L. 294.  >
À Charles Spon,
le 25 octobre 1652

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière, laquelle fut du 6e de septembre, je vous dirai que la guerre continue toujours alentour de Paris, quelques troupes que nous ait emmenées le duc de Lorraine. [2] Le nombre des mangeants en est augmenté, [1] mais personne n’en est soulagé, la paix même n’en avance pas davantage. Le coadjuteur [3] est revenu de Compiègne [4] avec ses curés, qui n’a rien rapporté de la cour que de simples paroles et de froides promesses de quelque accommodement. [2] Les six corps de marchands [5] de cette ville, qui sont las de ne rien faire depuis longtemps à cause que la guerre leur ôte tout le commerce, ont délibéré d’envoyer des députés vers le roi [6] pour le prier de revenir ici. [3] On dit que le duc d’Orléans [7] est malcontent de cette députation ; que le roi ne sera plus guère à Compiègne. Les uns disent qu’il revient à Saint-Germain, [8] les autres que le voyage est différé pour 15 jours. [4] Un grand de la cour a écrit ici que l’on parle d’un voyage d’Amiens [9] et que le roi y pourra bien passer l’hiver si les princes ne se mettent à leur devoir. Je croirais bien que le roi ne reviendra pas si tôt à Paris, quelques-uns qui sont auprès de lui craignant fort ce retour, et entre autres le premier président [10] et la reine [11] même, qui sont cause de tous les malheurs depuis un an arrivés ici alentour.

J’ai reçu un paquet de lettres qui vient de M. de Sorbière [12] pour être rendu à M. Du Prat, [13] c’est un de ses amis qui me l’a apporté céans. Je [sais] que ledit sieur Du Prat m’avait dit adieu il y a plus d’un m[ois et] qu’il m’avait parlé de Lyon. Je vous prie de me mander s’il y e[st encore, afin que] je lui envoie ledit paquet, et où il est logé, afin que j’y mette s[on adresse].

Le P. Petau, [14] fameux jésuite, fort vieux et fort cassé [d’avoir trop] étudié, avait obtenu de ses supérieurs qu’on le menât à Orléans ; [15] ce qui [lui fut] accordé ; mais tôt après, il s’y ennuya, sur l’opinion qu’il eut de n’y […] ; enfin, il a obtenu qu’il serait ramené à Paris. Comme il fut à trois lieu[es…], leur carrosse fut attaqué par des voleurs qui dépouillèrent quatre séculiers [qui y] étaient et n’épargnèrent même pas l’autre jésuite du P. Petau. Pour lui, [ils] eurent bien de la peine à se résoudre de ne lui en pas faire autant ; il se nom[ma] à eux, et les pria d’avoir pitié de sa vieillesse et de sa maladie ; ce qu’ils firent à la prière d’un d’entre eux qui lui dit qu’il avait autrefois étudié aux jésuites et qu’il honorait sa doctrine ; et ainsi, il ne fut pas dépouillé. Ne voilà pas un brave larron qui porte encore quelque respect à la science ?

Les députés des six corps des marchands ont enfin obtenu des passeports de M. le duc d’Orléans et ont été à la cour prier le roi de revenir en sa bonne ville de Paris. On leur a fait grand accueil, mais ils n’ont apporté que de belles paroles. Depuis ce temps-là, le roi a quitté Compiègne et est revenu à Pontoise, [16] où il est de présent. [5]

Ce 8e d’octobre 1652. Les armées qui étaient ici alentour et vis-à-vis l’une de l’autre commencent à se séparer et à décamper : le maréchal de Turenne [17] s’en va à Lagny, [18] et par delà jusqu’à Provins ; [19] le duc de Lorraine fait prendre le chemin de Dammartin [20] et de Creil [21] aux siennes, [6] pour delà gagner la frontière vers Soissons [22] et faire mettre sa petite armée en quartier d’hiver dans le Luxembourg. [23]

On dit qu’ils ont entre eux accordé d’une trêve de dix jours tandis qu’ils feront écouler leurs troupes par diverses provinces et au long de différentes rivières, Turenne au long de la Marne, les Lorrains au long de la rivière d’Oise, et tout cela sans coup férir. Ils ont tout mangé et tout ruiné sans avoir tiré un coup de mousquet ni d’épée, si ce n’est peut-être quelque coup d’estramaçon ou de bâton qu’ils ont donné à des paysans désarmés, [7] qu’ils ont par hasard rencontrés dans les champs ; car autrement, tout le monde s’enfuyait de leur fureur. Ils ont fait l’août et vendange [24] tout alentour de Paris, [8] à dix lieues à la ronde ; et nous avons cette obligation au Mazarin, [25] sans beaucoup d’autres, à la reine et à son Conseil. On parle ici d’envoyer des députés plénipotentiaires sur quelque ville frontière de Flandres [26] pour y traiter de la paix générale. On dit aussi que le prince de Condé [27] et le Mazarin en seront, ce que je ne crois point, non plus que ce que l’on dit des états généraux à Tours [28] l’hiver prochain. [29]

Ce 12e d’octobre. Aujourd’hui, 12e d’octobre, est mort ici M. de Chavigny, [30] fils unique du bonhomme Bouthillier [31] qui mourut ici il n’y a que sept mois. Il avait été secrétaire d’État sous le feu cardinal de Richelieu [32] et avait tellement dérobé que l’on croit qu’il avait 200 000 écus de rentes. Il laisse douze enfants vivants et n’a que 46 ans. Sa maladie était une fièvre double-tierce [33] qu’une prise d’antimoine [34] ordonnée par un charlatan [35] (quo genere hominum mire delectabatur[9] lui rendit continue. [36] Une autre prise du même poison l’abattit tout à fait et l’assoupit. Un autre charlatan nommé Lagneau [37] lui en donna une troisième qui le tua ; [10][38] et ainsi est mort de deçà sans être plaint de personne. On dit qu’il est mort de regret de ce que les princes lui ont reproché qu’il les trahissait, ce qu’on lui a prouvé par une lettre qui avait été interceptée. [11] Il était chef du Conseil du prince de Condé et assez avant dans les bonnes grâces du duc d’Orléans. On croit aussi que, comme il était haï de la reine, il aurait pu être empoisonné ; mais je pense que tout son poison n’a été autre que cet antimoine qui l’a mis au tombeau. [12] C’est lui qui nous a engés de Mazarin et qui l’a élevé au ministériat, d’où il espérait de le faire chasser et de prendre sa place ; [13] mais cela ne lui a pas réussi, non plus que beaucoup d’autres desseins qu’il a eus en sa vie. Il avait autrefois, à l’insu du cardinal de Richelieu, entretenu le roi défunt de faire revenir la reine sa mère [39] en France ; et par le moyen d’icelle, faire chasser ce cardinal et prendre sa place dans le gouvernement des affaires. Le feu roi Louis xiii [40] le voulait bien et lui avait promis, mais de malheur pour bien du monde, la corde rompit et la reine mère mourut. [14] Le cardinal de Richelieu, qui mourut cinq mois après, ne l’a jamais su ni découvert, mais le roi l’a dit en sa dernière maladie à quelqu’un. On dit qu’il jouait ordinairement les deux. [15] Il était ennemi des jésuites ou au moins, était ordinairement contraire à leurs desseins. Il faisait ici le janséniste et le réformé de la primitive Église, [16] mais il n’en était pas plus homme de bien. Nil concedebat nisi ad pondus[17] il pesait son boire et son manger, et imitait tant qu’il pouvait la sobriété du Cornaro [41] de Venise ; [18][42] et néanmoins, il est mort à 45 ans, d’une fièvre et de trois prises d’antimoine, mais il n’en faudrait pas tant pour tuer un plus homme de bien que lui.

