles voulaient répliquer aux articles qui sont contenus dans cette réponse touchant les sûretés que le roi leur demande en éloignant le cardinal Mazarin, à quoi S.A.R. ayant conféré sur ce sujet avec M. le Prince et résolu de s’en rapporter à ce que la Compagnie jugerait à propos, a répondu que, pour faire plus court, elle et M. le Prince déclaraient qu’ils souscriraient à tout ce que le roi avait souhaité par tous les articles de cette réponse, et qu’ils étaient prêts de donner toutes les sûretés que Sa Majesté leur demande, pourvu qu’elle éloigne le cardinal Mazarin, sans espérance de retour ; après quoi, le Parlement enverra ses députés à Sa Majesté pour tenir la conférence qu’elle souhaite, dans laquelle se trouveront aussi les députés de S.A.R. et de M. le Prince, pour régler tous les autres différends. Messieurs les Gens du roi ont aussi ordre de demander leur réponse là-dessus dans jeudi prochain, et déclarer qu’au cas qu’on leur voulût retarder plus longtemps, la Compagnie sera obligée de délibérer sur l’union. Cette délibération était achevée à midi et néanmoins, on n’est sorti qu’à trois heures à cause d’une grande rumeur qui s’est faite sur ce que le secrétaire de M. Ménardeau, conseiller de la Grand’Chambre qui était en prédicament d’être mazarin, s’étant présenté à une porte du Palais avec des armes pour y entrer et ayant été reconnu, a été fort maltraité et blessé d’un coup d’épée à l’épaule ; dont son maître ayant été averti et craignant de ne s’en pouvoir pas retourner en sûreté, envoya ordre à un capitaine de sa colonelle, nommé Le Secq, qui était posté avec sa compagnie au bout du Pont-Neuf, de s’avancer jusqu’à la petite porte du Palais qui est vis-à-vis le logis du premier président, afin de l’escorter à son retour ; à quoi ce capitaine ayant obéi et s’étant présenté à cette porte, a été pris pour mazarin par ceux qui étaient en garde, quoiqu’il ne le fût pas, ni personne de sa compagnie, mais cru tel seulement parce que M. Ménardeau est son colonel ; et on a commencé d’abord à tirer sur ces gens qui se sont trouvés investis, {b} les chaînes étant tendues de tous côtés, même sur le chemin qu’il avait tenu où elles avaient été baissées pour les laisser passer. On a en même temps jeté des pierres par les fenêtres sur sa compagnie, en sorte qu’il a été obligé de faire main basse ; {c} et comme il y avait environ 40 ou 50 personnes de résolution, ils ont fait deux décharges en se défendant et ont poussé ceux qui s’y étaient avancés vers eux jusqu’à la chaîne qui était tendue proche le cheval de bronze du Pont-Neuf, laquelle étant bordée de mousquetaires, piquiers et hallebardiers, les a empêchés de passer outre ; et ils se sont dispersés et sauvés en désordre, d’un côté et d’autre, après qu’il y a eu douze ou quinze blessés et huit ou dix de tués, tant d’une part que d’autre, entre lesquels est l’enseigne de cette compagnie. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  2. Assiégés.

  3. Tuer sans merci.

13.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome ii, page 242, mardi 25 juin 1652) :

« Les conseillers, à la sortie, furent tous maltraités par la canaille et les présidents s’étant retirés chez le premier président jusqu’à cinq heures, comme ils en pensèrent sortir, trouvèrent encore cette canaille assiégeant les portes de la cour du Palais ; tellement que le président Le Coigneux fut contraint de mettre pied à terre et l’épée à la main pour se faire passage ; et deux garçons de boutique lui tirèrent chacun un coup de pistolet ; mais un sergent se trouvant là avec une hallebarde, fit faire place au président qu’il reconnut et qui passa de la sorte.
Aucuns {a} conseillers se jetèrent en boutiques de merciers et y furent jusqu’à ce que l’on vît la canaille retirée, comme le conseiller Le Vasseur chez un mercier au pont Notre-Dame. »


  1. Certains.

14.

« si tous les insensés se ruent sur les armes, alors la sagesse n’aura plus guère de défenseurs » (Barclay, Euphormion, v. note [47], lettre 156).

À cette citation finale près, le paragraphe forme (en abrégé) le début de la lettre datée du 5 juillet 1652 qu’on trouve dans les éditions Bulderen (lxx, à Charles Spon, tome i, 199‑201) et Reveillé-Parise (ccccvii, à André Falconet, tome iii, 5‑6). Complétée par d’autres passages de la présente lettre (phrase sur les princes qui ne savent à quel saint ils se voueront, paragraphe sur la mort de Vautier), elle a été, une fois de plus, fabriquée.

15.

V. note [9], lettre 238, pour le Lexique étymologique de Matthias Martini.

16.

Période : paragraphe ou phrase. V. note [26], lettre 277, pour les médisances, restées inédites, de Caspar Hofmann contre Jean Fernel dans son traité manuscrit « De la Chaleur innée ».

17.

Opera de Daniel Sennert (édition de Lyon, 1656) : v. note [33], lettre 285.

18.

Opera anatomica vetera… de Jean ii Riolan (Paris, 1649, v. note [25], lettre 146).

19.

Montargis (v. note [177], lettre 166), 30 kilomètres au nord de Gien, et sa région étaient réputées pour leurs moulins à papier. Toute l’activité du Gâtinais avait été perturbée par les combats qui s’y étaient déroulés en avril précédent (bataille de Bléneau, v. note [17], lettre 285).

20.

Parti de Melun, le roi avait passé la nuit du 27 au 28 juin au Chemin (Guermantes) et gagna Saint-Denis dans la journée du 28 en passant par Lagny (Levantal).

21.

« ayant parcouru tout le cercle ». Le roi avait séjourné à Saint-Germain du 27 avril au 22 mai, puis entamé une course circulaire autour de Paris, séjournant à Corbeil (22 mai-2 juin), Melun (2‑27 juin), puis Saint-Denis (28 juin-17 juillet). Il ne revint à Saint-Germain que le 17 octobre.

22.

Poissy, en Île-de-France (Yvelines), sur la Seine, se situe à 30 kilomètres à l’ouest de Paris. V. note [30], lettre 211, pour le colloque religieux qui y eut lieu dans son prieuré royal en septembre 1561.

Les forces royales (onze à vingt mille hommes suivant les sources) commandées par Turenne se plaçaient au nord-est de Paris, dans les actuels départements de Seine-et-Marne (Dammartin-en-Goële), Oise (Senlis) et Val-d’Oise (Roissy-en-France, Gonesse), pour marcher vers Pontoise en vue d’attaquer l’armée des princes (six mille hommes, mais avec l’espérance d’un renfort espagnol venu de Flandre) qui se tenait davantage autour de Saint-Germain-en-Laye et Poissy.

23.

En fait de paix, les deux partis cherchaient à gagner du temps pour accroître leurs forces et se mettre en état négocier à leur avantage.