Ce 13e d’octobre. Les troupes du duc de Lorraine s’en retournent hors du royaume, mais c’est en raflant et ravageant tout ; elles prennent le chemin de Soissons. Lui-même sortit hier de Paris pour ne plus revenir ; et aujourd’hui, le prince de Condé en est sorti avec quelques grands de ses amis, on dit qu’il s’en va à Stenay, [43] d’autres à Bruxelles, [44] tandis que le duc d’Orléans traitera de la paix et en accordera pour soi, pour ledit prince, pour le Parlement, pour la ville de Paris, etc. On dit aussi que le maréchal de Turenne est reculé et qu’il emmène pareillement ses troupes. [19]

[Nouvelles sont aujourd’hui arrivées que le prince de Conti [45] est mort à Bordeaux : voilà bien des bénéfices vacants que la reine sans doute donnera au Mazarin puisqu’il est si heureux d’être encore en crédit depuis qu’il a causé tant de maux. Le roi est sorti de Mantes [46] et est arrivé d’hier à Saint-Germain-en-Laye.] La nouvelle est fausse. [20]

Nous avons perdu depuis 14 jours deux de nos compagnons, dont l’un est M. Thévenin [47] qui s’était retiré à Châlons en Champagne, [48] son pays natal, où enfin il a trouvé la fin de sa vie. L’autre était un bonhomme sanguin nommé M. de Vailli [49][50] qui est mort d’une apoplexie, [51] per quam factum est ut penetraverit ad plures [21] en douze heures ; il était fort vieux et si abattu qu’il ne faisait plus rien. Vos imprimeurs [52] ne font-ils non plus à Lyon qu’ici ? On n’imprime rien ici qui vaille : quelques libelles, quelques burlesques, dum imminet summa rerum[22] M. Rigaud [53] ne se souvient-il point de ce qu’il m’a promis il y a un an passé touchant les trois traités de notre bon ami feu M. Hofmann [54] et votre Sennertus [55] avance-t-il ? [23] On dit qu’en Hollande le nombre des malades est effroyable ; ils meurent tous, nonobstant le fréquent usage des sudorifiques : [56] quo Deorum monstrante hanc perfidiam ? [24] où est-ce que ces gens-là ont appris la médecine ? Saigner [57] très peu ou point du tout, purger [58] peu avec des poudres, des pilules [59] ou de l’antimoine, et puis faire suer des malades qui ont les vaisseaux, le ventre et l’habitude du corps pleins d’ordure et de beaucoup d’impuretés ? Profecto ista curandi methodus non est medicina, sed carnificina : vel ut cum Asclepiade loquar apud Galenum, vera meditatio mortis[25][60] Si M. Rigaud a commencé notre impression, obligez-moi de m’en envoyer la première feuille enfermée dans votre lettre.

Nous avons solennisé la fête de la Saint-Luc [61] en notre Faculté, more solito, et le lendemain, en une grande assemblée, avons reçu le serment des chirurgiens [62] et des apothicaires. [26][63] Le même jour, M. le maréchal de L’Hospital, [64] gouverneur de Paris, et M. Le Fèvre, prévôt des marchands[65] qui s’étaient retirés d’ici à cause du massacre de l’Hôtel de Ville, le 4e de juillet (qui fut le même jour que mourut ici le sieur Vautier [66] de son misérable antimoine), sont rentrés dans Paris en pompe triomphale, accompagnés et suivis des trompettes et gardes du roi, escortés de tous les colonels de la ville avec leurs capitaines et officiers, et les archers de l’Hôtel de Ville. [27] Cela faisait une troupe de plus de 1 200 cavaliers fort lestes que tout le monde a vue avec grande joie, d’autant que le gouverneur de Paris a dit par les rues que lundi prochain (21e d’octobre) le roi viendrait coucher à Paris, savoir dans le Louvre, [67] et non pas au Palais–Cardinal [68] où on envoie loger le roi et la reine d’Angleterre, [69][70] qui n’ont point été de leur dernier voyage plus loin qu’à Saint-Germain. [28]

Je vous prie de voir derechef chez vos libraires qui vendent de vieux livres, s’ils n’avaient point quelque vieux Rabelais ; [71] et si en trouvez quelqu’un qui soit bien conditionné, faites-moi la grâce de me l’acheter.

Nous avons ici reçu la nouvelle que notre bon ami M. Naudé [72] est arrivé à Stockholm, [73] où il a été fort bien reçu, et qu’il a entretenu la reine de Suède [74] très paisiblement par trois différentes fois, dont je suis ravi.

Ce 22e d’octobre. Enfin, après plusieurs allées et venues, après plusieurs invitations, et principalement après celle des colonels qui furent bien reçus et bien ouïs du roi à Saint-Germain, le roi s’est enfin résolu de venir à Paris, où il entra hier avec petit train, mais où il fut bien reçu avec un perpétuel Vive le roi et un nombre incroyable de peuple. [29] Il alla droit descendre au Louvre où il a couché. On manda de la part du roi hier au duc d’Orléans qu’il eût à venir saluer le roi au Louvre dès hier au soir et à renoncer au parti du prince de Condé, ou bien à sortir de Paris. Après quelques réponses et renvois, n’osant ni ne voulant faire les deux premiers articles, il promit de sortir de Paris, ce qu’il a fait aujourd’hui dès six heures du matin. [30] On dit qu’il s’en va à Limours, [75] et que Mademoiselle d’Orléans, [76] sa fille, a reçu commandement de se retirer à Dombes [77] qui est en vos quartiers. [31] M. de Beaufort [78] a pareillement reçu ordre de sortir de Paris. [32] Tous les présidents et conseillers du Parlement reçurent hier au matin chacun un billet, qu’ils eussent à se trouver aujourd’hui au Louvre en habit rouge, hormis douze d’entre eux qui sunt signati[33] Cette restriction fit qu’ils s’assemblèrent hier au Parlement, où ils délibérèrent d’aller tous ensemble au Louvre, tant mandés que non mandés, et que pour y aller tous de compagnie, ils se trouveraient tous au Palais à sept heures du matin ; après quoi ils sont allés tous ensemble au Louvre dans divers carrosses, habillés de leurs robes rouges. Après avoir été quelque temps là, on les a fait entrer dans une grande salle où, en présence du roi, du chancelier de France, [79] de M. le garde des sceaux [80] et autres Messieurs du Conseil, on a lu une déclaration de réunion du Parlement de Pontoise avec celui de Paris ; puis après, une autre d’amnistie, à la réserve de quelques particuliers. [34][81] On avait bien promis une amnistie générale, mais c’est une maxime de droit, que les jurisconsultes avouent fort et même qui est fort véritable ailleurs, que regulæ generales numquam bene concludunt[35] Ces particuliers sont neuf, la plupart conseillers, que le roi veut qu’ils sortent de Paris et qu’ils se retirent à dix lieues pour le moins d’ici ; l’un desquels est M. le président de Thou, [82] président en la première des Enquêtes, fils de celui qui nous a laissé une si belle Histoire [83] et frère de ce pauvre malheureux [84] que ce tyran de cardinal de Richelieu fit décapiter à Lyon il y a dix ans passés. [36] Le bonhomme Broussel, [85] conseiller de la Grand’Chambre âgé de 80 ans, pour qui on fit des barricades l’an 1648, en est un aussi, avec MM. Portail, [37][86] Bitault, [87] Machault, [38][88] Coulon, [39][89] le président Viole, [90] de Croissy-Fouquet, [91] Martineau, [40][92] Genoux. [41][93] Les voilà tous nommés. [42] Enfin, on leur a lu une autre déclaration par laquelle le roi leur défend de se mêler en aucune façon des affaires d’État et des finances ; ce dernier est en faveur des partisans qui enragent bien fort d’être obligés de passer par les mains du Parlement pour faire vérifier les édits qu’ils obtiennent au Conseil. Après toutes ces lectures, ils ont été congédiés et s’en sont allés tout droit au Parlement, valde mæsti [43] d’avoir perdu quelques-uns de leurs compagnons et de ce que l’amnistie n’était pas entièrement pour tous.

N’avez-vous point appris des nouvelles de M. Sebizius, [94] de Strasbourg ? Fait-il imprimer son commentaire in Galeni librum de curandi ratione per sanguinis missionem ? [44] Comment se portent Messieurs nos bons amis, MM. Gras, Garnier et Falconet ? [95] Je vous supplie de leur présenter mes très humbles baisemains. J’espère, au premier loisir que je pourrai attraper, d’écrire un mot à M. Falconet, auquel je dois réponse pour deux des siennes. [45] Le duc de Lorraine et le prince de Condé ont eu grosse querelle ensemble près de La Ferté-Milon, [96] d’autant que le duc n’a point voulu donner ses troupes au prince pour assiéger cette petite ville qui lui a refusé du pain de munition [97] pour son armée. [46] Les deux chefs et les deux armées se sont séparés là-dessus, et vont par divers chemins, aussi bien que par différentes intentions, jusque sur la frontière de Champagne. M. de Tavannes [98] a quitté le prince de Condé ; aussi a fait Clinchant, [99] M. de La Rochefoucauld [100] et autres seigneurs qui trouvent ce prince trop fâcheux à contenter. [47] On dit ici que le roi a envoyé à Limours vers M. le duc d’Orléans un seigneur de la cour qui est cousin germain du prince de Condé, nommé M. le duc de Damville. [101][102] Ce sont négociations de princes quæ utinam cedant in bonum et commodum Reipublicæ[48] Je vous baise les mains de toute mon affection et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 25e d’octobre 1652.


a.