Le Journal de la Fronde (volume ii, fos104 ro, Paris, 2 juillet 1652) a décrit l’optimisme de la cour :

« Leurs Majestés étant arrivés, le 28 du passé, à Saint-Denis {a} avec le cardinal Mazarin, y logèrent dans l’abbaye ; et y sont encore avec toute la cour, s’étant approchés {b} jusque là sur la division qui est dans les esprits des Parisiens pour tâcher de faire pencher la balance du côté de ceux qui demandent la paix sans condition ; lesquels sont la plupart des pauvres artisans qui ont grand’peine de vivre dans une conjoncture si malheureuse et sont en partie gagés pour faire les cris dans toutes les assemblées qui se font. Quant aux bons bourgeois, il y en a peu qui ne veulent l’exclusion du cardinal Mazarin, mais la cour travaille fort à gagner les six corps des marchands, dont ceux qui le sont déjà publient qu’il vaut mieux avoir la paix avec le Mazarin que de demeurer davantage en guerre, quoique les plus sensés avouent qu’il est fort difficile de demeurer en paix tant que le Mazarin demeurera. Cette division tient encore les affaires en balance et l’espérance que le cardinal Mazarin a eu d’y trouver ses avantages l’a obligé à faire rompre la négociation qui se faisait pour la paix, ayant seulement amusé S.A.R. et M. le Prince par des beaux semblants de la vouloir faire, en attendant la jonction du maréchal de Senneterre qui a grossi l’armée de la cour jusqu’à vingt mille hommes en tout. Il est vrai que le bruit est fort grand que M. le Prince étant menacé de voir le cardinal de Retz dans le ministère, s’était disposé à consentir que le cardinal Mazarin se retirât à Sedan pour trois mois seulement, et qu’il revînt après, aimant mieux qu’il demeurât dans le ministère que d’y voir son plus grand ennemi ; {c} mais que M. le Prince a toujours déclaré à S.A.R. qu’il ne ferait rien contre sa volonté et qu’il ne s’y était disposé qu’en cas qu’elle s’y voulût résoudre. Aussitôt qu’elle {d} lui a déclaré qu’elle aimait mieux périr que de souffrir jamais le Mazarin, il {e} est rentré dans tous ses sentiments, comme il est dans ses intérêts, ne voulant pas se désunir d’avec elle. Cependant, les Espagnols ayant su la grande disposition qu’il y avait à faire la paix, ont levé le blocus de Dunkerque et assemblent toutes les troupes qu’ils ont en Flandre pour les envoyer au secours de Messieurs les princes, dont le comte de Fuelsendagne les a envoyé avertir par un courrier exprès qui arriva hier ici ; {f} lequel assura que ce comte doit pour cet effet passer demain la Somme avec dix mille chevaux ; et en même temps, le duc de Lorraine a mandé à S.A.R. qu’il était prêt de revenir pour son service, mais qu’il ne voulait point avoir affaire du tout à M. le Prince, duquel il se plaint de ne lui avoir pas tenu parole, n’ayant pas voulu mettre Clermont en dépôt entre les mains de S.A.R. ; laquelle n’a pas témoigné faire beaucoup d’état de cette proposition, d’autant plus que les otages de ce duc sont encore à la cour, et ceux de la cour auprès de lui. Il était encore, le 28 du passé, {g} vers Sainte-Menehould en Champagne {h} où le comte de Quinçay, l’un des otages de la cour, a fort harangué les habitants pour les obliger à recevoir pour gouverneur le sieur de Sainte-Maure, au lieu du marquis de La Force, qui est dans les intérêts de Messieurs les princes ; mais il n’y a encore rien gagné. »


  1. Vv. note [27], lettre 166.

  2. Accordés.

  3. Retz.

  4. Son Altesse Royale (S.A.R.), Gaston d’Orléans.

  5. Condé.

  6. 1er juillet 1652.

  7. Juin.

  8. V. note [60], lettre 297.

24.

« telle est la calamité des guerres civiles. » Guillaume Barbier a imprimé à Lyon quelques mazarinades, dont celle qui lui valait alors des ennuis pouvait être la Très humble remontrance faite au roi par Messieurs les députés du Parlement de Paris contre le retour du cardinal Mazarin (Lyon, 1652). Guy Patin n’en disait pas ici suffisamment pour qu’on puisse en être assuré.

25.

V. note [9], lettre 285.

26.

Revenant de Stockholm, Saumaise était arrivé à Leyde en mars ou avril 1652.

27.

« contre Saumaise. »

Michaud :

« Saumaise et Vossius s’étaient brouillés “ parce que, dit le Menagiana, M. Vossius ayant prêté de l’argent au fils de M. Saumaise, M. Saumaise ne voulut pas le lui rendre, disant qu’il lui avait mandé de ne pas lui en prêter ; en effet, il ne le lui rendit pas. ” Ce fait est raconté plus au long dans les lettres de Vossius, qui exposent d’ailleurs comment Saumaise trouva le moyen de s’acquitter : il accusa Vossius de préparer contre lui des écrits satiriques. Christine ajouta foi à ce rapport et à d’autres insinuations ; si bien qu’au moment où Vossius, qui venait de faire un voyage en Hollande, rentrait en Suède, amenant Bochart et Huet, il reçut l’ordre de ne pas se présenter devant la princesse, de rebrousser chemin et de demander pardon à Saumaise. {a} Malgré cette disgrâce, dénouement ordinaire des relations de cette nature, la reine recommença bientôt de correspondre avec Vossius et le revit bientôt dans les Pays-Bas. De son côté, il continua de parler d’elle avec égard et respect. »


  1. Relation raccourcie de faits que celle de Pierre-Daniel Huet rend en partie douteux : v. note [16], lettre 287.

28.

« ainsi vivrai-je content jusqu’à la dissolution finale. »

Cesare Cremonini, philosophe et médecin italien (Cento, duché de Modène, 1550-Padoue 1631) enseigna la philosophie durant 57 ans : à Ferrare de 1571 à 1590, puis à Padoue où on lui donna en même temps une chaire de médecine. Il fut contempteur de Galien et grand commentateur d’Aristote. Dans la note C de l’article qu’il lui a consacré, Bayle dit de Cremonini :

« Il a passé pour un esprit fort {a} qui ne croyait point en l’immortalité de l’âme […]. Plusieurs disent que c’est pour cela qu’il voulut que l’on mît à son épitaphe, Cæsar Cremoninus hic totus iacet. {b} Si l’on n’avait point d’autres arguments, on ne serait guère en état de le convaincre de libertinage. »


  1. V. seconde notule {a}, note [1] du Faux Patiniana II‑4.

  2. « Cesare Cremonini gît ici tout entier. »

Sa devise favorite n’en devint pas moins celle des libertins érudits (v. note [9], lettre 60) : Intus ut libet, foris ut moris est [Au-dedans comme il plaît à chacun, au-dehors comme veut le monde]. « Notre esprit, disait-il, n’est pas plus fait pour le divin que les yeux du hibou pour la lumière ; nous ne connaissons Dieu que très imparfaitement et par ses ouvrages » (G.D.U. xixe s.). Cremonini avait été l’un des fondateurs de l’Académie des Ricovrati (v. note [165] des Déboires de Carolus).

Plus loin dans les lettres de Guy Patin (v. notes [12], lettre 463, et [9], lettre 870), on trouve quelques allusions aux liens de Cremonini avec Gabriel Naudé, qui lui vouait une grande admiration (v. notes [27] du Naudæana 2, et [37], [38], [39] et [40] du Naudæana 4). La note [29] du Naudæana 2 fournit la liste des principaux ouvrages de Cremonini.

29.

Aujourd’hui quartiers de Paris, Belleville (xixe et xxe arrondissements) et Charonne (xxe) étaient alors deux faubourgs contigus, au nord-est de la capitale.

30.

Le combat du faubourg Saint-Antoine, le 2 juillet 1652, mit fin à la ronde effrénée que menaient les armées du roi et des princes autour de Paris depuis la victoire de Condé à Bléneau le 7 avril (v. note [17], lettre 285). Avec la fusillade de l’Hôtel de Ville qui en fut la conséquence, le 4 juillet, ce fut l’événement qui discrédita le parti des princes et enclencha la reprise en mains des affaires par la Couronne et, dans l’année qui suivit, l’extinction de la Fronde (1648-1653).