Ms BnF Baluze no 148, fos 46‑47, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon », déchirure sur le bord droit du recto de la première feuille ; Jestaz no 77 (tome ii, pages 963‑975). Note de Charles Spon au revers : « 1652./ Paris 25 octobre/ Lyon 31 dud./ Rispost./ Adi 3 Xbre [décembre] ».

1.

Mangeants : bouches à nourrir.

2.
Retz (Mémoires, pages 1036‑1037) :

« MM. Le Tellier et Servien […] se rendirent sur la fin et à l’ordre du cardinal, {a} et peut-être aux fortes et solides raisons de la Palatine ; {b} et la reine, qui avait tenu l’abbé Charrier, que j’avais envoyé pour obtenir les passeports, trois jours entiers à Compiègne, même depuis la parole qu’elle avait donnée de les accorder, les fit expédier et elle y ajouta même beaucoup d’honnêtetés. {c} Je partis aussitôt après avec les députés de tous les corps ecclésiastiques de Paris et près de 200 gentilshommes qui m’accompagnaient, outre lesquels j’avais avec moi 50 gardes de Monsieur. J’eus avis à Senlis que l’on avait résolu à la cour de n’y pas loger mon cortège ; et Bautru même, {d} qui s’était mis de mon cortège pour pouvoir sortir de Paris dont les portes étaient gardées, me dit qu’il me conseillait de n’y pas entrer avec tant de gens. Je lui répondis que je ne croyais pas aussi qu’il m’eût conseillé de marcher seul avec des chanoines, des curés et des religieux, dans un temps où il y avait à la campagne un nombre infini de coureurs de tous les partis. Il en convint et il prit les devants pour expliquer à la reine et cette escorte et ce cortège, que l’on lui avait très ridiculement grossi. Tout ce qu’il put obtenir fut que l’on me donnerait logement pour 80 chevaux. Vous remarquerez, s’il vous plaît, que j’en avais 112, seulement pour les carrosses. Cette faiblesse ne me fit que pitié ; ce qui me donna de l’ombrage fut que je ne trouvai point sur mon chemin l’escouade des gardes du corps qui avait accoutumé en ce temps-là d’aller au-devant des cardinaux la première fois qu’ils paraissaient à la cour. Ma défiance se fût changée en appréhension si j’eusse su ce que je n’appris qu’à mon retour à Paris, qui est que la cause pour laquelle l’on ne m’avait pas fait cet honneur était que l’on n’était pas encore bien résolu de ce que l’on ferait de ma personne, les uns soutenant qu’il me fallait arrêter, les autres qu’il était nécessaire de me tuer, et quelques-uns disant qu’il y avait trop d’inconvénients à violer, en cette occasion, la foi publique. M. le prince Thomas fit dire à mon père par le P. Senault de l’Oratoire, {e} le propre jour que je retournai à Paris, qu’il avait été de ce dernier avis ; qu’il ne nommait personne, mais qu’il y avait au monde des gens bien scélérats. Mme la Palatine ne me témoigna pas que l’on eût été jusque-là ; mais elle me dit, dès le lendemain que je fus arrivé, qu’elle m’aimait mieux à Paris qu’à Compiègne. La reine me reçut pourtant fort bien, elle se fâcha devant moi contre l’exempt des gardes qui ne m’avait pas rencontré et qui s’était égaré, disait-elle, dans la forêt. Le roi me donna le bonnet {f} le matin du lendemain et audience l’après-dînée. » {g}


  1. Mazarin.

  2. V. note [10], lettre 533.

  3. Amabilités.

  4. Guillaume i de Beautru, v. note [15], lettre 198.

  5. V. note [16], lettre 525.

  6. La barrette de cardinal.

  7. V. note [38], lettre 293, pour un autre récit du voyage de Retz à Compiègne.

Dubuisson-Aubenay (Journal des guerres civiles, tome ii, page 288, 13 septembre 1652) :

« Lettre de Compiègne de ce jour, le cardinal de Retz avait eu son audience publique où il avait conjuré le roi de retourner au plus tôt dans sa ville de Paris ; à quoi Sa Majesté avait répondu tel être son désir et que, pour l’effectuer, elle s’en irait à Saint-Germain-en-Laye en peu de jours. […]

Le soir, ce cardinal eut son audience secrète dans l’oratoire de la reine où il fit grandes protestations de fidélité au roi et d’affection au cardinal Mazarin. »

3.

Paris commençait à sérieusement se lasser la situation.

4.

Partie de Compiègne le 23 septembre, la cour arriva à Mantes le lendemain. Louis xiv venait de fêter ses 14 ans (Journal de la Fronde,volume ii, fo 155 ro) :

« Le 21, l’on remarqua, à Compiègne, que la reine dit au roi qu’il était trop grand pour l’appeler désormais sa “ bonne maman ” ; tellement que depuis il l’appelle “ Madame ”. »

5.

La cour, venant de Mantes, était arrivée à Pontoise le 28 septembre.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 158 ro, Paris, 4 octobre 1652) :

« Le 2, les six corps des marchands furent au palais d’Orléans où ils rendirent compte à S.A.R. {a} de ce qu’ils avaient fait à la cour. Elle les reçut assez rudement à cause qu’ils avaient voulu y aller contre son sentiment ; et quant à ce qu’ils prétendaient de rétablir le maréchal de L’Hospital dans le gouvernement de Paris, elle leur dit que c’était son ennemi et qu’il fallait qu’elle {a} sortît de Paris ou qu’il {b} n’y revînt point. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans, alors gouverneur de Paris.

  2. L’Hospital.

6.

Creil, aux limites de l’Île-de-France et de la Picardie (Oise), alors seigneurie des princes de Condé, se situe à 45 kilomètres au nord de Paris.

7.

Estramaçon : « coup qu’on donne du tranchant d’une forte épée, d’un coutelas, d’un cimeterre. On le dit aussi de l’arme même. Les héros des romans pourfendaient les géants d’un coup d’estramaçon » (Furetière).

8.

L’août est « la récolte, la moisson des blés et autres grains, quoiqu’on la fasse en plusieurs lieux dès le mois de juillet. Ce fermier a fait marché à tant pour faire son août » (Furetière).

9.

« genre d’hommes qui le charmait prodigieusement ».

10.

Cet empirique nommé David Lagneau s’épuisait en recherches sur l’or philosophique, mais elles n’aboutirent qu’à lui faire perdre sa fortune et gâter son jugement. {a} Cette passion l’engagea, dit-on, à publier anonymement :

Les Douze Clefs de Philosophie de Basile Valentin, {b} Religieux de l’ordre Saint-Benoît. Traitant de la vraie Médecine Métallique. Plus l’Azoth, {c} ou le moyen de faire l’Or caché des Philosophes. Traduction française. {d}


  1. Ce Lagneau est probablement distinct du médecin homonyme, docteur de Montpellier, qui s’attacha en 1610 à la personne de Jean Héroard (v. note [30], lettre 117), premier médecin de Louis xiii (Éloy).

  2. V. note [2], lettre latine 31.

  3. L’azoth, nom arabe du mercure (sans relation avec l’azote, racine grecque indiquant la privation de vie), était en alchimie la « prétendue matière première des métaux » (Littré DLF). Tout cela n’était pas fictif car, dans l’activité minière aurifère, le mercure sert toujours à séparer l’or de la terre.

  4. Paris, Jérémie et Christophe Périer, 1624, in‑8o de 194 pages (sans mention de Lagneau dans l’épître du libraire), pour la première de nombreuses éditions.

11.

Léon Bouthillier, comte de Chavigny, fut inhumé dans l’église Saint-Paul à Paris. Sa mort eut un grand retentissement et les témoignages des contemporains confirment celui de Guy Patin.

Mme de Motteville (Mémoires, page 440) :

« Dans ce même temps, M. le Prince tomba malade d’une fièvre continue. Sur la fin de sa maladie, Chavigny l’ayant été voir, ce prince, sur quelques dégoûts qu’il avait eus de sa conduite, s’aigrit contre lui et lui dit quelques paroles fâcheuses, dont Chavigny fut si touché que, revenant chez lui, il tomba malade et mourut de rage. M. le Prince, qui se portait mieux alors, l’étant allé voir comme il était à l’extrémité, parut le regretter ; et une personne qui était présente à cette visite m’a dit que les yeux lui rougirent et qu’il voulut, par une manière de désespoir, s’arracher les cheveux ; mais après l’avoir regardé, il dit en s’en allant et se moquant de son agonie, “ qu’il était laid en diable ”. »

Journal de la Fronde (volume ii, fo 161 vo, 11 octobre 1652) :

« M. de Chavigny fut si fâché de ce qu’on l’accusât la semaine passée d’avoir voulu trahir S.A.R. {a} et M. le Prince, qu’il en tomba malade et est mort ce matin à quatre heures. M. le Prince ne le voyait plus et le duc de Lorraine avait remontré à S.A.R. qu’elle ne devait plus se servir de ses conseils, ni de ceux de MM. de Rohan et Goulas. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

Retz (Mémoires, pages 1055-1056) a fait état d’une conversation qu’il eut avec Gaston d’Orléans :

« “ Vous m’avez tantôt dit que le premier pas qu’il fallait que je fisse, en cas que je me résolusse à la continuation de la guerre, serait de m’assurer de M. le Prince : comment diable le puis-je faire ? – Vous savez, Monsieur, lui répondis-je, que je ne suis pas avec lui en état de vous répondre sur cela ; c’est à Votre Altesse Royale à savoir ce qu’elle y peut et ce qu’elle n’y peut pas. – Comment voulez-vous que je le sache ? reprit-il, Chavigny a un traité presque conclu avec l’abbé Fouquet. {a} Vous souvient-il de l’avis que Mme de Choisy me donna dernièrement assez en général ? J’en viens d’apprendre tout le détail. M. le Prince jure qu’il n’est point de tout cela et que Chavigny est un traître ; mais qui le sait ? ” Ce détail était que Chavigny traitait avec l’abbé Fouquet et qu’il promettait à la cour de faire tous ses efforts pour obliger M. le Prince à s’accommoder, à des conditions raisonnables, avec M. le cardinal Mazarin. Une lettre de l’abbé Fouquet à M. Le Tellier, qui fut prise par un parti allemand et qui fut apportée à Tavannes, justifia parfaitement M. le Prince de cette négociation car elle portait, en termes formels, qu’en cas que M. le Prince ne se voulût pas mettre à la raison, lui, Chavigny, s’engageait à la reine à ne rien oublier pour le brouiller avec Monsieur. M. le Prince, qui eut en main l’original de cette lettre, s’emporta contre lui au dernier point, il le traita de perfide en parlant à lui-même. M. de Chavigny, outré de ce traitement, se mit au lit et ne se releva pas. »


  1. Basile Fouquet, agent de Mazarin.

La mort de Chavigny fournit l’occasion d’une mauvaise querelle contre les jansénistes (Raoul Allier, La Cabale des dévots, pages 85‑86) :

« Chavigny, meurt le 11 octobre. Il avait une jolie réputation de concussionnaire. Dans les derniers temps de sa vie, il avait été troublé par quelques coversations avec plusieurs des Messieurs de Port-Royal. À son lit de mort, il avait chargé Singlin et du Gué de Bagnols {a} de faire en son nom d’importantes restitutions ; il y avait pour près d’un million de “ pots-de-vin ” dont le souvenir avait importuné la conscience du mourant. Par délicatesse, les deux dépositaires du secret en parlent à la veuve et consultent pour se mettre en règle avec lelle. L’affaire transpire. M. de Morangis, M. de Lamoignon sont au courant et donnent des conseils. Ils en parlent sans doute à d’autres, mais probablement sans mauvaise intention. Aussitôt des racontars étranges commencent à cheminer. Au bout de quinze jours, les ennemis des jansénistes ont mis en circulation tout un roman qui accuse Singlin de captation d’héritage et représente de Bagnols comme son complice. On en cause au Conseil du roi et quelqu’un en prend occasion pour y déclarer, à propos des jansénistes, “ qu’il fallait empêcher l’établissement de cette maison et qu’il serait peut-être nécessaire d’interposer l’autorité du roi pour arrêter le progrès de leurs desseins ”. Du Gué de Bagnols se dépense en efforts pour enrayer la calomnie ; on devine pourtant le bien qu’elle fait à la charité de Port-Royal. » {b}


  1. Antoine Singlin (1607-1674), prêtre janséniste et disciple de l’abbé de Saint-Cyran, lui succéda comme confesseur de Port-Royal ; v. note [2], lettre 481, pour Guillaume du Gué de Bagnols.

  2. Une féroce compétition de zèle charitable opposait alors ceux de Port-Royal et ceux de la Compagnie du Saint-Sacrement ; un million de livres était une aumône qui méritait qu’on sortît les grifffes.

12.

Chavigny a pu être assassiné (ou s’être suicidé, option moins probable pour un janséniste convaincu) à l’aide d’un poison, ce qui atténuerait la culpabilité de l’antimoine que lui administrèrent les médecins venus à son chevet…

13.

Enger : « produire quelque méchante engeance : ce lit est tout engé de punaises ; je ne sais qui nous a engé de ces méchants laquais ; ces vieux meubles nous engeront de vermine. Ce mot vient du latin ingignere, ou plutôt du vieux mot français enger, qui signifiait remplir » (Furetière).

En 1635‑1636, Chavigny avait en effet grandement contribué à faire briller l’étoile de Mazarin auprès de Richelieu ; tant et si bien que le protégé prit la place du protecteur, au point qu’une haine jalouse s’alluma entre les deux anciens comparses (v. note [4], lettre 199). Chavigny mourut « sans avoir réalisé son rêve : devenir premier ministre à la place de Mazarin » (J.‑M. Constant, Dictionnaire du Grand Siècle).

14.

« On verra beau jeu si la corde ne rompt, lorsqu’on fait de grandes promesses, qu’on donne de belles espérances de quelque chose » (Furetière).

15.

« On dit qu’un homme joue les deux quand il a intelligence avec les deux parties contraires et qu’il trompe l’une et l’autre » (Furetière).

16.

Chavigny était membre de la Compagnie du Saint-Sacrement (v. note [7], lettre 640). Il avait été nommé gouverneur du château de Vincennes en 1638 et l’abbé de Saint-Cyran avait été son prisonnier ; il avait beaucoup échangé avec lui et contribué à obtenir sa libération en février 1643, ce qui lui avait valu la durable reconnaissance de tout le parti janséniste. En mars 1649, Chavigny était allé visiter Port-Royal-des-Champs avec l’intention de s’y retirer, mais on lui avait refusé d’y devenir solitaire (Dictionnaire de Port-Royal, pages 257‑259).

17.

« Il ne s’accordait rien sans l’avoir pesé ».

Conrart (Mémoires, pages 216‑217) a dépeint cet ascétisme anorexique de Chavigny :

« Il y avait déjà longtemps que l’agitation d’esprit et le travail de corps, qui étaient extraordinaires depuis son engagement dans le parti, {a} l’avaient échauffé et desséché d’une étrange sorte, outre que sa façon de vivre y avait beaucoup contribué ; car la crainte de devenir gros lui avait fait prendre la résolution, quoiqu’il eût le sang fort chaud, le foie grand, et qu’il se fît grande dissipation d’esprits, de manger fort peu et de ne point souper du tout, pratiquant une abstinence presque aussi grande que celle de Cornaro, {b} mais non pas aussi réglée, ni accompagnée d’autant de tranquillité, ce qui ne contribue pas moins que la sobriété à la vie longue et heureuse. »


  1. Janséniste.

  2. V. infra note [18].

18.

Luigi Cornaro (Alvise Corner, Venise 1464 ou 1467-Padoue 1566), noble vénitien, avait d’abord mené une vie fort déréglée. Descuret in Panckoucke :

« Enfin, réduit à 40 ans à l’état le plus déplorable et touchant aux portes du tombeau, il sentit la nécessité de mettre un terme à ses excès et passant tout à coup de l’intempérance à une excessive sobriété, il réduisit sa nourriture à 12 onces {a} d’aliments solides et à 14 onces {b} de vin par jour. Ce changement, quoique subit, ayant produit les plus heureux résultats, Cornaro fut étonné lui-même de voir sa santé entièrement rétablie en l’espace de quelques mois et dès lors, il résolut de ne rien changer à ce régime quelque rigoureux qu’il fût. Il étudia soigneusement et choisit les aliments qui lui étaient les plus convenables et non content d’avoir trouvé ce remède à ses maux, il voulut aussi réformer son caractère qui, jusque-là haineux, morose et irascible, n’avait pas peu contribué à les augmenter. La victoire qu’il remporta sur lui-même le rendit aussi affable que patient. Affranchi de ses souffrances, exempt de mélancolie, il consacra le reste de sa longue carrière aux beaux-arts et à diverses occupations agréables, et mourut presque centenaire. Depuis l’âge de 83 ans jusqu’à celui de 95, il publia successivement en quatre parties l’opuscule dans lequel il trace le plan de conduite dont il retira de si précieux avantages. » {c}


  1. Une livre, environ 400 grammes.

  2. Environ un demi-litre.

  3. Trattato de la Vita sobria del Magnifico M. Luigi Cornaro nobile Vinitiano.

    [Traité de la vie sobre, du généreux M. Luigi Cornaro gentilhomme de Venise]. {i}

    1. Padoue, Gratioso Perchacino, 1558, in‑4o de 54 pages, pour la première de très nombreuses éditions posthumes, notamment sous le titre de :

      Discorsi della vita sobria… Ne’ quali con l’esempio di se stesso, dimostra con quali mezzi possa l’huomo conservarsi sano insin’all’ultima vecchiezza.