La Rochefoucauld (Mémoires, pages 281‑287), qui combattait aux côtés du prince de Condé, a donné une relation de première main du combat. Voulant gagner Charenton (à l’est de Paris), Condé avait fait partir ses troupes (cinq à six mille hommes) des alentours de Poissy (à l’ouest) en fin de journée le 1er juillet. Son armée avait contourné Paris par le nord, de la porte Saint-Honoré à la porte Saint-Antoine. Aussitôt cette marche connue, les troupes du roi (douze mille hommes), commandées par Turenne, avaient quitté leurs positions au nord de Paris (vers Roissy et Senlis) pour aller couper la route aux condéens. Au matin du 2, les ennemis étaient face à face. Condé s’était barricadé dans le faubourg Saint-Antoine, occupant les retranchements « que les bourgeois y avaient faits quelques jours auparavant pour se garantir d’être pillés par les troupes de M. de Lorraine », mais dangereusement acculé contre le rempart de la porte Saint-Antoine, fermée et gardée par des soldats du roi. Les canons de la Bastille étaient tournés vers Paris pour décourager toute velléité des habitants à venir au secours de M. le Prince. Turenne était à Charonne et lança l’attaque. Condé en personne, « l’épée à la main », mena deux sorties qui permirent de repousser les assaillants. Toute la journée, infanterie et cavalerie s’entretuèrent autour des barricades, couvertes par tireurs logés dans les maisons. La confusion qui régnait partout tourna en défaveur des princes :

« Enfin, les troupes du roi avaient forcé la dernière barricade de la rue qui va de celle du Cours à Charenton, et qui était 40 pas au delà d’une fort grande place {a} qui aboutit à cette même rue. Le marquis de Navailles s’en était rendu maître et pour la mieux garder, il avait fait percer les maisons proches et mis des mousquetaires partout. M. le Prince avait dessein de les déloger avec de l’infanterie et de faire percer d’autres maisons pour les chasser par un plus grand feu, comme c’était en effet le parti qu’on devait prendre ; mais le duc de Beaufort, qui ne s’était pas rencontré auprès de M. le Prince au commencement de l’attaque et qui sentait quelque dépit de ce que le duc de Nemours y avait toujours été, pressa M. le Prince de faire attaquer la barricade par de l’infanterie ; et comme cette infanterie était déjà lassée et rebutée, au lieu d’aller aux ennemis, elle se mit en haie le long des maisons sans se vouloir avancer. Dans ce temps, un escadron des troupes de Flandre, posté dans une rue qui aboutissait au coin de cette place du côté des troupes du roi, ne pouvant y demeurer plus longtemps de peur d’être coupé quand on aurait gagné les maisons voisines, revint dans la place. Le duc de Beaufort, croyant que c’étaient les ennemis, proposa aux ducs de Nemours et de La Rochefoucauld, qui arrivaient en ce lieu-là, de les charger. Ainsi, étant suivis de ce qu’il y avait de gens de qualité et de volontaires, on poussa à eux, et on s’exposa inutilement à tout le feu de la barricade et des maisons de la place ; mais voyant en même temps quelque étonnement parmi ceux qui gardaient la barricade, les ducs de Nemours, de Beaufort, de La Rochefoucauld et le prince de Marcillac {b} y poussèrent, et la firent quitter aux troupes du roi. Ils mirent ensuite pied à terre et la gardèrent eux seuls sans que l’infanterie, qui était commandée, voulût les soutenir. M. le Prince fit ferme {c} dans la rue avec ce qui s’était rallié auprès de lui de ceux qui les avaient suivis. Cependant les ennemis, qui tenaient toutes les maisons de la rue, voyant la barricade gardée seulement par quatre hommes, l’eussent sans doute reprise si l’escadron de M. le Prince ne les eût arrêtés ; mais n’y ayant point d’infanterie qui les empêchât de tirer par les fenêtres, ils recommencèrent à faire feu de tous côtés et voyaient en revers, depuis les pieds jusqu’à la tête, ceux qui tenaient la barricade. Le duc de Nemours reçut 13 coups sur lui ou dans ses armes, et le duc de La Rochefoucauld une mousquetade qui, lui perçant le visage au-dessous des yeux, lui fit à l’instant perdre la vue, ce qui obligea le duc de Beaufort et le prince de Marcillac à se retirer pour emmener les deux blessés. Les ennemis avancèrent pour les prendre, mais M. le Prince s’avança aussi pour les dégager et leur donna le temps de monter à cheval. Ainsi, ils laissèrent aux ennemis le poste qu’ils venaient de leur faire quitter et presque tout ce qui les avait suivis dans la place fut tué ou blessé.

[…] Enfin, le nombre des officiers morts ou blessés fut si grand de part et d’autre qu’il semblait que chaque parti songeât plus à réparer ses pertes qu’à attaquer ses ennemis. Cette espèce de trêve était avantageuse aux troupes du roi, rebutées de tant d’attaques où elles avaient été repoussées. Durant ce temps, le maréchal de La Ferté {d} avait marché en diligence {e} et il se préparait à faire un nouvel effort avec son armée fraîche et entière. »


  1. Actuelle place de la Nation.

  2. Son fils.

  3. Attendit l’ennemi de pied ferme.

  4. La Ferté-Senneterre.

  5. Depuis Saint-Denis (v. note [27], lettre 166).


Mais la politique se mêlait intimement à la tactique militaire, et ce fut le coup de théâtre :

« Les Parisiens, qui jusque-là avaient seulement été spectateurs d’une si grande action, se déclarèrent en faveur de M. le Prince. Ils avaient été si prévenus des artifices de la cour et du cardinal de Retz, et on leur avait tellement persuadé que la paix particulière de M. le Prince était faite sans y comprendre leurs intérêts, qu’ils avaient considéré le commencement de ce combat comme une comédie qui se jouait de concert avec le cardinal Mazarin. M. le duc d’Orléans même les confirma dans cette pensée en ne donnant aucun ordre dans la ville pour secourir M. le Prince. Le cardinal de Retz, qui était auprès de lui, augmentait encore l’irrésolution et le trouble de son esprit en formant des difficultés sur tout ce qu’il proposait. D’autre part, la porte Saint-Antoine était gardée par une colonelle de bourgeois dont les officiers, qui étaient gagnés de la cour, empêchaient presque également de sortir de la ville et d’y entrer. Enfin, tout y était mal disposé pour y recevoir M. le Prince et ses troupes, lorsque Mademoiselle, faisant un effort sur l’esprit de Monsieur, son père, le tira de la léthargie où le tenait le cardinal de Retz. Elle alla porter ses ordres à la Maison de Ville {a} pour faire prendre les armes aux bourgeois ; en même temps, elle commanda au gouverneur de la Bastille de faire tirer le canon sur les troupes du roi ; et revenant à la porte Saint-Antoine, elle disposa non seulement tous les bourgeois à recevoir M. le Prince et son armée, mais même à sortir et à escarmoucher pendant que ses troupes rentreraient. Ce qui acheva encore d’émouvoir le peuple en faveur de M. le Prince fut de voir remporter tant de gens de qualité morts ou blessés. Le duc de La Rochefoucauld voulut profiter de cette conjoncture pour son parti et, quoique sa blessure lui fît presque sortir les deux yeux hors de la tête, il alla à cheval du lieu où il avait été blessé jusqu’à l’hôtel de Liancourt, au faubourg Saint-Germain, exhortant le peuple à secourir M. le Prince et à mieux connaître à l’avenir l’intention de ceux qui l’avaient accusé d’avoir traité avec la cour. Cela fit pour un temps l’effet qu’on désirait et jamais Paris n’a été mieux disposé pour M. le Prince qu’il le fut alors. Cependant, le bruit du canon de la Bastille produisit deux sentiments bien différents dans l’esprit du cardinal Mazarin ; car d’abord, il crut que Paris se déclarait contre M. le Prince et qu’il allait triompher de cette ville et de son ennemi ; mais voyant qu’au contraire on tirait sur les troupes du roi, il envoya ses ordres aux maréchaux de France pour retirer l’armée et aller à Saint-Denis. {b} Cette journée peut passer pour l’une des plus glorieuses de la vie de M. le Prince. Jamais sa valeur et sa conduite n’ont eu plus de part à la victoire. L’on peut dire que jamais tant de gens de qualité n’ont fait combattre un plus petit nombre de troupes ; mais jamais troupes aussi n’ont mieux fait leur devoir. On fit porter les drapeaux des régiments des gardes, de la marine, et de Turenne à Notre-Dame, et on laissa aller, sur leur parole, tous les officiers prisonniers. »