      [Discours de la vie sobre, où est démontré, à partir d’un exemple personnel, par quels moyens l’homme peut se conserver en excellente santé jusqu’à la dernière vieillesse].

      V. notules {r} et {s}, note [1], lettre 1028, pour les traductions latine (Anvers, 1613) et française (Paris, 1646) publiées par Leonardus Lessius, théologien jésuite de Louvain (v. note [31], lettre 195).


19.

« Reculer signifie à la guerre s’ébranler, fuir, tourner le dos » (Furetière).

20.

Mention en marge ; Guy Patin a rayé de quatre traits verticaux le passage qui précède (mis entre crochets), mais en le laissant parfaitement lisible.

La cour était arrivée le 17 octobre à Saint-Germain.

21.

« ce qui fit qu’il a passé dans l’autre monde ».

La plume du doyen Guy Patin a consigné ces deux décès, en date du 3 octobre pour Quentin Thévenin, et du 14 octobre 1652 pour Guillaume de Vailli (liste des docteurs régents dressée le 23 novembre 1651, v. les Actes de 1651‑1652 dans les Commentaires de la Faculté de médecine de Paris).

Quentin Thévenin, natif de Châlons-en-Champagne, mort le 3 octobre 1652, avait été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en 1642 ; il avait été élu censeur pour deux ans, en novembre 1648, sous le décanat de Jean Piètre.

Guillaume de Vailli, natif de Paris, mort le 14 octobre 1652, avait obtenu le bonnet en 1615 (Baron).

22.

« tandis que les affaires de la plus haute importance sont en suspens. »

23.

V. note [33], lettre 285, pour les Opera de Daniel Sennert (édition de Lyon, 1656).

24.

« au nom de quels dieux fait-on montre de cette perfidie ? »

25.

« Cette manière de soigner n’est assurément pas de la médecine, mais bien de la torture ; ou, pour parler comme Asclépiade dans Galien, une véritable préparation à la mort. »

Asclépiade (Ασκληπιαδης, Asklêpiadês, littéralement « fils d’Esculape », v. note [5], lettre 551) de Pruse (en Bithynie), médecin et philosophe grec du iie s. av. J.‑C., fut le praticien le plus célébré de l’Antiquité romaine. Il n’a rien subsisté de ses ouvrages, ce qui est fort regrettable car sa doctrine était vivement opposée à celle d’Hippocrate. On le connaît principalement par tout ce que Pline l’Ancien et Galien (qui, lui, n’a guère laissé de trace dans les écrits de ses contemporains ou des ses proches successeurs, v. note [6], lettre 6) ont dit à son sujet (les références à Asclépiade occupent une page et demie dans l’index de Kühn).

Guy Patin citait ce passage du livre de Galien De venæ sectione adversus Erasistratum [De la phlébotomie contre Érasistrate] (Kühn, volume 11, page 163, traduit du grec) :

Nam dogmaticum novi et Dioclem et Plistonicum et Dieuchem et Menesitheum et Praxagoram et Philotinus et Herophilum et Asclepiadem sanguinem detrahere ; etsi Asclepiades adeo fuerit contentiosus et gloriæ cupidus, ut fere omnia superiorum dogmata submoverit, neque ulli alii qui ante ipsum fuerat, neque Hippocrati pepercerit, ut qui veterum medicinam mortis curationem dicere non sit veritus. Attamen adeo non fuit impudens, ut plane venæ sectionem ex medicis præsidiis eximere sit ausus […].

[Je sais parfaitement que des dogmatiques, tels Diocles, Plistonicus, Dieuchés, Menesitheus, Paraxagore, Philotinus, Hérophile ou Asclepiades ont pratiqué la saignée ; bien qu’Asclepiades ait été si chicaneur et avide de gloire qu’il a rejeté presque tous les dogmes des Anciens et de tous ceux qui l’avaient précédé, sans même ménager Hippocrate, et qu’il n’ait pas craint de dire que leur médecine était un soin de la mort. {a} Il n’a pourtant pas poussé l’impudence jusqu’à oser exclure la phlébotomie du nombre des remèdes médicaux (…)].


  1. La traduction latine de Kühn donne mortis curationem [soin de la mort] et non mortis meditationem [préparation de la mort] ; mais peu importent ces synonymes : ils ont le même sens que le texte original, recourant à l’expression philosophique θανατου μελετην (thanatou mélétên, « inquiétude de la mort »), que Sénèque le Jeune a employée pour parler de l’asthme qui l’affligeait (v. note [2], lettre 661).

Ce passage depuis « On dit qu’en Hollande… » se trouve à l’identique (mais sans le latin) dans une lettre factice datée du 26 août 1654, destinée à Charles Spon dans Du Four (édition princeps, 1683, no lii, pages 174‑175) et Bulderen (no lxxxix, tome i, pages 241‑242), mais à André Falconet dans l’édition Reveillé Parise (no ccccxxvi, tome iii, pages 37‑38).

26.

Guy Patin, doyen, a donné un récit plus détaillé de cette célébration dans ses Commentaires de la Faculté (Décrets et assemblées de 1651‑1652), en date du vendredi 18 octobre 1652.

27.

L’événement célébrait la réconciliation de la capitale avec le roi (Journal de la Fronde, volume ii, fo 164 ro, octobre 1652) :

« Les députés des colonels ayant été reçus le 18 à Saint-Germain et présentés par le maréchal de L’Hospital, M. de Sève {a} y porta la parole et témoigna le désir que tout Paris avait de revoir son souverain, le supplier de vouloir revenir, d’accorder une amnistie dans laquelle chacun pût trouver sa sûreté, et de réunir le Parlement, et louant fort la conduite de la reine et le soin qu’elle prenait de l’éducation du roi ; à quoi le roi répondit lui-même qu’encore que les révoltes qu’on avait suscitées à Paris le dussent obliger d’aller faire d’autres voyages, que néanmoins, le désir que ses bons bourgeois lui témoignaient de le revoir l’avait fait résoudre de retourner à Paris au premier jour pour y témoigner l’affection qu’il avait pour la capitale de son royaume ; et qu’il donnait ordre au prévôt des marchands touchant ce qu’il faudrait faire pour sa réception ; après quoi, les députés furent traités à dîner dans le vieux château et le soir retournèrent coucher à Rueil, d’où ils revinrent le lendemain avec le maréchal de L’Hospital, le prévôt des marchands et le lieutenant civil ; et ce maréchal dit qu’il apportait l’amnistie telle que S.A.R. {b} l’avait souhaitée, mais on ne l’a pas encore vue paraître, et confirme le retour du roi qui logerait dans le Louvre, qu’on préparait d’abord pour cet effet, et où Sa Majesté manda le Parlement de Pontoise et tous les officiers de celui de Paris pour les réunir, ayant envoyé à cette fin une lettre de cachet en particulier afin de ne reconnaître point de Parlement ici et faire vérifier l’amnistie, avec ordre de s’y trouver en robes rouges, le roi y voulant tenir son lit de justice. »


  1. Alexandre de Sève (v. note [6], lettre 367).

  2. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

Le P. Berthod, agent de la cour à Paris, a expliqué l’importance politique de ce retour (Mémoires, page 598) : l’enjeu avait été de soulever contre les princes les bourgeois et le peuple de Paris, avec le dessein précis de leur faire prendre la Bastille. Tout était préparé, mais il ne fut pas nécessaire d’aller si loin.

« La garde de la porte Saint-Martin se montra le 17e d’octobre avec le ruban blanc au chapeau, on y fit boire tous les passants à la santé du roi ; et dans ce temps-là, 25 ou 30 cavaliers, officiers ou gardes de M. le Prince et de M. de Beaufort se présentèrent à la porte avec un passeport de M. d’Orléans que les soldats bourgeois déchirèrent en pièces, et poussèrent ces cavaliers si vigoureusement qu’à peine purent-ils atteindre le logis de M. de Beaufort pour leur servir d’asile.

Tout cela se fit par les soins du sieur de Poix qui fit un festin solennel dans le corps de garde à toute la compagnie, à laquelle il avait donné le ruban blanc. […] Les colonels qui pendant ce temps-là étaient allés à la cour faire leur députation au roi et qui en furent admirablement bien reçus, en revinrent le 19e avec le maréchal de l’Hospital, le prévôt des marchands et les autres magistrats ; et M. d’Orléans, sachant qu’ils arrivaient, fit écrire une lettre à M. de l’Hospital par le maréchal d’Étampes, laquelle lui fut envoyée en grande diligence par un courrier qui le trouva à la tête des colonels dans le bois de Boulogne.

Cette lettre portait avis à M. le maréchal de l’Hospital et aux autres de retourner à Saint-Germain ; qu’ils ne seraient pas reçus à Paris ; que toute la ville sachant leur venue, s’était mise en armes ; que les bourgeois avaient tendu les chaînes ; que chacun faisait des barricades dans son quartier et que le peuple était résolu de les égorger plutôt que de souffrir qu’ils entrassent dans la ville.
Cette lettre et le discours de celui qui la portait, qui exagéra la chose jusqu’au point de la faire passer pour une révolte générale, fit faire halte à toute la compagnie pendant une demi-heure, dans l’incertitude s’ils avanceraient vers Paris ou s’ils reculeraient du côté de Saint-Germain ; et même quelques-uns de la troupe proposèrent de retourner trouver le roi.

Si ce malheur fût arrivé, les affaires du roi étaient perdues et très certainement, Sa Majesté ne fût point venue dans Paris, parce que ceux qui restaient de la faction des princes n’attendaient que cela pour faire publier par la ville, et dans le même temps que le maréchal de l’Hospital et sa troupe s’en retourneraient, que la cour se moquait de Paris et que toutes les paroles qu’on leur avait données n’étaient que des leurres pour les mieux attraper, et pour donner sujet à la reine de satisfaire à la passion qu’elle avait de se venger des habitants de Paris et de faire périr la ville. […] Dieu permit que pendant que le maréchal de l’Hospital et sa troupe faisaient halte, un homme de condition qui allait de Paris à Saint-Germain les voyant arrêtés, en demanda la raison ; et l’ayant apprise, il leur fit connaître qu’on les trompait, que c’était une ruse des princes ; qu’il n’y avait rien de si faux que ce qu’on leur avait dit et écrit ; que toute la ville était dans la plus grande tranquillité du monde et dans la disposition de les recevoir avec joie et comme les précurseurs du roi. Dans cette assurance, ils marchèrent vers Paris où ils furent reçus avec des acclamations publiques. »

28.

On préparait Paris à recevoir la cour (Journal de la Fronde, volume ii, fo 164 ro et vo, octobre 1652) :

« Mademoiselle {a} reçut le 18 une lettre du roi qui lui mandait de déloger de l’appartement qu’elle avait dans le pavillon des Tuileries, n’y ayant point d’autre logement propre pour le petit Monsieur {b} dans le Louvre ; à quoi elle fit réponse, de sa main, qu’elle était prête d’obéir ; et le 20, elle sortit et fut loger chez Mme la comtesse de Fiesque la jeune. On lui avait offert l’hôtel des ambassadeurs extraordinaires, proche le palais d’Orléans, en remboursant au duc de Damville 25 mille écus qu’il lui a coûté, ou même d’y loger en attendant qu’elle eût trouvé un meilleur logement ; mais elle n’a point voulu prendre un logis qui eût servi à des particuliers. Elle a envoyé un courrier à M. le Prince, pour le prier de lui prêter l’hôtel de Condé, en attendant qu’elle en ait un autre. Le roi et la reine d’Angleterre sont allés loger au Palais-Royal. » {c}


  1. Anne-Marie-Louise de Montpensier, fille aînée du duc d’Orléans, qui avait affiché un soutien sans faille au parti des princes.

  2. Philippe d’Anjou, frère cadet du roi.

  3. V. note [6], lettre 292, pour le voyage des souverains anglais.

29.

Mme de Motteville (Mémoires, page 441) :

« Cette heureuse paix ramena le roi dans Paris le 21 octobre. Il entra à cheval accompagné du roi d’Angleterre et suivi du prince Thomas {a} qui semblait être demeuré à la place du cardinal Mazarin, de plusieurs princes, ducs, pairs, maréchaux de France et officiers de la Couronne, etc. La reine venait après en carrosse et Monsieur {b} était avec elle. Cette entrée fut vue des Parisiens avec une extrême joie et leurs acclamations furent infinies. Le cardinal de Retz complimenta le roi et la reine à l’entrée du Louvre avec tout le clergé ; ce qui ne leur fut pas un spectacle désagréable. Aussitôt après, le roi réunit les deux parlements {c} en un, lui défendit de se mêler d’affaires d’État, exila qui il lui plut et logea au Louvre pour ne le plus quitter, ayant éprouvé par les fâcheuses aventures qu’il avait eues au Palais-Royal que les maisons particulières et sans fossés ne sont pas propres pour lui. Le lendemain 22, par l’ordre du roi, le Parlement fut assemblé dans la galerie du Louvre où le roi, étant en son lit de justice, leur ordonna ce que je viens de dire. » {d}


  1. Thomas de Savoie.

  2. Philippe d’Anjou.

  3. Celui qui l’avait suivi à Pontoise et celui, frondeur, qui était resté à Paris.

  4. Le doyen Guy Patin jugea l’événement si considérable qu’il le célébra dans ses Commentaires de la Faculté de médecine de Paris (v. note [61] des Décrets et assemblées de 1651‑1652).

30.

Prévenu que le roi le ferait arrêter s’il ne se décidait pas à partir, le duc d’Orléans prit le chemin de l’exil.

Mme de Motteville (Mémoires, page 441) :

« Ce prince fut obligé de fuir à la vue du roi qu’il n’avait point voulu venir trouver, quoique le duc de Damville, avant que le roi arrivât, lui en eût porté l’ordre. En refusant de voir le roi qui avait eu la bonté de le vouloir souffrir et de lui offrir le pardon des choses passées, il fallut qu’il évitât par son exil le chagrin de voir toutes ses entreprises accompagnées de honte et de malheur ; mais comme il demeura quelque temps indécis sur ce qu’il avait à faire, le roi et la reine, qui regardaient son absence comme nécessaire, approchant de Paris et voyant qu’il y était encore, tinrent conseil dans leur carrosse pour y prendre leur résolution ; et il y fut conclu, selon ce que la reine me fit l’honneur de me dire à mon retour de Normandie, d’envoyer des troupes droit au Luxembourg pour se saisir de sa personne. Le duc d’Orléans en ayant été averti et sachant les maux dont il était menacé, partit de Paris à l’instant même que le roi y entra, et fut se reposer de ses fâcheuses et inutiles sollicitudes en son château de Blois où le détrompement des vaines fantaisies de la grandeur et de l’ambition produisit en lui le désir des véritables et solides biens qui durent éternellement ; et il eut sujet alors de s’estimer heureux d’avoir été malheureux. »

Retz (Mémoires, page 1071) a jeté un autre regard sur l’événement :

« La reine me reçut admirablement ; elle dit au roi de m’embrasser comme celui à qui il devait particulièrement son retour à Paris. Cette parole, qui fut entendue de beaucoup de gens, me donna une véritable joie parce que je crus que la reine ne l’aurait pas dite publiquement si elle avait eu dessein de me faire arrêter. Je demeurai au cercle {a} jusqu’à ce que l’on allât au Conseil. Comme je sortais, je trouvai dans l’antichambre Jouy, qui me dit que Monsieur me l’avait envoyé pour savoir si il était vrai que l’on m’eût fait prendre place au Conseil et pour m’ordonner d’aller chez lui. Je rencontrai, comme j’y entrai, M. d’Aligre qui en sortait et qui venait de lui commander, de la part du roi, de sortir de Paris dès le lendemain et de se retirer à Limours. Cette faute a encore été consacrée par l’événement ; {b} mais elle est, à mon sens, une des plus grandes et des plus signalées qui ait jamais été commise dans la politique. Vous me direz que la cour connaissait Monsieur ; et je vous répondrai qu’elle le connaissait si peu en cette occasion qu’il ne s’en fallut de rien qu’il ne prît, ou plutôt qu’il n’exécutât la résolution qu’il prit en effet de s’aller poster dans les Halles, d’y faire les barricades, de les pousser jusqu’au Louvre et d’en chasser le roi. Je suis convaincu qu’il y eût réussi, même avec facilité, si il l’eût entrepris et que le peuple n’eût balancé {c} en rien, voyant Monsieur en personne, et Monsieur ne prenant les armes que pour s’empêcher d’être exilé. »