  1. L’Hôtel de Ville.

  2. V. note [27], lettre 166.

31.

Journal de la Fronde (volume ii, fos 106 ro et 107 ro, 5 juillet 1652) :

« Ils y perdirent, {a} avec cela, quatre à cinq cents soldats, et le maréchal de Turenne n’y en perdit qu’environ 200, quoiqu’on mande, de la cour même, qu’il y en avait perdu deux mille. […]

Les marques qui distinguèrent les deux armées étaient du papier à celle de la cour et de la paille à celle de Messieurs les princes »


  1. Les princes au combat du faubourg Saint-antoine, le 2 juillet.

32.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 107 ro, 5 juillet 1652) :

« Le roi était venu dans son armée jusqu’à Charonne, une lieue de la porte Saint-Antoine, où l’on remarqua qu’il fut très sensiblement touché lors qu’il apprit la mort de M. de Saint-Mesgrin, dont il visita hier la veuve pour la consoler, et que le cardinal Mazarin se fâcha fort contre celui qui avait apporté cette nouvelle à Sa Majesté. Il se plaignit fort contre les officiers du régiment des gardes de n’avoir pas bien fait leur devoir dans cette occasion ; mais ceux-ci ne feignirent point de dire qu’ils ne s’étaient que trop exposés au péril de faire vaquer leurs charges, desquelles il aurait été bien aise d’en profiter ; néanmoins, les dix compagnies des gardes qui y étaient, y furent fort maltraitées et le régiment de la marine y fut presque tout défait. »

33.

Guy Patin se méprenait sur le sort du comte de Palluau : il n’avait pas participé pas au combat du faubourg Saint-Antoine car il assiégeait alors Montrond en Berry.

Louis du Prat, marquis de Nantouillet et Jacques Stuer de Caussade, marquis de Saint-Mesgrin (ou Saint-Maigrin) servaient tous deux dans les troupes du roi.

Armand-Charles de La Porte de La Meilleraye (1632-1713) appartenait au même camp, mais ne fut que blessé. Fils unique du maréchal Charles de La Meilleraye, et de Marie Ruzé d’Effiat, sa première épouse, il était successivement devenu lieutenant général de la Haute et de la Basse-Bretagne, et du comté nantais en 1642, grand maître et capitaine général de l’Artillerie de France en 1648, puis maréchal de camp en 1649. Lieutenant général des armées du roi en 1654, il allait épouser en 1661 Hortense Mancini, nièce de Mazarin. Cette union, outre une fortune estimée à 28 millions de livres, lui valut de devenir duc Mazarin, pair de France, gouverneur d’Alsace, du bailliage d’Haguenau, etc. Frappé de paranoïa, la suite de sa vie ne fut qu’une succession de malheurs profonds pour lui-même et son entourage (G.D.U. xixe s.).

Sa plus insigne extravagance fut de mutiler irrémédiablement celles des œuvres d’art héritées de Mazarin qu’il jugeait obscènes. Saint-Simon (Mémoires, tome i, page 628) rapporte qu’à la mort de sa femme en 1699 :

« M. Mazarin, depuis si longtemps séparé d’elle et sans aucun commerce, fit rapporter son corps et le promena près d’un an avec lui de terre en terre. Il le déposa un temps à Notre-Dame-de-Liesse {a} où les bonnes gens la priaient comme une sainte et y faisaient toucher leurs chapelets. À la fin, il l’envoya enterrer avec son fameux oncle en l’église du Collège des Quatre-Nations à Paris. »


  1. V. note [3], lettre 624.

Blessé « dangereusement d’un coup de mousquet dans la cuisse » (Journal de la Fronde, volume ii, fo 106 vo), Michel-Paul Mancini (v. note [6], lettre 267), neveu de Mazarin, allait mourir 15 jours plus tard.

34.

Le baron de Clinchant (v. note [10], lettre 286), blessé « d’un coup de pistolet au bras, sans danger néanmoins » (Journal de la Fronde, volume ii, fo 106 ro), mourut d’une fièvre double-tierce en août 1653 (v. note [13], lettre 325).

35.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 106 ro et vo, 5 juillet 1652) :

« Pendant le combat, Mademoiselle alla, sur les 11 < heures > du matin, à l’Hôtel de Ville ; et entra dans l’assemblée où elle porta une lettre à S.A.R. {a} qui priait Messieurs de Ville d’envoyer promptement ordre à tous les capitaines des compagnies bourgeoises de choisir dans chacune un certain nombre de soldats pour aller fortifier son armée ; à quoi ces Messieurs ayant fait d’abord difficulté de consentir, cette princesse leur remontra que s’agissant de la cause commune, et que M. le Prince étant en peine avec MM. de Beaufort et de Nemours, et tant d’autres personnes de cœur et de condition, pour l’intérêt de la Ville, l’on ne leur devait pas refuser un secours pour les dégager, et que c’était une ingratitude sans exemple. Cette remontrance ne faisant point d’effet sur les esprits du maréchal de L’Hospital et du prévôt des marchands ; et Mademoiselle voyant qu’elle ne pouvait rien gagner sur eux par les voies de la douceur, elle se servit de celle de la rigueur et leur menaça d’y faire marcher sans leur ordre le peuple qui était ramassé devant cet Hôtel, et leur déclara qu’elle ne répondait pas de la sûreté de leurs personnes après que le peuple serait imbu de la nouvelle de ce refus ; ce qui les obligea à lui accorder non seulement cette demande, mais encore le passage de toute l’armée de Messieurs les princes dans Paris, nonobstant la lettre de cachet qu’ils venaient de recevoir du roi qui leur défendait de ne recevoir ni troupes, ni chevaux, ni bagages des rebelles. Aussitôt, 2 000 bourgeois choisis sortirent et s’allèrent mettre dans les régiments réglés, dispersés en certain nombre dans chaque compagnie, où ils combattirent fort bien pendant que M. le Prince donna ordre à la retraite ; laquelle il disposa aussitôt qu’il en reçut ordre de S.A.R. qui s’en alla pour cet effet à la porte Saint-Antoine, pour faire entrer l’armée dans Paris parce que le plus grand nombre des troupes de la cour aurait pu enfin gagner l’avantage sur M. de Beaufort, afin de tenir la main à faire entrer l’armée dans la ville en cas de difficulté ; mais il n’y s’y rencontra point, quoiqu’aussitôt après que les régiments d’infanterie de la Languedoc et de S.A.R. furent entrés, toutes les troupes auxiliaires passèrent, sans aucun témoignage de résistance, au travers de Paris, le long de la rue Saint-Antoine jusqu’au bout du pont Notre-Dame et delà, sur le Pont-Neuf par le quai de la Mégisserie ; et ayant passé par la porte Dauphine et derrière l’hôtel de Condé, s’allèrent poster au delà du faubourg Saint-Marcel sur une éminence qui est entre ce faubourg et le village de Gentilly, où elles sont encore avec toute l’armée. Cette retraite commença vers les trois heures après midi en très bon ordre. M. le prince de Tarente y fit celle de l’arrière-garde avec une conduite merveilleuse. Il demeura quatre heures devant les ennemis, à la portée de mousquet, ayant fort bien couvert la marche de l’avant-garde et de la bataille ; et ayant reconnu qu’on la voulait couper par une petite rue du faubourg Saint-Antoine, il alla droit à ceux qui l’entreprenaient et les chargea si bien qu’il en demeura plus de 60 sur la place. Enfin, il entra le dernier, avec 30 chevaux, dans la ville vers les huit heures du soir en très bon ordre. »


  1. Son Altesse Royale, le duc d’Orléans, père de Mademoiselle.

36.

Mademoiselle, après son aventureuse entrée dans Orléans (le 27 mars, v. note [1], lettre 285), était de nouveau intervenue dans la guerre civile, et avec bien plus d’éclat. Guy Patin devait encore ignorer, ou peut-être ne pas croire ce qu’elle avait fait, tant son acte en faveur des princes pouvait heurter.

Mlle de Montpensier (Mémoires, première partie, volume 2, chapitre xiii, pages 106‑113) :

« Le gouverneur de la Bastille, nommé Louvières, fils de M. Broussel, me manda que, pourvu qu’il eût un ordre de Monsieur par écrit, il était à lui et qu’il ferait tout ce qu’on lui commanderait. Je priai le comte de Béthune de le dire à Monsieur, lequel < le > lui envoya par M. le Prince de Guéméné. {a}

[…] je m’en allai à la Bastille où je n’avais jamais été ; je me promenai longtemps sur les tours et je fis changer le canon qui était tout pointé du côté de la ville : j’en fis mettre du côté de l’eau et du côté du faubourg pour défendre le bastion. Je regardai avec une lunette d’approche : je vis beaucoup de monde sur la hauteur de Charonne, et même des carrosses ; ce qui me fit juger que c’était le roi {b} et j’ai appris depuis que je ne m’étais pas trompée. Je vis toute l’armée ennemie dans le fond vers Bagnolet ; elle me parut forte en cavalerie. L’on voyait les généraux sans connaître leurs visages, mais l’on les reconnaissait par leur suite. Je vis comme ils partageaient leur cavalerie pour nous venir couper entre le faubourg et le fossé, les uns du côté de Popincourt et les autres par Reuilly, le long de l’eau ; {c} et s’ils eussent fait plus tôt, nous étions perdus. J’envoyai un page à toute bride en donner avis à M. le Prince ; il était en même temps au haut du clocher de l’abbaye de Saint-Antoine ; {d} et comme je lui confirmai la même chose qu’il voyait, il commanda que l’on marchât pour entrer dedans la ville.

Je m’en revins dans la maison où j’avais été tout le jour, pour voir passer l’armée, car je savais bien que tous les officiers seraient ravis de me voir […].

Les troupes que MM. les maréchaux de Turenne et de La Ferté avaient envoyées pour pousser les nôtres s’avancèrent près de la ville ; {e} mais l’on tira de la Bastille deux ou trois volées de canon, comme je l’avais ordonné lorsque j’en sortis. Cela leur fit peur, ayant emporté un rang de cavaliers ; sans cela, toute l’infanterie étrangère, la gendarmerie et quelque cavalerie, qui étaient à l’arrière-garde, {f} auraient été défaites parce que ces troupes avaient été obligées d’attendre du canon que l’on était allé retirer près de l’église Sainte-Marguerite. Cela me donna de l’inquiétude de quoi elles étaient si longtemps à passer. Je renvoyai le comte de Horlach, qui m’était venu voir, les faire hâter ; et quand elles furent toutes passées, je m’en allai me reposer quelque temps à l’hôtel de Chavigny. {g} Je me promenai dans le jardin avec M. de Chavigny pour me rafraîchir car il faisait un chaud horrible ce jour-là. Nous parlâmes fort de tout ce qui s’était passé, puis je m’en allai à Luxembourg, {h} où tout le monde me régalait de ce qui s’était passé. M. le Prince me fit mille compliments et il dit à Monsieur que j’avais assez bien fait pour qu’il me pût louer. Il me vint dire qu’il était satisfait de moi, mais non pas avec la tendresse qu’il aurait dû faire. J’attribuai cela au repentir qu’il devait avoir que j’eusse fait ce qu’il devait faire ; de sorte que son indifférence, qui m’est si rude à supporter, me consola ce jour-là, le croyant dans des sentiments où j’aurais souhaité qu’il eût toujours été. Quand je songeai le soir, et toutes les fois que j’y songe encore, que j’avais sauvé cette armée, j’avoue que ce m’était une grande satisfaction et au même temps un grand étonnement de penser que j’avais fait aussi rouler les canons du roi d’Espagne dans Paris et passer les drapeaux rouges avec les croix de Saint-André. {i} La joie que je sentais d’avoir rendu un service au parti si considérable et d’avoir fait en cette rencontre une chose si peu ordinaire, et qui n’est peut-être jamais arrivée à personne de ma condition, m’empêcha d’y faire les réflexions qui se peuvent faire maintenant là-dessus et qui auraient pu troubler < ma joie >. »


  1. Louis de Rohan.

  2. Mon cousin germain.

  3. La Seine.

  4. Actuel hôpital Saint-Antoine.

  5. Turenne et La Ferté commandaient les troupes royales ; pousser voulait dire attaquer.

  6. L’armée ennemie était celle des frondeurs, menée par le Grand Condé.

  7. Hôtel aujourd’hui devenu caserne des pompiers, 7 rue de Sévigné, dans le ive arrondissement de Paris.

  8. Au palais du Luxembourg.

  9. Étendards du roi d’Espagne.

37.

« Et de fait nulle loi n’est plus juste que de faire périr par leur propre invention les inventeurs d’un supplice » (Ovide, L’Art d’aimer, livre i, vers 655‑656).

Dans son Rabat-joie de l’Antimoine triomphant (Paris, 1654, v. note [3], lettre 380), Jacques Perreau a repris cette citation sur le même propos (1re partie, page 56) :

« Feu le sieur Vautier, premier médecin du roi, de qui on peut dire à juste raison ce qu’Ovide, au livre premier de l’Art d’aimer, écrit de Perillus, cet ouvrier athénien qui expérimenta la peine et le tourment de ce taureau d’airain qu’il avait inventé à Phalaris, tyran des Agrigentins, pour le supplice des criminels. {a}

…Neque enim lex æquior ulla est,
Quam necis Artifices arte perire sua
. » {b}


  1. Cruel tyran d’Agrigente au vie s. av. J.‑C., Phalaris avait fait fabriquer un taureau d’airain creux dans lequel on efermait le supplicié avant d’allumer un brasier sous la statue pour en faire rougir le métal. La légende dit qu’il y rôtit lui-même.

  2. Toujours sur la mort de Vautier, on retrouve ces deux vers vengeurs, mais méticuleusement caviardés, dans les Commentaires de Guy Patin sur son décanat : v. note [56] des Décrets et assemblées de la Faculté de médecine en 1651‑1652.

38.

« Tout à Rome est à vendre, temples, prêtres, etc. » ; combinaison de deux sources :

39.