  1. De la reine.

  2. L’issue.

  3. Hésité.

Suit une longue narration de l’entretien qu’il y eut dans la soirée entre le cardinal de Retz, Monsieur et le duc de Beaufort, chaud partisan de la solution de force ; elle se conclut (page 1076) en ces termes :

« M. de Beaufort s’aperçut, comme moi, que Monsieur avait pris sa résolution et il me dit en descendant l’escalier : “ Cet homme n’est pas capable d’une action de cette nature. – Il est encore bien moins capable de la soutenir, lui répondis-je ; et je crois que vous êtes enragé de la lui proposer en l’état où sont ses affaires. – Vous ne le connaissez pas encore, me repartit-il ; si je ne la lui avais proposée, il me le reprocherait d’ici à dix ans. ” »

Journal de la Fronde (volume ii, fo 165 ro, 21 octobre 1652) :

« L’après-dînée, le duc de Damville arriva au palais {a} où il porta l’ordre du roi à S.A.R. {b} de sortir de Paris et d’aller à Limours ; autrement, que Sa Majesté, qu’il avait laissée au Bois de Boulogne, viendrait tout droit dans ce palais pour le mettre dehors ; à quoi Sadite Altesse, après avoir consulté M. de Rohan et quelques autres de sa Maison, fit réponse qu’elle obéirait volontiers, protestant que comme elle n’avait rien tant souhaité que le roi, elle n’apporterait jamais aucun obstacle au repos que Sa Majesté voulait donner à ses peuples, et qu’elle s’en réjouirait aussi bien dehors que dedans Paris. Cette réponse ayant été faite par écrit au duc de Damville, il la fut porter au roi qui l’attendait en la Maison Blanche {c} par-delà le Cour de la Reine, et où on tint Conseil là dessus ; et ce duc renvoya dire à S.A.R. que si elle y allait trouver le roi, son affaire s’accommoderait ; mais elle ne s’y voulut pas fier et répondit qu’elle aimait mieux s’en aller. Cependant, Mademoiselle étant venue au palais d’Orléans, fut fort surprise de voir S.A.R. dans cette résolution ; et après en avoir querellé le duc de Rohan, elle protesta que, pour elle, < elle > ne sortirait point de Paris, quelque ordre qu’il y en eût. Sur les sept heures du soir, le roi arriva à cheval à la clarté des flambeaux par la porte Saint-Honoré, parmi une grandissime foule de peuple, dont les cris de “ Vive le roi ” l’accompagnèrent jusque dans le Louvre, le Corps de Ville lui ayant été au-devant. »


  1. Au palais d’Orléans (le Luxembourg).

  2. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  3. Aujourd’hui place de l’Alma.

31.

Mme de Motteville (Mémoires, page 441) :

« Mademoiselle eut ordre de quitter les Tuileries où elle avait logé jusqu’alors. Elle partit donc pour aller à Saint-Fargeau {a} regretter toutes ses peines, aussi mal payées qu’elles avaient été peu méritoires et peu agréables à celui {b} qui en avait été la cause. »


  1. Mademoiselle (v. note [18], lettre 77) possédait un château à Saint-Fargeau, sur le Loing, dans l’actuel département de l’Yonne (v. note [32], lettre 295).

  2. Le roi.

La Grande Mademoiselle détenait aussi la souveraineté de la principauté de Dombes, région située entre la Bresse à l’est, le Beaujolais à l’ouest, le Mâconnais au nord et le Lyonnais au sud, qui était rattachée au duché de Montpensier depuis 1560.

32.

Montglat (Mémoires, page 279) :

« Le duc de Beaufort prit aussi l’amnistie à condition qu’il sortirait de Paris, ce qu’il fit ; et en passant par les rues pour aller trouver Monsieur à Limours, il ne reçut aucune acclamation du peuple comme il avait accoutumé, ce qui lui fit voir que la joie de revoir le roi effaçait tout autre attachement, et que Paris se remettait véritablement dans son devoir et dans l’obéissance de son légitime souverain. ».

33.

« qui sont stigmatisés. »

Journal de la Fronde (volume ii, fos 164 vo et 165 ro, 22 octobre 1652) :

« Hier au matin, le Parlement étant assemblé pour délibérer s’il devait aller ce matin au Louvre, il y a eu des grandes contestations là-dessus, principalement à cause qu’il se trouve qu’il y en avait onze de la Compagnie qui n’avaient point reçu des lettres de cachet pour y aller, savoir les présidents de Thou, de Viole, MM. Broussel, Pithou, Lallemand, Portail, Machault, Croissy-Fouquet, Brisart, Genoux et Martineau. {a} L’on représenta qu’il n’y avait pas d’apparence que la cour y procédât de bonne foi, qu’il semblait qu’elle voulait proscrire ceux-ci et qu’ainsi, il n’y avait point de sûreté d’aller au Louvre. Son Altesse Royale protesta derechef à la Compagnie de ne l’abandonner point ; et enfin, l’on suivit l’avis de M. de Cumont qui fut d’aller au Louvre et néanmoins, d’envoyer auparavant des députés à MM. le Chancelier et garde des sceaux pour leur demander le sujet pour lequel on n’avait point envoyé des lettres de cachet aux onze officiers pour se trouver à cette assemblée et pour les prier de leur en procurer comme aux autres. »


  1. V. infra note [42].

34.

Ce lit de justice du 22 octobre mit fin à la Fronde parisienne (Journal de la Fronde, volume ii, fo 165 vo) :

« Les officiers du Parlement de Paris, tant ceux qui étaient à Pontoise que ceux qui étaient ici, sont allés ce matin au Louvre, tous, à la réserve de onze qui n’avaient point eu des lettres de cachet. Étant arrivés, on leur a présenté l’amnistie, laquelle s’est trouvée en bonne forme et générale pour tout le monde, jusqu’à y comprendre le comte Du Dognon {a} qu’elle rétablit dans ses biens ; mais on y avait ajouté que S.A.R. {b} viendrait dans trois jours, et M. le Prince dans huit, pour faire leur déclaration qu’ils renoncent à toutes ligues, associations et traités qu’ils pourraient avoir faits avec les ennemis de l’État. Sur quoi la Compagnie ayant délibéré et arrêté que l’amnistie serait enregistrée, ayant représenté que ce n’était pas assez de ne donner que trois jours à S.A.R. et huit à M. le Prince, l’on en a donné huit au premier et quinze au second. Ensuite, le roi, qui n’avait point encore paru dans cette assemblée, y est entré et a dit que M. le Chancelier dirait ses intentions à la Compagnie. Aussitôt, celui-ci a présenté une déclaration du roi portant cassation de tout ce qui s’est fait depuis deux ans dans le Parlement, même de la réception du duc de Rohan à la dignité de duc et pair, excepté les arrêts donnés pour les affaires des particuliers ; défenses au Parlement de ne plus s’assembler désormais que du consentement du roi, et à tous les conseillers et présidents de se mêler des affaires d’État ni de recevoir aucune pension d’aucun prince sans permission de Sa Majesté ; et ordre aux onze qui n’avaient point été appelés à cette assemblée et à MM. de Beaufort, de Rohan, de La Rochefoucauld, de La Boulaye, Penis, trésorier de France, de sortir de Paris dans 24 heures ; ce que la Compagnie a été obligée de faire enregistrer, M. le Chancelier ayant obligé {c} toutes les voix, l’une après l’autre, pendant que chacun haussait les épaules et qu’on les voyait tous dans une consternation étrange. »


  1. V. note [3], lettre 207.

  2. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  3. Forcé.

35.

« les règles générales ne concluent jamais bien [ne font jamais de bonnes lois]. »

36.

Jacques-Auguste ii de Thou, seigneur de Meslay (1609-1677), fils de l’historien, Jacques-Auguste i (v. note [4], lettre 13) et de Gasparde de La Châtre, sa seconde épouse, était le frère cadet de François-Auguste (v. note [12], lettre 65), victime expiatoire de la conspiration de Cinq-Mars en septembre 1642. Jacques-Auguste ii avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1643, en la première Chambre des enquêtes, dont il était président depuis 1647. Dans sa correspondance, Guy Patin, qui le connaissait bien, a amplement parlé de son ambassade de France aux Pays-Bas (1657-1661) ; il avait hérité de la riche bibliothèque de son père.

Dans Le président de Thou et ses descendants… (Paris, 1905), Henry Harrisse a fourni une biographie détaillée de Jacques-Auguste ii de Thou, jusqu’à sa ruine et à la dispersion de ses biens, et décrit sa magnifique bibliothèque, qu’il avait fort augmentée.

37.