La retraite in extremis de l’armée condéenne par la porte Saint-Antoine avait semé la plus grande confusion dans la capitale. Pour contrer l’avantage militaire de la cour, les princes frondeurs n’avaient plus qu’une ressource : s’unir au Parlement et à la Ville de Paris pour susciter l’émotion populaire qui forcerait le roi à chasser Mazarin et à leur donner le pouvoir, mais avec le risque énorme d’avoir à subir un siège comme en 1649.

La Rochefoucauld (Mémoires, pages 287‑288) :

« Les négociations ne laissaient pas de continuer : chaque cabale voulait faire la paix ou empêcher que les autres ne la fissent, et M. le Prince et le cardinal {a} étaient également résolus de ne pas la faire. M. de Chavigny s’était bien remis en apparence avec M. le Prince et il serait malaisé de dire dans quels sentiments il avait été jusqu’alors, parce que sa légèreté naturelle lui en inspirait sans cesse d’entièrement opposés. Il conseillait de pousser les choses à l’extrémité toutes les fois qu’il espérait de détruire le cardinal et de rentrer dans le ministère ; et il voulait qu’on demandât la paix à genoux toutes les fois qu’il s’imaginait qu’on pillerait ses terres et qu’on raserait ses maisons. Néanmoins, dans cette rencontre, {b} il fut d’avis, comme tous les autres, de profiter de la bonne disposition du peuple et de proposer une assemblée à l’Hôtel de Ville pour résoudre que Monsieur serait reconnu lieutenant général de l’État et Couronne de France ; qu’on s’unirait inséparablement pour procurer l’éloignement du cardinal ; qu’on pourvoirait le duc de Beaufort du gouvernement de Paris en la place du maréchal de L’Hospital et qu’on établirait Broussel en la charge de prévôt des marchands, au lieu du Fèvre ; {c} mais cette assemblée, où l’on croyait trouver la sûreté du parti, {d} fut une des principales causes de sa ruine par une violence qui pensa faire périr tout ce qui se rencontra à l’Hôtel de Ville et qui fit perdre à M. le Prince tous les avantages que la journée de Saint-Antoine lui avait donnés. Je ne puis dire qui fut l’auteur d’un si pernicieux dessein car tous l’ont également désavoué ; mais enfin, lorsque l’assemblée se tenait, on suscita des gens armés qui vinrent crier aux portes de la Maison de Ville qu’il fallait que tout s’y passât non seulement selon l’intention de Monsieur et de M. le Prince, mais qu’on livrât dès l’heure même tout ce qui était attaché au cardinal Mazarin. On crut d’abord que ce bruit n’était qu’un effet ordinaire de l’impatience du menu peuple ; mais voyant que la foule et le tumulte augmentaient, que les soldats et même les officiers avaient part à la sédition, qu’on mit le feu aux portes et que l’on tira aux fenêtres, alors, tout ce qui était dans l’assemblée se crut perdu. Plusieurs, pour éviter le feu, s’exposèrent à la fureur du peuple. Il y eut beaucoup de gens tués, de toutes conditions et de tous les partis, et on crut très injustement que M. le Prince avait sacrifié ses amis afin de n’être pas soupçonné d’avoir fait périr ses ennemis. On n’attribua rien de cette action à M. le duc d’Orléans. Toute la haine en fut rejetée sur M. le Prince, qui ne la méritait pas. Pour moi, je pense que l’un et l’autre s’étaient servis de M. de Beaufort pour faire peur à ceux de l’assemblée qui n’étaient pas dans leurs intérêts ; mais qu’en effet, pas un d’eux n’eut dessein de faire mal à personne. Ils apaisèrent promptement le désordre, mais ils n’effacèrent pas l’impression qu’il avait faite dans tous les esprits. »/p>


  1. Mazarin.

  2. Conjoncture.

  3. De Le Fèvre.

  4. Des princes.

La narration de Mme de Motteville (Mémoires, pages 438‑439) se rapproche, presque à s’y méprendre, de celle de La Rochefoucauld, qui était du parti contraire.

Le cardinal de Retz formait un tiers parti contre Mazarin, à côté des princes et du Parlement. Son interprétation politique du massacre de l’Hôtel-de-Ville surprend par son ironie et par son infatuation (Mémoires, pages 1008‑1011) :

« M. le Prince […] était persuadé que je le desservais beaucoup auprès de Monsieur, ce qui n’était pas vrai […] ; mais il l’était aussi que je lui nuisais beaucoup dans la Ville, ce qui n’était pas faux […]. Il avait observé que je ne me gardais nullement et que je me servais même avec quelque affectation du prétexte de l’incognito, auquel le cérémonial m’obligeait, pour faire voir ma sécurité et la confiance que j’avais en la bonne volonté du peuple au milieu de ses plus grands mouvements. Il se résolut, et très habilement, de s’en servir de sa part pour faire une des plus belles et des plus sages actions qui ait peut-être été pensée en tout le siècle : il fit dessein d’émouvoir {a} le peuple le matin du jour de l’assemblée de l’Hôtel de Ville, de marcher droit à mon logis sur les dix heures, {b} qui était justement l’heure où l’on savait qu’il y avait le moins <>de> monde parce que c’était celle où, pour l’ordinaire, j’étudiais ; de me prendre civilement dans son carrosse, de me mener hors de la ville et de me faire, à la porte, une défense en forme de n’y plus rentrer. Je suis convaincu que le coup était sûr et qu’en l’état où était Paris, les mêmes gens qui eussent mis la hallebarde à la main pour me défendre, si ils eussent eu le loisir d’y faire réflexion, en eussent approuvé l’exécution, étant certain que, dans ces révolutions qui sont assez grandes pour tenir tous les esprits dans l’inquiétude, ceux qui priment sont toujours applaudis, pourvu que d’abord ils réussissent. Je n’étais point en défense. M. le Prince se fût rendu maître du Cloître {c} sans coup férir ; et j’eusse peut<-être > été à la porte de la ville devant qu’il y eût eu une alarme assez forte pour s’y opposer. Rien n’était mieux imaginé : Monsieur, qui eût été atterré du coup, y eût donné des éloges. L’Hôtel de Ville, auquel M. le Prince en eût donné part sur l’heure même, en eût tremblé. La douceur avec laquelle M. le Prince m’aurait traité aurait été louée et admirée. Il y aurait eu un grand déchet {d} de réputation pour moi à me laisser surprendre, comme en effet j’avoue qu’il y avait eu beaucoup d’imprudence et de témérité à n’avoir pas prévu ce possible. La fortune tourna contre M. le Prince ce beau dessein et elle lui donna le succès {e} le plus funeste que la conjuration la plus noire eût pu produire. »


  1. Ameuter.

  2. Du soir.

  3. Cloître Notre-Dame.

  4. Amoindrissement.

  5. Résultat.

40.

« de toutes les communautés ».

41.

Dubuisson-Aubenay a donné le récit le plus minutieux des faits (Journal des guerres civiles, tome ii, pages 246‑251, juillet 1652) :

« Jeudi 4, après dîner, grande assemblée en l’Hôtel de Ville, où sont invitées douze personnes de chaque quartier, à savoir six officiers du roi aux cours souveraines et six notables bourgeois.

Ce matin, on a trouvé placard sanglant portant que M. le Prince ayant fait voir ces jours comme il expose sa personne pour le salut de la Ville, elle doit aussi s’exposer pour lui et courir sus à tous ses ennemis, la Chevreuse et le coadjuteur, qui pervertit même M. d’Orléans, qui est si lâche que d’abandonner ce prince en ses généreuses résolutions, et qu’en un mot, il faut faire main basse à tous les mazarins. […]

Cette après-dînée même, s’est introduite la manière de se déclarer non-mazarin en portant sur la tête un bouquet de paille. {a} Ceux et celles qui n’en avaient pas étaient dans la rue arrêtés par la canaille avec menaces de mort. Les carrosses même en avaient, et dit-on que c’est Mademoiselle qui a commencé d’en porter. Le signal par un bouquet de paille fut donné par le capitaine de la compagnie bourgeoise gardant l’Hôtel de Ville, et étant posté à l’entrée d’icelui sur les degrés montant dans la cour, tous les soldats {b} en avaient en leurs chapeaux et mousquets, et lui au sien ; et en donnaient à tous ceux qui entraient pour être de l’assemblée en leur disant : “ Point de Mazarin ! ”

L’assemblée de Ville se tenant en son Hôtel, sur la Grève, les princes s’y rendirent. On y lut la lettre du roi portant plainte de ce qu’on avait, le mardi soir, {c} reçu les troupes des princes en retraite dans la ville contre l’expresse promesse qu’on avait faite du contraire, et ajoutant que Sa Majesté croyait certainement que ç’avait été la canaille, et non l’ordre de la Ville et la bonne bourgeoisie, qui avait donné cette retraite ; qui n’empêcherait point que Sadite Majesté ne continuât ses bonnes volontés à sadite bonne ville, l’assurant qu’elle lui ferait monter des vaisseaux chargés de grain et venir le pain des environs à l’ordinaire.

Le procureur du roi et de la Ville, le sieur Piètre, {d} parla sur la lettre du roi devant la venue des princes et conclut que pour le vrai et seul remède aux maux, il fallait aller vers le roi derechef le supplier de venir à Paris. Les frondeurs là-dessus firent grand bruit et le contraignirent de s’expliquer, et dire s’il entendait que ce fût sans Mazarin.

Les princes sortirent là-dessus et aucuns de leur suite – on dit que ce fut le comte de Béthune – dirent à la populace assemblée en Grève que ces Messieurs assemblés demandaient encore huit jours de temps et de délai pour faire l’union qu’ils avaient promise aux princes et que, partant, c’était au peuple à faire ce qu’il aviserait là-dessus. {e} […]

Notez que ce peuple était persuadé que l’assemblée se tenait pour faire ladite union.

Alors, la canaille commença à crier qu’il fallait égorger et brûler les mazarins. Et aucuns des plus forts et robustes prirent sur leurs épaules des solives qui sont d’ordinaire posées à terre près de la Croix de Grève, vers la rue de la Tannerie, {f} où l’on met hors de la fange les sacs des échantillons de blé exposés aux marchands, et s’efforcèrent de rompre avec lesdites solives la grande porte de l’Hôtel, tandis que les fusiliers et mousquetaires tiraient aux fenêtres ; mais ladite porte se trouvant forte, ils eurent recours à la paille et aux fagots, et mirent le feu tant à ladite grande porte qu’aux deux petites, qui furent bientôt consumées.
Cela commença sur les quatre ou cinq heures après midi, que l’on vit la fumée de toutes extrémités de Paris, où l’on dit que c’était pour brûler les mazarins.
Le sieur du Buys, avocat au Conseil du roi, voyant de chez dame Compagnon, tante de sa femme, chez Bourdelas, chirurgien, mettre le feu à l’Hôtel de Ville, se sauva avec un sien parent, et trouvant dans la rue de la Verrerie un grand homme d’apparence accompagné et ayant un haussecol doré, {g} dit exprès : “ Voilà grande pitié de laisser périr tant d’honnêtes gens que l’on pourrait sauver s’il y allait au secours seulement une escouade de chacune des compagnies de la colonelle de ce quartier. ” À quoi cet homme à haussecol, qui sans doute était exprès pour cela, répondit : “ Mort Dieu ! il faut que désordre arrive. ”

Il dit avoir vu arriver en Grève par la rivière, avant le désordre, un bateau plein de soldats des princes, qui se mêlèrent avec la canaille en place ; et un conseiller de la Ville nommé de Bourges a dit affirmativement à M. d’Orléans qu’il y avait reconnu des officiers, et entre eux le major du régiment de Languedoc, assurant de plus que ceux qui le sauvèrent et reconduisirent chez lui pour de l’argent étaient soldats des troupes des princes. Ledit Bourges donna cent écus.

Un M. Poncet, officier de Cour souveraine, donna cent louis < en > écus d’argent au trompette du régiment de Valois qui entreprit de le sauver, comme il fit.

La grande bourgeoisie, {h} là postée par ordre de la Ville pour la conservation de l’assemblée, fut la première qui, se mêlant avec la populace, tira mousquetades dans les fenêtres de l’Hôtel de Ville ; ce que le sieur Duret, trésorier de France à Moulins qui était de l’assemblée comme notable bourgeois, m’a dit avoir éprouvé comme < quand > il pensa se sauver du côté du Saint-Esprit, {i} et que l’on le fit rentrer au trou par où il sortait à coups de mousquet. Ce que l’assemblée voyant, quitta ladite salle et se retira, se barricada contre les portes où le feu avait été mis, jeta force billets par les fenêtres, portant comme elle avait résolu et conclu l’union avec les princes selon le désir du peuple ; mais il ne s’y arrêta point et continua le désordre, voulant tuer et piller.

Ladite assemblée aussi cria “ Union, union ! ” dès la sortie des princes, se doutant bien qu’ils étaient malcontents. Elle tenait même aux fenêtres de la salle où elle était un drap blanc au lieu de drapeau en signe de paix, que la canaille trouva moyen d’abattre ; et l’ayant visité < pour voir > s’il n’y aurait point d’argent noué aux coins, le brûla.

Du commencement, elle {j} se défendit et tua plusieurs de la canaille à coups de fusil que tirèrent < des > gens du maréchal de l’Hospital ; et s’il y eût eu de bons mousquets et grenades, ils eussent fait retirer la canaille.
La grande porte brûla lentement, les petites furent bientôt consumées. On y mit aussi le feu du côté du Saint-Esprit […], et ainsi la foule entra. »

Et commencèrent le massacre, la débandade et le sauve-qui-peut…

« Le maréchal de L’Hospital donna de l’argent aux plus hardis des séditieux qui le sauvèrent.

Le président de Guénégaud promit dix pistoles à d’autres qui le tirèrent de là ; mais au premier corps de garde du carrefour des rues de la Coutellerie, Jean-Pain-Mollet et Jean-de-l’Épine, etc., ils le perdirent et furent contraints de l’abandonner aux mains d’autres plus forts qui le menèrent par la place aux Veaux et du Chevalier du Guet {k} vers la Monnaie où ce voyant, il leur persuada de le mettre en maison bourgeoise (qui fut chez M. de Sève-Plotard) plutôt que dans un cabaret où ils le pensaient mener ; mais il leur fallut encore composer et doubler la dose, et ainsi ils eurent deux cents livres et bien à boire ; et les premiers avant eux lui avaient pris son chapeau et un manteau et pourpoint de taffetas rayé, lui baillant haillons au lieu de cela pour le déguiser et faire passer pêle-mêle avec ceux qui étaient par tous les corps de gardes, qui étaient très fréquents ; et sans cela, ils ne l’eussent jamais pu faire passer ni conserver avec eux.

Il était le troisième recommandé après et avec le gouverneur de la Ville et le prévôt des marchands.

À la fin, sur les dix à onze heures, {l} le duc de Beaufort y fut, qui fit tirer des pièces de vin dudit hôtel et rouler au loi, au bout de la Grève, où, tandis que la canaille s’enivra, il fit sortir ceux qu’il voulut.