Paul Portail, seigneur de Chatou, de Bailly et de Soris, avait été reçu conseiller au Parlement en 1623 sur résignation de son père, en la troisième Chambre des enquêtes. Il se démit de sa charge en faveur de son fils aîné, lui aussi prénommé Paul, le 1er août 1661 (Popoff, no 2026).

38.

V. note [146], lettre 166, pour François Bitault de Chizey, l’un des conseillers que le maréchal d’Hocquincourt avait capturés au printemps de 1652 (v. note [15], lettre 279).

François de Machault, seigneur de Fleury sous Meudon, avait été reçu conseiller au Parlement de Paris en 1642, en la première des Enquêtes ; il monta à la Grand’Chambre en 1671 (Popoff, no 1624) ; il était cousin issu de germain de Louis de Machault, seigneur de Soisy (v. note [2], lettre 706) ; Retz l’a dit « serviteur passionné de M. le Prince » (Mémoires, page 905).

39.

Jean Coulon avait été reçu conseiller au Parlement en 1627 en la deuxième des Enquêtes. Il mourut en 1686 (Popoff, no 1023).

Tallemant des Réaux a consacré une historiette (tome ii, pages 246‑248) à son épouse, née Marie Cornuel (fille de Claude, intendant des finances), dont le premier mari avait été Louis de Machault, conseiller à la Cour des aides, mort en 1635 (Adam) ; il cite aussi (pages 441‑442) Coulon comme un des amants déclarés de Ninon de l’Enclos, qu’il avait entretenue jusqu’en 1650.

Frondeur jusqu’au bout, il fut honoré en 1648‑1649 de ce refrain (Olivier Le Fèvre d’Ormesson, Journal, tome i, page 765, note 1) :

« Coulon, je dis sans raillerie,
Que vous devez baiser les mains
Désormais à la fronderie ;
Car devant qu’il soit la Toussaint,
Vous serez sec et tout le monde
Dira sur le chant de la Fronde :
“ Ci-gît de son long étendu,
Coulon frondeur qui fut pendu. ” »

40.

V. notes [147], lettre 166, pour Pierre Viole et [13], lettre 202, pour Antoine Fouquet de Croissy.

Jean-Pierre Martineau, fils d’un trésorier des parties casuelles, avait été reçu conseiller au Parlement en 1642, en la première Chambre des requêtes du Palais. Il avait épousé Françoise de Bordeaux, fille de Guillaume de Bordeaux, surintendant de la Maison de Monsieur. Il mourut doyen des Requêtes en juin 1689 (Popoff, no 1688).

41.

Philippe Genoux ou Genoud, seigneur de Guibeville et de Toulongeon, avait été reçu conseiller au Parlement en la deuxième des Enquêtes en 1641, et mourut conseiller de la Grand’Chambre en 1684 (Popoff, no 1296).

42.

Phrase ajoutée dans la marge, pour remplacer « et autres », qui finissait la précédente et a été barré.

Guy Patin annonçait neuf conseillers bannis mais en a nommé dix. Le Journal de la Fronde (v. supra note [33]) comptait onze noms : Jean Coulon et François Bitault n’y étaient pas, mais elle citait Pierre ii Pithou, Gabriel Lallement et Claude Brisart.

43.

« profondément affligés ».

44.

« sur le livre de Galien de la manière de soigner par la saignée » (v. note [11], lettre 273).

45.

La dernière lettre de Guy Patin à André Falconet qui nous soit parvenue datait du 30 janvier 1652, si on tient pour factices celles que l’édition de Reveillé-Parise a datées des 5 mars, 28 juin et 5 juillet.

46.

« On appelle le pain de munition, le pain qu’on distribue chaque jour aux soldats d’une armée ou d’une garnison pour leur subsistance » (Furetière).

47.

Le comte de Tavannes avait été déchargé du commandement des troupes de Condé, désormais confié au prince de Tarente. Blessé de voir ses services si peu reconnus, le comte se retira dans ses terres de Pailly, vers Langres, et accepta l’amnistie offerte par le roi.

Bnf, ms fr. 5844, fo 117 (novembre 1652, cité par Laure Jestaz) :

« Le 10, sur le soir, le comte de Tavannes, le chevalier de Roquelaure et quelques officiers revinrent ici de l’armée de M. le Prince, laquelle ils ont quittée par sa permission, ce prince leur ayant dit à tous en général que quiconque avait du bien, pour empêcher qu’il ne fût confisqué, pouvait se retirer d’auprès de lui »

En décembre 1652, Tavannes tua en duel le marquis de Quintin, parent de Turenne. Les lettres du roi lui furent envoyées le 3 janvier 1653 avec une invitation à revenir à la cour, que Tavannes refusa, préférant désormais mener une vie paisible. Il mourut le 22 décembre 1683 à l’âge de 63 ans.

Journal de la Fronde (volume ii, fo 166 ro, Paris, 25 octobre 1652) :

« M. de La Rochefoucauld ayant fait représenter à la cour, par le sieur Valot, premier médecin du roi, qu’il est en grand danger de perdre un œil s’il sort, à cause qu’il y a une cataracte, a obtenu permission de demeurer encore deux mois ici, après avoir donné parole de ne se mêler de rien. » {a}


  1. La Rochefoucauld n’en fut pas moins cité par le roi comme criminel de lèse-majesté lors du lit de justice tenu au Parlement le 13 novembre suivant.

48.

« et Dieu fasse qu’elles œuvrent pour le bien et le profit de l’État. »

François-Christophe de Lévis-Ventadour (1603-1661), comte de Brion puis duc de Damville (ou d’Amville) par lettres d’érection de novembre 1648, était fils d’Anne de Lévis, duc de Ventadour, et de Marie-Liesse de Luxembourg, et à ce titre, cousin germain de Condé. Quoique détenteur de la charge de premier écuyer du duc d’Orléans, il défendit toujours les intérêts du roi et fut souvent requis pour de difficiles négociations auprès de Monsieur. Fait gouverneur du Limousin, il voulut se démettre de cette charge en faveur de son frère, Anne de Lévis de Ventadour (v. note [14], lettre 443), archevêque de Bourges, mais dut la céder à Turenne en décembre 1653 (v. note [18], lettre 308). Le duc de Damville fut nommé capitaine de Fontainebleau, puis vice-roi de l’Amérique (1655). Il mourut le 9 septembre 1661 sans postérité, et fut enterré dans l’habit des capucins (Jestaz).

Journal de la Fronde (volume ii, fo 166 vo, 29 octobre 1652) :

« Dès la première proposition d’accommodement que le duc de Damville fut porter à S.A.R. {a} à Limours, elle lui répondit que ce ne serait faire la paix qu’à demi si on ne la faisait qu’avec elle, et demanda du temps pour en écrire à M. le Prince pour savoir s’il voulait aussi s’accommoder. En même temps, elle en envoya avertir le président Viole qui en écrivit aussitôt à M. le Prince et fut à Limours le 28 pour conférer avec Sadite Altesse ; laquelle, après cela, demeura d’accord de signer l’amnistie, laquelle est beaucoup plus ample et en d’autres termes que celle qu’on a publiée et qu’on voit imprimée ; mais S.A.R. n’a point voulu faire de traité particulier ni revenir à Paris, parce que le cardinal Mazarin y revient ; ensuite de quoi, ce duc s’en revint le même jour, 26, avec M. Goulas et y retourna le 27 au matin avec M. Le Tellier, qui lui porta l’amnistie pour la signer ; et l’après-dînée, le roi, la reine et le petit Monsieur {b} envoyèrent chacun un gentilhomme au palais d’Orléans pour se conjouir avec Madame de cet accommodement de S.A.R., laquelle doit partir aujourd’hui pour aller à Chartres, d’où elle ira à Orléans et delà à Blois, jusqu’à ce que les affaires aient changé de face. Le duc de Rohan, qui est aussi à Limours et qui a été toujours de l’avis de M. Goulas, suit la fortune de Sadite Altesse ; et l’on croit que MM. de Beaufort, de Bury et Fontrailles, qui y sont aussi, iront trouver M. le Prince. »


  1. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  2. Philippe d’Anjou, frère cadet du roi.

Par cet accord, le duc d’Orléans obtint, outre le paiement de tous les arrérages de ses pensions et appointements (qu’avait utilisés Condé pour le convoi de Bordeaux), son rétablissement comme gouverneur de la ville et de la citadelle du Pont-Saint-Esprit, celui de Rohan comme gouverneur de l’Anjou et d’autres articles en faveur de ses partisans. Monsieur rompit enfin officiellement avec le prince de Condé par une lettre du 29 octobre 1652.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 25 octobre 1652

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(Consulté le 25/04/2024)

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