Mademoiselle y fut aussi et sauva, dit-on, le prévôt des marchands qui était caché dans une chambrette, à la charge de donner sur-le-champ sa démission de la prévôté des marchands, ce qu’il fit volontiers. {m} Il fut indiqué par Lallemand, conseiller des Requêtes, à la charge qu’il ne lui serait fait aucun mal, ni à lui aussi.
Le maréchal de L’Hospital se sauva en habit de l’un de ses gardes, lesquels gardes firent défenses et en tuèrent plus de vingt ;mais n’ayant plus de quoi tirer, cessèrent et se retirèrent des portes et cours au dedans, où il n’y eut personne tué ni blessé que Le Maire, greffier, qui a quatorze ou quinze coups, sans que pourtant l’on désespère de sa vie. »


  1. Comme avaient fait les soldats de Condé au cours de la bataille du 2 juillet pour se reconnaître dans la mêlée.

  2. Tous les soldats de la milice bourgeoise.

  3. Le 2 juillet.

  4. Germain Piètre (procureur général de la Maison royale d’Orléans).

  5. Le Journal de la Fronde (volume ii, fo 107 vo) attribue ces paroles à Monsieur lui-même, « Faites ce que vous voudrez ».

  6. Proche de l’actuelle avenue Victoria.

  7. Plaque de fer distinctive des officiers d’infanterie.

  8. La garde bourgeoise de Paris.

  9. Hôpital du Saint-Esprit-en-Grève, mitoyen de l’Hôtel-de-Ville, côté nord.

  10. L’assemblée.

  11. Place où habitait Guy Patin.

  12. Du soir.

  13. V. note [3], lettre 292.


42.

Robert Descimon, Autopsie du massacre de l’Hôtel de Ville… (Annales. Histoire, Sciences sociales 1999 ; volume 54, no 2, page 322), en date du 4 juillet 1652 :

« 9 heures, l’invasion de l’Hôtel de Ville par la populace commence, malgré les tentatives de résistance des archers de la Ville et des gardes du gouverneur. Sauve qui peut. Meurtres de plusieurs députés qui tâchaient de rentrer chez eux après avoir acheté leur sauvegarde à des émeutiers ; entre autres, de Robert [ii] Miron, maître des comptes et colonel du quartier Saint-Germain-l’Auxerrois, du maître des requêtes François Le Gras, du conseiller au Parlement Pierre Ferrand, du marchand épicier Geoffroy Yon, du marchand de fer Jean Fressant…, sans compter beaucoup d’autres notables blessés et les soldats bourgeois et émeutiers tués, au nombre de plus d’une centaine. »

Durand François Yon, mort en 1651 (v. note [9], lettre 266), avait un frère puîné, prénommé Pierre, également docteur régent de la Faculté de Paris (1643), qui était mort le 24 octobre 1650. Leur frère Geoffroy ne figure pas dans Popoff ; mais comme marchand épicier élu quatrième consul des marchands de Paris le 31 janvier 1641 dans le Recueil contenant les édits et déclarations du roi sur l’établissement et confirmation de la juridiction des consuls en la ville de Paris, et autres ; et les ordonnances et arrêts donné en faveur de cette justice. Divisé en deux parties (Paris, Denys Thierry, 1705, in‑4o, pages 54). Il avait été élu échevin en 1646.

43.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome ii, page 249‑250) :

« Le maître des comptes Miron, {a} grand frondeur, y fut tué, et le sieur de Janvry, jeune conseiller, fils du vieux conseiller de la Grand’Chambre, Ferrand ; {b} il était marguillier {c} à Saint-Étienne-du-Mont.

Un marchand de fer de la même paroisse, et aussi marguillier, demeurant en la place Maubert, un nommé Yon, épicier, et autres y ont été tués.

Le sieur Le Gras, maître des requêtes, meurtri de plusieurs coups, en est mort le lendemain.

Le sieur Doujat, conseiller en la Grand’Chambre, et qui cheminait avec le sieur Le Gras, {d} fut enlevé dans une maison tout joignant et là, promit dix louis d’or si ceux qui le tenaient le rendaient sain et sauf chez soi, ce qui fut fait.

Le sieur Le Grand, fils unique d’un procureur de la Chambre des comptes, fort riche avocat en Parlement et bailli de Saint-Victor, fut tué se retirant de la rue de la Tisseranderie, où il était, vers son logis, rue Barre-du-Bec. » {e}


  1. Robert ii Miron, v. note [9], lettre 82.

  2. Jean-Claude-Michel Ferrand, sieur de Janvry, fils de Michel Ferrand, v. note [14], lettre 287.

  3. V. note [59], lettre 229.

  4. François Le Gras, seigneur de Luart et des Loges, avait été reçu conseiller au Grand Conseil, puis maître des requêtes le 22 janvier 1636 (Popoff, no 970).

  5. Aujourd’hui disparues, la rue de la Tisseranderie était un peu au-dessus de la rue François-Miron, et la rue Barre-du-Bec est devenue la partie sud de la rue du Temple, dans le ive arrondissement de Paris.

44.

« pendant ce temps, le juste souffre » (v. note [44], lettre 176).

Terreur et confusion continuèrent de régner les jours suivants (Dubuisson-Aubenay, Journal des guerres civiles, tome ii, page 251, juillet 1652) :

« Vendredi 5 et samedi 6, la marque de la paille {a} continue. Aucuns particuliers allant par les rues à pied et même en carrosse ont, faute d’en avoir, été attaqués et tués ou fort maltraités par la canaille.

Samedi 6, matin, placards en divers lieux, comme {b} la Ville avait fait son union avec les princes, ce qui est faux et daté du 4e, qui est le jour que la populace mit le feu à l’Hôtel de Ville parce que l’on n’avait pas fait ladite union. »


  1. Celle que les condéens arboraient sur leur chapeau.

  2. Disant que.

45.

« La douleur et la triste infortune du meilleur de mes amis m’empêche de vous en écrire plus. »

46.

« à cause de la faute et de la folie d’un seul homme » (Virgile, Énéide, chant i, vers 41, à propos d’Ajax).

Un secours espagnol venu de Flandres était le dernier espoir des princes (Journal de la Fronde, volume ii, fo 111 ro, Paris, 9 juillet 1652) :

« Un courrier arrivé hier ici à dix heures du soir porta nouvelles à Son Altesse Royale que le comte de Fuensaldagne était arrivé hier au matin à Beauvais avec l’avant-garde de son armée, qui est de 500 chevaux, et y attendait le reste qu’il jurait se monter à sept mille chevaux et neuf à dix mille fantassins effectifs. Le maréchal de Turenne a détaché la moitié de son armée, pour lui aller disputer le passage, et Messieurs les gouverneurs des places de Picardie ont assemblé quelques paysans avec M. d’Elbeuf pour s’y opposer aussi. »

La nouvelle fut contredite un peu plus tard (ibid. fo 112 ro, 12 juillet) :

« On avait eu avis par un courrier envoyé de Flandres que 4 000 chevaux de l’avant-garde des Espagnols étaient arrivés […] auprès de Beauvais, que toute leur armée suivait en diligence pour venir joindre celles de Messieurs les princes […] ; mais les avis de Flandres venus par l’ordinaire ne portent pas qu’ils soient encore entrés en France, mais bien qu’ils assemblaient dix à douze mille hommes pour cet effet le plus diligemment qu’ils pouvaient ; ce qui a fait croire qu’ils ont voulu donner espérance de bonne heure à Messieurs les princes afin qu’ils ne fissent point d’accommodement avec la cour. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 5 juillet 1652

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(Consulté le 29/03/2024)

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